Chante-perce

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Dominique Sampiero, né en 1954, est un écrivain, scénariste et poète français originaire du Nord. Il est principalement connu pour la co-écriture de deux scénarios de longs métrages, réalisés par Bertrand Tavernier : Ça commence aujourd’hui, Ours d’or à Berlin en 1998 et Holy Lola en 2004. Il est récemment passé à la réalisation avec deux courts métrages : Notre-Dame-des-Loques et On est méchant avec ceux qu’on aime. Il a reçu de nombreux prix pour ses romans, dont en 2014, le prix Robert Ganzo pour l’ensemble de son œuvre et notamment pour son recueil La Vie est chaude (Bruno Doucey, 2013).

Dominique Sampiero

« C’est ici la jouissance sans corps dilatant les pupilles et le souffle. Chacun parle avec du sang retourné, de la salive qui refuse, au bord des rêves criant plus haut que l’ennui qui pourrait nous étouffer, livides, épuisés par l’indifférence menaçant chaque jour notre émotion. Le froid des pierres sculpte cette langue de verre dans la bouche, coupante comme le froid de l’hiver. Se taire courbe les fronts sur la sagesse invincible des dormeuses. »

Chante-perce Chante-perce

La chante-perce est l’outil que maniaient les Picaous, ces ouvriers du granite bretons, pour creuser, dans la roche, l’orifice prévu au bâton de dynamite.

Éditions Apogée ISBN 978-2-84398-472-3 13 € TTC en France

Éditions Apogée

Illustrations de Maya Mémin, peintre-graveur.

Dominique Sampiero


La chante-perce est l’outil que maniaient les Picaous, ces ouvriers du granite bretons, pour creuser, dans la roche, l’orifice prévu au bâton de dynamite. Cette tige de métal produisait un son grave et les tailleurs de pierre perçaient en rythme dans les carrières ouvertes. Au cours d’un rituel d’initiation, ils recevaient également leur prénom de granitier pour la vie. Nommer autrement et creuser sont une tentative pour faire vivre cet héritage et dessinent dans ce livre les deux veines d’une ardeur au poème.


Entaille des quatre vents sur ma bouche Entrez, passez le Rocher Rond ! C’est ici la terre de sel et de cidre, de petit gué et de zinguerie, de magnétite et de zircon, le creuset de Haut-Feu et de Lignères, le berceau de mains nues au bord du monde, de bouches savantes au sein des légendes, la lande de racines et l’alambic d’écorces brunes entre la mer et l’herbe, pays de pierre entre les murs d’une patience cherchant à frôler les sources accroupies dans le creux de l’instant et que les mains reconnaissent, en écartant la bruyère des carrières ouvertes. Tout parle dans un pays et le silence a une couleur bien à lui. Ce chant est seulement audible à ceux qui marchent, nuage au cœur et pierres dans les poches, lavés sur le front par une lumière que le vent fredonne du bout des lèvres. Au premier regard, un paysage germe et les pupilles nagent à dos de roche. Fermer les yeux nous love dans la chair-portail des chemins creux.

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C’est ici qu’on éventre l’humus pour en faire des hommes, des maisons et des âmes, de Montours à Saint-Marc-le-Blanc, de Saint-Hilaire à Coglès, semailles pour redescendre dans l’enfance à l’écoute des villages, là où passeurs de feu, meneurs d’orage et dames blanches fument le soleil en escarbilles, profitant de nos rêves pour inventer les récits de notre présence. C’est ici la jouissance sans corps dilatant les pupilles et le souffle. Chacun parle avec du sang retourné, de la salive qui refuse, au bord des rêves criant plus haut que l’ennui qui pourrait nous étouffer, livides, épuisés par l’indifférence menaçant chaque jour notre émotion. Le froid des pierres sculpte cette langue de verre dans la bouche, coupante comme le froid de l’hiver. Se taire courbe les fronts sur la sagesse invincible des dormeuses. Naître ici pétrit la chair de brumes et de broussailles, de chemins plus verts que la mousse des arbres. Les yeux brillent comme des micas enfouis dans le quartz de notre visage. C’est ici nulle part et ses trésors minuscules. Et se pencher nous montre la beauté qu’on piétine, là où le ciel avance, traverse les fontanelles, trouant l’homme de rêves plus loin que la mort.


