Maurice Le Scouezec

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ISBN 978-2-84398-383-2 20 € TTC

Denise Delouche

(1881-1940)

rébellion Maurice Le Scouëzec (1881-1940) ou la dernière rÉbellion

Pour la première fois, une historienne de l’art se penche sur cette personnalité hors du commun et tente de replacer l’œuvre dans les grands courants de son époque.

Maurice Le Scouëzec ou la dernière

Éditions apogée

Connu, oublié, ressuscité… une trajectoire à la fois banale et originale que celle de Maurice Le Scouëzec. Banale, car c’est le lot de la plupart des artistes de traverser après leur mort ce qu’il est convenu d’appeler un purgatoire, avant que l’histoire, si elle le fait, leur accorde un certain intérêt. Originale parce que son œuvre a littéralement été enfouie pendant cinquante ans. Connu et même célèbre, il l’a été dans les années vingt. Actif à Montparnasse, il a exposé dans cafés, galeries et salons officiels des peintures inspirées de Paris et de l’Afrique. Il a été largement reconnu par la critique comme « un peintre, un vrai, sans chiqué, sans écoles ». Oublié ensuite parce qu’il n’expose plus à Paris, parce qu’il s’en va peindre à fresque dans un village normand, parce qu’il se retire en Bretagne où il meurt discrètement. Oublié surtout parce que rien n’a été fait pour entretenir la mémoire pendant des décennies. Ressuscité à la fin des années quatre-vingt quand son fils entreprend de le faire connaître, restaurant les peintures, publiant ses écrits, écrivant lui-même sur son père. Les amateurs s’enthousiasment, les marchands s’en saisissent et la commercialisation jette alors un voile de suspicion sur l’œuvre ainsi réapparue dans sa diversité.

Denise delouche avec les témoignages d’Erwann Rougé et de Françoise Deniaux

Éditions Apogée


En couverture : Maurice Le Scouëzec, Marins hâlant, huile sur papier, 194 x 133 cm, C.P. © Éditions Apogée, 2010 ISBN 978-2-84398-383-2


Denise Delouche

avec les témoignages d’Erwann Rougé et de Françoise Deniaux

Maurice Le Scouëzec (1881-1940) ou la dernière rébellion

Éditions Apogée


Sommaire

Avertissement / 5 Connu, oublié, ressuscité / 6 « Ce besoin de révolte qui vous dévore » / 7 Une carrière prometteuse délibérément interrompue / 19 « Retrouver la vraie terre, la ruche primitive, le fond humain qui est en soi » (1924) / 31 Les renouvellements loin de Paris / 41 Où le situer ? / 50 Compléments L’atelier, un témoignage. Erwann Rougé / 51 La belle rencontre. Françoise Deniaux / 57 Annexes Maurice Le Scouëzec aux Salons parisiens / 60 Bibliographie / 61 Index des noms de personnes / 63


Avertissement

Ces textes auraient dû accompagner une exposition, ils ont été écrits pour

un livre catalogue qui aurait dû sortir avec les illustrations correspondant à cette exposition…

Mais l’un de ces textes est un témoignage sans doute trop vrai, un miroir tendu à quelques années d’écart. Même si, aujourd’hui, un galeriste confirme le témoignage en nous avouant « Cela s’est passé comme cela, mais cela ne se dit pas ». Il est certainement abusif de penser que ce rappel est difficilement audible si l’on en croit les efforts qui, semble-t-il, ont été déployés pour que ce texte ne soit pas publié… La solidarité des

auteurs a fait le naufrage du beau livre catalogue. L’exposition, un moment menacée du même naufrage, a été sauvée à ce prix…

Dans la société marchande qui est la nôtre, depuis la Renaissance l’art et l’argent ont toujours été liés. L’artiste indépendant a besoin de trouver amateurs, d’exposer, de vendre ses œuvres et l’intermédiaire

marchand lui est indispensable s’il veut réussir à « vivre » de son art. Maurice Le Scouëzec a exposé, vendu, avec une belle notoriété dans les années vingt, mais il est mort assez oublié en 1940 et ensuite ses œuvres ont « dormi », en caisses, pendant cinquante ans.

