Ce livre est le fruit des réflexions menées dans le groupe « Culture scientifique » de l’Union rationaliste.
Espace des sciences
Jacques Haïssinski Hélène Langevin-Joliot
Espace des sciences
Ce livre de culture scientifique s’adresse à tous, dans un monde où la science joue un rôle plus grand que jamais. Il présente principes, méthodes et connaissances de manière synthétique ou par des récits. Le texte, accompagné de nombreuses illustrations, se lit à deux niveaux, le premier explicitant des notions essentielles, le second apportant commentaires et exemples ouvrant sur des questions concrètes ou sur des avancées scientifiques récentes.
Science et culture Repères pour une culture scientifique commune
Coordonné par
Jacques Haïssinski
et
Éditions Apogée ISBN 978-2-84398-473-0 19,80 euros TTC en France
Éditions Apogée
Science et culture
Hélène Langevin-Joliot
Éditions Apogée
Jacques Haïssinski et Hélène Langevin-Joliot Jean-Pierre Kahane, Michel Morange, Évariste Sanchez-Palencia
Science et culture
Repères pour une culture scientifique commune
Éditions Apogée
Sommaire Partie 1 - Des principes et des méthodes
13
Chapitre 1 - Causalité et déterminisme
14
Chapitre 2 - Méthodes scientifiques
19
Chapitre 3 - Une histoire de l’Univers et de la vie
26
Partie 2 - Des savoirs pour une culture générale
35
Chapitre 1 - Matière inerte et matière vivante
36
Chapitre 2 - Le monde physique
44
Chapitre 3 - Spécificités du monde vivant
60
Chapitre 4 - Systèmes et leur dynamique
69
Chapitre 5 - La Terre dans le système solaire
80
Chapitre 6 - Concepts et outils mathématiques
88
Chapitre 7 - Traitement des données, algorithmique et informatique
105
Partie 3 - Choix de textes
115
[1] La valeur éducative de l’histoire des sciences, Paul Langevin
116
[2] Une querelle de vignerons, Ernest Kahane
122
[3] Remarques sur la causalité dans les sciences, Michel Morange et Évariste Sanchez-Palencia
127
[4] La causalité et les enfants, Alain Haraux
131
[5] Autour d’un feu de bois, Évariste Sanchez-Palencia
134
[6] Qu’est ce que l’informatique ?, Gilles Dowek
138
[7] La nature de la connaissance scientifique par un exemple : la chute des corps, Évariste Sanchez-Palencia
142
[8] Wegener illustre-t-il la notion de précurseur ?, Gabriel Gohau
147
[9] Autour de la découverte de la pénicilline, Évariste Sanchez-Palencia
153
Introduction
Pour une culture générale scientifique Quelle part la science devrait-elle avoir, au XXIe siècle, dans la culture générale ? Aujourd’hui plus encore qu’hier, notre pays a des besoins croissants de chercheurs, d’ingénieurs ou de techniciens. Il a aussi impérativement besoin d’enseignants ayant intégré la science dans leur culture générale et de citoyens dotés d’un bagage de culture générale scientifique.
1. Un constat La science reconstitue progressivement l’histoire de notre Univers, identifie des systèmes planétaires dans la Voie lactée, cherche à déterminer les conditions de l’apparition de la vie et les mécanismes de l’évolution, décrypte la structure de composés chimiques complexes, effectue la synthèse de matériaux nouveaux, élabore et résout des conjectures mathématiques, interprète l’activité cérébrale de façon de plus en plus précise. Elle ne cesse d’ouvrir de nouveaux domaines de recherche prometteurs de découvertes. L’humanité dispose aujourd’hui d’instruments scientifiques sophistiqués et de moyens techniques extrêmement puissants. Nous pouvons guérir des maladies qui étaient incurables jusqu’à un passé récent. Nos moyens de communication sont sans commune mesure avec ce qu’ils étaient il y a quelques décennies. Nous pourrons nous rendre un jour sur la planète Mars. Mais notre activité puise largement dans des ressources non renouvelables. Elle affecte le devenir du climat et, de ce fait, affecte les conditions de vie dans de nombreuses régions de notre planète. Si le progrès scientifique et technique n’entraîne pas automatiquement le progrès de la société, il est clair que les changements à effectuer dans notre mode de développement nécessiteront plus de science au cours de ce siècle pour répondre
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Savoirs spécialisés et culture générale scientifique
aux besoins de neuf milliards d’hommes et de femmes, économiser les ressources naturelles, sauvegarder la biodiversité, maîtriser le réchauffement climatique et relever d’autres défis qui se posent à nous, souvent à l’échelle mondiale. En contraste avec cette situation, la science a encore une place très réduite dans la culture des citoyens d’aujourd’hui, y compris celle des « élites » intellectuelles et politiques. C’est une situation dangereuse pour la démocratie et aussi pour le progrès du bien-être collectif. Nos sociétés ont impérativement besoin de citoyens formés aux méthodes de la science, quels que soient leurs professions et leurs intérêts culturels.
