L'Humour c'est sérieux !

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12 € ISBN 978-2-84398-464-8

Jacques Le Goff

Jacques Le Goff

!

L’H u m O u R c’est sérieux

L’Humour c’est sérieux !

Jacques Le Goff est professeur émérite des universités. Il a enseigné à la faculté de droit de Brest et fut pendant dix ans inspecteur du travail. Il est également président de l’association des amis d’Emmanuel Mounier. Il vit à Quimper (29).

ÉDITIONS APOGÉE

L’humour se porte mal. Il fout le camp, victime de nombre d’« humoristes » qui le dénaturent à longueur de journée sur les antennes. Sous prétexte qu’ils font rire, ils en concluent à leur génie humoristique. Rien de plus faux. Car si l’humour fait sourire, souvent rire comme l’illustre ce petit livre, il ne se définit pas par le rire. Sa raison d’être : aider à vivre en allégeant le poids des jours. Comme l’a dit un réalisateur turc : « Seul l’humour nous aide à supporter la tragédie. » Il met de la lumière dans l’ordinaire, rend la relation sociale plus plaisante et peut même guérir. Redécouvrir ce qu’est l’humour et comprendre pourquoi il est si important, c’est l’objet de ces pages en forme de clin d’œil…

Éditions Apogée


II

L’humour, pourquoi ?

D’où vient cette appétence pour l’humour dans son style anglais comme dans sa variante étendue ? Quels en sont les ressorts d’ordre moral et psychomoral ? Quelles que soient les situations envisagées, l’humour comporte toujours une opération de mise à distance, de prise de recul et de tentative de maîtrise des situations désagréables, déplaisantes voire dramatiques. Il lui revient d’alléger le poids de l’angoisse et de la tristesse pour se prémunir du désespoir et de l’ennui.

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Surprenant ? Excessif ? Non. Il est d’ailleurs frappant de constater que la plupart des grands humoristes furent des individus tourmentés, en proie à la déprime chronique, mal dans leur peau. Gorki remarquait : « Les gens qui rient le plus souvent sont ceux dont le cœur souffre sans cesse. » Qui s’en serait douté à propos de Dac, Devos, Fournier, Sempé ou Raynaud ? Et pourtant ! Mais il n’y a pas que cette part sombre même si elle ne quitte que rarement l’horizon. Il y a aussi celle du jeu, du plaisir de l’intelligence qui participe non moins de l’opération de mise à distance de l’ordinaire et d’oxygénation de l’existence. Et c’est bien pourquoi comme le dit très bien Jean-Louis Chiflet si « l’humour est léger, il n’est pas à prendre à la légère et s’il est futile, il n’est ni frivole ni gratuit ». Et l’Académie française ne s’y est pas trompée en déclarant en 1994 que « l’humour doit être pris au sérieux » en cela qu’il « enseigne la modération et un certain art de vivre ». Comment ne pas être d’accord  ? L’humour c’est sérieux et c’est ce qui permet de contenir et combattre « l’excès de sérieux » qu’épinglait Tristan Bernard après beaucoup d’autres.

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La mise à distance s’opère dans une triple direction : face aux événements, face à soi, face aux autres.

1- Face aux événements pénibles Au moment de l’attribution du prix Femina 2009 pour son livre On va où, papa ? consacré à ses deux enfants handicapés*, Jean-Louis Fournier confiait à la presse : Je n’ai jamais su faire que cela : user de l’humour et d’une certaine distance. J’ai toujours banni le pathos. Cela m’a permis de survivre et de résister à ce drame d’avoir deux enfants handicapés […]. Avec ce livre, j’ai découvert une sorte d’humanité.

Et l’auteur de gloser sur les « avantages » de la situation : pas d’orientation professionnelle, pas de choix du métier… ! Sinistre, ont dit certains qui manquaient décidément d’humour. Fournier aurait pu leur répondre

* Stock, 2009.

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en reprenant ce qu’il disait à propos de son ami Desproges : On l’a accusé d’être insensible… Mais ses plaisanteries sur son père atteint d’un cancer n’étaient pas méchantes. Elles témoignaient d’une forme de tendresse. De la même façon, j’essaie de parler de ce qui m’est arrivé en le détournant pour ne pas être grave.

Tout est dit de sa fonction de dédramatisation en vue de rendre la situation, l’événement, l’existence plus supportable. Il constitue un puissant antidote aux désagréments, au tragique même, par une légèreté, une forme de diversion, de « détournement » comme dit Fournier, censé alléger le poids de l’instant. Il est, selon le mot de l’humoriste belge — même s’il a été souvent attribué à d’autres (Breton, Vian…) — Achille Chavée, « la politesse du désespoir ». Magnifique formule qui exprime bien son lien avec la sagesse dans une forme d’élégance stoïque face au monde. Un mot de Tristan Bernard l’illustre parfaitement. Au dessert, son épouse aborde un sujet qui la préoccupe. Et Tristan se met à blaguer.

