Côte à côte

Page 1

Côte à côte

Quand femmes et hommes avancent ensemble

Direction :

Jonathan Boulet

Direction éditoriale :

Sara Le Levier Édition & fabrication :

Julia Bouard

Couverture & illustrations :

Helga Katharina Kahl

© Éditions Bibli’O, 2023 6 rue Lhomond, 75005 Paris

Sauf indication, les textes bibliques sont cités de la Bible

Nouvelle Français courant.

Pour les autres citations :

Nouvelle Bible Segond © Société biblique française Bibli’O, 2002

Bible Parole de Vie © Société biblique française Bibli’O, 2000

ISBN : 978-2-37559-026-3

Dépôt légal : 3e trimestre 2023

Imprimé en République tchèque par Finidr

Mise en page : Cédrick Fernandez

www.editionsbiblio.fr

Préfaces

Si je l’osais, je dirais que ce livre est d’abord pour moi. Quelles questions ne me suis-je pas posées dans mon propre parcours ? « Ai-je le droit… ? Suis-je capable… ? Dieu veutil… ? » La foi est une relation vivante à un Dieu qui nous connaît parfaitement. Vivre cette foi requiert du discernement, de la persévérance, le courage de se remettre en question aussi. Et, surtout, l’audace d’oser. Oser (se) bousculer, oser avancer, oser interroger, oser la vulnérabilité, comme l’écrit Lydia. Alors, lui proposer de rédiger cet ouvrage sur le sujet du « servir ensemble » a été une évidence : la finesse et la justesse de son écriture, la profondeur de ses réflexions, les nuances et la pertinence apportées... Tout cela vient soutenir un propos qui se veut délicat, à la mesure de son parcours et cheminement.

Car des ouvrages sur la femme, il y en a beaucoup. Mais Lydia parvient ici à nous faire parcourir, ensemble, hommes et femmes, une aventure qu’elle a expérimentée et dont elle nous fait part avec authenticité. Des découvertes bibliques aussi : la façon dont Dieu peut réajuster nos a priori qui ont parfois la peau si dure, sur des récits que l’on pense connaître par cœur. Lydia nous propose une plongée au cœur du féminin, mais pas seulement. C’est une voie qui fait résonner deux voix, celles de l’homme et de la femme, côte à côte, visant un même but : aimer Dieu dans un service humble et commun. Ce n’est rien de moins qu’un baume sur des blessures qui peuvent se révéler vivaces.

7

Ceci est un ouvrage sans superficialité ni compromis. Il interroge, accompagne, réconforte, dérange peut-être. Qu’importe au fond, pourvu qu’il soit un tremplin vers un renouveau où l’homme et la femme trouvent communément leur place, enfin réconciliés, capables de s’entraider et s’épauler. En bref, servir côte à côte ce Dieu qui nous aime tant, et ainsi être des témoins vivants de son amour.

8
directrice éditoriale des éditions Scriptura

Le livre que vous tenez entre les mains est bien plus intéressant qu’un simple inventaire des arguments en présence et des éléments qui constituent le dossier du ministère des femmes dans l’Église. L’argumentation est nécessaire, bien sûr. Les arguments en présence sont d’ordre historique, culturel, théologique, herméneutique, exégétique. Ils sont passionnants à étudier, ne serait-ce qu’à cause de toutes les questions de méthode qu’ils soulèvent. Et ce livre ne manque pas d’argumentation, par exemple dans son dialogue équilibré avec le féminisme, ou dans sa réflexion intelligente sur le masculin et le féminin, ou dans ses belles propositions sur le leadership. Ceci dit, en matière de ministère des femmes dans l’Église, l’étude des arguments — on est obligé de le constater — ne permet pas, comme pour beaucoup d’autres sujets, de mettre tout le monde d’accord. Est-ce grave ? Non !

Car « Côte à côte » nous rappelle que nous parlons aussi d’une question éminemment spirituelle et existentielle, et que c’est dans le cadre d’une démarche spirituelle et existentielle que les arguments prennent tout leur sens et trouvent leur juste place. « Seigneur, je sens que tu m’appelles au ministère… Comment répondre à ton appel ? Comment me préparer ?

