La station de Pleumeur-Bodou a été créée en 1962 dans le but d’accueillir un réseau d’antennes de télécommunications pour la réception satellite, alors naissante. La plus connue de ces antennes, la plus emblématique, est sans conteste le Radôme, cet énigmatique dôme géant toujours visible dans le paysage du Trégor breton. C’est là que furent reçues les premières images de la télévision intercontinentale. C’était le 11 juillet 1962 et le satellite Telstar venait d’être lancé depuis Cap Canaveral. Le premier « direct » de l’Histoire, justement salué par le monde entier. Mais aussi le début d’une grande aventure scientifique et humaine qui a eu le radôme pour épicentre. Car les télécommunications par satellite n’ont cessé de se développer jusqu’à intégrer à tous les niveaux notre quotidien : gps, gsm, navigation maritime ou Internet…
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Stéphanie Stoll
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ISBN 978-2-84398-411-2
Conception Attitude Graphique Shutterstock® Photo © Louis-Claude Duchesne.
22 €
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éditions Apogée
Radôme
Un exploit technique raconté et illustré dans ce livre qui retrace les origines du projet, la détermination audacieuse de ses artisans et l’impact qu’il a eu jusqu’à aujourd’hui.
Radôme des hommes à l’écoute du monde Stéphanie Stoll
éditions Apogée
Stéphanie Stoll a 36 ans, c’est-àdire 14 de moins que le radôme de Pleumeur-Bodou. Grâce aux mutations technologiques, dont le radôme fut justement un jalon, elle peut exercer son métier de journaliste tout en vivant à Louannec (22), le village de Picou, fils de son père, le fameux livre d’Edouard Ollivro. Sa curiosité lui interdit toute spécialisation, ce dont elle s’accomode fort bien. Elle écrit tantôt en français, tantôt en breton, en anglais ou en espagnol dans divers journaux régionaux ou nationaux. Quand le texte est plus long, ça fait un livre ; ainsi Sterenn, une histoire de la voile en Bretagne est paru chez Coop Breizh en 2008 et Les peintres et la côte de granit rose, aux éditions Jack, en 2012. (Portrait devant le radôme par Barnabé, 8 ans)
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Un gigantesque jeu de Meccano se met en place sous le radôme : la structure métallique de l’antenne, bien que légère et mobile, ne doit autoriser aucune vibration lors des acquisitions du lointain signal spatial.
Le rail courbe sur lequel l’antenne va devoir se déplacer à la poursuite du satellite défilant est usiné sur place pour plus de précision.
La silhouette de la structure métallique de l’antenne en construction dans le décor grandiose du Radôme évoque l’atmosphère d’une gare du xIxe siècle.
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La base de l’antenne présente une stabilité à toute épreuve et des connexions électriques hi-tech. Avant son impressionnant passage à la verticale, le col de métal de l’antenne cornet est monté au sol. On y travaille encore et c’est pourquoi l’immense cornet de l’antenne est ainsi tourné vers le sol, présentant une vue surprenante de son « pavillon » tout entier recouvert de plaques de métal.
Cette machine de 340 tonnes et 54 mètres de longueur devra être orientée vers le satellite avec précision.
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Les 28, 29 et 30 juillet 1962 a lieu le périlleux remplacement du second shelter par le radôme définitif : on a légèrement dégonflé l’ancienne enveloppe et apporté pardessus, à l’aide de grues, la nouvelle bulle synthétique. Pour Milton Punnett, l’ingénieur américain des radômes d’Andover et de Pleumeur-Bodou, c’est un peu comme « un gigantesque tour de magie par lequel on retirerait la chemise de quelqu’un sans ôter son manteau ».
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Il fallut recourir à des grues immenses – et construire un portique géant pour faire passer le radôme définitif au-dessus du shelter – et à un hélicoptère pour une assistance visuelle de l’opération.
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Radôme, yeswecan !
32 En dépit de ses gigantesques dimensions, le radôme est parvenu à se frayer un chemin dans les pages du dictionnaire, entre les mots radja et radon. Le petit Robert le définit comme un mot technique, formé en langue anglaise sur les mots radar et dôme, désignant un « dôme en matière plastique protégeant une grande antenne ». C’est finalement cette étonnante enveloppe de protection qui a donné son nom à la station de réception satellite. Dès le développement de l’immense antenne-cornet (• p. 36), les ingénieurs américains ont pris conscience de la nécessité de l’abriter des conditions climatiques. Contactée, la société multinationale Goodyear a considéré que la réalisation d’un tel radôme était techniquement impossible. Ce qui ne fut pas l’avis de la petite entreprise Birdair, fondée par Walter Bird, en 1955, à Buffalo dans l’état de New York, tout près des chutes du Niagara ; déjà en 1946, Walt Bird avait gonflé son premier radôme. Les premiers contrats qu’il décroche sont ceux de l’armée 40 (protection de radars de longue portée dans la région arctique) ainsi que la couverture de terrains de tennis ou de piscines, ce qui vaut à la petite entreprise de faire la couverture du magazine Life en novembre 1957 41. Au début des années 1960, les « 005 » salariés de l’entreprise saisissent l’occasion du projet Telstar. « Vous connaissez la taille de Goodyear, s’amuse Milton Punnett, ingénieur du projet pour Birdair. Notre directeur d’affaire avait ajouté 00 à nos effectifs car il s’inquiétait de l’impression qu’aurait donné le nombre 5, tout seul, 40. Cf birdair.com/about/WalterBirdTribute.pdf 41. The last flight, homage to Walter Bird, with comments from those who knew him, Fabric architexture, September 2006. 42. Témoignage de Milton Punnett, http://www.ieeeghn.org/wiki/index.php/FirstHand%3aTelstar..._and_some_personal_recollections