2. Savoirs spécialisés et culture générale scientifique Le constat ci-dessus, partagé par de nombreuses personnalités, sociétés ou institutions scientifiques, a débouché au fil des années sur d’importantes initiatives que les fêtes de la science symbolisent pour le grand public. Force est de constater pourtant que la culture scientifique reste vue, à tort, par le plus grand nombre comme une somme de savoirs spécialisés, chacun en développement accéléré, qui ne sauraient s’intégrer dans la culture, généraliste par nature. Les premiers échanges de vues que nous avons eus dans le groupe de travail nous ont conduits à penser qu’il y avait là une difficulté réelle qu’il fallait tenter de lever. Les programmes du collège présentent à grands traits la culture scientifique dans le préambule du « socle commun ». Dans ces programmes, le panorama des connaissances se trouve éclaté entre ce qui sera enseigné dans les classes successives et entre les disciplines. Il nous a semblé qu’une approche synthétique, dégageant un certain nombre de concepts et rassemblant des connaissances de base sans rompre leur unité, est mieux adaptée à la construction d’une culture générale scientifique. Quelques remarques complémentaires ont servi à cadrer le travail entrepris en ce sens. Une culture générale scientifique devrait permettre au citoyen d’être mieux armé pour participer de manière constructive aux débats démocratiques à mener sur les nombreuses questions sociétales impliquant la science ou les techniques. Une culture générale scientifique ne suffit évidemment pas pour se préparer aux métiers scientifiques ou techniques devenus de plus en plus variés mais elle permet de situer les connaissances spécialisées dans un large ensemble de
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Introduction
repères communs, propre à faciliter les échanges entre domaines scientifiques ou techniques. Le contenu de l’enseignement initial et plus encore les méthodes utilisées durant cette formation pour susciter motivation et curiosité des élèves jouent un rôle essentiel dans l’acquisition – à cette étape et ultérieurement – des éléments d’une culture générale scientifique. La nécessité de faire largement appel au questionnement en même temps qu’à l’apprentissage du raisonnement, au croisement des disciplines aussi, est reconnue, et pratiquée, autant que faire se peut. On ne peut que se réjouir de la place importante donnée dans les programmes actuels du collège à la « démarche d’investigation » et des efforts des enseignants en ce sens, malgré les difficultés (horaires, moyens). Ces méthodes qui relaient celles développées dans le primaire avec « La main à la pâte » contribuent à faire comprendre comment les connaissances scientifiques se forment. De même, un retour sur l’histoire des découvertes et des progrès scientifiques permet parfois de mieux en apprécier le sens et la portée. Mais cela ne suffit pas : un certain nombre de connaissances doivent être assimilées ou du moins abordées pour permettre le développement ultérieur de la culture de chacun autour de repères concrets. Si l’effort demandé aux élèves, au collège et en seconde, ne doit pas avoir pour but l’acquisition d’un empilement de connaissances, il est important de les doter d’un bagage initial de culture générale scientifique, alors que l’enseignement des sciences n’est l’objet aujourd’hui d’aucun complément dans certaines filières de formation. La culture générale scientifique déborde ce qui est enseigné au collège dans le cadre des horaires et de l’organisation actuels de l’enseignement en mathématiques, sciences physiques et chimiques, sciences de la vie et de la Terre et technologie. Certaines notions peuvent être abordées à travers l’expérimentation ou par des exemples ou dans des récits. Certains concepts ou connaissances sont certainement difficiles à exposer en toute rigueur au niveau du collège, mais il est important de les introduire pour assurer la cohérence d’ensemble d’un bagage scientifique de base. Il nous semble possible et nécessaire d’en donner à tous une image simplifiée mais correcte, suffisante à ce stade. Modèles, analogies expérimentales et anecdotes devraient y contribuer. Nous sommes conscients de l’hétérogénéité des acquis des élèves à l’entrée du collège : un effort particulier sur l’enseignement primaire pour redresser cette situation s’impose, plutôt que de renoncer devant des difficultés réelles.