Quel chemin précis emprunter ? »

Lydia Lehmann, pasteure d’une Église de l’Association évangélique des Églises baptistes de langue française

(AEEBLF), est le bon guide pour nous conduire : observer l’autrice (par le biais du livre), c’est s’interroger avec elle

9

sur le ministère, sur la volonté de Dieu, sur la vocation, sur les rapports hommes-femmes, sur le leadership de façon instructive, peut-être plus encore que de lire un traité sur ces sujets. Car, oui, la vocation est un chemin fait de lignes droites ensoleillées, de fiertés, mais aussi de passages obscurs, de doutes, d’obstacles, et donc inévitablement de blessures. Henri Blocher écrit que « les Églises exigent des signes plus flagrants des dons dans le cas des femmes a », autrement dit, que les femmes auront toujours plus à faire leurs preuves que les hommes. Madeleine Blocher-Saillens, première femme pasteure de plein droit en France et pasteure pendant vingt ans à l’Église baptiste du Tabernacle à Paris, cite dans son journal un paroissien qui dit : « Il n’y a pas de pasteur au Tabernacle, il n’y a qu’une femme b ... ». Je ne sais pas comment je réagirais à ce genre de réflexion, mais quelle force de caractère il faut pour « refuser l’offense » (comme le dit le livre) et poursuivre le voyage !

Le chemin de ce livre, Lydia Lehmann le parcourt aux côtés d’hommes et de femmes (car c’est la mixité du service qu’elle défend !) d’hier et d’aujourd’hui, de la Bible et de l’histoire, dont les apports donnent à la lecture sa richesse et sa profondeur. En théologienne, elle sait qu’on ne peut pas raisonner toute seule et qu’il faut convoquer autour de la table des partenaires de dialogue. En exégète, elle sait aussi lire les textes bibliques attentivement, y compris les textes difficiles, et y consacre une bonne partie du livre. Car le cœur du livre

a Henri Blocher, « Les femmes, le ministère et l’Évangile : pistes pour un nouveau paradigme », Les grandes questions de la théologie, vol. 1, Excelsis, Charols, 2021, p. 100. b Madeleine Blocher-Saillens, Féministe et fondamentaliste, extraits de son Journal établis et annotés par Jacques É. Blocher, Excelsis, Charols, 2014.

10

est une immersion dans les récits bibliques. Les prédicateurs apprécieront la finesse de ses lectures !

L’état d’esprit constructif qui est présent page après page, les propositions positives du livre, ainsi que mes propres observations me donnent des raisons d’espérer de belles choses. Les étudiantes et étudiants en théologie que je vois passer, qui viennent de traditions chrétiennes très différentes, qui sont nourris de convictions diverses, se respectent mutuellement ou apprennent à le faire. Ils savent qu’on doit apprendre les uns des autres. Leur désir de travail en équipe ne se laisse pas arrêter par la peur ou par l’habitude. Ils savent que l’avenir de l’Église passe par la coopération de toutes et tous, et en particulier de ceux et celles que le Seigneur appelle à des ministères particuliers, dans la diversité de ces ministères. Tel est bien le message de « Côte à côte. Quand femmes et hommes avancent ensemble ».

11

Les abréviations utilisées pour se référer au texte biblique sont celles de la Bible Nouvelle Français courant. *

Les références bibliographiques, signalées par un chiffre en appel de note, peuvent être retrouvées en fin de partie.

Les notes immédiates sont signalées par une lettre et figurent en bas de page.

*

Je me réjouis que vous teniez ce livre entre vos mains ! Avant que nous débutions ensemble notre aventure, voici quelques « recommandations de voyage », chers lecteurs et chères lectrices.

Ceci n’est pas un ouvrage à destination des femmes uniquement. J’écris pour tout un chacun, car je suis convaincue que les hommes et les femmes sont pleinement concernés par la thématique abordée et, cela, quel que soit leur âge. Encourager ma génération à réfléchir aux questions liées à la relation entre les femmes et les hommes, à la féminité et à la masculinité ainsi qu’aux mille et une manières dont nous pouvons les habiter harmonieusement aujourd’hui, me tient particulièrement à cœur.

Comment construire l’avenir ensemble, en évitant autant la guerre des sexes que l’acceptation du statu quo et la résignation devant les injustices ?