et « IEEE milestones mark 40 years of television transmission across the Atlantic », 2002. 43. Hypalon était la marque commerciale de DuPont pour le polyéthylène chlorosulfoné, abréviation CSM, c’est un caoutchouc synthétique. 44. Le Dacron est une fibre polyester qu’on emploie aussi pour fabriquer des voiles de
sur un potentiel client. Comme pour le projet Telstar lui-même, nous transposions nos capacités d’ingénierie d’une base expérimentale. Notre petite entreprise allait construire [à Andover] le plus grand radôme jamais conçu ; nous utiliserions des matériaux qui n’existaient pas, des joint strengths jamais réalisés, un nouvel adhésif dans un procédé d’assemblage qui demandait encore à faire ses preuves. Tout cela, dans un délai visiblement impossible qui ne laissait aucune possibilité de faire machine arrière. Et ce n’est pas tout, à peine avions-nous commencé que nous étions informés qu’un second radôme allait être nécessaire pour la station française 42. » Birdair propose d’employer une matière textile inédite que Milton Punnett qualifie « d’hypothétique composite d’Hypalon 43 et de Dacron 44 » ainsi qu’un nouvel élastomère supposément plus résistant que le néoprène, d’après la firme DuPont qui avait observé une moindre dégradation sur des tuyaux de jardinage… Les chemins du progrès technique manquent rarement l’occasion d’enjamber les sentiers de la trivialité. L’ingénieur des matériaux a aussi veillé à ce que la surface du ballon soit hydrophobe (qu’elle ne retienne pas l’eau) car une infime pellicule d’eau sur le textile empêcherait de capter les ondes satellites. Milton Punnett a calculé les efforts du radôme, dessiné l’enveloppe, testé les assemblages, développé les machines-outils et les équipements nécessaires à la production, conçu les circuits du système de contrôle de pression ; il a aussi participé à l’érection des bateaux. Il est en téréphtalate de polyéthylène (PET), la même matière que les bouteilles en plastique.
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Le radôme, c’est aussi des dizaines de terminaux de télécommunications qui sont pilotés pour la France ou en relais pour toute l’Europe continentale. La photo montre le pupitre de commande qui a été installé pour la phase d’exploitation du radôme.
Le ballon est repeint tous les cinq ans par une équipe de peintres qui se faufilent dans un trou d’homme au sommet du dôme et installent au bout de filins une cabine mobile.
33 radômes. « J’ai fait cela grâce aux instructions et à l’implication de Walter Bird, insiste l’ingénieur américain. Son attitude ”on peut le faire” 45 a rendu possible notre participation au projet Telstar 46. » Le radôme de Pleumeur est formé d’une portion de sphère de 64,05 mètres de diamètre, dont le diamètre à la base (fixée sur la couronne du mur du bâtiment central) est de 58,50 mètres, pour une hauteur, à partir du même niveau, de 44,80 mètres 47. L’enveloppe, épaisse de 1,8 millimètre, est faite de 294 bandes étroites collées et convergeant au sommet ; son bord inférieur se replie, sur le couronnement du mur d’enceinte, sur un câble avec une bande de renfort. Des trous régulièrement espacés permettent le passage des boulons de fixation. Parfaitement étanche, cette enveloppe isole l’antenne de l’extérieur. La surface déployée du radôme est de 9009 m2 pour un poids total d’environ 30 tonnes 48 ; il a été transporté dans une seule caisse de 11 x 3,60 x 2,60 m. La bulle est constamment maintenue sous pression au moyen de cinq ventilateurs, alimentés par un groupe électrogène de 75 kVA. L’air insufflé est pompé à 60 mètres du site, puis desséché et climatisé, avant d’être injecté dans le radôme. Afin d’assurer la stabilité de l’ouvrage, la pression sous la bulle est augmentée en cas d’annonce de vents forts ou de dépressurisation. Confronté à des difficultés dans la mise au point du circuit de contrôle de pression, M. Punnett s’en était ouvert aux Bell Labs qui l’avaient aussitôt dirigé vers 45. En anglais, Milton Punnett parle de « ”can do” attitude ». 46. Témoignage de Milton Punnett, op. cit 47. Pour ces spécifications techniques, consulter « Le radôme, l’antenne, les équipements radioélectriques », article de Jean Dautrey paru dans la revue Regards sur la France, janvier 1963.
48. Les indications de poids et d’aire données par Milton Punnett et Jean Dautrey ne coïncident pas.
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Fleuron technologique de l’industrie française des télécommunications, le radôme cultive dès l’origine une fascination publique que traduit la multiplicité des cartes postales touristiques le représentant.
Il faut trois passages aux peintres pour couvrir le radôme, repeint tous les cinq ans : le premier pour enlever l’ancienne couche, puis pour poser deux couches d’Hypalon 48, soit environ 6 tonnes de produit.