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Une vue synthétique de la culture générale scientifique
Une culture générale initiée à l’école, au collège ou au lycée a besoin d’être enrichie, aussi bien au cours d’études supérieures non-scientifiques (et même scientifiques…) que d’études professionnelles – et plus tard encore. L’information sur les sujets touchant la science, les technologies et leurs applications est trop souvent délivrée de manière ascientifique, voire antiscientifique dans certains médias d’aujourd’hui. C’est un problème que l’on ne peut guère espérer résoudre qu’à long terme. Comment aider le public à sélectionner des sources d’information qui soient fiables ? Sans doute faut-il intégrer cet apprentissage dans les initiatives de culture scientifique s’adressant au grand public. Le concept même de culture exclut de donner à son contenu un contour rigide.
3. Une vue synthétique de la culture générale scientifique Cette esquisse de culture générale scientifique est organisée en trois parties. Les deux premières sont divisées en chapitres, la troisième est un choix de textes. La première partie regroupe trois chapitres. Les deux premiers sont consacrés aux principes et aux méthodes scientifiques. La compréhension de ces sujets transdisciplinaires est essentielle dans l’enseignement, mais aussi pour la diffusion de la culture scientifique et le débat public. Le troisième chapitre cherche à donner une vision globale de l’histoire de l’Univers et de la vie. La forme d’un récit a été adoptée pour aborder cette histoire qui permet de structurer l’acquisition d’une culture générale scientifique. La deuxième partie comprend cinq chapitres portant sur le monde vivant et sur le monde inerte tel que nous les observons à diverses échelles. Elle se conclut par deux chapitres consacrés aux mathématiques, au traitement des données et à l’informatique. Si les mathématiques sont d’abord une science, le « langage mathématique » joue un rôle majeur dans l’ensemble des disciplines, tandis que le traitement des données et l’informatique interviennent de plus en plus fréquemment dans les sciences et les techniques ou dans la vie courante. L’ordre des chapitres dans cette deuxième partie – matière inerte et matière vivante, le monde physique, les spécificités du vivant, les systèmes, la Terre dans le système solaire – ou celui adopté pour les rubriques au sein des chapitres, ne nous paraît pas essentiel. Le chapitre consacré aux concepts et outils mathématiques
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Introduction
couronne cet ensemble, tout en introduisant celui portant sur le traitement des données et sur l’informatique. Chacune des rubriques comporte successivement : – le contenu principal explicité de façon succincte ; – présentés avec une police réduite, des commentaires, certains éléments moins importants ou excédant nettement le niveau du collège, ainsi que des exemples empruntés à un éventail de disciplines. Ceux-ci sont en petit nombre et n’ont pas d’autre but que d’indiquer quelques domaines, parfois très délimités, dans lesquels tel ou tel concept est utilisé. Dans la deuxième partie de cet ouvrage, des liens indiqués à la fin de chaque rubrique suggèrent des rapprochements avec d’autres. Notre objectif est de montrer que les notions que nous avons retenues sont utiles dans de multiples champs de la connaissance, hors de celui où elles ont été définies. Chaque rubrique peut cependant être considérée séparément. Certaines se réfèrent à des notions débordant le niveau du collège, pour lesquelles il nous a semblé important de fournir quelques repères (le monde subatomique par exemple). D’autres encore ont suscité de notre part des commentaires sur des questions importantes dans le débat public. Nous nous sommes efforcés d’éclaircir le sens de certains termes trop spécialisés par une définition ou un exemple afin de rendre le texte compréhensible par tous. La troisième partie comprend un choix de textes qui approfondissent quelquesuns des concepts abordés dans les deux premières parties ou illustrent la marche des sciences à travers quelques exemples. À l’heure de la « refondation de l’école », l’acquisition d’une « culture commune » par tous les étudiants se destinant au professorat est à l’ordre du jour. Ce livre de culture générale scientifique pourrait, sous des formes appropriées, être utilisé dans les écoles supérieures de professorat et de l’éducation pour la nécessaire mise à niveau des connaissances des étudiants qui n’ont suivi aucun enseignement de science depuis la classe de seconde. Les futurs professeurs de sciences pourraient bénéficier aussi de cette présentation synthétique de connaissances scientifiques « repères » par-delà leur propre discipline. Les éléments rassemblés dans ce livre ne prétendent nullement constituer une esquisse de futurs programmes de science au collège, même si nous pensons qu’ils peuvent être utiles à la réflexion sur de futurs changements. Le développement des centres de culture scientifique, technique et industriel est plus que jamais nécessaire. Les animateurs spécialisés de ces centres pourraient trouver dans cette approche de la culture générale scientifique de nouvelles ressources.