La première partie de ce livre, « Des graines et de la plante », retrace mon cheminement quant à ma place en tant que femme, dans l’Église et dans la société. En 2013, j’ai commencé à exercer un ministère pastoral et, en 2015, j’ai été nommée pasteure, mais ce chemin ne s’est pas facilement imposé à moi. Je suis toujours émerveillée quand je contemple à nouveau l’action de Dieu dans ma vie. Il sait tracer un chemin là où nous n’en voyons pas. Il a les moyens créatifs de nous amener là où il veut, et il

15
Introduction

n’a que faire de nos convenances et idées préconçues. Si j’ose partager ici ces étapes de mon parcours — mélange de moments douloureux et heureux — et ce qui m’a aidée à poser un pas après l’autre, c’est dans l’espoir que ce vécu vous encourage à votre tour. Dans la deuxième partie, « Parole aux femmes, paroles de femmes », nous partons à la découverte du côté subversif de la Bible en ce qui concerne la place des femmes. Le but n’est pas d’étudier les textes classiques en lien avec le ministère des femmes dans l’Église (« Que les femmes gardent le silence dans les assemblées » (1 Cor 14.34), « Je ne permets pas à la femme d’enseigner… » (1 Tim 2.12), les femmes annonçant le message de la résurrection (Matt 28.8-10 ; Luc 24.8-10 ; Jean 20.17-18), ou encore Rom 16.1-7 où les femmes et collaboratrices de l’apôtre Paul sont citées, etc.). Il y a pour cela d’autres livres, d’autres articles de blog, d’autres endroits pour cela que je vous recommande d’ailleurs chaleureusement c .

À mes yeux, le dossier biblique pour libérer la parole et encourager le ministère des femmes dans l’Église est solide et je ne veux pas refaire le débat ici. Je vous propose plutôt un voyage à la rencontre de femmes protagonistes dans des récits de l’Ancien et du Nouveau Testament, avec leur souffrance, leur courage, leur espoir, et leur audace aussi. Ces récits nous libèrent, chacun à sa manière.

Enfin, dans la troisième partie « Moi, féministe ? », je vous parle de mon dialogue avec le féminisme, me questionne sur ce que veut dire être femme, être homme

16
c Le blog « Servir Ensemble », notamment, regorge d’excellents articles sur le sujet.

aujourd’hui, et propose des pistes de réflexion autour du leadership au féminin, au masculin, à deux voix. Je vois ces réflexions partagées comme une photo, prise à ce moment de ma vie, des convictions qui pourront encore s’enrichir et évoluer dans les années qui viennent. Si j’ose vous décrire cette photo aujourd’hui, c’est parce que je suis convaincue qu’il s’agit d’un chemin et que, sur celui-ci, nous ne pouvons avancer que si nous marchons ensemble, côte à côte, en partageant nos réflexions et en nous stimulant mutuellement.

J’aimerais apporter ma contribution pour que les choses évoluent quant à la place de chacune et chacun, dans l’amour et le respect. Ce n’est qu’une goutte d’eau, mais si nos gouttes se rassemblent et forment un océan, nous pourrons créer un environnement plus épanouissant pour les femmes et les hommes.

Prête ou prêt à embarquer ? Alors je vous souhaite une bonne et enrichissante lecture !

17

Des graines et de la plante

Nous attendons avec impatience le jour où les femmes ne seront pas empêchées d’exercer les dons de Dieu ni de suivre l’appel de Dieu sur leur vie 1 .

19
1
Partie

Poème

Des graines et de la plante

Mise en terre est ma mort

humide

De l’eau beaucoup d’eau des larmes pour féconder

Graine toute seule reste graine néant Graines de ton appel impérieux besoin de mourir

Descendre très bas jusqu’aux cimes des tréfonds

21

L’agonie

de ma volonté pensées limitantes ma prison

Mourir un nouveau jour ténèbres vivifiantes baignées de couleur

Feuilles mortes sur mon chemin pieds nus elles aussi

Compost de ma vie terreau de ta grâce tendre bourgeonnement

Du vert plein les yeux danse d’oiseaux

dans ses branches généreuses

22

Debout et reconnaissante 2

Les graines d’un appel

Rien ne me destinait au ministère pastoral. À première vue du moins.

