Un Chien pour la nuit

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Éditions Apogée ISBN 978-2-84398-435-8 17 € TTC en France

Michel Wallon

Quelques aventures de Timothée

Un chien pour la nuit

Michel Wallon est né à Hazebrouck, dans la Flandre française. Il a fait ses études à Lille puis a été professeur de lettres au lycée français de Baden-Baden. Il a publié des nouvelles dans différents journaux et revues (Le Monde de l’Éducation, La Croix, Brèves, La Revue alsacienne de littérature, Inédit). Aux éditions Apogée, il a publié en 2012 Le Pénitent de Furnes, un premier recueil de nouvelles. Il y a également traduit de l’allemand L’Héritage de Fritz Werf.

Un chien pour la nuit

Éditions Apogée

Peut-être ne connaissez-vous pas Timothée. C’est même tout à fait probable, étant donné que ses aventures n’ont pas encore fait l’objet de beaucoup de publications. Apprenez donc que c’est un être un peu à part (on dit maintenant « décalé »), pourvu d’une grande fraîcheur d’âme et prompt à s’exalter (notamment pour une femme). Bref, c’est un romantique et un éternel amoureux. C’est ainsi que Michel Wallon, son créateur, présente Timothée, homme pas du tout timoré, dont les aventures nous mènent dans différentes régions de France, en Belgique, aux Pays-Bas, en Angleterre, en Suisse et en Allemagne.

Michel Wallon


Collection « Piqué d’étoiles » créée par François Rannou, dirigée par Jacques Josse

Du même auteur : Les Anges parmi nous (nouvelles), Éditions La main à la plume, Lille, Prix des Grands-Places, 1994 Promenade littéraire dans les rues de Perpignan, Éditions Mare Nostrum, Perpignan, 2004 Le Lapin de Bischwiller, Éditions Jérôme Do Bentzinger, Colmar, 2010 Une gare de briques roses, Éditions Talaia, Perpignan, 2011 Les Trois marches de la rue Jarente, Éditions Alzieu, Grenoble, 2011 Traductions de l’allemand La nature dans le sang (poèmes) Dieter P. Meier-Lenz, Éditions de la Rose de Verre, Amélie-les-Bains, 2008 L’Héritage (nouvelles), Fritz Werf, Éditions Apogée, Rennes, 2009

© Éditions Apogée, 2013 ISBN 978-2-84398-435-8


Michel Wallon

Un chien pour la nuit Quelques aventures de Timothée

Éditions Apogée


À Céline, Alix et Antoine


Au lecteur Peut-être ne connaissez-vous pas Timothée. C’est même tout à fait probable, étant donné que ses aventures n’ont pas encore fait l’objet de beaucoup de publications. Apprenez donc que c’est un être un peu à part (on dit maintenant « décalé »), pourvu d’une grande fraîcheur d’âme et prompt à s’exalter (notamment pour une femme). Bref, c’est un candide, un romantique et un éternel amoureux. Les histoires qui suivent se passent dans différentes régions de France, en Belgique, aux Pays-Bas, en Angleterre, en Suisse et en Allemagne. Peut-être un jour s’y ajouteront des épisodes qui auront pour titres : Timothée au Tibet, Timothée sur Vénus…

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L’échafaudage Quand il rentra chez lui ce soir-là, Timothée eut un choc : son immeuble était corseté par un échafaudage pas bien joli. « Pourvu qu’il ne reste pas trop longtemps ! », se dit-il. Pendant plusieurs jours, rien ne se produisit : aucun peintre ne se montra. Calme plat sur toute l’étendue des façades. Il arrivait à Timothée de penser à la « drôle de guerre », à la ligne Maginot édifiée à grands frais pour contenir un ennemi qui ne se présentait pas. Jusqu’au jour où, tandis qu’il prenait son petit-déjeuner dans sa cuisine en pyjama, il vit un homme vêtu de blanc qui s’activait tout près de lui, de l’autre côté de la fenêtre. Que convenait-il de faire en pareil cas : saluer discrètement de la tête ? Ignorer l’individu qui brusquement violait ainsi votre intimité ? Ne pouvant consulter dans l’immédiat le guide des convenances, dont il était un lecteur assidu — et doutant d’ailleurs

