Au fil des araignées

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sous la direction de Frédérik Canard

Au fil des araignées Frédérik Canard

Au fil des araignées

sous la direction de

Éditions Apogée Diffusion PUF ISBN 978-2-84398-315-3

Éditions Apogée


Ouvrage réalisé en collaboration avec :

© Éditions, Apogée, 2008 ISBN 978-2-84398-315-3

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sous la direction de Frédérik Canard

Au fil des araignées

Éditions Apogée

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Al a i n C a

n a rd

» e l b i s i u n « n u P l a ido ye r p o u r L’araignée est, à n’en pas douter, victime des repré-

moins dangereuses, ces espèces sont néanmoins jugées

sentations négatives que lui attribuent la plupart d’entre

sales et bien trop présentes dans nos foyers. Enfin, d’autres

nous. L’animal serait ainsi pourvu de longues pattes, velu,

types d’araignées sont parfois évoqués, comme les épeires,

sombre, de taille relativement grande, atteignant presque

qui bâtissent leurs toiles géométriques dans les jardins. Il

la largeur de la main, la dépassant parfois de beaucoup.

y a encore de mystérieuses espèces, qui recouvrent les

Sa biologie semble également résumée par quelques carac-

champs d’un tapis de soies révélées par le soleil matinal et

tères inquiétants : ce serait un animal rapide, agressif et

dénommées « fils de la vierge ». Cependant, ces dernières

dangereux. Deux types morphologiques sont habituellement

images ne sont pas celles qui viennent spontanément à

cités comme représentatifs de l’araignée. Ce sont d’une

l’esprit à l’évocation de l’araignée.

part les mygales et les veuves noires, ayant la réputation d’être particulièrement dangereuses mais fort heureusement

Une empoisonneuse supposée

exotiques, et d’autre part les araignées des maisons. Ces

Toutes les araignées seraient dangereuses. C’est une

dernières ne disposent d’aucun nom commun et leurs noms

réalité, mais du seul point de vue des insectes ! Elles sont,

scientifiques sont rarement connus du public : nous les

à l’exception des Uloboridés, pourvues d’un venin.

assimilerons aux grandes tégénaires. Admises comme étant

Elles peuvent l’inoculer grâce aux crochets d’appendices vulnérants, les chélicères, qui ne dépassent généralement

Page 6 : Si les adultes d’épeire concombre (Araniella cucurbitina) sont verts, les jeunes ne le sont pas toujours.

pas le dixième de la longueur du corps. Aussi, pour de

À droite : La minuscule toile géométrique de l’épeire concombre tient dans une rose.

gnées est incapable de percer notre peau. Pour celles qui

Ci-dessous : Les couleurs de la Micrommate (Micrommata ligurinum) lui permettent de se fondre parmi les fleurs.

simples raisons mécaniques, la grande majorité des araile pourraient, une difficulté comportementale existe : elles utilisent leur venin soit pour paralyser des proies — or

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Ci-dessus : L’ombre de la Pisaure (Pisaura mirabilis) plane sur la prairie. Ci-contre : L’épeire alsine (Aranieus alsine) serait bien visible si elle ne se cachait habituellement dans une feuille repliée.

nous ne sommes pas perçus comme telles —, soit pour se défendre — mais encore faut-il que nous les agressions.

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Il est donc fort peu probable que nous soyons mordus.

sont allergiques à toute agression de la peau, ne fût-

Le cas échéant, le venin, fatal aux insectes, est quasiment

ce qu’une piqûre de moustique. Beaucoup d’entre nous

inoffensif pour l’homme. Certaines espèces représentent

accusent l’araignée dès l’apparition d’une démangeaison

néanmoins un danger : les veuves noires, au venin actif

cutanée. Le méfait a eu lieu la nuit et nous ne l’avons pas

sur les vertébrés, et les espèces de grande taille pouvant

prise sur le fait, mais après une brève enquête dans la

inoculer beaucoup de venin, telles, en Europe, la Séges-

maison, nous avons forcément trouvé la coupable rasant

trie florentine, des mygales maçonnes ou encore des

les murs. Preuve supplémentaire : On voit nettement les

Cheiracanthes. Il reste possible que, retenue prisonnière

deux petits points rouges caractéristiques de la pénétration

dans notre main, une araignée nous morde. En général,

des crochets ou si l’on n’en voit qu’un, c’est qu’un seul

le résultat de la morsure est bénin et l’envenimation reste

aura marqué la peau. Le médecin comme le pharmacien à

locale. Des individus peuvent réagir plus violemment s’ils

qui l’on demande conseil, vu le peu d’intérêt de la lésion


ignées Au fil des ara

et l’absence de lobby favorable aux araignées, ne nous

Les mygales cristallisent une bonne part de la mauvaise

dément pas. Il sait qu’avec le temps ou après avoir passé

réputation des araignées. Elles sont considérées comme

une pommade, l’effet disparaîtra. Mais la culpabilité suppo-

étant les plus dangereuses et les plus grandes. Ce sont les

sée des araignées se renforcera. Tout le monde aurait

plus lourdes : certaines femelles de mygales de Leblond,

ainsi été mordu par une araignée ou connaît quelqu’un qui

en Amérique du Sud, pèsent jusqu’à quatre cents grammes.

l’aurait été ! D’autres raisons — piqûres d’insectes, réactions

Mais toutes n’atteignent pas cette taille record. En réalité,

métaboliques — peuvent justifier ces petits problèmes cuta-

la définition de ce groupe d’araignées est due à une posi-

nés, mais l’araignée est une coupable idéale qui justifie de

tion particulière des chélicères, non à une grande taille

ne plus chercher d’autres responsables, surtout pour un fait

ou une toxicité particulière. Ainsi, certaines espèces de

de si faible importance.

Ci-dessus : La toile de la petite épeire Zilla diodia est constituée de nombreux rayons et spires.

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14


Frédér i c

Ys n e l

? e é n g i a r a e n ’u u Q u’e s t- c e q Petite révision de la classification des espèces d’Arthropodes

Entognathes), les Myriapodes (les mille-pattes) et les Crustacés. Toutes les autres espèces d’Arthropodes font partie

Le terme « araignée » désigne différents objets et,

des Chélicériformes, qui n’ont pas d’antennes mais dont le

même en zoologie, il est attribué à des animaux relevant de

premier appendice ventral est formé de deux articles : la

différents groupes systématiques. On trouve en effet les arai-

chélicère. Parmi les Chélicériformes, les Pycnogonides — ou

gnées de mer, qui sont des crustacés, les araignées d’eau, qui sont des punaises ou encore les Sol

araignées rouges, qui sont des acariens. La confusion règne autour du sujet

parties.

Scorpi ons

onides lyph

le

s née

ra ig

A

ie n

th e

externe appelé exosquelette, assez

ar Ac

des animaux ayant un squelette

o es M

s

rigide, formé de segments et portant des appendices articulés. Cette carapace

Ric inul éides

a de Palpigr

prosome,

sont quatre souvent

des,

paires

de

évoquées

Ces pattes,

comme

caractérisent

ainsi

l’ensemble des Arachni-

discontinue, nécessitant des phases de changement

Reste du monde

nage.

locomotrices.

un critère de reconnaissance

protectrice impose à l’animal une croissance

qui permettent la marche, la course, le saut ou encore la

des

universel de l’ordre des Aranéi-

Europe

des de cet exosquelette s’insèrent les appendices articulés,

porte

culés, dont quatre paires

s

d’enveloppe corporelle : les mues. Sur des zones moins rigi-

antérieure,

d’appendices ventraux arti-

lae

c’est-à-dire

L’une,

yeux simples et six paires

O pi stho thelae

Il appartient à celui, plus vaste,

ns Opilio

dant à une définition précise.

des. Terrestres, ces derniers ont

ARACHNIDES

grec Araneida), répond cepen-

Arthropodes,

marines, sont séparés des Arachniun corps organisé en deux

Araignées, ou Aranéides (du

des

actuellement par quelques espèces hi zo

Ps e

ud os

Sc

ns

Thé

Le groupe systématique des

— ou Limules —, groupes représentés

ges

s

les interlocuteurs.