34 leurs meilleurs spécialistes . « Ce fut une expérience instructive et encore aujourd’hui, les systèmes de pressurisation des radômes modernes s’appuient sur ces leçons 49 », témoigne l’ingénieur de Birdair. De fait, le radôme a résisté aux ouragans de 1964 – qui a emporté le centre de visite –, de 1987 ainsi qu’aux tempêtes de 1999, 2008 et 2010 (xinthia). Le calendrier serré du montage de l’antenne du radôme a conduit Birdair à installer une enveloppe provisoire, le shelter (• p. 34) sous laquelle serait monté le cornet. Utilisé à Andover comme à Pleumeur, ce shelter est reconnaissable à sa verrue de 13,50 mètres de diamètre. A Pleumeur, il est resté en place jusqu’au 30 juillet 50, les premières liaison avec Telstar furent donc établies sous le shelter. Le montage du radôme définitif s’annonçait comme un sombre casse-tête ; il fallut recourir à des grues immenses et à l’assistance d’un hélicoptère 51 afin de faire passer le radôme définitif par-dessus le shelter (les deux avaient les mêmes dimensions), dégonfler le second et gonfler le radôme. Pour Milton Punnett, la manœuvre confinait à l’agonie et au désespoir. « Ce procédé est décrit dans un journal professionnel comme l’équivalent gigantesque d’un tour de magie par lequel on retirerait la chemise de quelqu’un sans ôter son manteau, » ajoute M. Punnett 52. En 1998, France Télécom s’enquit de la pérennité de l’enveloppe textile synthétique et fit appeler Milton Punnett dont la société avait monté quantité d’autres radômes dans le monde depuis les années 1960 53. 49. Témoignage de Milton Punnett op. cit. 50. Compte-rendu écrit des travaux de génie civil de construction du radôme, Michel Girousse, transmis le 3 décembre 2011 à Marcel Jorand. 51. Regards sur la France, janvier 1963, p. 47. 52. Témoignage de Milton Punnett op. cit.
53. Clee Hill (Angleterre), Falske (Norvège), Raisting (Allemagne, 1965), Westford (USA), Mill Village (Canada, 1966) 54. Témoignage de Milton Punnett op. cit. 55. Les amis de la Cité des Télécoms, notes rédigées par Pierre Journé suite à un entretien
Pour un coût de 160 000 francs (24 000 euros), le radôme fut expertisé, on préleva des échantillons textiles qui furent analysés aux Etats-Unis. « Nous avons retrouvé un radôme en excellent état, ce qui dépassait de loin nos attentes au début du développement du projet » se réjouit M. Punnett, « le papa du radôme » dont la presse locale célébra le retour 54. Les Américains estimèrent le coût d’une enveloppe neuve (seule) à environ 3 000 000 de $ de 1997 55 (16,5 MF) auxquels s’ajoutent environ 10 MF de transport et installation sur site. (• p. 52)). Pour le protéger des rayons solaires, le ballon est repeint, tous les cinq ans, par une équipe de peintres qui se faufile dans un trou d’homme, accessible au sommet du dôme. Les ouvriers déroulent des filins jusqu’au sol et montent une nacelle ; ils font trois passages sur la paroi extérieure, le premier pour enlever l’ancienne couche blanche, puis deux épaisseurs de peinture Hypalon 48, soit environ 6 tonnes de produit, dont une tonne s’évapore 56. Ce chantier s’est tenu pour la dernière fois au cours de l’été 2011 57.
Le radôme a résisté aux ouragans de 1964, 1987 ainsi qu’aux tempêtes de 1999, 2008 et 2010 (xinthia). avec Marcel Jorand, le 16 avril 2008. 56. Ibid. 57. Spectacle sous le radôme, mars 2012.
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Yoko Tsuno, l’héroïne technophile de l’auteur de bande dessinée Roger Leloup, vient à PleumeurBodou dès le cinquième tome de ses aventures Message pour l’éternité (éd. Dupuis, 1975). Il faut dire qu’il est rare de pouvoir contempler ainsi une machine en mouvement tout droit sortie d’un scénario de science-fiction… (© Adagp, Paris, 2012)
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Plan détaillé de l’antenne sous son radôme sur les documents de l’époque.
L’antenne del’émotion
36 « Jamais je n’aurais imaginé que ce fût aussi beau. Sous le dôme de Dralon, sous cet immense parachute doucement bercé par le vent, se dressait dans une lumière dorée une rutilante et géante bête d’aluminium blanc, un monstrueux cornet terminé en forme d’oreille, baleine inconnue de 350 tonnes : l’antenne. » Au lendemain de la première liaison satellite avec les Etats-Unis, la journaliste de Libération, Katia Kaupp, n’en revient toujours pas 58. Aussi complexe soit-elle, l’antenne de Pleumeur n’est ni un simple objet technique, ni le jouet d’une compétition politique internationale ; chacun, peu ou prou, lui accorde une once d’humanité. Mais redevenons prosaïques et intéressons-nous aux aspects techniques de ladite antenne, PB1 (pour Pleumeur Bodou 1) dans le jargon des techniciens qui l’exploiteront de 1962 à 1985, en réception comme en émission, selon la technologie alors en développement au CNET, celle des « guides d’onde 59 ».
Corporation de Dover et Harrison (New Jersey). Ils ont retenu la forme en cornet pour ses propriétés anti-bruit (il s’agit du bruit radioastronomique) et sa bande large (suffisamment pour transmettre un signal télévision, par exemple). Afin de capter le murmure du petit satellite Telstar, PB1 (comme son homologue américaine à Andover) se doit d’être grande. Vraiment grande.