Partie 1 - Des principes et des méthodes
hn, où h est la constante de Planck et n la fréquence d’oscillation de la masse calculée selon la mécanique classique. Procéder à une mesure entraîne presque toujours des perturbations non négligeables du système sur lequel porte la mesure et, de ce fait, introduit certaines incertitudes sur l’état du système après que cette mesure ait été effectuée. Par exemple, une façon de mesurer la position d’une particule (électron, photon…) consiste à la faire passer par un (petit) trou percé dans un écran. L’expérience montre que plus ce trou est petit, c’est-à-dire plus précise est l’information recherchée concernant la position de la particule au niveau de l’écran, plus l’onde qui décrit l’état de la particule est divergente à la sortie du trou, ce qui entraîne une incertitude de plus en plus grande sur la direction de la quantité de mouvement de la particule après cette mesure de position. Un système physique étant préparé dans un état initial donné, la mécanique quantique ne permet pas, en général, de prédire de façon unique le résultat de certaines mesures faites ultérieurement sur ce système : pour une telle mesure, elle ne donne qu’une loi de probabilité portant sur son résultat. Par exemple, étant donné un noyau radioactif, la mécanique quantique ne peut rien dire sur la date à laquelle ce noyau particulier se désintégrera, mais elle permet de calculer la vie moyenne d’un échantillon contenant un grand nombre de noyaux analogues, et ce, sans limite fondamentale sur la précision de ce calcul. En d’autres termes, la mécanique quantique détermine la loi de probabilité (en l’occurrence, une exponentielle décroissante) du temps au bout duquel le noyau particulier auquel on a affaire se désintégrera. Alors que la mécanique quantique a été développée pour décrire la structure et les propriétés de la matière à l’échelle microscopique, c’est aussi à elle qu’il faut faire appel pour rendre compte de certains phénomènes à l’échelle macroscopique, par exemple le fait que certains matériaux, tel le plomb, deviennent supraconducteurs à très basse température : ils ne présentent alors strictement plus aucune résistance à la circulation d’un courant électrique. Les grands aimants de l’accélérateur LHC du CERN fonctionnent dans ces conditions de supraconductivité.
Chapitre 2 - Méthodes scientifiques
Chapitre 2 Méthodes scientifiques 1. 0bservation, hypothèse, expérience Une observation est souvent le point de départ d’une réflexion scientifique. Ce peut être aussi un jalon ou l’aboutissement d’un programme expérimental. Une hypothèse est le point de départ d’une investigation scientifique (théorique ou expérimentale). Une expérience est faite en général dans un but bien défini. Souvent, il s’agit de valider ou de rejeter une hypothèse. Elle porte alors sur un système aussi bien délimité que possible, et s’exécute selon un protocole précis, préalablement établi. Ce protocole définit, en particulier, les conditions initiales du système sur lequel porte l’expérience et inclut des contrôles du bon déroulement de celle-ci. Le chercheur peut faire une expérience exploratoire, susceptible de révéler une piste nouvelle. Le plus souvent, il est nécessaire de s’appuyer sur un ensemble d’observations ou d’expériences pour parvenir à une conclusion irréfutable. Le chemin de l’hypothèse au protocole expérimental, puis de l’expérience à son analyse et au résultat final fait appel à des raisonnements logiques et à des analyses critiques, et souvent à des calculs mathématiques. La méthodologie scientifique que développa Lavoisier pour effectuer ses expériences et analyser leurs résultats est à la base de la chimie moderne.