Amblypy

e id

supposées appartenir aux araignées est très fluctuant selon

s ifuge

m

et le nombre de paires de pattes

io rp co

Pantopodes marins — ainsi que les Mérostomes

des. L’autre partie du corps, postérieure, l’opisthosome,

est

dépourvue d’appendices, au moins partiellement. Enfin, les araignées se distinguent des autres Arachnides (Scorpions, Pseudoscorpions, Opilions, Solifuges et autres

Les Arthropodes comprennent près d’un million d’espèces

Acariens) par leur corps constitué en deux masses séparées

répertoriées, soit les deux tiers environ des espèces vivan-

par un étranglement, appelé pédicule, et par la présence

tes, divisées en deux grands ensembles. Les plus nombreux,

ventrale d’appendices abdominaux modifiés en filières, sécré-

les Antennates, sont des Arthropodes munis d’antennes et

tant des fils de soie.

d’appendices buccaux, comme les Hexapodes (Insectes et

Ci-dessus : L’ensemble des ordres composant la classes des Arachnides.

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TOIT

APPENDICE

bouclier céphalothoracique

pattes mâchoires yeux antérieurs yeux postérieurs chélicères

VUE DORSALE

VUE DE PROFIL

VUE VENTRALE

PLANCHER rostre labium sternum

pattes ambulatoire 1 pattes ambulatoire 2 pattes ambulatoire 3 pattes ambulatoire 4

pédicule organe génital, poumons 2 stigmate trachéen 3 4 filières antérieures 5 filières postérieures 6 7 8 9 10 11 anus 12

pédicule stigmates pulmonaires

tubercule anal

ABDOMEN

CÉPHALOTHORAX

Segmentation et appendice d’une Argiope

stigmate trachéen tubercule anal anus

La morphologie externe de l’araignée

débouchant à l’extérieur par un orifice unique, le stigmate

La structure du corps des araignées correspond à celle

trachéen. Les segments 4 et 5 portent initialement chacun

de tous les Arthropodes, avec des segments — ou somi-

deux paires de filières. La paire médiane antérieure est

tes — présentant un squelette externe, constitué de deux

cependant souvent transformée en une pièce n’ayant plus

plaques, l’une dorsale et l’autre ventrale. Les appendices

la fonction de filière, le colulus, ou en une plaque d’où

articulés, ventraux, n’existent pas sur tous les segments.

sortent directement les tubes filant une soie spécifique, le

Les segments du corps sont regroupés en deux masses :

cribellum. Enfin, les segments abdominaux suivants (6 à 12)

le céphalothorax et l’abdomen. Le premier regroupe les

ne portent pas d’appendices. Si la majorité du corps est

segments antérieurs, avec six paires d’appendices qui sont,

rigide et ne change de taille qu’au cours des mues, l’abdo-

de l’avant vers l’arrière : les chélicères, les pattes-mâchoi-

men est, lui, extensible et peut s’accroître entre les mues.

res — ou pédipalpes — et les quatre paires de pattes

La bouche, très large, s’ouvre entre le segment des

ambulatoires. Les plaques dorsales, fusionnées, forment le

chélicères et celui des pattes-mâchoires et l’anus débou-

bouclier céphalothoracique. Les plaques ventrales, corres-

che ventralement à l’extrémité d’un tubercule postérieur

pondant aux quatre paires de pattes, sont fusionnées en

aux filières. Les pattes-mâchoires des mâles portent les

un sternum. L’abdomen est constitué de douze segments

bulbes copulateurs qui féconderont les femelles. Pour

théoriques. Le premier segment, le pédicule, est étroit

leur part, les femelles possèdent des orifices ventraux de

et établit une jonction étranglée entre le céphalothorax

fécondation inclus ou non dans une pièce chitineuse en

et l’abdomen. Les deux suivants correspondent chacun à

relief, l’épigyne.

une structure respiratoire. Le deuxième segment porte une paire de poumons, chacun avec une fente, le stigmate pulmonaire, qui contrôle l’accès à l’extérieur. Chez beaucoup d’araignées, le troisième segment porte des trachées

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Un équipement sensoriel original L’environnement sensoriel des araignées est principalement tactile et vibratoire, odorant et visuel.


Ci-contre : Les yeux antérieurs globuleux de l’araignée sauteuse Saitis barbipes. En bas : Les yeux antérieurs d’une araignée sauteuse et les nombreuses soies du céphalothorax. Ci-dessous : La face de l’araignée-crabe (Thomisus onustus) avec ses petits yeux de tailles identiques.

Champs de vision (salticide) zone de perception des distances


32


Chr is t i

ne R o l l

e m m o h ’ l t e n i n e v Le s chélicère s, le

a rd

Les araignées sont des prédatrices qui se nourrissent

sous forme d’une boulette d’éléments non consommables

essentiellement d’insectes, bien que leur régime alimen-

ou sous l’aspect d’un squelette externe, intact mais vidé

taire puisse être varié. À l’exception de la famille des

de son contenu.

Uloboridae, toutes les araignées sont venimeuses, c’està-dire qu’elles possèdent un venin qui paralyse ou tue

Un cocktail efficace mais bien mal connu

leurs proies. Le venin est ainsi principalement associé à la

Les études de divers auteurs ont révélé la variété et la

fonction de nutrition. Le plus souvent, elles attrapent leurs

richesse des composants des venins. Ce sont des cocktails

victimes à l’aide de leurs pattes et les immobilisent avec

de substances diverses comme des enzymes, des acides

leurs chélicères, les ayant ou non emmaillotées de soie

aminés, des toxines, des peptides, des protéines ainsi

au préalable. L’action du venin, combinée avec celle de la

que des petites molécules polyaminiques. Ces dernières ne

salive, permet de liquéfier les tissus des proies. Les restes

semblent pas intervenir dans l’envenimation humaine, alors

du repas se présentent différemment selon les techniques :

que les peptides et les protéines sont en revanche d’une grande importance. La composition de ces venins diffère considérablement d’une espèce à l’autre et reste globalement bien mal connue. Sur les quelque 40 000 espèces répertoriées actuellement, seule une petite centaine a révélé le contenu de son venin. De plus, la recherche en venimologie s’est focalisée, depuis seulement une vingtaine d’années, sur des espèces de grande taille ou responsables d’envenimations humaines plus ou moins marquées. Les investigations ont néanmoins fait apparaître une base commune à tous les venins d’araignées. Les chercheurs ont également pu mettre en lumière un composant spécifique, qui rend le venin nocif pour seulement un petit nombre d’espèces sensibles, pour un nombre réduit de vertébrés ou même pour l’homme. L’étude de la nature du venin est compliquée par les difficultés d’obtention de la matière première en Page 32, à gauche : Espèce cavernicole (Nesticus cellulanus), également présente dans des milieux ouverts sombres et humides. À droite : L’Agélénide Agelena labyrinthica construit une très grande toile en nappe. Ci-contre : Sur les fleurs, les araignées-crabes, ici Misumena vatia, saisissent et mordent leurs proies à proximité des centres nerveux.

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quantité suffisante. Trois techniques permettent la récolte : la collecte directe à partir des chélicères sur animal vivant, l’extraction à partir de préparation de glandes à venin et enfin l’extraction à partir du céphalothorax entier ou

les toxines ou les fractions toxiques actives sur des récep-

de la partie renfermant les glandes. Les deux dernières

teurs humains.

techniques pouvant cependant contenir des impuretés, la

Néanmoins, bien qu’exceptionnel, le danger peut être

première est préférée. L’araignée est amenée à cracher,

réel. Une centaine d’espèces peuvent provoquer des réac-

par stimulation électrique ou non, sur un substrat comme

tions chez l’homme, à des degrés divers selon la sensibilité

du coton, du papier ou sur des tubes. Les quantités ainsi

de chacun, et une quinzaine seraient potentiellement

prélevées ne sont pas toujours très importantes, en parti-

dangereuses, ou même mortelles dans certains cas.

culier chez les latrodectes ; la méthode est plus rentable avec les mygales.