« Métaphoriquement, l’antenne de communication terrestre du projet Telstar doit envoyer un filet d’énergie vers un satellite de moins d’un mètre de diamètre situé à plusieurs milliers de kilomètres et, en retour, écouter le murmure de celui-ci. Elle doit fonctionner efficacement, tout en se déplaçant sur les axes horizontaux et verticaux. De plus, quelles que soient les conditions météorologiques, elle doit rester en service 60. » Telle est l’introduction des ingénieurs mobilisés par Telstar ; ils travaillent pour les Bell Labs, le bureau d’études Burns & Roe à New York et la Mc Kierman-Terry
Long de 36 mètres, le cornet forme un réflecteur de 360 m2. Constitué de milliers de pièces en alliage d’aluminium et magnésium 61 assemblées avec une précision d’un dixième de millimètre 62, sur une structure d’acier, le réflecteur capte l’infime signal spatial (10-12W 63) et le concentre au foyer de l’antenne. La réception aboutit dans la cabine supérieure de l’antenne où il est amplifié par le Maser 64. Mazette ! En 1962, ce Maser est le bijou technologique dernier cri. « Entre le satellite et le récepteur à terre, la puissance du signal chute de 2,5 Watts à un trillionième de Watt, expliquait en 1962 Eugene O’Neill, le directeur du projet Telstar aux Bell Labs. La difficulté, c’est de capter ce signal relayé [par le satellite] et le gros problème, ce sont les bruits étrangers. Quand un ingénieur en communication parle de bruit, il parle de tout ce qui peut interférer avec son signal. Saviez-vous que la chaleur émise par une averse de pluie peut faire gronder un récepteur sensible aussi fort que les chutes du Niagara ? Et vous-même, vous produisez du bruit avec la chaleur de votre corps ! Il y a dix ans [en 1952], nous n’aurions pas pu distinguer le signal de Telstar de la masse des bruits ambiants. Mais c’était avant le Maser 65. » En atténuant les bruits
58. Reportage de Katia Kaupp, Libération, 12 juillet 1962. 59. Cette technologie était promise à un bel avenir dans les années 1970, jusqu’au moment où, pour le haut débit, la fibre optique a été préférée, principalement pour la (relative) facilité de sa mise en œuvre.
magnétisation spontanée). 62. Site web de la Cité des Télécoms, http://www.cite-telecoms.com/fr/cite-desTelecoms-chiffres-lettres-de-noblesse 63. Désormais, les satellites sont capables d’émettre à des puissances bien supérieure. 64. Acronyme de Microwave Amplification by
60. « The mechanical design of the horn reflector antenna and radome », In The Telstar experiment, Nasa special publication 32, pp. 1137-1187, June 1963. 61. Spectacle son et lumière sous le radôme, mars 2012 ; qualités du magnésium : légèreté, résistance, métal paramagnétique (pas de
Stimulated Emission of Radiation, il conduira à la mise au point du Laser. 65. « Telephone a star », Rowe Findlay, National Geographic, May 1962
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Le Maser est au cœur du dispositif de l’antenne. Il s’agit de cet appareil placé a la pointe du cornet. En effet le signal reçu du satellite est si faible et parasité qu’il nécessite d’être amplifié 1 000 fois (30 dB) puis régénéré. C’est le rôle de cette machine américaine acquise à prix d’or par les Français. Le traqueur de commande est ici installé à son emplacement actuel dans l’espace muséographique de la Cité des Télécoms. Il était à l’origine placé à environ 600 m du Radôme, près du bâtiment central. Ses quatre spirales pointées vers l’espace stimulent l’imagination. L’antenne cornet telle qu’on peut la voir aujourd’hui au musée du radôme : immobile, elle ne pivote plus sur le rail circulaire qui lui permettait de suivre le signal du satellite en défilement spatial.
37 thermiques, ce Maser assure une bonne qualité de réception du signal satellite qu’il amplifie 4000 fois. Pour fonctionner, il maintient un rubis artificiel à très basse température, en le plongeant dans l’hélium liquide (à la température de -270°C, soit 4°K), lui-même rafraîchi par l’azote liquide (à -195°C, soit 77°K).
Long de 36 mètres, le cornet forme un réflecteur de 360 m2 constitué de milliers de pièces en alliage d’aluminium et magnésium. 66. « Les problèmes d’acquisition et de poursuite des satellites de télécommunication » in Regards sur la France, janvier 1963, p.193. 67. Ibid. p. 213..
Pour capter le signal du satellite, l’antenne positionne son réflecteur dans la direction adéquate, avec une précision de l’ordre d’un centième de degré 66 ; ce positionnement se fait en plusieurs temps au moyen d’équipements hi-tech, les traqueurs (d’après leur nom américain, tracker). L’antenne PB1 fonctionne en relation avec deux antennes dites traqueurs, le traqueur de commande (ou command tracker) relayé par le traqueur de précision (ou precision tracker, dont l’abréviation est pee-tee). Le traqueur de commande, lourd de 300 kg et doté de quatre longues hélices, reçoit du satellite un signal émis par la balise VHF (136 MHz) du satellite. Il reçoit alors les données de télémesure du satellite, affine la visée vers celui-ci à un degré près 67 et transmet les données recueillies au second traqueur ; c’est l’acquisition du satellite. Le traqueur de commande est la seule antenne du dispositif d’origine à n’avoir pas été achetée aux Américains ; c’est une version améliorée d’une antenne testée au cours de tirs de fusées dans le Sahara, elle a été conçue par le département télécommandes du CNET, avec la participation de la société Latécoère de Toulouse,. « Du fait des courts délais réservés pour la réalisation de l’ensemble et aussi des moyens financiers très réduits, la phase normale
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L’antenne cornet enfin montée, en 1962. On distingue bien les mouvements qu’il lui était possible de faire pour mieux suivre le satellite : horizontal le long du rail courbe, sur environ 180° ; et sur son axe vertical à l’aide de l’immense roue crantée qui enserre sa tête.
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Telstar, la vedette
Le groupe de pop-rock britannique The Tornados fut le premier à conquérir la tête des charts américains en 1962 avec « Telstar », titre instrumental façon Shadows avec force effets d’écho et de réverbération propres à évoquer l’espace. Ils durèrent ensuite sur ce répertoire futuriste avec des titres comme « Robots », « Life on Venus » et bien sûr « Early Bird » en 1965.