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qu’il évoquât des situations de ce genre —, Timothée choisit la deuxième attitude et continua de manger de l’air le plus naturel qu’il put, comme s’il était habitué à prendre son petit-déjeuner sous le regard de peintres, plâtriers ou autres réparateurs de gouttières ; de funambules, de parachutistes, d’usagers de montgolfières ou de métros suspendus, de mystiques en lévitation, ou sous celui, intermittent, de champions de trampoline à l’apogée de leurs bonds. Mais, bien entendu, cela le troubla profondément. Désormais, ayant négligé lors de son installation de garnir ses fenêtres de rideaux, Timothée ne fut tranquille dans aucune des pièces de son appartement. S’asseyait-il à son bureau ? Il sentait dans son dos un regard qui s’intéressait à ce qu’il écrivait. Voulait-il s’accorder un moment de repos après le déjeuner et s’allongeait-il sur le canapé de son salon ? Immanquablement, il voyait apparaître un être à l’œil sombre et à la mine réprobatrice, qui devait certainement se dire : « Quoi ! Pendant que je travaille, il y a des gens qui dorment ! ». Par chance, la fenêtre de sa salle de bain était munie d’un verre brouillé. N’empêche que lorsqu’il lui arrivait de prendre une douche pendant la journée (c’était le plein été), Timothée ne se sentait pas vraiment à son aise : évoluer ainsi, dans le plus simple appareil, tout près d’une vitre derrière laquelle des ombres passaient et repassaient… Mais peu à peu il s’habitua à cette cohabitation qui, somme toute, ne se passait pas trop mal. Ces peintres qui travaillaient autour de lui ne le dérangeaient plus guère — en tout cas, beaucoup moins qu’au début — et

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désormais, quand son regard croisait celui de l’un d’eux, il esquissait un vague sourire, voire un geste de la main. Oh ! Il n’en était pas encore au point de les inviter à franchir sa porte — ou plutôt une de ses fenêtres — pour venir boire un verre, mais cela viendrait. Cela viendrait. Et puis, un jour, il fit une découverte fulgurante : à côté des indéniables inconvénients qu’elle comportait, la situation du moment lui offrait la possibilité de se promener autour de son immeuble à plusieurs mètres d’altitude ! Ce bâtiment, dont il avait fait cent fois le tour au niveau du sol, à la recherche de son chat ou de l’inspiration (il était poète à ses heures), grâce à cet échafaudage il pourrait déambuler autour de lui beaucoup plus haut, et sans craindre de marcher dans des crottes de chiens. Cette chance, il fallait absolument qu’il la saisisse. Évidemment, il devrait tout faire pour que cela ne se sache pas, car on le prendrait pour un voyeur. Dieu savait pourtant qu’il n’avait rien d’un voyeur. Encore que… surprendre la ravissante jeune fille du 12 sortant de son bain… Il s’habillerait en noir, des pieds à la tête, de manière à se confondre avec la pénombre ; car, bien entendu, il attendrait le soir pour exécuter l’opération. Non. À la réflexion, il se vêtirait tout de blanc, couleur qui, peu à peu, devenait celle de l’immeuble. Et puis comme cela, si quelqu’un le voyait, il pourrait le prendre pour un peintre faisant des heures supplémentaires ou revenu sur le lieu de son travail pour chercher quelque chose qu’il y aurait oublié.