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Une toxine paralysante…

Diverses raisons rendent le venin d’araignée inopérant

Les toxines peuvent être classées en deux groupes selon

sur l’homme, contrairement à ce que colportent nombre

leur mode d’action : les neurotoxines et les toxines nécro-

d’écrits et de rumeurs. Rappelons tout d’abord que les

santes ou nécrotiques. Parmi les premières, une des toxines

contacts avec les humains sont peu fréquents et qu’une

peptidiques les plus efficaces est la robustoxine du venin

araignée doit se sentir acculée pour mordre un être aussi

de la mygale australienne Atrax robustus ; la latrotoxine du

grand que l’homme. Certaines morsures peuvent alors être

venin des veuves noires Latrodectus spp. est une toxine

sèches, c’est-à-dire sans venin, comme c’est le cas pour

protéique tout aussi puissante.

les serpents. Bien que parfois très vive, la douleur ressen-

Peu de mygales sont dangereuses pour l’homme. Les plus

tie n’est alors que celle engendrée par l’action mécanique

redoutables sont les espèces australiennes des genres Atrax

de la morsure. De plus, les chélicères de la majorité des

et Hadronyche, tout particulièrement Atrax robustus (nommée

araignées sont bien trop petites pour pénétrer la peau

funnel web spider en anglais). Son corps mesure de trois à

humaine et la quantité de venin injectée est rarement

quatre centimètres. L’aire de distribution de cette espèce est

suffisante pour qu’il y ait un effet. Enfin, ce complexe de

limitée à la Tasmanie et au sud-ouest de l’Australie, dans

nombreuses substances ne contient pas nécessairement

un rayon d’environ deux cents kilomètres autour de Sydney.


ignées Au fil des ara

sements apparaissent rapidement. La suite est imprévisible, mais le patient guérit habituellement sans séquelles, dans un délai variable, de deux jours à deux semaines. Exceptionnellement, le patient décède. En cinquante ans, seule une quinzaine de cas ont été répertoriés, imputables avec certitude à Atrax robustus. D’autres mygales, des espèces asiatiques du genre Poecilotheria, ont également été impliquées dans des morsures, mais leurs conséquences sur l’homme sont moindres. Le groupe des veuves noires compte de nombreuses espèces réparties essentiellement dans les régions chaudes du globe, y compris sur le pourtour méditerranéen. Ces araignées sont de petite taille, ne dépassant pas quinze millimètres pour les femelles. Nocturnes, discrètes, elles tissent des toiles irrégulières au pied des buissons ou des zones broussailleuses, dans les jardins et parfois même dans les habitations. Plusieurs individus peuvent coloniser un même lieu. Seules les femelles sont dangereuses, le mâle étant trop petit pour parvenir à percer la peau humaine. En zone méditerranéenne, les morsures restent exceptionnelles. Elles sont dues à la Malmignatte Latrodectus tredecimguttatus et sont initialement peu Nocturne, elle fréquente volontiers les jardins des maisons

douloureuses. Au bout d’une vingtaine de minutes cependant

où elle fabrique des terriers tubulaires tapissés de soie, sous

apparaissent des douleurs locales sourdes, s’étendant par

les pierres, le bois ou encore dans de petites cavités. La

vagues à tout le corps avec des contractures musculaires.

toxine ne se trouve que dans le venin du mâle. Il devient en

Viennent ensuite les éruptions cutanées et parfois un amai-

effet dangereux lorsque, errant à la recherche d’une femelle,

grissement important et rapide. Les symptômes physiques

il entre dans les habitations et rencontre ainsi l’homme.

sont accompagnés de troubles psychiques le plus souvent

Nous sommes de plus, avec quelques primates, le mammi-

mineurs, comme de l’anxiété ou de l’angoisse, pouvant dégé-

fère le plus sensible aux effets de ce venin. Le mâle d’Atrax

nérer en épisodes de confusion mentale. La guérison est de

réagit vivement au moindre dérangement en se mettant en position de défense ou d’intimidation, pattes antérieures relevées et crochets ouverts. La douleur de la morsure perdure toujours pendant plusieurs heures. Des symptômes généraux comme hypersalivation, sueurs, coliques, nausées et vomis-

Page 34 : Les crochets des mygales (Mygalomorphes) se déplacent dans un plan parallèle à l’axe du corps. Ci-dessus : Les crochets des « vraies » araignées (Aranéomorphes) se croisent dans un plan perpendiculaire à l’axe du corps.

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Chr is t i

ne R o l l

a rd e t P

at r ic k

e é n ig a r a l’ e d s ie r t s L a s o ie e t le s i ndu

M a réc h

al

La production et l’utilisation de soie sont une des caractéristiques majeures des araignées, bien qu’elles partagent cette particularité avec d’autres Arthropodes. Parmi ceux-ci, le groupe des lépidoptères est célèbre : la chenille s’enferme dans un cocon soyeux, à l’abri duquel elle opère sa métamorphose en papillon. Cependant, seules les araignées ont développé à la fois une grande diversification et une haute spécialisation de la production de soie. Cette industrie est ainsi présente tout au long de leur vie, là où les autres animaux ne l’utilisent généralement que lors d’une phase particulière de leur existence.

Un système complexe et hautement spécialisé Chez les araignées, l’appareil producteur de soie, dit « séricigène », est toujours composé de deux grands types de structures : les glandes séricigènes, internes, et les filières, appendices excréteurs externes. Des structures annexes sont éventuellement présentes chez certaines familles. La partie interne, logée dans l’abdomen, est très variée selon les groupes d’araignées. Les formes les plus simples se trouvent chez les mygalomorphes. Chez Antrodiaetus par exemple, qui passe sa vie dans un terrier, l’appareil glandulaire se compose d’un très grand nombre de petites glandes identiques en forme de sacs, les acini. Chacune sécrète deux protéines différentes, ce qui engendre un fil composite formé d’un cœur enrobé d’une gaine. Chez Euagrus (famille des Diplurides), chaque glande comprend trois régions sécrétrices. Chez Atypus, deux types de glandes ne comportent qu’un seul type de cellules sécrétrices et chez Hexathela hochstetteri, trois types de glandes comprennent deux types cellulaires. Chez les aranéomorphes, l’appareil séricigène est plus complexe et les glandes se spécialisent. L’ensemble de ces araignées possèdent De haut en bas : Détail d’une filière avec les fusules et les fils de soie sécrétés. Détail de fusules. Fusules très particulières des cribellums. Peigne utilisé pour carder la soie cribellée (calamistrum). Page 38 : Les veuves noires (Latrodectus spp.) arborent, sur fond noir, des couleurs jaune, orangé ou rouge. Ces dernières sont présentes chez beaucoup d’espèces toxiques ou venimeuses. Elles deviennent ainsi un message renforcé de danger à l’attention des vertébrés.

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au moins trois types de glandes : ampullacées, aciniformes

possèdent plus que trois ou deux. Dans la majorité des

et pyriformes. Les glandes tubuliformes sont impliquées

cas, la première paire ne se développe pas entièrement et

dans la confection des cocons chez les Agelenides et les

ne subsiste à la naissance que sous la forme d’un bouton,

Lycosides. D’autres glandes, flagelliformes et agrégées, inter-

le colulus. La soie débouche à l’extérieur sur les filières

viennent dans la partie collante des toiles orbiculaires des

grâce à de petites structures qui peuvent prendre des

Aranéides et de leurs proches parents. Ces deux derniers

formes variées, souvent filiformes ou en forme de petits

types sont remplacés, chez les araignées cribellates, par

picots : ce sont les fusules. Chaque glande a sa fusule, ce

d’autres sortes de glandes liées à la production d’une soie

qui implique que, chez les espèces qui possèdent de très

spécifique et associé à une structure particulière, le cribel-

nombreuses glandes, il y a autant de picots sur la face

lum. Comme précédemment, plusieurs régions sécrétrices

ventrale des filières. En outre, les divers types de glandes

sont impliquées, montrant le caractère composite de la

ne débouchent pas au hasard et n’alimentent généralement

plupart des sécrétions séricigènes.

qu’une seule paire de filières.

Toutes les glandes débouchent au niveau d’appen-

En dehors de ce cas général, il existe un groupe, les

dices spécialisés, les filières. Ancestralement au nombre

cribellates, qui, en avant de leurs six filières, possèdent une

de quatre paires, la plupart des araignées actuelles n’en

plaque supplémentaire, parfois divisée longitudinalement, le cribellum. Cette structure est parsemée d’une multitude de

Page 41 : Toile en tube de la Ségestrie florentine (Segestria florentina).

minuscules fusules, parfois jusqu’à 40 000. La soie produite,

À droite : L’Argiope lobé, comme l’épeire frelon, « signe » sa toile d’une soie très blanche disposée en zigzag : le stabilimentum. Ci-dessous : Trop jeunes, les épeires ne « savent » pas encore signer !

très particulière, est impliquée dans la partie collante de la toile de ces araignées. Les cribellates sont les seules à posséder huit filières réellement fonctionnelles.