Je suis née dans une famille chrétienne en Allemagne. Une famille de pasteurs et une famille nombreuse. Une famille où nous apprenions très tôt à connaître Dieu et à entrer en relation avec lui à travers Jésus — et pour cela je suis particulièrement reconnaissante à mes parents et je le serai toujours : c’est ce qu’ils m’ont transmis de plus précieux. C’était aussi un contexte où les femmes ne pouvaient pas être pasteures ni même exercer un ministère de prédication ou de leadership dans l’Église.

À l’âge de six ans environ, j’ai pris pour la première fois la décision de suivre Jésus. J’étais une enfant très introvertie, calme et sensible et j’avais soif de Dieu, soif de mieux le connaître, soif de le servir, dès les premières années de ma vie. Après un moment de doute dans ma foi, à l’âge de douze ans, j’ai confirmé très consciemment ma décision de suivre Jésus. Petit à petit, je me suis engagée comme monitrice à l’école du dimanche, dans l’évangélisation, la musique et l’animation d’études bibliques dans un groupe au collège et au lycée, comme il était possible de le faire dans mon contexte allemand.

23 Chapitre 1

Je vivais une période fervente et engagée dans ma vie de foi dont je parlais ouvertement autour de moi. Pendant mon adolescence, je rêvais de pouvoir servir Dieu comme médecin-missionnaire et ensuite comme traductrice de la Bible. Dieu avait déjà mis les graines d’un appel dans mon cœur, mais la plante qui allait se développer peu à peu prendrait une forme inattendue.

Après avoir obtenu mon baccalauréat, j’avais le désir de passer une année en France, de faire une année sabbatique pour servir Dieu dans un autre cadre et apprendre à connaître une autre culture. Je voulais faire une année en tant qu’étudiante-volontaire, rendant des services pratiques et pouvant suivre quelques cours, à l’Institut biblique de Nogent, mais toutes les places étaient déjà prises cette année-là. Les autres portes auxquelles j’avais frappé restaient également fermées. Le temps passait, on était déjà en septembre… et toujours rien. Une semaine avant la rentrée académique de l’Institut, la directrice, Lydia Jaeger, m’a appelée pour demander si je ne voulais pas faire des études plutôt que du volontariat. Merci d’avoir osé cette proposition inhabituelle !

La veille de cet appel téléphonique, une dernière porte s’était fermée et j’avais, après un moment de grand découragement, tout remis entre les mains de Dieu. Dans mon cœur, c’était sûr : cet appel venait de lui. Comme j’avais déjà eu auparavant le désir de faire des études bibliques et théologiques, j’ai accepté cette proposition, pour un semestre ; c’était tout ce que mes moyens financiers me permettaient à ce moment-là. Je n’ai cependant pas pu m’arrêter après ce semestre. J’ai suivi le cursus complet

24

de trois ans à Nogent, qui m’a ensuite servi de passerelle vers le bachelor et le master à la Faculté Libre de Théologie Évangélique de Vaux-sur-Seine. Dieu a pourvu à mes besoins par différents soutiens et bourses et par le travail que j’ai pu obtenir. J’avais trouvé ma voie, ce pour quoi j’avais été faite ! Ma soif d’apprendre était insatiable, j’étais pleinement investie dans ces études, mais je ne savais toujours pas quelle forme Dieu donnerait à l’appel semé en moi.

Un temps de maturation

Durant l’apprentissage de la prédication, j’avais de bons échos de la part des professeurs et des autres élèves. Mes amis m’encourageaient à persévérer, étant convaincus que j’avais un don pour l’enseignement merci pour votre foi, votre soutien même quand vous ne voyiez que les germes de ce que Dieu avait prévu. Sans vous, je ne serais pas là où j’en suis aujourd’hui. Tout comme mes parents, vous avez investi du temps et de l’amour dans ma vie et c’est tout simplement d’une valeur inestimable. C’est seulement en cinquième année d’études que j’ai prêché pour la première fois dans une Église, un peu « forcée » par les exigences de validation du cours d’homilétique cette année-là — merci à ce professeur pour son exigence qui a été un premier tremplin vers le ministère pastoral et merci à cette Église qui a accompagné mes premiers essais de prédication avec encouragement et bienveillance !

Pourquoi cela m’a-t-il pris autant de temps pour faire le pas de servir dans un ministère de prédication ?

