Capitaine sauveteur
jean bulot Éditions des Ragosses ISBN 978-2-916777-08-5 24,90 euros TTC en France
Éditions des ragosses
Jean Bulot est l’une des grandes figures de la mer en France. Après avoir navigué comme officier à bord de différents navires de la Marine marchande française, il a pris le commandement des remorqueurs de haute mer Abeille Languedoc et Abeille Flandre. Il a publié un premier volume de ses mémoires en 2006, Capitaine Tempête (Éditions des Équateurs), maintenant épuisé. Il nous en livre une nouvelle version, illustrée de 80 photos inédites. Il y retrace son engagement dans le remorquage de haute mer, ce métier si particulier, exigeant une grande habileté et une résistance à toute épreuve.
Jean Bulot
Capitaine sauveteur Souvenirs illustrés d’un capitaine de remorqueur de haute mer et de sauvetage
Éditions des Ragosses
Capitaine Sauveteur Souvenirs illustrÊs d’un capitaine de remorqueur de haute mer et de sauvetage
Jean Bulot
Capitaine Sauveteur Souvenirs illustrés d’un capitaine de remorqueur de haute mer et de sauvetage
Éditions des Ragosses
À mes enfants, Cécile, Gaël, Patrick à mon épouse Dany et à mes petits-enfants, Éline, Jade, Antoine et Liam
Avant-propos Bien que s’adressant aux amoureux de la mer, ce beau livre est avant tout un hommage rendu à tous ceux, marins et officiers, qui ont partagé avec moi bien des moments forts d’émotion, de joies et de drames au cours de mes vingt et un ans de commandement des remorqueurs de haute mer et de sauvetage à la société Les Abeilles International. Jean Bulot
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Carte marine du SHOM sur laquelle sont localisés quelques sauvetages et assistances relatés dans le livre. Coll. privée
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Quelques sauvetages mémorables parmi tant d’autres
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L’Abeille Flandre fait route par gros temps dans le dangereux passage du Fromveur entre Ouessant, la chaussée de Molène et le phare de Kéréon. Photo Eugène Le Droff.
Préparatifs de remorquage Avant de narrer quelques-unes des nombreuses assistances effectuées avec mes divers équipages, il est bon d’éclairer le lecteur sur la technique employée et tout d’abord sur les préparatifs de remorquage. Lors de ces travaux, exposés aux paquets de mer passant par-dessus le pavois et balayant le pont arrière, c’est en ayant toujours à l’esprit le vieux dicton marin — une main pour soi, l’autre pour le navire — vital à bord d’un remorqueur de haute mer, que les hommes, sous les ordres du bosco, dévirent une cinquantaine de mètres de la remorque principale en fil d’acier, la disposent en longs plis sur le pont et la saisissent à divers points fixes au moyen de petits amarrages appelés "bosses cassantes". Et qui, en principe, sont censés se rompre sous le poids du gréement partant progressivement à la mer entre le remorqueur et l’assisté. Il arrive toutefois qu’une de ces bosses résiste. Il faut alors qu’un homme la coupe au couteau, au risque d’être emporté par un paquet de mer ou d’être pris dans une boucle et de passer par-dessus bord ! L’équipe s’affaire ensuite à mailler une grosse pantoire en fil d’acier à la socket de
la remorque principale et dont l’œil de trois mètres sera le premier à partir vers l’assisté. Une fois le gréement saisi, vérifié et disposé de façon à éviter tout sac de nœuds au moment où le tout filera à l’eau, les hommes préparent le hale-à-bord. Composé de trois longueurs de filins en nylon ou polypropylène de diamètres différents et progressifs, ce système sert à faire monter le gros gréement à bord de l’assisté. Jusqu’au dernier moment, il est gardé à l’abri du rouf, sinon il partirait à la mer au premier paquet et risquerait d’engager les hélices. Reste maintenant à préparer le fusil lanceamarre et tout son armement. Cette arme ressemble à un fusil de guerre à cartouche sans balle. Elle a été spécialement étudiée pour recevoir dans le canon une flèche munie d’un embout en caoutchouc pour éviter des étincelles au moment de sa chute sur le pont dans le cas d’une intervention sur un pétrolier. Cette flèche est reliée à une petite ligne en nylon de couleur orange, de 200 mètres de long, soigneusement lovée dans une boîte. L’autre extrémité de la ligne sera amarrée au hale-à-bord au dernier moment.