À la réapparition de cet exceptionnel fonds d’atelier, le marché s’est emparé de Maurice Le Scouëzec : salles

des ventes, galeries, amateurs de toutes sortes, les vrais et les spéculateurs, ont promu, acheté, diffusé… La qualité de l’œuvre justifiait toutes les démarches. Et en ces années 1980-1990, ou le marché de l’art flam-

bait, la rapide et spectaculaire montée de « la cote » Le Scouëzec a convaincu les amateurs de la certitude d’un bon placement et les affairistes de la possibilité de gains substantiels à court ou moyen terme.

Durant sa brève carrière, l’artiste n’avait jamais réussi à s’entendre durablement avec un marchand (tout en

reconnaissant la nécessité d’une telle entente pour faire carrière), refusant, disait-il « de faire le beau »… C’est un étonnant retournement, cinquante après sa mort, et vingt ans après cet emballement du marché

de l’art, que de voir une exposition rétrospective et son catalogue contestés pour un tel rappel des faits. Maurice Le Scouëzec n’est plus là pour protester…

Les devenirs de ce fonds Le Scouëzec intéressent l’historien de l’art, ils font partie de l’histoire de la

peinture contemporaine. Le cas est d’autant plus intéressant qu’il est presque caricatural dans la rapidité de son déroulement et ses excès.

L’historien de l’art a le devoir d’enquêter, il revendique la liberté de faire appel aux témoignages sur des faits qui, au demeurant, ont été de notoriété publique en Bretagne il y a une vingtaine d’années et le droit

de les faire connaître. Car l’œuvre d’art retient son attention pour ses qualités intrinsèques, mais aussi pour la façon dont elle s’est insérée dans la société au moment de sa création, dans le vécu de l’artiste et ensuite post mortem, au regard des générations suivantes.

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Une carrière prometteuse, délibérément interrompue

Après avoir bourlingué sur les mers du

monde, voyagé en Afrique, au Mexi-

que, après engagements, désertion, guerre et finalement réforme — avec

une petite pension militaire —, c’est en

1917 qu’il opte pour la voie picturale. Commence alors à Aix

puis à Montparnasse, une carrière parisienne coupée de voyages lointains, Afrique et Madagascar, et interrompue délibérément

en 1933. Le journal qu’il tient alors irrégulièrement nous révèle les interrogations d’un artiste débutant et ambitieux.

Il a choisi de vivre à Montparnasse (il a habité rue Campagne Première et rue Delambre). Selon les témoignages, le quartier

est alors encore une sorte de village avec des arbres et de l’herbe entre les pavés, animé par ses deux cafés, La Rotonde et Le Dôme

que Le Scouëzec fréquente bien sûr (des pages du journal sont écrites sur du papier à en-tête de La Rotonde) ; s’y développe

alors la première colonie d’artistes vraiment internationale : Foujita, Modigliani, Kisling en sont les plus célèbres. On ignore

à peu près tout des relations qu’il a pu nouer, sauf l’amitié de quelques étrangers peu connus. On n’est pas sûr que le portrait

annoté « Ossip » soit celui de Zadkine (qu’il aurait pu connaître à la Grande Chaumière) ; le témoignage de Giacometti et l’exemple de Mondrian montrent qu’on pouvait rester solitaire dans ce quartier cosmopolite.

Maurice Le Scouëzec, tel qu’on pouvait l’apercevoir sur les boulevards de Montparnasse ou à la terrasse de La Rotonde dans les années vingt.

Parmi la faune des Montparnos aux costumes volontiers défraîchis, où les origi-

La Visite, huile sur toile, 50 x 73 cm, C.P. Cette œuvre, de la même veine que le tableau La Visite à l’hôpital, exposé en 1920 a fait la couverture du livre d’un médecin de Narbonne, Paul Duplessis de Pouzilhac La Poignante agonie publié à Toulouse en 1924.

rouge. Photos et autoportraits campent le personnage : allure élégante et longi-

naux ne manquent pas, il impose sa silhouette : hautes guêtres de cuir et feutre

à larges bords qui accompagnent tantôt une longue veste, tantôt une chemise ligne, traits acérés et regard incisif.