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Phase de construction d’une toile géométrique

3

rayons

1

4

spirale provisoire

premier fil

2

5

cadre et premiers rayons

spirale collante

cas, la spirale est de constitution quelque peu différente de

s’aidant alternativement de chacune des pattes postérieu-

celle vue précédemment. Si la base est toujours constituée

res, dans un mouvement saccadé caractéristique.

de deux fibres axiales, elles sont ici régulièrement garnies

Ces quelques exemples montrent les nombreuses possi-

de bourrelets pelucheux constitués de nombreuses fibres

bilités des sécrétions soyeuses. La plupart sont encore très

fines et très courtes : la soie calamistrée. Celle-ci est issue

mal connues et restent à étudier. Une telle multiplicité va

du cribellum et extraite grâce à une structure annexe, le

de pair avec la très grande variété d’utilisation de la soie

calamistrum. Cette série de petits poils rigides et recour-

dans la vie des araignées.

bés forme une sorte de peigne sur les métatarses de la quatrième paire de pattes. Les araignées projettent cette

Pour des usages variés

soie sous forme de pelote duveteuse sur leur toile, en

L’usage le plus banal et le plus courant concerne la retraite, pérenne ou temporaire. Dans le premier cas,

Page 45, en haut : Toile géométrique d’épeire diadème (Araneus diadematus). En bas : Toile en tube de la Filistate (Filistata insidiatrix).

l’investissement est parfois important comme chez les mygales du genre Atypus qui tissent un tube de soie épaisse.

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ignĂŠes Au fil des ara

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s t n e m e c a l p é d t e L o c omo t i o n

Les araignées possèdent une trentaine de muscles fléchisseurs et extenseurs dans chaque patte pour

P ie r re -A

l a i n Fu r

st

arpentent leur toile et qui doivent poser leurs pattes avec précision pour éviter un

contrôler précisément les mouvements de

engluement. Un examen méticuleux

leurs articulations. Toutefois, les deux articula-

de l’extrémité des pattes nous permet de comprendre tous

tions fémur-patella et tibia-métatarse ne bougent pas sous

ces processus.

l’action de muscles. Elles sont uniquement activées par une variation de la pression de l’hémolymphe, elle-même

Marcher sur terre

découlant de mouvements internes du céphalothorax. Que

La marche des araignées doit être examinée sous deux

la pression intérieure augmente et la patte s’étend ; qu’elle

aspects, car les moyens mis en œuvre ne sont pas les

baisse et l’appendice se replie. Les déplacements des arai-

mêmes s’il s’agit d’avancer sur une toile de capture ou de

gnées sont fins et délicats, tout au moins pour celles qui

se déplacer sur une surface.

Page 50 : La soie que filent les araignées-crabes (ici Thomisus onustus) sert surtout pour leurs déplacements et les cocons.

c’est grâce à un mécanisme ingénieux mettant en fonction

Ci-dessus : Les deux griffes d’araignées errantes (Dionycha) et deux griffes et le fascicule unguéal adhésif (Dysdera erythrina). Les trois griffes des araignées à toile et de quelques errantes (Trionycha) et trois griffes (Pisaura mirabilis).

Si une araignée ne s’empêtre pas dans sa propre toile, la petite griffe médiane des tarses et des soies dentées appelées soies sérulées. L’animal coince le fil entre sa griffe et les soies pour maintenir à distance le cordon collant et éviter tout dérapage dangereux. L’élasticité de ces 51

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soies offre un compromis bien adapté entre résistance et souplesse, qui permet d’éloigner le fil collant de la patte. Pour relâcher le fil, l’araignée dessert la griffe médiane et les soies sérulées le repoussent vers l’extérieur comme un ressort. Seules les araignées du groupe des Trionycha, c’est-à-dire possédant trois griffes au bout des pattes, peuvent utiliser cette technique : elles construisent des toiles de capture gluantes et y évoluent sans risque. Pourtant, d’autres familles d’araignées possèdant trois griffes aux tarses ne construisent pas de toile collante et sont d’excellentes marathoniennes. Un autre défi s’impose aux nombreuses araignées qui ne construisent pas de toile collante : se déplacer sur des surfaces lisses comme le verre, le métal, la céramique ou les matières synthétiques. Pour réussir cet exercice, la nature leur a fourni un organe unique dans le monde animal : la scopula. À l’extrémité de chaque patte, entre les deux griffes des araignées Dionycha, on observe une touffe dense de poils particuliers dont la micro-structure autorise une excellente adhésion. Chaque poil de la scopula se termine en forme de petite brosse présentant plusieurs centaines de « pieds » minuscules. La force de capilarité exercée par ces micro-pieds, multipliés par plusieurs dizaines ou centaines de poils sur chaque patte, produit une adhésion suffisante pour qu’une araignée grimpe sur une fenêtre. La densité des scopulas révèle ainsi les capacités d’escalade d’une espèce sur des surfaces glissantes ; son

Nager et marcher sur l’eau

emprise peut être très importante et s’étendre jusqu’aux

Argyroneta aquatica, une Agelenide, est la seule espèce

métatarses. Les espèces les mieux « chaussées », comme

connue pour son mode de vie entièrement subaquatique.

les Salticidés, grimpent sur le verre, le plastique, le métal et

Pourtant, sa respiration est aérienne et c’est par une adap-

d’autres matériaux bien lisses. Celles n’ayant que quelques

tation maintes fois imitée par l’homme, la cloche à plongeur,

poils scopulés se contentent de surfaces moins glissantes.

que cette espèce parvient à vivre sous l’eau. L’animal tisse

Celles qui en sont dépourvues peinent à se sortir du piège

tout d’abord une retraite hémisphérique dans la végétation

domestique que constitue un récipient lisse. C’est souvent

aquatique, en liant quelques végétaux à l’aide de ses fils. Il

le cas, par exemple, des tégénaires mâles à la recherche

fait ensuite plusieurs trajets jusqu’à la surface pour récolter

de compagnes, qui se font piéger dans nos éviers et nos

de l’air, l’emprisonner dans les poils hydrofuges de son

baignoires. Une tradition anglaise vient au secours de ces

abdomen et entre ses pattes arrières, et le déposer sous

malheureuses : l’échelle de baignoire. Le petit échaffau-

la cloche. C’est là que l’araignée passe sa vie, en solitaire

dage de ficelle s’accroche aux robinets de la salle de bains

sauf au moment de l’accouplement, remontant à la surface

pour permettre à l’animal de remonter sans aide.

uniquement pour renouveler l’air de sa retraite. Les fils de

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ignées Au fil des ara

Ci-dessus : Cette Dolomède (Dolomedes fimbriatus) est en position de chasse, à l’affût de proies qui peuvent être aquatiques (têtards, petits poissons). Page 52 : Triste sort pour une araignée (mâle de tégénaire) : sans fascicule unguéal, elle reste piégée dans une baignoire, incapable d’adhérer aux bords lisses. Par curiosité ou de façon bien mal intentionné, certains humains testent ensuite son aptitude à la natation.

se raréfiant et la qualité des eaux se dégradant, cette espèce semble en danger dans toute sa zone de distribution paléarctique. D’autres espèces d’araignées peuvent marcher sur l’eau, exploitant minutieusement la tension superficielle de la surface du liquide et flottant grâce aux scopulas denses de leurs pattes. Les Pirata, de la famille des Lycosidae, en ont

soie qui sous-tendent et ancrent sa cloche l’alertent de

même fait leur habitat privilégié, colonisant les bordures

la présence de proies comme des insectes aquatiques ou

végétales inondées des étangs et des cours d’eau. Leurs

des petits crustacés. Une fois la proie repérée, l’araignée

déplacements sur l’eau sont rapides et efficaces, mais elles

sort de son abri, se dirige vers elle en s’accrochant à ses

restent à proximité du rivage. En effet, contrairement à

fils de soie et à la végétation, ou en nageant tête en bas,

certains insectes qui vivent en permanence sur l’eau, ces

plus ou moins habilement, à l’aide de ses pattes poilues.

araignées retournent fréquemment sur terre.