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– C’est insupportable, il faut que tu blagues avec tout. – Bien sûr, c’est cela qui nous fait vivre !

Et c’est le même qui, incarcéré à Drancy en tant que Juif, répondra à qui lui demandait s’il avait besoin de quelque chose : « Oui, un cache-nez ! »

La vie ordinaire Pour comprendre cette fonction essentielle de l’humour, le mieux est de partir de la vie ordinaire. Voilà un enfant qui tombe et se blesse légèrement : le réflexe est d’humoriser : « Tu vas avoir une jolie décoration au genou ! » ; « Un cow-boy ça ne pleure pas ! »… Et ces formules toutes faites, usées jusqu’à la corde qui permettent encore de dissiper la gêne à l’occasion d’un départ : « Les bons s’en vont et les mauvais restent. » Ou, lors de la visite à un malade, on se creuse la tête pour trouver un petit mot d’introduction plaisant : « Alors, comme ça, on se paie du bon temps… !  » Ou lorsque s’instaure un silence gênant, recours à la formule rituelle : « Un ange passe ! »

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Même dans les situations plus tragiques de disparition d’une personne, les plaisanteries autour de l’histoire du défunt viennent spontanément ou en forçant un peu les choses. Elles sont une manière d’honorer sa mémoire par l’évocation des bons moments passés en sa compagnie : « Ah, tu te souviens… il nous avait tellement fait rire… » Je lisais récemment que les anciens, lorsqu’il y avait tonnerre et éclairs se donnaient du cœur au ventre : « Tiens, voilà les anciens qui jouent aux boules là-haut ! » avec double bénéfice : alléger la nervosité liée à l’orage, et renforcer la communauté avec les disparus. Voici quelques traits d’humour face à des événements déplaisants.

La maladie Quand on jouit d’une bonne santé, on est accablé par mille soucis. Quand on est malade, on n’en a plus qu’un seul ! (Folklore juif)

Et renchérit Sacha Guitry : Quand on est malade, on n’a plus son nom, on n’a plus son âge, on n’a plus sa fortune, on

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n’a plus ses relations. On a sa température ! Que dis-je « on a » ? Même pas ! Les autres ont votre température : sitôt que vous l’avez, ils vous la prennent et ils l’emportent vite, dans la chambre à côté.

Ou bien ce clin d’œil de Jules Renard :

– Votre mari n’a rien. Il croit qu’il est malade dit le médecin anglais. Quelques jours après, pleine de confiance en ce grand médecin, elle vient lui dire : – Mon mari croit qu’il est mort.

L’âge Les bons mots abondent. Réaliste : Cela ne me gêne pas que les années filent. Le problème, c’est qu’elles m’entraînent avec elles. (Folklore yiddish)

Lucide : C’est merveilleux la vieillesse. Dommage que ça finisse si mal ! (François Mauriac)

Perspicace :

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Le drame de la vieillesse, ce n’est pas qu’on se fait vieux, mais qu’on reste jeune. (Oscar Wilde)

Archéologique : Plus je prends de l’âge, et plus mon mari archéologue s’intéresse à moi. (Agatha Christie)

Plus cruel : Vieillir c’est l’art d’accommoder les restes. (Pierre Reverdy)

Enjoué, à propos de Jeanne Calmant : Elle était si âgée qu’elle avait un exemplaire de la Bible dédicacé.

Et aussi sa réponse à la question d’un journaliste : – Madame, à quel âge le cœur d’une femme cesse-t-il de battre pour un homme ? – Ah ça, monsieur, demandez-le à une plus vieille que moi !

La mort Là, l’imagination explose à proportion de l’angoisse*. * Cf. M. Séry « Le comique funéraire connaît une nouvelle vogue », Le Monde, 15 février 2009.

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12 € ISBN 978-2-84398-464-8

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L’Humour c’est sérieux !

Jacques Le Goff est professeur émérite des universités. Il a enseigné à la faculté de droit de Brest et fut pendant dix ans inspecteur du travail. Il est également président de l’association des amis d’Emmanuel Mounier. Il vit à Quimper (29).

ÉDITIONS APOGÉE

L’humour se porte mal. Il fout le camp, victime de nombre d’« humoristes » qui le dénaturent à longueur de journée sur les antennes. Sous prétexte qu’ils font rire, ils en concluent à leur génie humoristique. Rien de plus faux. Car si l’humour fait sourire, souvent rire comme l’illustre ce petit livre, il ne se définit pas par le rire. Sa raison d’être : aider à vivre en allégeant le poids des jours. Comme l’a dit un réalisateur turc : « Seul l’humour nous aide à supporter la tragédie. » Il met de la lumière dans l’ordinaire, rend la relation sociale plus plaisante et peut même guérir. Redécouvrir ce qu’est l’humour et comprendre pourquoi il est si important, c’est l’objet de ces pages en forme de clin d’œil…

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