43 Telstar a concrétisé l’intuition d’un certain John R. Pierce, ingénieur des Bell Labs, qui, dès 1955 décrit théoriquement le rôle que pourraient jouer des satellites artificiels lancés en orbite autour du globe pour établir un réseau international de télécommunications 75. Chez Bell, le docteur Pierce était une légende. Il faisait partie de l’équipe qui avait mis au point et baptisé le premier transistor en 1947 76, on le connaissait aussi comme auteur de romans de science-fiction. Le satellite Telstar était donc la pièce maîtresse d’un dispositif qui comprenait cinq stations terrestres de réception : celle de Pleumeur-Bodou et celle d’Andover (Maine) qui établirent la première liaison télévisée intercontinentale le 12 juillet 1962 (• p. 10), mais aussi celle de Goonhilly en Cornouailles britannique qui manqua cette occasion, celle de Fucino, en Italie qui ne fonctionna qu’à partir de janvier 1963 et enfin, l’antenne prototype de Holmdel (New Jersey) où Bell Labs avait un centre de recherche. Six Telstar 77 ont été fabriqués à Hillside, à une douzaine de kilomètres de Holmdel. Ils ont la forme d’une sphère d’un diamètre de 87 centimètres, dotée de 72 facettes pour 77 kg. Un poids plume comparé aux satellites actuels ! Ces modestes dimensions s’expliquent par la capacité des lanceurs (fusées) de l’époque. Si la NASA indiquait qu’elle était capable d’expédier, sur l’orbite désirée, un satellite de 77 kg, il ne fallait pas dépasser ce poids. L’orbite de Telstar est elliptique, c’est-à-dire qu’elle passe au plus près de la Terre à 952 km (périgée) et au plus loin, à 5632 km (apogée). Sa course autour de la planète dure 2h37, ce qui rendait le satellite visible des 75. Pierce, J. R., Orbital Radio Relays, Jet Propulsion, 25, April, 1955, pp. 153-157 et Pierce, J. R., and Kompfner, R., Transoceanic Communication by Means of Satellites, Proc. I.R.E., 47, March, 1959, pp. 372-380, cités dans Wikipedia. 76. bio Wikipedia. 77. « The Telstar Satellite System », by D. F. Hoth, E.
F. O’Neill and I. Welber, in Telstar Report, volume 1, June 1963, p. 781. 78. « Telephone a star », Rowe Findlay, National Geographic, May 1962.
deux côtés de l’Atlantique durant une vingtaine de minutes une à deux fois par jour (rotation de la terre). Telstar est donc un satellite à défilement. Quand on l’observe, on remarque ses 3600 cellules photovoltaïques (encore une innovation, de 1954, des Bell Labs !) capables de produire 15 Watts ; une antenne VHF à son sommet sert pour la télémesure, la télécommande et la poursuite du satellite ; les deux antennes dédiées aux télécommunications spatiales se situent presque au niveau de l’équateur de la sphère, l’une de 6000 MHz (petites ouvertures) en réception et l’autre de 4000 MHz en émission. Le châssis du satellite est en platine ; les éléments électroniques (un tube électronique, 1064 transistors, 1464 diodes) sont protégés par un boîtier d’aluminium, lequel est fixé au châssis par un système souple de liens en nylon. Les entrailles de Telstar renferment encore une batterie au cadmium-nickel et une balise VHF qui assure en permanence la localisation du satellite ; le remplissage de la sphère avec de la mousse de polyuréthane protège l’ensemble des chocs et des vibrations. « La fiabilité est essentielle, déclarait au National Geographic Eugene O’Neill, le directeur du projet Telstar. Quand un satellite a quitté la rampe de lancement à Cap Canaveral, on ne peut plus le faire descendre pour le réparer 78. » Néanmoins la longévité de Telstar n’est pas celle du radôme (• p. 34) ! Dès novembre 1962, apparaissent les premières défaillances et Telstar tombe définitivement en panne le 21 février 1963. Pour les
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Six prototypes de Telstar ont été fabriqués, et deux modèles lancés, à des dimensions très modestes (87 cm de diamètre, 77 kg) comparées à celles des satellites contemporains.
Les satellites à défilement seront dès 1963 remplacés par les géosynchrones (dits géostationnaires quand ils sont placés au-dessus de l’Équateur). Cette infographie montre la situation à fin 2011 : les satellites cernent le globe, alimentant de de multiples réseaux de communication, tous ancrés « fixement » sur un point terrestre.
Ces satellites à défilement furent remplacés à partir de 1963 par les premiers satellites géosynchrones.
soient pas immobiles, les satellites qui évoluent sur une orbite géostationnaire se situent en permanence en face du même point terrestre. Lancé le 14 février 1963, le premier satellite géosynchrone, Syncom 1 est aussitôt perdu, mais le lancement de Syncom 2 au-dessus de l’océan Atlantique, le 26 juillet 1963, est un succès. Syncom 3, lancé au-dessus de l’océan Pacifique, le 19 août 1964, permet la retransmission des Jeux Olympiques d’été à Tokyo, au Japon. Ces deux engins fonctionnèrent jusqu’en 1969. Enfin, le 6 avril 1965, le satellite Intelsat1, surnommé Early Bird, devient le premier satellite géostationnaire dédié aux télécommunications commerciales (téléphone, télévision, fax) disponible en permanence au-dessus de l’Atlantique. On commence à entrevoir la multitude d’usages des satellites ; ainsi le 14 juin, Early Bird transmet expérimentalement à un médecin parisien l’électrocardiogramme d’un passager du paquebot France en navigation 82. Le 23 avril, les Soviétiques lancèrent Molnya, leur premier satellite de télécommunications 83 ; c’est avec cet engin que fut – discrètement – établie la première liaison télévisée entre Paris et Moscou, via Pleumeur, les 29 et 30 novembre 1965 84. Jusqu’au milieu des années 1980, quand elle sera enfin capable de construire et d’exploiter ses propres lanceurs en Guyane, la France restera dépendante des satellites américains pour ses télécommunications nationales (métropole et outre-mer) et surtout internationales.