On trouve cette espèce dans les étangs, les mares et les

La Dolomedes, de la famille des Pisauridae, est une de

petits canaux à faible courant, comportant une importante

nos plus grandes et puissantes araignées. Elle est capa-

végétation aquatique et une eau peu polluée. Ces habitats

ble de se mouvoir sur l’eau, mais également de plonger

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la nappe, font trébucher les insectes qui volent dans les parages. Lorsque les fils de soutien supérieurs sont très tendus, ils donnent un aspect de dôme à l’ensemble de la construction. La propriétaire se tient en attente, accrochée sous la nappe. Les Agelenidés construisent de grandes toiles en nappe, constituées d’une surface horizontale ou légèrement inclinée, parfois vallonnée ou bombée, tissée de manière serrée. Elles se terminent par une retraite en forme d’entonnoir, se perdant dans une anfractuosité ou dans la végétation. La toile n’est pas collante, mais un insecte qui s’y aventure est gêné dans sa progression. Cela donne suffisamment de temps à l’araignée, postée à l’entrée de l’entonnoir, pour fondre sur sa proie et l’emmener dans sa retraite pour la déguster. Les tégénaires qui fréquentent nos habitations font partie de cette famille, tout comme les araignées sociales, Agelena sp. Ces dernières vivent toutes dans une même grande toile, assemblage de plusieurs couloirs et nappes. Plusieurs groupes d’araignées construisent encore une retraite tubulaire, plus ou moins sophistiquée. Parfois, il s’agit d’un tube de soie bien constitué, indépendant ou collé au support. Parfois, le réseau de fils formant le tube est plus lâche et délimite grossièrement un passage entre les éléments structurels du milieu, comme les pierres d’un mur. Les ouvertures de ces toiles en tube sont toujours prolongées latéralement par de simples fils d’alerte ou par des surfaces tissées dont la structure dépend des espèces. De nuit, un vieux mur éclairé révèle chaque habitante à Ci-dessus : Les épeires ne font pas l’effort de capturer les petites proies incapables de se décoller des toiles ; elles les consommeront avec l’ancienne toile lors de la réfection. Page 61 : La Theridiide Episinus truncatus sur ses deux fils de chasse tendus. À droite : Le piège est très efficace pour les fourmis. Accrochées par la base du fil tendu, elles se débattent pour se dégager. Lorsque le fil se rompt, elles se retrouvent projetées en l’air, où l’araignée peut venir s’en repaître.

l’entrée de son tube. Segestria vit ainsi dans un tube construit entre les pierres d’un mur et prolongé par une douzaine de fils d’alerte rayonnants. Amaurobius aménage aussi sa retraite de cette façon. Cependant, les fils de l’ouverture ne sont pas tendus et forment au contraire un petit tapis irrégulier de soie calamistrée. La propriétaire des lieux sort réguliè-

utilisent cette sorte de piège pour capturer leurs proies. Le

rement de sa retraite pour peigner sa soie et lui donner

principe consiste en une nappe horizontale, le plus souvent

son aspect bleuâtre et cotonneux.

plate ou concave, en forme de hamac, fixée en hauteur par

La construction tubulaire prend une forme particulière

des fils de soutien. Parfois, des tissages complémentaires

chez Atypus, une mygale européenne. Ressemblant à une

de fils enchevêtrés, placés au-dessus et en dessous de

chaussette de soie cousue aux deux extrémités, cet édifice

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Chr is t i

ne R o l l

a rd

t n e m e l p u o c c ’a L’o r ig i n a l i té de l Une rencontre difficile Les comportements associés à l’accouplement sont parmi les plus singuliers chez les araignées. Lorsque le mâle atteint le stade adulte, s’accoupler s’apparente à une course d’obstacles. En effet, les araignées étant majoritairement solitaires au cours de leur vie, la première difficulté consiste à localiser la femelle. Tout mâle devient alors errant, même chez les espèces traditionnellement sédentaires. Il repère, pour les suivre, les odeurs laissées par la femelle dans l’environnement. Ces substances odorantes, ou phéromones, sont déposées sur les fils de déplacement, les toiles, les loges ou les terriers. Elles sont donc transmises par voie aérienne chez les araignées à toile ou repérées au contact chez les araignées errantes. Cependant, avant toute recherche, il doit accomplir un acte préliminaire très particulier. Comme chez la femelle, les testicules du mâle sont situés sous l’abdomen. Or le bulbe copulateur, organe d’introduction du sperme dans la fente génitale de la femelle, est situé à l’extrémité des pédipalpes, sans aucune connexion entre ces deux parties. Quelle que soit l’espèce, le mâle tisse donc au préalable une petite 0,1 mm

toile de soie, la toile spermatique. De forme triangulaire ou rectangulaire et de dimensions variables selon les espèces, elle sert à déposer une gouttelette de sperme issue de la fente génitale. Cette structure, sans doute produite par les glandes pyriformes, est réalisée à même le sol ou dans la végétation. Le dépôt effectué, les bulbes préalablement lubrifiés viennent alternativement au contact de la soie

De haut en bas : Organe stridulatoire de Théridiide (Steatoda phalerata) : soies en peigne sur le bord de l’abdomen frottant sur une plaque nervurée du céphalothorax. Bulbe copulateur d’une Érigoninée (Walckenaeria). Le même bulbe vu sous un autre angle. Page 64 : Un couple d’Argiope exotique : le petit mâle attend un moment propice pour s’approcher d’une imposante femelle.

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ignées Au fil des ara

imbibée et se remplissent par capillarité. La structure des

les espèces. Cela s’apparente au frottement d’une sorte de

bulbes copulateurs peut être très complexe et constitue un

peigne sur une zone striée appelée « lyre », produisant

critère spécifique de reconnaissance des individus d’une

des vibrations de diverses fréquences. D’autres font usage

même espèce. Le bulbe est toujours complémentaire des

d’un artifice, tapotant le sol, les branchages ou les feuilles

organes d’accouplement femelles.

comme un tambour : ce sont des espèces terricoles ou

Outre l’apparition des bulbes, des testicules ou des ovaires, des différences morphologiques fortes s’expriment à la mue de puberté entre les mâles et les femelles d’une même espèce. La taille des mâles est généralement inférieure à celle des femelles ; ce dimorphisme peut atteindre son paroxysme dans le groupe des Néphiles. Chez les femelles, la formation des œufs nécessite le stockage de réserves énergétiques importantes. Pour les mâles au contraire, être svelte autorise une vivacité bien utile pour échapper au comportement agonistique (agressivité, combat pour la survie) de la femelle en fin d’accouplement.

Page 66, en haut : Tenir les chélicères de la femelle écartées est une méthode comme une autre pour ne pas se faire mordre lors de l’accouplement. Les mâles de Tetragnatha possèdent sur chaque chélicère un crochet qui empêche la fermeture de ceux de la femelle. En bas : Chez les Néphiles, le mâle est considérablement plus petit que la femelle : il atteint l’état adulte en quelques stades de développement tandis que la femelle l’atteint en une dizaine de stades. Ci-dessous : Le mâle de la Theridiide Enoplognatha ovata vivait avec la femelle encore immature, attendant sa mue. À peine estelle sortie de son exuvie qu’il se précipite sur elle, la féconde et se sauve. Son tégument encore mou empêche la femelle d’avoir une quelconque réaction agressive.

Des techniques de séduction appropriées Une telle différence de taille impose au mâle de se faire reconnaître par la femelle pour ne pas se faire dévorer. Elle pourrait en effet le confondre avec ses proies qui sont de la même taille. Différentes techniques d’approche sont alors mises en œuvre, ayant pour but de rendre les femelles réceptives et de diminuer leurs tendances prédatrices naturelles. La plupart des araignées ayant une vue limitée, les informations sont majoritairement tactiles et chimiques ; il n’y a pas véritablement de cour. Chez toutes les araignées à toile, le rapprochement se fait grâce à des tiraillements et des percussions des fils par le mâle, qui font réagir la propriétaire du lieu. Chez certaines espèces, le mâle opte pour une stratégie plus discrète. Ayant atteint l’âge adulte avant la femelle, il attend patiemment près de la toile que celle-ci effectue sa dernière mue. Il s’approche alors pendant sa phase de séchage, juste après la sortie de l’exuvie, lorsqu’elle est encore molle et vulnérable. Les mâles d’autres familles d’aranéomorphes, comme les Theridiides et les Linyphiides, ou encore certaines mygalomorphes, utilisent les émissions sonores pour attirer l’autre sexe. Des organes de stridulation constitués de deux parties sont situés sur différentes zones du corps selon 67

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Al a i n C

a n a rd

i m r u o f a l t e e l a L a m yg Nous n’avons pas conscience du danger qui guette les

milieu. Ces défenses passives sont complétées par des

animaux à chaque instant, surtout s’ils sont aussi petits que

défenses actives, de type comportemental, depuis la fuite

les araignées. Dans ces conditions, se cacher aux yeux des

jusqu’à l’attaque.

prédateurs potentiels est une question de survie. Il s’agit aussi de ne pas se faire repérer par les proies, afin de ne

Les défenses passives

pas compromettre la source de nourriture. Les stratégies

Dans la nature, les risques de se faire découvrir par un

mises en œuvre permettent souvent d’atteindre ces deux

prédateur diminuent si l’animal ressemble au milieu ambiant,

objectifs.

par la couleur (homochromie) ou par la forme (homotypie).