Montparnasse, ce royaume de liberté, nourrie par la fureur de vivre qui suit

les horreurs de la guerre, ne pouvait que séduire Maurice Le Scouëzec,

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l’insoumis, le rebelle, l’asocial, l’écorché… Il s’insurge en permanence contre toute autorité qu’elle soit religieuse, militaire ou même administrative, écœuré par la société entière et une civilisation fondée sur

l’argent et l’arrivisme. « Je refuse l’aide, je refuse de plier aux exigences sociales », écrit-il en 1918 1. Il s’interroge sur l’objet même de sa peinture

et sur les moyens d’arriver à la notoriété au milieu de ce foisonnement créatif de Montparnasse et de Paris.

Le fauvisme a libéré la couleur ; l’expressionnisme a osé la violence ; le

cubisme a brisé les valeurs traditionnelles de l’art ; Dada a remis en cause l’art lui-même et bientôt les surréalistes vont libérer les forces enfouies au plus intime de l’être… Tous les choix sont ouverts à un homme déjà

mûr, qui cherche à s’affirmer sans compromission. Il n’en dit rien dans son journal. Dans l’œuvre, le traitement des volumes révèle qu’il a scruté

les propositions cubistes pour en tirer très vite une formule personnelle. Quant à ses admirations envers les grands défricheurs de la fin du xixe

Nature morte, huile sur papier marouflé sur toile, 74,5 x 52 cm, C.P. C’est en 1918 que le peintre soucieux à ses débuts d’explorer tous les sujets, aborde la nature morte à travers le thème des fleurs, oscillant entre un rendu illusionniste et (ici) une composition plastique très étudiée. Café La Villette, crayon et aquarelle sur papiers collés, 105 x 103 cm, 1922, musée de la Loire, Cosne-Cours-surLoire. Au-delà du croquis campant les hommes, Maurice Le Scouëzec restitue l’ambiance du café populaire.

siècle, nous n’avons qu’un seul indice : il possédait une gravure de Gauguin.

Ce n’est pas vers la recherche théorique qu’il va pencher, mais vers l’expression de

la vie : « Il ne faut qu’observer, voir, percevoir et rendre la vie […] faire sortir une

chose vivante dans une atmosphère vivante » et, plus précisément, « faire sentir, exprimer les grands sentiments humains […] exprimer les attractions psycho-

logiques […] exprimer des sensations ou des passions ». L’absolue nécessité de

l’originalité s’impose à lui, « besoin de faire quelque chose de non vu », mais il

corrige : « Cela c’est idiot : éteindre cela le plus vite possible et rester en une note purement toi, sans chercher à épater. »

Au-delà de cet objectif global, le rebelle voudrait bien exprimer également ce dégoût d’une société

basée sur l’argent. Mais outre qu’il doute de l’efficacité d’un tel message, il juge que c’est plus du

registre de la littérature que de la peinture. « Peindre une idée, exprimer quelque chose, tu es fou », se reprend-il. « Je ne veux pas faire de la littérature. Il faut donc que j’arrive à exprimer tous les tropismes que je rêve avec de la peinture. »

1. Journal de Montparnasse et de Bretagne, l’œuvre écrit du peintre Le Scouëzec, Beltan, 1994. Toutes les citations de ce chapitre sont puisées dans ce livre.

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« retrouver la vraie terre, la ruche primitive, le fond humain qui est en soi » (1924)

Cette carrière de peintre ne le satis-

fait pas : « Je souffre physiquement d’être stable, c’est énorme mais cinq

ans de Paris, m’ont totalement vidé », écrit-il à Anvers en mars 1924 4. Le

milieu parisien l’a déçu. « Dans tout

ce milieu d’artistes, on chercherait

avec beaucoup de peine une personnalité, un tempérament » et peu après il fustige en vrac le talent commercial d’Alice Halicka (1895-1975), de Jacqueline Marval (1866-1932), de Yves Alix

(1890-1969), de Maurice Denis et de Georges Rouault. Pour lui, le cubisme est mort (c’est le seul mouvement qu’il cite) et « ce milieu parisien est démoralisant, amollissant ». Il craint les habitudes et aspire au « courage de partir, d’aller n’importe où », pour « revenir à la première idée, au fond même des choses ».