25

Parce que j’avais grandi avec la conviction que les femmes ne pouvaient ni prêcher ni être pasteures et que je ne pouvais, par conséquent, pas imaginer mon avenir dans un ministère pastoral. Parce que je ne voulais pas commencer à prêcher sans avoir la conviction que c’était ce que Dieu voulait. Parce qu’il m’a fallu du temps pour étudier les textes bibliques en question, comparer les interprétations, forger ma compréhension de ces textes à la lumière des connaissances acquises au cours des études de théologie. J’avais donc tout d’abord des réticences internes auxquelles je devais faire face. Quelle était ma place dans l’Église en tant que femme ? Pouvais-je exercer un leadership dans une Église, assumer une responsabilité de direction et, plus précisément, être pasteure ?

À côté de la question épineuse de l’interprétation des textes, il me fallait également faire face aux obstacles externes. Ils se présentaient à moi sous forme d’incompréhension venant de mon milieu d’origine : faire le pas de parler de mes nouvelles convictions à ma famille car je voulais vivre dans l’authenticité — a été assez difficile. Mais Dieu a su se frayer un chemin. Contre toute attente, je me suis levée et Dieu m’a donné la force de vivre l’appel qu’il m’avait adressé malgré la critique. Sa douce et endurante persuasion a eu raison des murs que nos mains humaines construisent. « Avec toi, je prends d’assaut une muraille, grâce à toi, mon Dieu, je franchis un rempart » (Ps 18.30), qu’il soit intérieur ou extérieur. Dix ans plus tard, du chemin a été parcouru de part et d’autre, même si les divergences théologiques entre moi et mes parents demeurent. Je suis consciente que certains pas, aimants et

26

courageux, leur ont coûté. Je leur suis reconnaissante de les avoir osés malgré tout.

J’ai été profondément touchée par quelques lignes du poète allemand Rainer Maria Rilke à propos de la relation entre parents et enfants. Je les ai reçues comme un cadeau immense : « Évitez de nourrir ce drame toujours ouvert entre parents et enfants : il gaspille tant de force chez les enfants et consume l’amour des parents qui agit et réchauffe même lorsqu’il ne comprend pas. N’exigez aucun conseil d’eux et ne comptez pas sur la moindre compréhension, mais croyez en leur amour qui vous sera conservé comme un héritage ; et soyez persuadé qu’il y a, dans cet amour, une force et une bénédiction que vous n’aurez pas à abandonner pour aller fort loin 3 ! » Quel apaisement, quel baume sur les endroits douloureux d’une relation. À cet instant, je prends la décision de recevoir l’amour de mes parents comme une bénédiction, et cela me suffit.

Après mes études à la Faculté Libre de Théologie Évangélique, j’ai fait un stage de neuf mois dans une Église en Suisse. Église qui n’avait jamais eu auparavant une femme stagiaire et qui n’avait pas l’habitude d’une prédication féminine. Église qui a malgré tout accepté de m’offrir ce stage où j’ai pu apprendre tant de choses et faire mes premiers pas dans le ministère — merci à tous ceux et toutes celles qui ont rendu ce stage possible ! À la fin de ce stage, je me suis mariée avec Léo Lehmann, un étudiant en théologie qui avait également un appel pour le ministère pastoral et nous sommes partis en Belgique. Il y avait là une des rares Églises de notre union d’Églises

27

qui était ouverte au ministère pastoral des femmes — merci pour l’accueil chaleureux et le courage de tenter cette aventure avec nous ! Je suis aussi profondément reconnaissante pour le travail accompli par Dora et Georges Winston a en ce qui concerne l’ouverture du ministère pastoral aux femmes au sein du milieu dans lequel j’évolue en Belgique. Nous avons commencé notre ministère à deux en tant qu’« assistants à l’équipe pastorale » — composée d’anciens — pendant deux ans, avec une particularité : j’étais engagée par l’Église, tandis que mon mari était encore en train de terminer ses études à Vaux-sur-Seine. Au bout de deux ans, nous sommes devenus tous les deux pasteurs de cette Église et l’année suivante mon mari a été engagé à 75 %, au même taux d’occupation que moi.