Les sélections évolutives ont conduit beaucoup d’espèces

Ainsi les Lycosides sont brunes, car elles errent sur un

à imiter le milieu pour se fondre dans leur environnement :

sol nu ou couvert de feuilles mortes. Certaines espèces,

c’est le camouflage. Elles peuvent aussi imiter d’autres

comme Arctosa cinerea ou Philodromus margaritatus ont

espèces animales, protégées des prédateurs par leur goût

un camouflage particulièrement réussi. De plus, cette adap-

désagréable, leur nocivité ou leur aptitude à se défendre :

tation peut évoluer au cours du cycle de vie de l’espèce,

c’est le mimétisme. Une évolution un peu plus complexe

en liaison avec les modifications saisonnières du milieu. Les

a conduit des araignées, comme d’autres petits animaux,

premiers jeunes Micrommata virescens, vivant l’hiver, sont

à développer une toxicité envers les prédateurs, tout en

de couleur brunâtre, tandis que les derniers jeunes et les

se parant de couleurs vives, nettement visibles dans leur

adultes sont d’un vert vif au printemps. Thomisus ou Misu-

Page 86 : La couleur verte de la Micrommate est un bon camouflage… à condition d’être dans le bon environnement ! Ci-dessous : Une araignée-loup (Arctosa cinerea), invisible sur le sol de terre. Ci-contre : Philodromus margaritatus se perd parmi les irrégularités de l’écorce.

mena, des araignées-crabes, harmonisent leurs couleurs à celles des fleurs qui les accueillent et ce, en quelques jours seulement. Ces adaptations chromatiques trompent à la fois les prédateurs, comme les oiseaux, et même les proies qu’elles peuvent attirer (cf. chapitre précédent).

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Un leurre invisible Des études sur la pigmentation et sur les comportements d’une Thomiside australienne (Thomisus spectabilis) ont dévoilé des informations nouvelles qui donnent de nouvelles perspectives pour interpréter les rôles de la couleur des téguments des araignées. Cette espèce existe sous deux formes : l’une jaune, l’autre blanche. Elle se poste habituellement en guet sur un chrysanthème, qui existe lui aussi sous deux variétés de couleurs, jaune et blanche. Des expériences en laboratoire et des observations sur le terrain ont montré que les araignées jaunes choisissent de préférence les fleurs jaunes. On ne les rencontre que très rarement sur des fleurs blanches. Cette stratégie de mimétisme-camouflage fonctionne bien, puisque les insectes butineurs ne détectent pas le prédateur. Il n’y a ni répulsion, ni attraction. Pour leur part, les araignées blanches se rencontrent aussi bien sur des fleurs blanches que sur des jaunes, dans des proportions sensiblement identiques. Celles qui ont choisi la couleur jaune pour support pourraient sembler défavorisées, car elles y sont plus visibles. Or, il n’en est rien, car le blanc de ces araignées se reflète dans le spectre des ultra-violets. Invisible pour notre œil, ces teintes sont caractéristiques de la phase de pollinisation de la plante et attirent les insectes butineurs. Abusés par ce stratagème, les animaux viennent y butiner plus fréquemment

que

les

végétaux...

autres

sur

pour leur malheur. Dans ce cas, le parement de l’araignée ne sert donc pas tant à se cacher qu’à attirer les proies. L’araignée-crabe Misumena viata change de couleur en quelques heures selon la nature de son support.

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Él o d i e R

e é n g i a r ’a l e d é t i l De l’u t i

obe rt

L’araignée n’est pour beaucoup qu’un animal néfaste

étonnantes qui soient, à la fois résistante, solide, légère

qu’il faut à tout prix détruire. N’est-ce pas la condamner un

et flexible. Et totalement biodégradable ! Naturellement, les

peu vite que d’agir ainsi ? Certes, c’est une prédatrice impi-

fils qui composent une toile nous paraissent bien fragiles,

toyable qui possède des armes meurtrières : un fil de soie

mais c’est leur finesse, bien inférieure à celle d’un cheveu,

lui permettant de tisser des pièges implacables et un venin

qui leur confère cette fragilité apparente. À diamètre égal,

foudroyant laissant peu de chances à ses proies. Pourtant,

la soie d’araignée est plus souple que le nylon et bien

il est grand temps de découvrir quelle alliée précieuse elle

plus solide que l’acier ou le kevlar, qui sert à fabriquer

peut être.

les gilets pare-balles. Un fil de un à deux millimètres de diamètre suffirait à Spiderman pour exécuter ses acroba-

Une soie aux propriétés exceptionnelles

ties. Avec de telles propriétés, rien d’étonnant à ce que

Dans nos foyers, les toiles d’araignées sont rapidement

certains se soient intéressés de près à cette matière. Ses

détruites, tant elles sont synonymes de saleté et de négli-

applications seraient infinies si elle pouvait être produite à

gence. Les scientifiques voient néanmoins la soie d’araignée

grande échelle.

d’un tout autre œil : cette matière est l’une des plus

Dès l’Antiquité, les Grecs ferment des plaies avec de la soie d’araignées comme fil de suture ou comme pansement. Chez certains peuples, cette soie est encore utilisée de manière artisanale. Les aborigènes de Nouvelle-Guinée fabriquent ainsi des filets de pêche agglutinant plusieurs toiles les unes aux autres pour capturer du menu fretin. En 1709, sur une idée de François-Xavier Bon de Saint-Hilaire, de nombreux cocons sont bouillis, lavés et séchés pour créer des tissus. Il réussit de la sorte à confectionner des bas et des mitaines. Hélas, cette méthode est abandonnée pour des raisons de rentabilité. À la fin du

XVIIIe

siècle, un

Espagnol, Raymonde Maria de Tremeyer, obtient cependant de meilleurs résultats en récupérant la soie directement à la sortie des filières de l’animal. Il use pour cela d’un petit appareil, sorte de guillotine dans laquelle l’araignée est

Ci-contre : Schéma de principe d’un appareil de dévidage du XIXe siècle, qui emploie les Néphiles de Madagascar pour la fabrication de fils de soie. Page 96 : On pourrait reprocher aux araignées-crabes comme Misumena vatia de prélever des pollinisateurs... si nos insecticides n’en faisaient pas disparaître des quantités bien plus importantes.

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coincée pendant que son fil s’enroule autour d’une bobine.

gênes dans le génôme d’autres animaux ou organismes.

Cette technique est reprise par la suite à Madagascar où

Des résultats sont ainsi obtenus : la protéine constitutive

les araignées, des néphiles, sont nombreuses, de grande

de la soie d’araignée peut être sécrétée par des plants de

taille et très productives. Une école d’aranéiculture y ouvre

tabac ou de pommes de terre, des bactéries, des papillons,

même ses portes en 1896. Le père Camboué parvient ainsi

des vers à soie ou d’autres insectes et même des chèvres !

en un mois, à récolter auprès d’une seule néphile quatre

Des observations montrant des similitudes entre les glan-

mille mètres d’une jolie soie dorée. Cette industrie est pour-

des séricigènes et les glandes mammaires suggèrent de

siècle, car elle ne permet

transférer le gène de la soie d’araignée à un mammifère

pas de production à grande échelle. En effet, il est impos-

tel que la chèvre ou la vache. Les premières « chèvres-

sible d’élever les araignées en grand nombre comme on le

araignées » voient le jour en 1998. Le gène responsable

fait avec les vers à soie. Leurs mœurs de prédatrices les

de la fabrication de la soie chez l’araignée est implanté

poussent à se dévorer les unes les autres. La production

dans le génome ovin. Leur lait peut alors contenir de deux

tant abandonnée au début du

XXe

est insuffisante et l’ensemble nécessite un élevage parallèle de proies pour les nourrir. Aujourd’hui, il n’est plus question d’élever des araignées mais des chèvres ! Les chercheurs tentent désormais de produire de la soie en réalisant des introductions de

Ci-dessus : Les propriétés de la soie d’araignée (ici, une Theridiide) tiennent à sa nature protéique autant qu’à la technique de filage, encore mal comprise. Page 99 : La toile d’épeire diadème résiste incomparablement mieux au poids du givre que nos câbles électriques.