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observateurs, ces défaillances précoces s’expliqueraient par des expériences nucléaires américaines dans la stratosphère, la veille du lancement de Telstar ainsi que par des tests nucléaires soviétiques en octobre 1962 ; les radiations auraient endommagé les transistors du satellite 79. Néanmoins, d’après le Registre américain des engins spatiaux, Telstar orbiterait toujours autour de la Terre 80. Dans les années 1960, le ciel se constella de nombreux autres satellites dont la station de Pleumeur capta les signaux ; il y eut ainsi Relay 1 (projet de la NASA, lancé le 13 décembre 1962), Telstar 2 (ATT, lancé le 7 mai 1963), Relay 2 (lancé le 21 janvier 1964). Ces satellites à défilement furent remplacés à partir de 1963 par les premiers satellites géosynchrones sur lesquels la Hughes Aircraft Company 81 travaillait depuis juillet 1961. Ils suivent une orbite synchronisée avec la rotation de la planète sur elle-même (23 heures et 56 minutes). Dans le cas où cette orbite se trouve dans le plan de l’équateur, on parle d’orbite géostationnaire, laquelle est située à 35 786 km d’altitude ; bien qu’ils ne 79. « La station de Pleumeur Bodou », Pierre Marzin, La Jaune et la rouge n° 168 (février 1963), revue des anciens de l’école Polytechnique, pp. 7-8. Et expériences Starfish pour les Etats-Unis, dont les informations proviennent de Wikipedia qui cite une source de la Nasa (article de Daniel R. Glover, « NASA experimental communication satellites » consulté le 1er septembre 2009, mais article modifié dans sa version en ligne en 2012. « On July 9, the day before the Telstar I launch, the U.S. conducted a high altitude nuclear test (Starfish).
Telstar’s orbit took it through the Earth’s inner radiation belt as well as a small portion of the outer belt. The radiation exposure was increased by the Starfish nuclear explosion as well as by a Soviet test in October 1962. After four months of successful operation, some transistors in the command system succumbed to the radiation. A workaround was successful in reviving the spacecraft for two more months. » Et « Command circuit failed 11/23/62 because of radiation effects » in Astronautics and aeronautics, 1962, p. 290.
80. US Space Objects Registry, consulté le 9 avril 2012. 81. Devenue une filiale de Boeing. 82. « Early Bird communications satellite experimentally transmitted to a Paris physician an electrocardiogram of a passenger on the S.S. France, 2,000 mi. at sea, the French Line reported. (NYT, 6/15/65, 70; AP, Wash. Post, 6/15/65, A14) », in Astronautics and aeronautics, 1965, p. 278. 83. Ibid. p. 197. 84. « 19 November 1965 - U.S.S.R. transmitted a
color television program by satellite to France for the first time. Tass said the transmission, using the French Secam color system, followed a series of technical tryouts through Molnya I, first of the Soviet Union’s two communications satellites now in orbit. (Reuters, NYT, 11/30/65, 49) » in Astronautics and aeronautics, 1965, p.530.
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Le passage du signal Les satellites artificiels envoyés par des lanceurs autour de la terre forment deux principaux groupes : à défilement et géosynchrones. Les premiers suivent généralement une ellipse et se retrouvent donc à chaque passage au-dessus d’un point donné de la terre à une altitude et à un angle différents. Les seconds en suivent la rotation, maintenus au-dessus d’un point précis. Lorsque leur orbite est perpendiculaire à l’équateur, on les dit géostationnaires.
Satellite à défilement Altitude varie suivant l’angle de l’apogée (au plus loin) au périgée (au plus près) de la Terre.
Visibilité La visibilité varie de plusieurs heures en fonction de l’altitude et de l’angle au moment du passage.
Fin d’émission du signal le satelite n'est plus visible par le radôme
Début le satellite se présente en visibilité
Les satellites à défilement sont principalement utilisés pour la météorologie, pour les systèmes de téléphonie planétaire, le GPS Radôme L’ensemble des antennes suit l’émission du signal
Satellite géostationnaire altitude : environ 36 000 km
Le satellite se déplace à la même vitesse angulaire relative que la terre (soit environ 10 000 km/h). Il reste en orbite grâce à la force centrifuge qui compense la gravitation.
N
Équateur
35786 Km de la terre
Rotation Rotation de la Terre = la rotation du satelitte = 23h 56min 45s
S Satellite géostationnaire semble rester fixe dans le ciel
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Les ingénieurs des Bell Labs à Hillside (NJ, USA) posent autour de leur géniale invention.
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Une ouverture sur le monde
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Werner Von Braun et Kennedy à Cap Canaveral. L’ingénieur allemand artisan des fusées V1 et V2 au service du Reich pendant la guerre fut récupéré par les Etats-Unis, dont il prit la nationalité, et y développa les premiers programmes spatiaux avec succès.