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Un soir, vers dix heures, Timothée se décida. Revêtu d’un ensemble blanc, qui le faisait ressembler à un tennisman des années vingt, il ouvrit la fenêtre de sa chambre, regarda attentivement à droite et à gauche (comme si dans cet immeuble bourgeois quelqu’un d’autre avait pu avoir la même idée que lui ! Et au même moment !), enjamba le rebord de la fenêtre et se retrouva sur l’une des planches qui couraient tout autour du bâtiment. Minute grisante ! Instant rare ! Certes Timothée, qui était friand de sensations insolites, en avait connu de plus fortes : il avait entendu sonner minuit dans une tour de Notre-Dame de Paris, il s’était laissé enfermer un soir dans un musée d’horreurs, et surtout, dans le stade olympique de Berlin il s’était assis sur le siège 19, celui d’où Hitler avait vu gagner Jesse Owens en 1936. Mais enfin, la situation qu’il vivait présentement ne manquait pas de piquant, et il était persuadé que parmi ses souvenirs insolites elle occuperait une place tout à fait honorable. Il se mit en route, lentement, prudemment. Tout se passait bien : les planches de l’échafaudage se révélaient stables et peu bruyantes. Quand une fenêtre se présentait, Timothée se courbait très fort, voire rampait, ne s’accordant que rarement un furtif coup d’œil à l’intérieur. Évidemment, son regard s’était un peu attardé quand il avait effectivement vu la jeune fille du 12 enfiler un peignoir au sortir du bain, s’asseoir dans un fauteuil d’osier et épiler ses longues jambes de rêve à côté d’une cage où voletait un bel oiseau blanc… Mais… au bout de la galerie… cette ombre… cette silhouette… Pas de doute : quelqu’un venait ! Et ce

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quelqu’un était… le juge qui habitait au 18 ! Que faire ? Comment devait-on se comporter quand, à dix heures du soir, on rencontrait un juge sur un échafaudage ? Que pouvait bien dire sur ce point le guide des convenances ? (Ici encore, on pouvait douter qu’il évoquât une telle éventualité). Le mieux était sans doute de le saluer normalement et — tout en se serrant contre la muraille pour le laisser passer — de lui dire un mot du temps qu’il faisait. Timothée se préparait à affronter cette situation délicate, quand il vit une fenêtre ouverte et s’aperçut que c’était celle de sa chambre. Ainsi donc, il avait fait le tour complet de son immeuble et se retrouvait au point de départ de sa promenade aérienne et nocturne. D’un bond, il fut dans sa chambre. Il était sauvé ! – Oh ! comme c’est romantique ! Depuis le temps que j’attendais ce moment ! La voix qui avait dit cela était venue du lit. Et celui-ci était occupé par… sa voisine, femme au type vaguement oriental et aux incontestables appas, qui avait tendance à serrer Timothée de près quand elle se trouvait avec lui dans l’ascenseur. Malédiction ! Il s’était trompé de fenêtre ! – Excusez-moi, bredouilla-t-il, je ne fais que passer. Et il se hâta de ressortir, par la même voie qu’il avait empruntée pour entrer. Entre-temps, le juge était passé. Timothée le vit s’éloigner, massif et un peu voûté, comme le commissaire Maigret ou certains personnages de Sempé.

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Il ne rentra pas tout de suite chez lui mais, adossé au mur extérieur de l’immeuble, huma un instant l’air du soir, savourant le plaisir de s’être sorti coup sur coup de deux situations difficiles (mais que dirait-il demain à sa voisine s’il la rencontrait dans l’ascenseur ?). Enfin il réintégra son domicile, non sans s’être bien assuré que la fenêtre par laquelle il le ferait était la bonne. Dans la salle de séjour, assise dans un fauteuil, sa voisine l’attendait ! Dieu du Ciel ! S’était-il encore trompé d’appartement ? – Je suis venue vous rendre la visite que vous m’avez faite tout à l’heure, lui dit la dame. La porte de votre appartement n’était pas bien fermée. Une fois de plus, Timothée interrogea mentalement le guide cité plus haut : que convenait-il qu’il fît en cette occurrence ? Le code galant ne lui commandait-il pas d’honorer comme elle le réclamait son accorte visiteuse ? Il allait commencer à s’acquitter de cet agréable devoir, quand une pensée le visita, qui l’en retint : le souvenir de la jeune fille au peignoir rose et à l’oiseau blanc…


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