Graffures de nuit

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ALAIN LE BEUZE

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VÉRONIQUE BROD

Le graff, qui colorise notre quotidien en maquillant nos espaces urbains, les bâtiments isolés de nos campagnes et les blockhaus de nos côtes, taquine davantage nos terminaisons nerveuses qu’il ne nous réconcilie avec cet art en cavale. Et pourtant les graffeurs qui dynamiteraient nos critères esthétiques poursuivent l’art pariétal qui nous a laissé de précieux témoignages à Gavrinis et à Lascaux par exemple. Dans des dizaines d’années ces graffs constitueront, à leur tour, les fresques un peu desquamées de notre époque.

Graffures de nuit

Graffures de nuit n’est pas un livre d’ethnologie, encore moins une compilation photographique de graffs de Brest, Quimper ou de Concarneau, mais un ouvrage qui porte un autre regard sur cet univers graphique où l’écriture poétique prend le relais de l’image. La photographe,Véronique Brod, privilégie le détail, la texture du support, les incidences du temps sur les graffs, leurs lignes et leurs couleurs sans cesse interpellées par la nature, donnant ainsi naissance à une troublante analogie avec la peinture et la gravure contemporaines. Les textes poétiques ne commentent nullement ses images. Ils invitent simplement à prolonger son regard singulier, permettant ainsi de côtoyer un ailleurs éloigné de la laideur qu’on attribue bien souvent aux graffs. Ce livre nous rappelle que la beauté sommeille dans l’imprévu de la halte et surgit quand on prend le temps de regarder.

ÉDITIONS APOGÉE ISBN 2-84398-247-2 24

ÉDITIONS APOGÉE

Couv Graffures OK

Graffures

VÉRONIQUE BROD ALAIN LE BEUZE

de nuit Éditions Apogée

VÉRONIQUE BROD, d’origine finistérienne, est née à Abidjan. Après des études et des recherches en biologie, elle se consacre à la photographie. L’observation des microcosmes a façonné son regard et aiguisé son sens esthétique. Elle extrait des fragments de réalité et révèle ainsi un monde inattendu, graphique et sensible, sans ar tifice technique.

ALAIN LE BEUZE, né à Quimperlé, enseigne les lettres à Brest. Il a publié La mer se devine aux Éditions Ombre et Lumière (2004), mais aussi Début aux Éditions de La Canopée (2004), Stase aux Éditions Dana (2003), Passé antérieur aux Éditions Wigwam (2003) et Horizon aux Éditions Landsable (2001).

VÉRONIQUE BROD et ALAIN LE BEUZE ont déjà publié ensemble L’effet mer aux Éditions Apogée en 2004.


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Déjà paru aux éditions Apogée, des mêmes auteurs L’effet mer, 2004

Ouvrage publié avec le concours du Conseil général du Finistère

© Éditions Apogée 2006 ISBN 2-84398-247-2


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Véronique Brod Alain Le Beuze

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Ă€ Pierre Cadic


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« C’est dans le non-visible que se trouvent souvent les potentialités poétiques les plus fortes »

Ernest Pignon-Ernest

« Tout est une question d’optique » écrivait Brassaï dans son texte paru dans la revue Minotaure en 1933 présentant son travail photographique sur les graffitis. Le regard de Véronique Brod sur les graffs valide encore aujourd’hui cette réflexion. Sans sa propension au détail, je n’aurais pas réhabilité ces écritures buissonnières qui polluaient mon champ visuel et offusquaient mes critères esthétiques. Longtemps j’ai abhorré cet ar t en cavale, ces calligraphies rageuses et sauvageonnes où ricochaient les échos d’une rébellion et d’un mal de vivre. Ces fresques aux couleurs criardes qui souillaient les murs, blessant davantage la noblesse du granit que la grisaille du béton, dérangeaient ma quiétude intérieure. Ces insolences graphiques, s’imposant dans les friches urbaines et industrielles, ferraient mon regard et dynamitaient la « poésie des lieux ». L’environnement, violemment concurrencé et anéanti par le despotisme de ces motifs parfois machistes et aux couleurs outrancières, échappés des mangas et des bandes dessinées occidentales, semblait

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devenir accessoire. Cela créait un effet de loupe et de contraste étrange. La grisaille du décor, de ces lieux abandonnés, squattés par les vents, les ronces et les épaves industrielles disparaissait sous l’audace de ces terroristes de l’ar t institutionnel. Ces espaces de relégation se métamorphosaient en myriades d’expositions à ciel ouver t, en insurrection permanente. Et la nuit d’autres ar tificiers de la couleur venaient imprimer leurs désirs et dénoncer leur solitude ou simplement recouvrir le graff initial, créant ainsi un ar t du palimpseste où les intempéries auraient aussi leurs mots scabieux à griffonner.

L’apparition des graffs et des tags n’a pour tant rien de vraiment original, car ils s’inscrivent dans une tradition de l’ar t pariétal. Et ils succèdent au muralisme engagé du peintre mexicain Diego Rivera et des naïfs africains et haïtiens du

XX e .

De tout temps les hommes ont dessiné sur les murs et les parois pour exorciser leurs peurs ou pour

marquer leurs territoires, comme ces empreintes de mains féminines sur les murs des cavernes au

Xe

millénaire avant

Jésus Christ. Les graffitis les plus anciens, retrouvés en Afrique du Nord, remontent au paléolithique. C’étaient de simples contours de style naturaliste figurant des formes humaines et d’animaux aujourd’hui disparus. Les plus récents de la période préhistorique représentaient des chiens, des vaches et des brebis. Ces motifs figuratifs témoignaient de la période où le chasseur-cueilleur devint un pasteur-éleveur, 3000 ans avant Jésus-Christ. À différentes époques et dans d’autres civilisations les murs des édifices religieux, royaux ou funéraires se sont couver ts de motifs ; témoignages des siècles traversés, même s’ils relevaient davantage d’un ar t officiel que d’une expression spontanée. Cependant, en marge de ces lieux, des mains ont sûrement griffonné d’autres signes plus vulnérables, témoignant ainsi d’une lecture plébéienne et satirique de ces époques révolues. Cer tains graffeurs d’aujourd’hui n’hésitent pas non plus à faire de l’autodérision, comme Jaye et Nilko, quand ils mettent scène leurs psycho tagueurs, en entremêlant l’image critique qu’on leur attribue à celle qu’ils se font du public.


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Les murs sous leur camisole de couleurs sont sans rancune. Le quartier est hors d’usage. Herbes et ronces, un camouflage mal rapiécé pour gâcher l’ennui. Trop d’absences. Les parapets sont déserts. Les rails attendent. Lugubre est l’insomnie de la mélancolie. La nuit est bercée par des ombres qui taquinent la grisaille en semant sur les façades des archipels de couleurs et des savanes où l’aube se perd quand elle vient pointer. Ils remaquillent la camarde et confisquent ses grimaces. Mais sa gueule d’ombre est là qui s’égosille à dénoncer cette illusoire résurrection

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