Le rêve américain
60 Au départ, il y eut l’imagination de Pierre Marzin (• p. 54). Originaire de Lannion, le directeur du Centre national d’études des télécommunications (CNET) est à l’origine de l’implantation d’une industrie électronique en Bretagne, à une époque où, de Paris, la « vieille terre d’Armorique » condense l’archaïsme provincial. Pierre Marzin entrevoit dans la décentralisation, lancée en juin 1956 par Edgar Faure, le président du Conseil (l’équivalent du Premier ministre), un nouveau dessein pour le Trégor : « faire d’un désert quelque chose de fantastique, comme les Américains font une ville dans un désert 114 ». Dans les années d’après-guerre, le rêve américain fonctionne à plein régime en Europe occidentale. Les alliés américains n’ont-ils pas libéré l’Europe ? N’ont-ils pas, par le plan Marshall, contribué à son rétablissement ? A partir de 1953, Dwight Eisenhower préside les Etats-Unis d’Amérique jusqu’à l’élection, en 1961, de John Kennedy. Durant ces fifties et ces sixties, l’Europe s’entiche de Frank Sinatra, Audrey Hepburn, Liz Taylor, Marylin Monroe, James Dean, Marlon Brando, Cary Grant, Alfred Hitchcock… L’American way of life fait office de parangon du progrès avec ses fast-food, ses chewing-gum et ses jupes qui raccourcissent. Sur les grèves de Bretagne, on commence à jouer au frisbee en bikini. OK, trêve de simplisme ! Ces années sont aussi celles des errements du Maccarthysme, de la lutte des Noirs Américains pour l’obtention des mêmes droits que les Blancs, des tensions internationales de la guerre froide (• p. 81) ou des premières contestatios sociales, 114. In Vocation électronique de la Bretagne, Vivre en France - 23/02/1969 - 12min26s, consultable sur le site de l’INA, HYPERLINK "http://www.ina.fr/video/CAF93053006/vocationelectronique-de-la-bretagne.fr.html" http://www.ina.fr/video/CAF93053006/vocationelectronique-de-la-bretagne.fr.html -
115. Un écrivain breton de New York, Youenn Gwernig, se lia d’amitié avec Jack Kerouac ; originaire de Gourin, dans le Morbihan, Gwernig faisait partie de la diaspora bretonne en Amérique. 116. Témoignage oral de Louis-Claude Duchesne (avrilmai 1994), journaliste pendant près de trente ans à la rédaction de Lannion du quotidien Ouest-France, in
Faire d’un désert quelque chose de fantastique, comme les Américains font une ville dans un désert. à l’image de celle de l’écrivain Jack Kerouac 115, auteur en 1957 du roman Sur la route. Alors, faut-il sourire si un Breton du nord des Côtes-duNord conçoit, pour son pays, un futur à l’américaine ? « La Bretagne est la terre de tous les possibles, estime Jean Ollivro, géographe. Le Trégorrois est pragmatique et rêveur, le gars du pays regarde l’horizon et Pierre Marzin s’est projeté dans quelque chose qui semblait impossible à son époque. Grâce à l’implantation du CNET et du radôme, il change d’échelle et se projette dans le monde. Il y a, dans ce phénomène, un jeu d’échelle profitable à la Bretagne. En percevant que l’avenir de la Bretagne était dans le monde, Marzin a conçu un projet en adéquation avec l’identité bretonne, faite d’ancrage et d’ouverture. » Dans ce contexte, on ne s’étonnera pas que Pierre Marzin, venu assister au gonflage du radôme (• p. 21), faisant visiter la campagne pleumeuroise au responsable américain du montage, lui fasse découvrir le cidre bouché local dans une exploitation agricole 116. «Pierre Marzin et la révolution lannionnaise (1954-1974) », Jean-Jacques Monnier, Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest. Tome 102, numéro 2, 1995. pp. 87-96.
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Couverture de l'hebdomadaire La Région, juillet 1962.
Une antenne de type Cassegrain à PleumeurBodou. A côté du radôme, un parc d’antennes géantes se constitue au cours des années soixante et soixantedix pour servir de relais et d’opérateur de communications téléphoniques intercontinentales. Les maires du Trégor entourent René Pléven, ancien Président du conseil, et Pierre Marzin. Depuis 1958, les efforts de l’un et de l’autre, avec ceux du CELIB, engagent toute la région sur la voie du développement technologique.
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Un ovni se pose sur les landes
Carte postale éditée à l’occasion des vœux 1963 par la sous-préfecture des Côtes-du-Nord à Lannion (photo de Louis-Claude Duchesne) Le célèbre menhir de Saint-Uzec en PleumeurBodou (vu de de dos), d’une hauteur de 7 m, a été christianisé tardivement, au xVIIe siècle.