Dès 1918, il avouait préférer « aller traîner sur les routes de France ou d’ailleurs plutôt que d’al-

ler chez un marchand lui proposer [ses] peintures ». En 1924, alors que le succès se profile, il se

persuade qu’il n’a pas réussi à exprimer cette révolte qui l’animait. Plutôt que chercher à Paris « les surexcitations nécessaires au travail », il va « chercher l’air du grand large », suivre son tempéMarins hâlant, huile sur papier, 194 x 133 cm, C.P. Observation ou souvenirs de mer ? L’action qui rassemble ces hommes en une pyramide instable permet au peintre de souligner, comme souvent, l’entêtement des efforts humains dans une nature souveraine.

rament qui, très jeune, l’avait fait partir en quête « d’horizons immenses et de

forêts vierges », résurgence selon lui de « la vielle race, très très vieille qu’ils ont

canalisée chez le Breton et dont ils ont fait des matelots » (il se sert souvent de ce « ils » indéterminé pour dénoncer tout ce qu’il réprouve).

À des dates diverses, sa peinture laisse deviner ce rêve de voyage. En 1921, il a

peint des Marins sur le quai à Port-en-Bessin, visages occultés, silhouettes simplifiées, ils parlent sur le quai lumineux, devant le lointain marin. À Paris, il peint le

train en gare (il le peindra aussi à Bamako) ; en Bretagne c’est le thème de la route, avec toujours des silhouettes qui s’éloignent.

Entre 15 et 20 ans, trois engagements ont assouvi son besoin de courir les mers. En 1905, à 25 ans, il est parti pour un premier voyage africain et en 1909, il a cherché l’aventure au Mexique. Il n’était pas alors peintre. En 1923, l’artiste a accepté le prix de la Compagnie de la Navigation mixte et en

1925, une bourse de voyage de l’A.O.F. va lui permettre de tenter l’expédition africaine, cette fois en peintre. Sa soif de terres lointaines a été plus forte que son mépris du système établi. 4. Journal de Montparnasse et de Bretagne, op. cit.

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Trois voyages importants scandent la carrière du peintre : deux en Afrique occidentale, le premier

en 1925 au Soudan. Ce voyage est peu documenté car il n’a pas laissé de notes. Les œuvres qui en sont issues, complétées, achevées (ou composées de mémoire, on ne sait) seront exposées à Paris à

l’automne. La moisson du second voyage à travers l’Afrique occidentale française en 1928 est plus importante et mieux connue. En 1930-1931, le dernier voyage a pour but Madagascar. En 1928 et en 1930, sa compagne, Mathilde Merle l’accompagne.

En Afrique, sa toute première impression est positive : « Tout semble fait dans un but indigène

écrit-il, non seulement de peuplement mais d’amélioration de son état d’existence 5. » Mais quel-

ques pages plus loin le ton change : « J’ai vu surtout cette exploitation du Noir à notre bénéfice. […] Blancs, ingénieurs officiers, gouverneurs, en avant pour Dieu et la patrie, les filatures vont tourner ; c’est les petits frères noirs qui paient. » Et dès lors, son opinion ne changera plus.

Même si les jugements lapidaires s’égrènent sur colons et fonctionnaires, le peintre s’attarde peu à de tels sujets. Dans ses notes, des piroguiers, des cavaliers, des canéphores, des femmes portant

leur enfant et des pileuses de mil. Pas d’anecdotes et peu de festivités (tels danseurs ou tam-tam). Il localise souvent croquis et peintures, à Sikine, Ségou, Douan, Toubalou, Dedougou ou Bobo Dioulasso…

En Afrique comme à Madagascar, ses choix se situent aux antipodes de l’orientalisme : pas de

végétation ni d’architectures exotiques, pas de costumes pittoresques. Aucune odalisque chez celui qui a tant peint la femme de Montparnasse, alors que Matisse cultive toujours le thème longtemps

après son dernier voyage au Maroc (on ignore ce qui se cache derrière le titre de Harem exposé en 1932). Au retour, lors de l’escale égyptienne en 1931, il note les silhouettes sommaires, inélégantes

des femmes en noir portant des outres « toutes le voile noir couvrant le nez et la bouche. En général elles sont fortes sans parler de celles qui sont énormes ».