Fig. 5 - Antoine Lavoisier (1743-1794) effectuant une expérience sur la respiration humaine
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Partie 1 - Des principes et des méthodes
Exemples d’observations : – Galilée observe les grands satellites de Jupiter (1610) ; – H-C Œrsted observe l’action d’un courant électrique sur une boussole (1820) ; – R. Brown observe le mouvement de grains de pollen en suspension dans un liquide (1827) ; – C. Darwin observe la faune sauvage et des fossiles tout autour du monde (1831-1836) ; – Marie Curie observe que la pechblende (minerais d’uranium) émet plus de rayonnement que l’uranium métallique (1898) ; – Alexander Fleming observe que certaines moisissures (Pénicillium) détruisent des cultures de staphylocoques (1928).
2. Complémentarité entre expérimentation et théorie L’expérimentation peut susciter ou guider des développements théoriques. Ces derniers sont rendus possibles, pour une large part, non seulement par la puissance des outils mathématiques, mais aussi par de nouveaux concepts élaborés par ceux-ci. La validation d’une théorie s’appuie directement ou indirectement sur des expériences ou des observations. Une théorie a une portée d’autant plus grande que les observations dont elle rend compte sont nombreuses, et que les effets non encore observés qu’elle prédit et qui sont effectivement observés par la suite, sont eux-mêmes nombreux. La vérification par Arthur Eddington et ses collaborateurs d’une prédiction de la théorie de la relativité générale élaborée par Albert Einstein fut une étape majeure de l’acceptation de celle-ci. La théorie prévoit une très légère déflexion des rayons lumineux provenant d’une étoile lorsque ceux-ci passent près du Soleil. Il Fig. 6 - Albert Einstein et Arthur Eddington s’ensuit un déplacement à Cambridge en 1930 apparent de la position de l’étoile dans le ciel. Un tel déplacement fut constaté sur les photographies prises lors d’une éclipse totale du Soleil en 1919. Dans certains domaines, l’expérimentation directe est rarement possible. Le progrès scientifique passe alors par la multiplication des observations et la recherche de relations entre elles. Par exemple, la géologie, la paléontologie ou l’astronomie sont fondées, pour l’essentiel, sur des observations plutôt que sur des expériences au sens propre
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Chapitre 2 - Méthodes scientifiques
du terme – du fait que les conditions initiales ne peuvent pas être choisies (le système étudié ne peut pas être « préparé »). Contrairement à une idée courante, l’expérimentation se pratique aussi dans la recherche mathématique mais la validation ne s’établit pas par des expériences.
3. La construction du savoir scientifique Les méthodes de construction du savoir scientifique qui caractérisent la science moderne émergent avec les travaux fondateurs de Galileo Galilei. Le savoir scientifique est constamment en construction, sur la base d’allers et retours toujours renouvelés entre observation, expérience et théorie. Le développement des mathématiques et aujourd’hui de l’informatique y concourt de façon essentielle tout en s’alimentant en retour de questions posées par les autres disciplines. L’invention de nouveaux instruments a joué un rôle essentiel dans l’élargissement des possibilités d’exploration du ciel, de la matière et de la vie. Elle a stimulé la recherche mathématique (les horloges au XVIIe siècle) et en a été parfois le résultat (la « machine de Alan Turing » a été le prototype des ordinateurs, ainsi que celle, plus tard, de John von Neumann). De nouvelles observations ou de nouvelles expériences nécessitent parfois le développement d’une théorie radicalement nouvelle. Celle-ci amène alors à redéfinir le domaine de validité d’une théorie formulée antérieurement à ces résultats. Mais une telle révision est limitée : elle ne remet pas en question les faits et acquis scientifiquement validés ! La théorie de la relativité restreinte d’Einstein n’a pas remis en cause les lois de la mécanique établies par Newton pour des systèmes ne comportant que des objets dont la vitesse est petite par rapport à celle de la lumière. Les travaux de Galileo Galilei les plus connus ont porté sur la chute des corps, le développement d’une lunette astronomique et les observations d’objets célestes avec ce nouvel instrument (notamment celle des quatre grands satellites de Jupiter). Galilée était acquis à la conception d’un monde héliocentrique introduite par Copernic. Ce monde