Contre toute attente

Contre toute attente. À certains égards, cette expression résume bien mon vécu dans les premières années de mon ministère. J’ai été à une place où l’on n’attendait pas une femme, dans un métier encore très masculin. Quand j’ai commencé, j’étais la seule femme pasteure dans notre union d’Églises — même s’il y en avait eu une autre avant moi ! À l’heure actuelle, nous sommes quatre, ce qui est un grand encouragement pour moi.

a En 1986, Dora et Georges Winston ont implanté avec d’autres l’Église dans laquelle j’exerce actuellement un ministère pastoral en tant que co-pasteure, aux côtés d’Audrey Torrini. Georges Winston a été directeur de l’Institut Biblique Belge de 1965 à 1985. Ensemble, Dora et Georges Winston ont publié un livre intitulé Les femmes dans le ministère chrétien (Excelsis). Leur soutien au ministère pastoral des femmes avait aussi influencé l’Église dans laquelle j’ai exercé mon ministère de 2013 à 2021.

28

Merci à vous d’avoir osé à votre tour et d’avoir eu l’audace de répondre à l’appel de Dieu.

Même dans une communauté habituée à la prédication féminine depuis ses débuts et comptant plusieurs femmes parmi les anciens, le titre de pasteur attribué à une femme n’a pas été simple pour tous et toutes. « Tous les deux pasteurs », c’est ainsi que nous nous présentions après avoir constaté à plusieurs reprises que nous décrire comme « couple pastoral » conduisait nos interlocuteurs à m’interroger ensuite sur mon métier… Le pastorat en couple où les deux sont pasteurs, comme nous l’avons vécu pendant plusieurs années, est une situation inhabituelle qui comporte des avantages, mais aussi beaucoup de défis b. Pendant les premières années, j’avais parfois l’impression que je pouvais prêcher, enseigner à l’intérieur de l’Église, mais qu’à l’extérieur cela ne « présentait » pas toujours bien. Pour des mariages par exemple, on a préféré plusieurs fois demander à mon mari : une femme, cela pourrait déranger les familles des mariés qui ne sont souvent pas habituées à une prédication féminine… C’était d’autant plus douloureux quand on a demandé à mon mari de prêcher et à moi de m’occuper d’un service facilement attribué à une femme. Mon mari a eu l’idée et l’audace de proposer que nous fassions l’inverse : je prêcherais et il s’occuperait des questions d’intendance. L’idée n’a pas pu aboutir, mais je suis si fière et reconnaissante d’avoir un mari qui ose marcher à contrecourant avec moi. Sa disposition intérieure à l’humilité, à

29
b J’en parlerai davantage dans la troisième partie de ce livre.

renoncer pour que je puisse trouver ma place, me touchera toujours à nouveau 4. Même si nous avons finalement accédé à la demande initiale, nous avons pu exprimer que nous étions mal à l’aise avec une telle répartition des tâches — ce qui est déjà une petite victoire ! Par la suite, nous avons changé de stratégie : quand, par exemple, on a demandé à mon mari de prêcher lors d’une cérémonie de mariage et à moi d’accompagner les chants au piano, nous avons proposé d’apporter une prédication à deux voix, ce qui a été bien accepté et apprécié même là où il n’y avait pas l’habitude d’une prédication féminine. Comme il s’agissait d’une nouvelle manière de vivre le pastorat, nous avons avancé à tâtons, laissant mûrir nos convictions pour ensuite oser les vivre jusqu’au bout et se laisser surprendre par l’accueil positif que cela pouvait avoir. Bien évidemment, il ne s’agit pas de vivre à contre-courant par plaisir ou même provocation, mais par nécessité : quand je remarque que ma vocation est différente de ce que l’on attend de moi, je n’ai guère d’autre choix que de décevoir les attentes, avec respect et bienveillance, en vivant ce à quoi j’ai été appelée. Autrement, j’étoufferais mes dons, ce qui m’amènerait non pas sur un chemin de vie, mais sur un chemin de mort.

Il arrivait aussi qu’à l’intérieur de l’Église il y ait des remarques, des attitudes blessantes. Il a été difficile pour moi de constater que mon mari était vu par certains comme le pasteur. Pour des questions théologiques, on va plus facilement s’adresser à un homme, car on a toujours fait comme cela. Même pendant les trois ans où il était encore aux études et que j’avais déjà un diplôme

30

Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.