Le voyage est dominé par le souci de comprendre l’autre. Aucun sentiment de supériorité du Blanc métropolitain et pas plus d’inclination pour le primitivisme à l’instar de Gauguin. Autour

de Tananarive, relevons une note symptomatique de cet état d’esprit : « Ils ont des chants et des

danses. Ces dernières n’ont vraiment rien de caractéristiques mais leurs chants sont très curieux,

très terroir, pleins de déformations, d’absence de proportions et d’une spontanéité très particulière. Il est certains qu’ils se rapportent directement au caractère du pays. » Quand il le peut, surtout à 5. « L’Afrique », l’œuvre écrit du peintre Le Scouëzec, 3, Beltan, 1993. Toutes les citations suivantes en sont extraites.

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Madagascar où il séjourne plus longtemps, il se documente sur

la faune, la flore, l’histoire, l’adaptation de l’homme aux conditions physiques (avec toujours les mêmes conclusions sur « le paysan fellah… celui-ci travaille et les autres en profitent », ou

encore : « Il n’y a pas de colonisation, il y a un mot plus juste, il y a vol »).

Arbres de la brousse ou La Savane aux environs de Ségou, huile sur toile, 60 x 80 cm, 1928, musée du Quai Branly, Paris, (don Ary Leblond, 1935). Trois plans colorés superposés, deux verticales massives projetant une ombre économe : Maurice Le Scouëzec résume l’aridité extrême du paysage africain.

Sur son travail lui-même, il est très peu loquace. En Afrique, il dessine — mine de plomb ou

fusain — dans un gros cahier de voyage. Les aquarelles et les huiles, en général de grand format, sont sur papier. Il a aussi fait quelques peintures sur une grosse « toile à sac » que la critique relèvera. Il faut un incident météorologique pour qu’il laisse quelques notes. À Madagascar, en

janvier 1931, « il pleut. J’ai travaillé dans ma chambre […] J’ai idée de peinture. J’ai au moins deux ou trois toiles en gris argent avec ce fond de montagne étrange ». Quelques jours après, la

voiture est prise dans les eaux, une vingtaine d’aquarelles « acceptables » sont récupérées (l’envers de certaines portant en décalque la trace des œuvres perdues).

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accouché d’un enfant mort à Ouadagoudou (« tous les gosses me donnent envie de pleurer », confie-t-il

à son journal) : enfant accroché à la hanche ou porté sur les reins, ces nus de mères à la peau noire, cuivrée

ou bleutée, sont parmi les évocations les plus heureuses du peintre.

Dès l’automne 1925 il avait exposé à Paris dix-

sept œuvres rapportées du Soudan à la galerie Le Vermillon, rue du Bac. Il en montrait deux au Salon d’automne. En 1926, 1927, 1930, le Salon colonial Au Zoma, marché de Tananarive, L’un des deux hors-texte en couleurs du livre Madagascar et dépendances publié en 1931 sous le patronage du commissariat général de l’exposition coloniale. L’héliogravure rend parfaitement la finesse des couleurs aquarellées et la qualité des blancs. Femme noire avec un enfant, huile sur toile, 120 x 79 cm, C.P. Fragilité et force de l’être humain, cette femme est seule dans un paysage vide, mais elle porte la vie et fait face à l’immensité : cette maternité est emblématique de la vision africaine de Maurice Le Scouëzec.

de la Société des artistes français en accueillaient

et en 1933, c’est vingt-deux œuvres de Madagascar, Égypte et Zanzibar que le Grand Palais proposait 6. La préface signée Robert Rey pour la galerie Le

Vermillon donne le ton à la critique : « Ce n’est point du documentaire. Il a

vu les harmonies de ces êtres dont les os ou les viscères pointent ou ballon-

nent […] On n’avait pas encore osé peindre l’Afrique toute nue 7. » La critique salue des « œuvres sévères, justes et vraies », et Robert Rey parle de « synthèse

de désolation tropicale. Elle n’est pas sans rapport avec l’inspiration qui guida