Fig. 7 - Galileo Galilei (1564-1642) faisant face à l’inquisition par Cristiano Banti, 1857
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Partie 2 - Des savoirs pour une culture générale
Chapitre 3 Spécificités du monde vivant 1. Organisme vivant Qu’est-ce qu’un organisme vivant ? La question a accompagné l’histoire de la biologie sans qu’une réponse unanimement acceptée ne puisse encore être donnée. Par contre, les biologistes s’accordent sur la présence chez tous les êtres vivants d’un certain nombre de caractères : même composition chimique (eau, composés carbonés comme les acides aminés), présence de membranes, occurrence au sein des organismes de multiples réactions chimiques appelées « métabolisme », échanges permanents de matière et d’énergie avec l’environnement, capacité de se reproduire (grâce à la présence d’un matériel génétique), capacité d’évoluer, de communiquer. Les organismes pluricellulaires ont acquis une organisation interne particulière, dans laquelle des organes assurent des fonctions spécialisées. Les organes communiquent entre eux par l’échange de signaux (hormones). Cette organisation des organismes pluricellulaires est acquise à l’issue d’un processus de développement embryonnaire, au cours duquel les cellules se différencient, c’est-à-dire acquièrent une structure et des fonctions particulières. Ce développement se fait hors de l’organisme de la mère (ovipares, par exemple les oiseaux) ou à l’intérieur du corps de la mère (vivipares, comme par exemple les mammifères). La cellule est la structure de base du monde vivant. Chaque cellule provient de la division d’une autre cellule. Une cellule eucaryote – telles nos cellules – est limitée par une membrane qui enferme le cytoplasme constitué essentiellement d’eau (environ 85 %) et de protéines ; celui-ci contient en particulier le noyau de la cellule, qui contient luimême le matériel génétique ; c’est sa présence qui caractérise ce type de cellules. Les cellules eucaryotes renferment aussi un certain nombre d’organites (voir plus loin). Les hormones sont des molécules de natures chimiques diverses, fabriquées par des glandes, et agissant sur un ou plusieurs autres organes. Par exemple, l’insuline, fabriquée par le pancréas, agit sur le foie, les muscles et le tissu adipeux. Les hormones participent à la régulation des processus biologiques : par exemple, les hormones sexuelles interviennent dans le contrôle de la reproduction. Les organes peuvent être regroupés en systèmes : système digestif, système cardiovasculaire, système immunitaire, système nerveux, etc. Le système nerveux traite les informations apportées par les organes des sens, et contrôle les mouvements. Il est le
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Chapitre 3 - Spécificités du monde vivant
Fig. 39 - Cellule d’un organisme eucaryote végétal
siège des activités mentales. On distingue les nerfs qui transportent les informations, et les structures centrales qui traitent cette information : hémisphères cérébraux, cervelet, tronc cérébral, moelle épinière. Les différentes activités cognitives sont localisées dans des zones particulières des hémisphères cérébraux. Le système nerveux est formé de cellules spécialisées appelées neurones. Les neurones transportent les informations sous la forme d’un signal électrique – l’influx nerveux. Les neurones communiquent entre eux au niveau de zones de contacts intercellulaires appelées synapses, principalement par des signaux chimiques : l’arrivée de l’influx nerveux provoque la sécrétion de petites molécules appelées neuromédiateurs qui activent ou inhibent le neurone adjacent. Les nerfs sont formés par de très longs prolongements des neurones appelés axones. Le système nerveux peut être étudié à de multiples niveaux, et par différentes techniques. On peut caractériser les signaux chimiques échangés par les neurones, étudier l’activité électrique des réseaux de neurones, ou mesurer l’activité globale de zones cérébrales par les techniques d’imagerie. Le système cardiovasculaire est formé du cœur – muscle agissant comme une pompe —, des artères qui transportent le sang vers les différents tissus de l’organisme, et des veines qui ramènent le sang au cœur. Le sang se charge en dioxygène dans les poumons et y libère du gaz carbonique produit par la combustion des aliments ; les réactions inverses se produisent au niveau dans les tissus de l’organisme. Le dioxygène est fixé sur l’hémoglobine (cf. § 6 plus bas), protéine présente dans les globules rouges du sang. Les organismes multicellulaires se développent à partir d’une cellule unique, l’œuf. Certains gènes, appelés « gènes architectes », tels les gènes homéotiques, ont un rôle