1. Ardeur des petites lĂŠgendes qui pourraient faire comme si on les avait oubliĂŠes

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Y a-t-il eu un premier regard ? Qui a vu le monde pour la première fois ? L’univers s’est-il retourné sur lui-même, embrasé d’un regard qui devait contenir tous les autres avant de s’ouvrir en deux comme une pomme ? Où se cache l’origine du cosmos, dans quelle vigilance ? Où s’est enfoui notre premier souffle, notre première pensée pour le vaste et le minuscule ?

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Les légendes sont vraies. Aussi vivantes que nos rêves. Elles nous tiennent debout comme des arbres, nos racines puisant dans l’humus d’une mémoire qui se souvient de nous. Une chronique de paupières et d’images flotte en poussière dans notre esprit. Et quand elles se rassemblent, les particules de nos pensées nous montrent ce qui nous dépasse pour nous contenir. Mais elles peuvent aussi nous briser. Les légendes commencent avec la lumière des images mentales. D’où vient cette source alors que rien ne filtre derrière nos yeux fermés, voir au-dedans ? Qui allume la vision qui nous guide ensuite vers la peur, l’amour, le désir ? Dieu est-il gnome, elfe, magicien, rassemblement de toutes nos images errantes ? Et si la religion est une poésie de l’absence, quelle forme prend Dieu quand nous le nions ?

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Les légendes donnent de l’air à notre manque, à notre folie, à tout ce qui nous déborde et pourrait nous briser. Elles incarnent en combats, en défaites et en victoires nos lâchetés et ce qui nous illumine parfois. Méfions-nous des gens qui ne croient pas ou affirment qu’il n’y a rien. De la sainteté aussi. Ces formes que prennent les ténèbres et le déni, l’exagération nihiliste et l’amertume expriment le néant dans lequel une vie tourne infiniment en rond. Écoutons les existences hurler pour briser leurs chaînes déformant le corps en maladies étranges et momentanément invincibles. Là où l’ennui prend racine, mais aussi la défaite, la soumission, la peur et la haine, c’est qu’une légende demande à se libérer, une légende enterrée vivante sous le poids de l’ignorance et du mépris.

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Si l’éternité est réfutée, elle revient sous une forme ou une autre, cherchant le corps qui l’a meurtri pour l’impressionner et l’envahir. L’invisible aussi. Tout ce qui est tu, parjuré puis recraché se venge. Les légendes sont notre humanité sensible, un héritage de pure haleine, de premier mot et de premier soupir. Un élan entre la main du singe et de l’homme. Le mouvement d’une eau qui obéit à sa propre pente.

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Dominique Sampiero, né en 1954, est un écrivain, scénariste et poète français originaire du Nord. Il est principalement connu pour la co-écriture de deux scénarios de longs métrages, réalisés par Bertrand Tavernier : Ça commence aujourd’hui, Ours d’or à Berlin en 1998 et Holy Lola en 2004. Il est récemment passé à la réalisation avec deux courts métrages : Notre-Dame-des-Loques et On est méchant avec ceux qu’on aime. Il a reçu de nombreux prix pour ses romans, dont en 2014, le prix Robert Ganzo pour l’ensemble de son œuvre et notamment pour son recueil La Vie est chaude (Bruno Doucey, 2013).

Dominique Sampiero

« C’est ici la jouissance sans corps dilatant les pupilles et le souffle. Chacun parle avec du sang retourné, de la salive qui refuse, au bord des rêves criant plus haut que l’ennui qui pourrait nous étouffer, livides, épuisés par l’indifférence menaçant chaque jour notre émotion. Le froid des pierres sculpte cette langue de verre dans la bouche, coupante comme le froid de l’hiver. Se taire courbe les fronts sur la sagesse invincible des dormeuses. »

Chante-perce Chante-perce

La chante-perce est l’outil que maniaient les Picaous, ces ouvriers du granite bretons, pour creuser, dans la roche, l’orifice prévu au bâton de dynamite.

Éditions Apogée ISBN 978-2-84398-472-3 13 € TTC en France

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