Puvis de Chavannes par exemple dans Le Pauvre pêcheur ». La réputation de « Le Scouëzec l’Africain », « le juif errant des tropiques » s’installe, même si des critiques ont quelque mal à accepter « ses simplifications excessives, parfois

originalement expressives mais [qui] escamotent trop la richesse des sujets ». Certains s’attardent sur la qualité plastique : « Ses jaunes sont brûlés par le soleil

et l’air poudreux, ses gris sont d’une tristesse infinie. » « Le Scouëzec établit largement les grands

plans de ses paysages, de ses noirs qui nettement découpent sur la clarté des sables leurs sombres silhouettes. » Tous les critiques soulignent la différence fondamentale de sa vision avec celle des

orientalistes : rien de conventionnel, rien de factice, « aucun dramatisme. Son art n’exprime nulle philosophie, nulle métaphysique et surtout nulle littérature » 8.

6. Voir à la fin de ce volume « Maurice Le Scouëzec aux Salons parisiens ». Le répertoire des catalogues du Salon colonial de la Société des artistes français vient d’être publié par Pierre Sanchez (Dijon, L’Échelle de Jacob, 2010). Voir la bibliographie. 7. Revue de presse déjà citée. 8. Notons deux brefs articles dans le New York Herald et dans le Chicago Tribune dès 1925, échos américains dus à des journalistes présents à Paris.

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Les renouvellements loin de Paris

Si l’on se fie aux coupures de presse qu’il avait soigneusement gardées, la fin de la décennie 20 correspond à

l’apogée de sa carrière, avec deux longs articles monographiques saluant « le peintre de l’Afrique ». Après

1931, année de la publication du livre sur Madagas-

car, les critiques se raréfient et s’anémient. Aucune en 1935, 1938, 1939 — il n’expose plus. En

1933, la gerbe de critiques qui saluent les fresques normandes ne dépasse pas la région : Maurice

Le Scouëzec a changé d’univers… Comme s’il délaissait la poursuite d’une carrière pour explorer des techniques autres et satisfaire sa passion du métier.

Il ne nous donne que fort peu de renseignements sur son intérêt pour les techniques qu’il utilise.

Son médium de prédilection est l’aquarelle ou une huile très diluée, étendue sur un support papier. Mais il a aussi travaillé une matière plus riche, au couteau. On sait sans plus qu’il a fait quelques essais sur une grosse toile de jute et expérimenté la peinture à l’œuf.

Tardivement (dans les années trente), il a abordé la gravure. Mais dans ce domaine, c’est moins la

recherche d’un nouveau moyen d’expression que le recensement de ses principaux sujets de tableaux Autoportrait à la palette, huile sur papier, marouflé sur toile, 81 x 54 cm, musée de Plougastel-Daoulas. Le dernier autoportrait du peintre, c’est un des plus sévères et des plus intimes : traits émaciés, regard aigu et anxieux et toujours la volonté de travailler.

qui le préoccupe, avec peut-être le désir de diffuser un peu son œuvre (cepen-

dant les tirages ne semblent pas dépasser vingt-cinq). Tous les sujets abordés

dans l’eau-forte sont ceux de la peinture (sauf un). Il use de fines tailles croisées, qui restituent les modelés en les enfermant dans des contours simplifiés. Quelques états successifs apparaissent, mais plus liés à l’évolution d’une composition

(il ajoute des personnages) qu’à un approfondissement des effets graphiques.

Au moment de l’inventaire de l’atelier, beaucoup d’estampes étaient uniques, d’autres en quelques exemplaires (au maximum neuf )… On ignore quelle a été la diffusion de ces gravures, la critique n’y accorde aucune attention 10.

En répondant en 1932 à la commande amicale du curé de Pont-d’Ouilly dans le Calvados pour

décorer une petite chapelle dédiée à saint Roch, l’exploration d’une technique inconnue a sans doute été déterminante : Peindre a fresco, sur mortier frais, à la suite des grands de la Renaissance, s’offre

à lui comme une nouvelle aventure. La fresque va lui permettre d’aller plus avant dans le sens du dépouillement et de cultiver les tons discrets et rares qu’il aime.