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Partie 2 - Des savoirs pour une culture générale
majeur dans ce processus qui implique l’acquisition d’une forme (morphogenèse) et la différenciation des cellules. Les organites sont responsables de différentes fonctions cellulaires. Par exemple, les mitochondries sont en charge de l’essentiel de la production d’ATP, la molécule porteuse d’énergie au sein du monde vivant. Les chloroplastes sont responsables chez les végétaux de la conversion de l’énergie apportée par le rayonnement solaire en énergie chimique d’oxydoréduction utilisable par les cellules. Certains organites sont les restes d’anciens organismes symbiotiques (organismes vivant en association étroite l’un avec l’autre). Une multitude d’exemples tels que les bactéries ou les virus, les algues, les coraux, les lichens… illustrent l’extrême étendue de la biodiversité tout en partageant les caractères communs des organismes vivants.
Liens : 1.3, 2.10, 3.3, 3.4, 3.5, 3.6, 4.1, 4.3, 4.5, 4.6, 5.3
2. Espèce biologique Une espèce est un ensemble d’organismes interféconds dont la descendance est viable et elle-même interféconde. Cette définition ne s’applique pas aux organismes asexués comme les bactéries. Dans ce cas, on fait appel à d’autres critères pour définir les espèces, comme le degré de similitude de leurs séquences d’ADN. Accessible aux non-spécialistes, l’ouvrage De l’origine des espèces publié en 1859 par Charles Darwin a eu et a toujours un immense impact. Son contenu est largement fondé sur des observations que son auteur effectua lors d’un périple de cinq années à bord du bateau The Beagle. Le concept de sélection naturelle y est introduit, et Darwin établit l’évolution des espèces comme théorie scientifique.
Fig. 40 - De l’origine des espèces, Charles Darwin, édition de 1859
Les êtres humains ne forment qu’une seule espèce. Les échanges permanents entre les populations humaines n’ont jamais permis à un processus de spéciation6 par isolement géographique de s’opérer dans l’espèce Homo sapiens. La 6. Émergence de plusieurs espèces à partir d’une seule.
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Chapitre 3 - Spécificités du monde vivant
notion de race n’a aucun sens scientifique. Les populations humaines peuvent différer par certains caractères morphologiques, comme la couleur de la peau, liés à des processus de sélection dépendant de l’environnement, mais elles partagent la plupart de leurs formes de gènes. Dans une vision évolutive du monde vivant, une espèce n’a qu’une durée de vie limitée. Les espèces naissent, puis disparaissent.
Fig. 41 - Schéma très simplifié illustrant le métabolisme d’une cellule hétérotrophe
Lien : 3.4
3. Métabolisme Le métabolisme est l’ensemble des réactions chimiques se produisant au sein de l’organisme : réactions de dégradation des composés apportés par l’alimentation ; réactions de synthèse des constituants de l’organisme. Un organisme hétérotrophe a besoin pour sa croissance de molécules fabriquées par d’autres organismes vivants. Un organisme autotrophe n’a besoin que d’une source d’énergie et de composants minéraux présents dans l’environnement. Les végétaux et certaines bactéries utilisent l’énergie lumineuse pour fabriquer leurs constituants. Les animaux utilisent l’énergie contenue dans les composés fabriqués par les végétaux (herbivores) ou par d’autres animaux (carnivores). Chaque réaction du métabolisme est catalysée (accélérée) par la présence d’une enzyme spécifique de cette réaction. Les enzymes sont des protéines. Le « cycle de Krebs » conduit indirectement à la création de molécules d’ATP (cf. § 1 plus haut) à partir de glucides essentiellement, et à de nombreux autres composés.
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Ce livre est le fruit des réflexions menées dans le groupe « Culture scientifique » de l’Union rationaliste.
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