64 En 1961, quand Pierre Marzin décroche l’installation du radôme pour Pleumeur, la commune est rurale, tant économiquement que culturellement. C’est de l’agriculture (petit élevage, pommes de terre, lin, chanvre) que (sur)vit la majorité des 2545 Pleumeurois recensés en 1962, une partie d’entre eux étant ouvriers dans les carrières de granit rose de l’Ile Grande. On parle breton (ce qui est perçu, à cette époque, comme un signe d’archaïsme), les femmes ont l’habitude de s’orner de la toukenn, la coiffe trégorroise. Comme le racontent aussi les films de Thierry Compain 120, l’exode rural ne cesse d’affaiblir la commune qui a perdu 400 habitants depuis la fin de la guerre, les jeunes femmes s’engageant comme bonnes à Paris et les hommes embarquant au commerce au Havre. Depuis 1947, la commune est dirigée par Armand Lagain, un instituteur socialiste qui a contribué à l’implantation du syndicalisme auprès des ouvriers du lin et des carrières 121. Mais pourquoi choisir ces landes incultes dans un village isolé sur les côtes bretonnes ? Voici ce qu’en disait, en 1997, Michel Astier, ingénieur au CNET, d’avril 1957 à octobre 1962 : « Au printemps 1961, j’assiste au CNET, à Issy-les-Moulineaux, à une réunion qui doit fixer l’endroit où la première station française de télécommunications spatiales sera construite. Il y a des partisans de la région de Lannion et ceux de la région de Saint-Michel-deProvence où se trouve déjà un observatoire astronomique. Pierre Marzin l’emporte, la station sera construite près de Lannion. Le nom de Pleumeur n’est 120. Matezh, Nous n’étions pas des Bécassines, Gouloù en noz, Les taxis bretons. 121. Armand Lagain (1900-1962) – instituteur socialiste - Il incarne la ligne pacifiste de La Charrue Rouge. Après la guerre, il poursuit son activité socialiste : candidat SFIO aux législatives de 1946 (juin et novembre) et 1951, il est élu maire de
Pleumeur-Bodou en 1947. Raymond Garrivet participe avec Armand Lagain à la création de la CGT locale. Arrêté en 1943, puis déporté, il est candidat SFIO aux législatives de 1945. Alain Prigent, Les instituteurs des Côtes-du-Nord. Laïcité, amicalisme et syndicalisme, Ed. Astoure, Les Sables d’Or, 2005. 122. Lettre au Musée des Télécoms, de Michel Astier
pas prononcé 122. » La station de Nançay (Cher) qui a hébergé le programme Echo (• p. 49) est également écartée : l’antenne du radôme créerait des interférences avec les outils de réception radioastronomique 123. « Une exploration générale de la Bretagne avait été entreprise, expliquait Jean-Yves Blanchard dessinateur au CNET, qui participa à l’achat des terrains 124. A l’aide de cartes détaillées d’abord, puis par examen aérien utilisant les hélicoptères du centre d’essais en vol du CNET. Des profils détaillés des sites ont été établis, ce qui a permis de sélectionner, en dernier ressort, une cuvette naturelle située dans les landes de PleumeurBodou. La mesure des niveaux de perturbation radioélectrique ayant donné des résultats satisfaisants, ce site a été définitivement adopté. Sa superficie était constituée en majeure partie de 110 hectares 125 de terrains incultes où genêts et ajoncs poussaient sur un sol granitique. » En effet, pour capter le faible signal du satellite, il fallait éviter toute perturbation radioélectrique (radars, faisceaux hertziens). Le positionnement dans l’ouest de la France favorisait la co-visibilité du satellite avec la côte Est des Etats-Unis (• p. 15). La douceur du climat breton était plutôt propice, restait à se prémunir des vents tempétueux (• p. 34). En juillet et août 1961, il fallut alors procéder aux acquisitions des terrains auprès de 47 propriétaires, dont certains possédaient les terres en indivision ; certains durent être expulsés. « Comme à son habitude, Pierre Marzin fit preuve d’une grande qualité vis-à-vis du 7 octobre 1997, bibliothèque du musée, chemise rouge « Telstar, conception première ». 123. « La technologie américaine à Pleumeur-Bodou », Michel Guillou, Actes du colloque sur le centenaire de Pierre Marzin, octobre 2005, p. 9. 124. La « station spatiale », une histoire qui commence par un rendez-vous avec Telstar, Jean-
Pierre Colin, Les cahiers des Amis de la Cité des Télécoms de Pleumeur-Bodou, 1999. 125. « Description of the installations at the Pleumeur-Bodou space communication station, J. Dautrey, in Telstar. NASA SP-32 2373 pages, published by NASA, Washington, D.C., June 1963, p. 1953.
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Les dix antennes de Pleumeur-Bodou inscrivent la station dans un réseau mondial de télécommunications description du site en 2000
PBD3 1973 Antenne de classe Intelsat 3. Hauteur : 35 mètres. Diamètre : 30 mètres. Poids : 300 tonnes. Elle intégrait un bâtiment et servait comme antenne de secours pour toutes les autres de la station. Conservée.
PBD10 1990 Diamètre : 16 mètres. Elle a pris la place de PBD2. Trafic satellite océan Atlantique et DOM. Démantelée en 2003.
PBD7 1985 Antenne de classe Intelsat A. Caractéristiques idem PBD6. A vite remplacé PBD2 pour les liaisons vers l’océan Indien. Démantelée en 2006.
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PBD6 1984 Antenne de classe Intelsat A. Hauteur : 50 mètres. Diamètre : 32,50 mètres. Poids : 350 tonnes. Elle servait pour les liaisons numériques entre l’Europe et les États-Unis/Canada. Démantelée en 2007.
PBD8 1988 Hauteur : 18 mètres. Diamètre : 13 mètres. Utilisée en secours. Conservée.
PBD12/TTC&M PB BD12/TTC&M 1979 Diamètre : 14,50 mètres. D’abord affectée à la surveillance des satellites, puis au trafic de données et à la télévision. Démantelée en 2008. PBD4 1974 Antenne de classe Intelsat A. Caractéristiques idem PBD6. La première des antennes « géantes » de Pleumeur-Bodou. Liaisons vers l’Afrique. Démantelée en 2006 Symphonie/PBD5 1974 Hauteur : 18,70 mètres. Diamètre : 16,50 mètres. Affectée au programme satellitaire Symphonie, puis INMARSAT, dédié aux marins. Conservée.
PBD11 1992 Diamètre : 13 mètres. Trafic INMARSAT zone ouest Atlantique. Démantelée en 2003.
PBD1 1962 Le radôme (radar dôme) est un abri protecteur imperméable utilisé pour protéger une antenne. Il mesure 50 m de haut et 64 m de large Contient l’antenne cornet de 54 m de long affectée aux satellites à défilement, puis géostationnaires atlantique et indien.