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Passage de remorque
La façon de se présenter sous l’étrave du navire est très importante pour bien réussir l’opération. La manœuvre d’approche est très délicate… … et le capitaine est obligé de garder suffisamment d’erre pour pouvoir maintenir le cap du remorqueur, lequel, poussé au cul par les grosses lames, embarde en grand d’un bord à l’autre. Un marin, les jambes écartées et le dos calé contre une paroi métallique, tient le fusil lance-amarre en position de tir. À ses côtés, le maître d’équipage, lui aussi bien campé sur ses jambes et assuré d’une main à un élément quelconque, cramponne solidement de l’autre la boîte dans laquelle est lovée la petite ligne. Un peu éloignés d’eux, les matelots, formant une chaîne, tiennent à la main les premiers mètres du hale-à-bord et s’apprêtent à le filer à la demande. À une distance au vent du navire correspondant environ à une longueur du remorqueur, le marin épaule le fusil, vise en prenant suffisamment d’angle pour contrer la dérive du vent et tire. Montant à une trentaine de mètres et suivie de sa petite ligne orange, la flèche décrit une trajectoire courbe et tombe sur le gaillard de l’assisté où les hommes la saisissent et la font passer par un chaumard. La fragile liaison est faite. Tandis que le hale-à-bord monte progressivement, tout en surveillant attentivement ce qui se passe sur le pont arrière et entre les deux navires, le capitaine manœuvre constamment pour tenir le cul du remorqueur dans le vent et à une distance suffisante pour éviter l’abordage. Ce genre de situation rapprochée par gros temps est un défi permanent entre les éléments marins et le capitaine du remorqueur qui doit, avec beaucoup de sangfroid et d’adresse, réagir rapidement, anticiper et manœuvrer en tenant des mouvements désordonnés de l’assisté et de son propre bateau. Ce dernier, presque sans erre, tangue et roule violemment. Des paquets de mer balayent le pont arrière, les hommes sont sonnés et ballottés par ces masses d’eau en mouvement passant d’un bord à l’autre dans les coups de roulis. Le capitaine craint beaucoup et non seulement pour son équipage exposé à l’arrière mais également pour les deux hélices qui risquent d’être engagées par le hale-à-bord qui traîne à l’eau dans leur remous. Une
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Page précédente, de gauche à droite Six hommes ne sont pas de trop pour soulever le fil d’acier constituant la remorque principale de 70 mm de diamètre et pesant 20 kilos au mètre. Coll. B. Rubinstein. Paquet de mer sur le pont arrière. Coll. B. Rubinstein. L'équipe pont vient de terminer la préparation du gréement sur la plage arrière. Coll. B. Rubinstein. À l’abri, l’équipe pont est prête à intervenir. Le fusil lance-amarre est tenu par un marin et la petite ligne orange, amarrée à la flèche, est lovée dans une boîte portée par le marin au ciré jaune. Coll. B. Rubinstein.
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Sur cette belle gouache d’A. Coz, l’Abeille Flandre se tient prêt à assister un cargo à la dérive en mer d’Iroise. Coll. privée. Page précédente, de gauche à droite
mauvaise manœuvre, un moment d’inattention de part et d’autre et c’est la catastrophe. Ne pouvant plus manœuvrer, le remorqueur désemparé risquerait l’abordage avec l’assisté. Sur l’arrière, les bosses cassantes, au fur et à mesure de l’augmentation du poids et de la tension, libèrent la pantoire. À ce stade, les hommes prennent la précaution de se tenir le plus possible à l’écart des fils d’acier et autres gréements lovés en plis sur le pont. Un pied distraitement posé à l’intérieur d’une boucle et l’on risque de passer par-dessus bord et de disparaître dans les remous des hélices. La pantoire est maintenant montée sur le gaillard du navire et l’œil capelé sur une paire de bittes. Le capitaine commence alors à écarter doucement le remorqueur de l’étrave de l’assisté et fait dégager la plage arrière par son équipage car le gros fil d’acier risque de fouetter en passant d’un bord à l’autre dans les embardées malgré toutes les précautions prises. Malheur à celui qui n’y prendrait garde ; au mieux il passerait par-dessus bord, au pire il serait décapité ou coupé en deux ! Tandis qu’un officier, à la télécommande du treuil, dévire le fil d’acier en évitant les à-coups, le capitaine augmente progressivement la puissance pour qu’il ne prenne pas trop de poids et n’aille crocher au fond. Une fois la remorque filée à une longueur estimée en fonction de l’état de la mer et du tonnage du navire, le remorquage peut alors débuter, avec ses surprises et ses aléas.
Sur le pont arrière sur tribord, appuyé contre l’avant du canot pneumatique, le marin attend le signal sonore de la passerelle pour épauler et tirer en direction du navire assisté. Coll. B. Rubinstein. L’étrave du cargo domine l’arrière du remorqueur manœuvrant à quelques mètres seulement de l’étrave malgré la grosse mer. Coll. B. Rubinstein. Sur le gaillard du navire, les marins virent au guindeau le hale-à-bord maillé sur le gréement de remorquage. Coll. B. Rubinstein. Paquet de mer sur le pont arrière du remorqueur qui s’écarte progressivement et en évitant des à-coups dans le fil d’acier. Coll. B. Rubinstein.
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