10. Il avait conservé les cuivres. Un retirage sera fait, à soixante exemplaires, sur un papier à grandes marges. Ces épreuves sont signées au crayon GLS (Gwenc’hlan Le Scouëzec ?).

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rapport au prêtre] a une morale libre, qui ne juge ni ne dirige ». Et son esprit toujours prompt à spéculer fait le lien entre « les Breiz et les Égyptiens » et imagine une transmission !… Le druidisme lui

paraît encore vivant dans ce pays et il croît en trouver une trace dans le temple circulaire de Lanleff (« vers le ixe ou xe siècle, le druide

caché, non écrasé, se relève et crée Lanleff »). Dans de brefs textes

qu’il intitule L’Esprit druidique, il déplore la submersion de ce qu’il appelle les réalités Breiz sous « les hypocrisies judéo-chrétiennes » et le métissage avec « la bassesse latino-française ».

On sait qu’en 1929, il a retardé son retour à Paris, jusqu’au 11 novembre, pour que son fils naisse en terre bretonne.

D’après l’inventaire du fonds de l’atelier, chaque année à partir de 1924, l’inspiration bretonne donne de cinq à huit œuvres, vingt-huit en 1924, 1926 et quarante-huit en 1929. Après 1934, elle est exclusive 14.

De la Bretagne, il connaît surtout le Finistère nord qu’il sillonne à

partir de Landivisiau ou de Plouescat (jusqu’à Sizun, Le Huelgoat). S’il a fait de plus amples tournées, en 1921, 1929, en Morbihan et Pays bigouden, sa connaissance de la péninsule reste fragmentaire.

La thématique bretonne est spécifique mais rappelle parfois l’Afri-

que. Des souvenirs visuels interfèrent : ainsi la carcasse marine du

Cimetière de bateaux évoque ces squelettes desséchés qu’il a pu voir en brousse. Dans ce pays de grand vent, ses paysages de bord de mer

sont amples, simples, comme en Afrique, réduits souvent à quelques plans colorés de part et d’autre de la ligne d’horizon, structurés par L’Homme de Landivisiau, crayon et aquarelle sur papier, 43,5 x 20 cm, 1924, musée de la Loire, Cosne-Cours-sur-Loire. Maurice Le Scouëzec note le costume régional mais sans cultiver l’exotisme. Le Breton est saisi en plein mouvement d’un crayon rapide et en quelques taches colorées.

un alignement de blocs rocheux ou la fine crête d’une dune. Y règne la même solitude que dans la brousse africaine, et c’est pour le pein-

tre, dans une lumière autre, le même souci du raffinement coloré. Aussi ténus et aériens, les paysages aquarellés de l’intérieur, crête du Roc’h Trévezel ou marais du Yeun Ellez.

14. L’Œuvre dessiné, peint et gravé de Maurice Le Scouëzec, 1881-1940, Brasparts, Beltan, 1991.

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Comme en Afrique, les maisons qu’il peint sont fermées sur

elles-mêmes, murs souvent sans fenêtre, chapelles tapies au sol, sans aucune animation à leurs abords. Il ignore tout pittoresque architectural dans cette région dite des enclos paroissiaux qui

attire les touristes et s’il peint le clocher de Sizun, très simplifié, il n’est là que pour ponctuer la cohésion architecturale. À l’in-

Vent sur la montagne d’Arrée, huile sur papier marouflé sur toile, 113 x 145cm, C.P. On cherche en vain l’anecdote qui rassemble ces Bretons. Le sujet du peintre est l’être humain confronté aux forces de la nature, le vent qui dévoile, gifle, bouscule, arcboute et rend fort.

térieur de ces maisons, il retrouve, le « strict nécessaire » qui lui rappelle celui du fellah : « Quatre

murs nus, deux ou trois buffets en noyer et deux ou trois lits clos installés de façon à couper les courants d’air dont ces huttes sont pleines, le sol c’est la terre battue, bossuée. »

L’empathie de l’artiste à l’égard des Bretons, paysans et pêcheurs qu’il voit vivre, donne à sa pein-

ture une coloration nouvelle, le regard est plus indulgent, l’approche moins désespérée, la peinture exempte de ces déformations qui avaient choqué à ses débuts parisiens.

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