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Frédér i

k Can a

rd

e u q i l b u p é t ié r o t o n e d , e t ê b e l a s e Un Une peur aux origines incertaines

des combats « d’araignées samouraï » très suivis par

En Occident, l’araignée est bien souvent synonyme de

toutes les générations. Au cours de l’affrontement, le

terreur. L’intérêt qu’elle peut susciter semble réservé aux

juge arbitre est très attentif à la santé des concurrentes

seuls marginaux, qui sont de plus fascinés par les plus

et celles-ci sont libérées une fois la joute achevée.

grosses d’entre elles : les mygales tropicales. L’origine

À l’échelle de notre civilisation, l’image effrayante de

de cette terreur est floue, bien qu’elle ait un nom : l’ara-

l’araignée est difficile à dater. L’Antiquité grecque évoque

chnophobie. C’est une des peurs les plus

Arachné, condamnée à tisser sous l’aspect de la petite

répandues, d’autant plus gênante qu’on

trouve

l’animal

bête. La Bible, comme le Coran, mentionne également

partout,

l’araignée à travers les toiles qu’elle

surtout lorsqu’on est attentif à sa

réalise. Ces constructions sauvent

présence. Elle apparaîtrait relative-

en effet les personnages saints

ment tôt, dès l’enfance, et semble

d’un sort funeste. Les récits

affecter les femmes plus souvent

relatent

que les hommes.

Vierge

comment Marie,

le

la roi

Certains prétendent que notre

David ou le prophète

peur des araignées nous vien-

Mahomet se réfugient

drait d’une mémoire ancestrale

dans une grotte pour

des premiers temps de l’humanité,

échapper à leurs poursui-

de la même manière que la peur

vants. Arrivés au seuil de

du dragon serait liée à la confronta-

l’abri, ces derniers croient le

tion avec les mammifères et les dinosaures.

refuge inoccupé et passent leur

Outre son aspect farfelu, cette explication suppose que

chemin, abusés par la toile qu’une

ces terreurs soient universelles. Or, l’araignée comme le

araignée a bâtie en travers de l’entrée. Il y a là, on le

dragon, n’effraient qu’en Occident. Le dragon est adulé

voit, peu matière à grief.

en Chine et l’araignée est parfois prise comme animal de compagnie dans les petits appartements japonais.

Une pathologie, des thérapies

Ainsi, une île du sud de l’archipel organise annuellement

Le terme « phobie » est issu du grec phobos, qui désigne une peur intense accompagnée d’une réaction

Ci-dessus : Coran manuscrit d’Afrique noire,

XIXe

siècle.

Page 102 : Dans les films de fiction, comme dans l’imaginaire de nombreuses personnes, l’araignée est avant tout un être dangereux, velu et repoussant.

désordonnée. Compte tenu de la taille de l’araignée, qui sous nos latitudes dépasse rarement le centimètre, on peut en effet difficilement évoquer un danger réel. 103

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D’ailleurs, peu de personnes font référence au venin

notre survie. Une deuxième information, faisant cette

comme objet de leur peur. Le nombre de pattes leur

fois intervenir la pensée, la confirme ou au contraire

semble généralement plus effrayant ; pourtant quelle

l’annihile. Par exemple, l’angoisse qui nous aura saisis

personne phobique s’est déjà arrêtée pour les compter ?

en croyant voir un serpent se calme en réalisant qu’il

Les réactions de phobie vont de la simple réticence

ne s’agit que d’un bout de bois. Dans le cas de l’ara-

qui empêche d’approcher de l’animal à la montée d’an-

chnophobie, la réaction excessive viendrait donc d’un

goisse qui paralyse et peut entraîner une perte de

mauvais traitement de l’information : l’esprit interprétant

connaissance. Les études physiologiques montrent que

comme dangereuse une situation qui ne l’est pas.

la responsable de ces comportements est l’amygdale,

Les personnes sujettes à cette névrose ont habituelle-

une glande en forme d’amande située à la base du

ment conscience de sa nature irraisonnée et en souffrent.

cerveau. Siège de la peur, elle réceptionne les stimuli,

De plus, ce handicap est souvent négligé par l’entourage

tels que la vue d’une araignée chez les arachnophobes, et déclenche une réaction physique immédiate. Il s’agit d’une disposition naturelle prévue pour faire face aux dangers, le réflèxe étant alors fondamental pour assurer

Ci-dessus : Bien que très présente dans nos jardins, l’araignée-crabe Misumena vatia est peu connue du grand public. Page 105 : Les araignées sauteuses, les Salticides, sont souvent bien éloignées des représentations monstrueuses que proposent les fictions.

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ignées Au fil des ara

de la victime qui le tourne parfois même en dérision. La

sement, son effet nécessite une ingestion régulière, qui

psychanalyse de cette maladie repose sur les principes

peut s’avérer néfaste. De plus, il annihile la peur qui est

mis en avant par Sigmund Freud : la phobie viendrait

une réaction physiologique nécessaire par ailleurs.

d’un déplacement de représentation. Les sentiments face

Contrairement

à

la

psychanalyse,

l’épidémiologie

à un être aimé mais également haï ou redouté, comme

comportementale considère la phobie comme une frayeur

la mère, seraient reportés sur un être moins significatif

apprise par le patient, transmise par l’entourage ou liée

qui incarne alors l’effroi : l’araignée. Selon ce principe,

à un traumatisme personnel. Dès lors, il serait possible

s’attaquer aux seuls symptômes de la maladie peut alors

de désamorcer l’effroi en confrontant progressivement le

sembler nettement insuffisant. Le traitement visera plutôt

malade au sujet de sa peur pour qu’il s’y habitue. On

à mettre en lumière les bases de la terreur à travers l’in-

l’amène ainsi à observer des dessins, des photos, puis

conscient du patient. Il s’agit pour lui de comprendre la

des films et enfin les araignées elles-mêmes, tout en l’in-

profonde raison d’être de sa réaction afin de la combat-

formant sur le comportement de l’animal. Cette approche

tre. Cette démarche est cependant longue et demande

progressive entraîne généralement une diminution des

beaucoup d’efforts, pas toujours couronnés de succès.

symptômes qui peuvent même disparaître tout à fait.

Elle peut alors être couplée au travail de praticiens

Cette thérapie est la plus répandue et semble donner de

suivant une psychothérapie cognitivo-comportementale,

bons résultats.

tant les troubles comportementaux liés à la peur des araignées peuvent être gênants.

La panique engendrée par les araignées pourrait également être le fait d’autres pathologies, comme le

Certains médicaments remédient à cette gêne, en

trouble obsessionnel compulsif qui lierait l’araignée à

bloquant le message chimique de terreur. Malheureu-

la saleté des trous dans lesquels elle se niche ou au grenier poussiéreux où elle tisse sa toile. La bête ne serait alors que le vecteur du vrai sujet traumatique : le manque de propreté. Elle

serait

en

outre

celle qui, tapie dans l’ombre,

s’apprête

à

nous

bondir dessus. De prédateur,

l’homme

proie.

La

devient

plupart

des

films d’horreur mettant en scène les araignées reposent

sur

cette

Dans

un

cas,

issue

d’un

hantise. l’araignée

milieu

exoti-

que représente un danger 105

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A u rél i e

n Gabo

rit

Arach n o f o lie s De nombreuses cultures localisées sur des continents

La pythie tropicale

autres que l’Europe intègrent l’araignée dans les arts, qu’il

En Afrique subsaharienne, à l’instar du renard pour les

s’agisse de créations plastiques ou de patrimoine oral. Un

Dogon du Mali, de la souris chez les Baoulé de Côte-d’Ivoire

certain nombre de recherches ont abouti à une meilleure

ou du crabe au sud du Tchad, l’araignée a le pouvoir de

connaissance du rôle de cet animal au sein de certaines

révéler l’avenir aux humains. L’exemple de pratique de la

sociétés. Pourtant, peu d’études monographiques ont été

divination par l’araignée le plus étudié concerne la mygale

menées sur le seul sujet de la représentation de l’araignée

dans le Grassland, ensemble de provinces situées au nord

ou de son évocation à travers les mythes et croyances.

ouest du Cameroun. Comme pour les autres animaux déjà cités, l’araignée est sollicitée sur des préoccupations précises. Les réponses ou indices qu’elle consent à donner sont interprétés par un devin. Les traces laissées dans le sable par le renard ou le crabe, les bâtonnets déplacés par la souris ou la mygale doivent toujours être traduits par un spécialiste. La divination par la souris a donné lieu à de très belles réalisations sculptées, des boîtes à couvercles permettant au rongeur d’officier dans l’obscurité et le silence. Il n’existe pas de système semblable pour la divination avec la mygale. Cette dernière craint la chaleur et la lumière du soleil. Une simple jarre de terre cuite renversée ou un vaste couvercle de vannerie placé au-dessus de son terrier — dont l’entrée aura été humidifiée avec de l’eau — peut suffire à la faire sortir. Elle déplace les feuilles, les brindilles, les fleurs ou d’autres petits éléments préalablement disposés sur le seuil de sa demeure ou directement à l’entrée de son terrier. Ainsi, l’araignée terricole Ci-contre : Cimier de la société Nsoro du Cameroun. Ce masque représente un visage humain aux yeux écarquillés. Il est traditionnellement constitué de divers ingrédients (bois, fibres, etc.) et les yeux sont parfois recouverts de toile d’araignée. Page 108 : Jeune Philodromus rufus.

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passe du monde souterrain, celui des ancêtres et des défunts, au monde visible, celui des vivants. L’art de la divination par l’araignée n’est toutefois pas uniquement localisé au Cameroun. Dans le récit de ses chasses en Afrique centrale, dans le bassin du Zambèze, le géographe Édouard Foà (1862-1901) rapporte une scène qui montre la confiance accordée par les populations de la région aux prédictions de l’arachnide. Ainsi, ce sont les araignées qui indiquent l’issue favorable de la traque au pachyderme.

Un modèle graphique récurrent Si l’on considère l’ensemble des créations plastiques des cultures du continent africain, l’araignée ne figure pas parmi les thèmes iconographiques les plus courants. On trouve quelques représentations au Cameroun, chez les Bamiléké, les Bamoum et les Tikar entre autres groupes établis au nord-ouest. L’araignée est visible sur certaines œuvres, indépendamment des révélations de la mygale. Il semble que la majorité des représentations d’araignée soient relativement cachées. L’exemple le plus probant de la présence dissimulée de la tarentule dans l’art des provinces du nord-ouest du Cameroun peut être décelé sur des tabourets de bois sculpté. Il s’agit de sièges assez sobres, taillés dans un seul bloc de bois. Ils sont constitués d’un plateau circulaire soutenu par des pieds formant des triangles, la pointe dirigée vers le bas et reposant sur le sol. Il faut retourner le tabouret pour comprendre que sa base évoque les pattes repliées d’une araignée. Il ne s’agit pas d’une représentation naturaliste, l’animal est résumé à ses seules pattes. En général, les tabourets ne comportent que six pieds, plus rarement quatre et exceptionnellement cinq, ce qui ne correspond évidemment pas au nombre de pattes d’une araignée. Pour de nombreuses chefferies et royaumes du Cameroun, les sièges font partie des objets créés pour magnifier le pouvoir. Depuis les éléments architecturaux qui ornent les palais jusqu’aux regalia que le roi tient en main, la majorité des œuvres exécutées dans cette partie de l’Afrique mettent en scène le chef, son entourage et les institutions qui structurent des sociétés très hiérarchisées. Plusieurs figures animales, telles que l’éléphant, la panthère ou le python, sont directement associées au roi et à ses capacités surnaturelles à se transformer en animal. En revanche, la présence de la mygale renvoie davantage aux qualités métaphysiques dont serait 110

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ignées Au fil des ara

La caisse de l’instrument a perdu la peau tendue dans la partie supérieure qui permettait de la faire résonner. Elle est ornée d’une large frise en léger relief, représentant des figures de crapauds dont la particularité est d’être pourvus d’une tête à chaque extrémité du corps. Vus du dessus, ils forment un motif très couvrant, les batraciens étant reliés les uns aux autres par les pattes. Sur ce décor, un élément sculpté en haut-relief se détache : il s’agit d’une araignée. Les pattes groupées deux par deux laisseraient croire que l’animal n’en a que quatre. Cette figure d’araignée reprend le même motif de crapaud bicéphale. L’écho formel se double d’une similarité symbolique : comme les mygales, associées aux génies de l’eau, les crapauds sont considérés comme des animaux bénéfiques, annonciateurs de la pluie et capables d’éloigner les forces malveillantes. La parole de l’araignée sait également accomplir de telles prouesses. La mygale à quatre pattes peut figurer sous un aspect très simplifié de motif cruciforme. Il s’agit plus précisément d’une croix dont l’intersection forme une sorte de disque ou de boule. La forme des araignées se prête admirablement à Ci-dessus : Les pieds de ce tabouret de notable figurent une mygale, animal symbolisant l’omniscience et la connaissance de l’avenir chez les Bamiléké du Cameroun. Page 110 : Ce tambour présente une large frise de crapauds à double tête stylisés se tenant par les pattes, au centre de laquelle une araignée en haut-relief sert de point d’attache (Babanki-Tungo, plaine de Ndop, ouest du Cameroun).

la réalisation d’un motif proche du pictogramme. Aussi, les croix se retrouvent-elles représentées sur un grand nombre d’objets au Cameroun. Elles sont sculptées sur les encadrements de porte, gravées sur des calebasses, brodées sur les textiles, recouvertes de cauris, petits coquillages blancs, ou encore de perles, comme celles visibles sur les

doté le chef : sagesse, clairvoyance, omniscience, maîtrise

parties latérales du marchepied du trône du roi Nsangu.

de soi et intelligence. L’araignée au centre de sa toile

Les masques comportent également ce motif. Isolé, il reste

évoque également l’image du souverain au centre de son

lisible, mais il devient moins discernable lorsque plusieurs

royaume.

croix sont disposées de manière à former une sorte de

Ce même type d’araignée stylisée se retrouve dissimulé

résille. Celle-ci constitue la partie haute de certains masques

dans les dessins bamoum (images colorées réalisées à

ou de représentations de masques composant le fourneau

l’aide de crayons de couleur et d’encre) qui illustrent la

de pipes en laiton.

généalogie royale. Ces successions de vignettes représentent les souverains bamoum et leurs hauts faits. Le motif

Une présence parfois discrète ou cachée

décoratif qui compose l’encadrement de ces généalogies et

Un autre élément peut faire référence aux pouvoirs et

qui peut sembler totalement abstrait est en fait celui d’une

qualités de l’araignée sans pour autant évoquer la forme

araignée, traitée schématiquement.

de l’animal. L’utilisation de la toile d’araignée est rare mais

L’araignée peut toutefois être représentée d’une manière

attestée sur des œuvres camerounaises. Certains masques

stylisée plus conforme à la réalité. C’est le cas de celle qui

des sociétés de guerriers, comme le Nsoro des Bamoum,

figure sur un tambour conservé au musée du quai Branly.

sont constitués d’une tête sculptée pourvue à la base 111

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tières Table des ma

Plaidoyer pour un « nuisible »/p. 7

Alain Canard Qu’est-ce qu’une araignée ?/p. 15

Frédéric Ysnel Aux origines d’une grande famille/p. 27

Alain Canard et Frédéric Ysnel Les chélicères, le venin et l’homme/p. 33

Christine Rollard La soie et les industries de l’araignée/p.39

Christine Rollard et Patrick Maréchal Locomotion et déplacements/p. 51

Pierre-Alain Furst L’originalité de l’accouplement/p. 65

Christine Rollard Soins à la ponte et survie des jeunes/p. 73

Christine Rollard et Patrick Maréchal Les grandes phases du cycle/p. 79

Patrick Maréchal La mygale et la fourmi/p. 87

Alain Canard De l’utilité de l’araignée/p. 97

Élodie Robert Une sale bête, de notoriété publique/p. 103

Frédérik Canard Arachnofolies/p. 109

Aurélien Gaborit Les démêlés d’Arachné/p. 117

Patrick Absalon Pour en savoir plus/p. 124 Remerciements/p. 125 Les auteurs/p. 126 123

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