L'ÉVANGILE RENVERSANT
Pour une lecture libératrice de la Bible
Édition originale publiée en anglais sous le titre Guerrilla Gospel, Reading the Bible for Liberation in the Power of the Spirit. © Bob Ekblad, 2018. Tous droits réservés.
La présente traduction est publiée en accord avec
The People’s Seminary Press
Édition française :
Direction : Jonathan Boulet
Traduction : Marie-Lefebvre-Billiez
© Éditions Scriptura, 2021 6 rue Lhomond, 75005 Paris
Textes bibliques (sauf indications contraires) : Nouvelle Bible Segond © Société biblique française – Bibli’O, 2002.
Couverture & mise en page : Coraline Fouquet
ISBN : 978-2-37559-018-8 (SB0029)
Dépôt légal : 1er semestre 2022
Numéro d’impression : 110837
Imprimé en France
www.editions-scriptura.com
Bob EkbladL'ÉVANGILE RENVERSANT
Pour une lecture libératrice de la Bible
REMERCIEMENTS
Je remercie tout particulièrement les personnes suivantes pour leur aide dans la réalisation de ce livre. Les détenus de Skagit County Jail et de Washington State Reformatory ont été mes compagnons de lecture les plus réguliers et les co-témoins de l’amour révolutionnaire de Jésus. Notre équipe à Tierra Nueva, nos co-aumôniers en prison et les participants à nos cultes communautaires ont aussi contribué à me faire comprendre des réalités qui se retrouvent dans ce livre. Karen Hollenbeck-Wuest m’a aidé avec de précieuses corrections, des conseils d’experte et des encouragements. Pauline Hoggarth, Roger Wilkinson, John Boggis et Martin et Alison Robinson ont toutes et tous lu des versions précédentes de ce livre, m’apportant de précieux commentaires et corrections. Roger Capron, Mike Neelley, Brad Jersak, Lucy Peppiatt, Matt Lynch et John Hall m’ont aussi fait des observations utiles et apporté des encouragements pendant la rédaction du livre. Les conversations et les études bibliques avec David Calix, Julio Montalvo, Salvio Hernandez, Jessica Cargill et Lucrezia Bush ont directement influencé plusieurs de ces chapitres. Merci à Roswell Cho pour ses idées à propos du titre du livre en anglais, à Jim LePage qui a conçu la couverture en anglais avec
L’Évangile renversant beaucoup de talent et de créativité, et à Vicky Frye pour son expertise pour la mise en page. La façon dont Gerald West anime des études bibliques, ses enseignements, ses écrits et son amitié m’ont influencé et inspiré depuis des années.
L'engagement de ma femme Gracie pour Jésus et son amour pour l’Écriture sont contagieux. Elle m’a aimé et accompagné de façon constante dans la vie et le ministère. Je me réjouis de pouvoir vivre bien d’autres années d’amitié, d’aventure et de rencontres libératrices avec elle.
Merci à Dieu pour son amour constant, son soutien, son inspiration à travers le Saint-Esprit, pour l’exemple de Jésus et son enseignement à jamais percutant dans les magnifiques évangiles.
AVANT-PROPOS
Gerald O. West« Dans l’expérience de nombreuses personnes, la Bible a été utilisée comme une arme contre elles par des gens en position d’autorité. »
C’est ainsi que Bob Ekblad commence son deuxième chapitre sur une lecture libératrice de la Bible. Pour les pauvres et les personnes marginalisées, la Bible apporte souvent une mauvaise nouvelle plutôt que la bonne nouvelle que Jésus est venu proclamer « aux pauvres » :
Pour annoncer la bonne nouvelle aux pauvres ; il m’a envoyé pour proclamer aux captifs la délivrance, et aux aveugles le retour à la vue, pour renvoyer libres les opprimés, pour proclamer une année d’accueil de la part du Seigneur (Lc 4.18-19).
L’Évangile renversant
Voici la surprenante incitation de Bob Eklad à la résistance dans laquelle Jésus nous enrôle pour que nous la vivions et la proclamions. Reconnaître profondément que ce qui devrait être une bonne nouvelle est en fait une mauvaise nouvelle est le don de Bob Ekblad aux chrétiens. Un pasteur dit à une jeune femme séropositive qu’elle ne doit pas toucher la Bible parce qu’elle est impure. Une famille chrétienne dit à l’un des siens sans emploi que son chômage est une punition de Dieu pour ses péchés. Une famille laisse son enfant handicapé à la maison pour aller à l’église parce que son échec à être guéri fait honte à la famille. On dit à une fidèle monitrice de l’école du dimanche de laisser tomber son ministère parce qu’elle est homosexuelle. Un pasteur conseille à une femme victime d’abus répétés de la part de son mari de continuer à se soumettre à lui. À chaque fois, la Bible est utilisée pour proclamer cette mauvaise nouvelle. Et si la Bible, demande Bob, était vraiment une bonne nouvelle pour les pauvres et les personnes marginalisées ?
Pour que la Bible apporte vraiment une bonne nouvelle, selon Bob, elle doit être libérée de sa domestication. Nous devons nous humilier devant les détails perturbants et à contre-courant de l’Écriture. Nous devons résister à la notion dominante et dominatrice selon laquelle la Bible tourne autour du moralisme. Nous devons résister à notre propension à nous concentrer sur la dimension héroïque des personnages bibliques sans reconnaître leur faillibilité et leurs échecs. De fait, Bob voit la proclamation divine de la bonne nouvelle dans le caractère très ordinaire de la narration biblique.
Je me souviens très bien d’une étude biblique que Bob a dirigée dans la prison locale près de chez lui, quand il a demandé aux détenus quelles images ils avaient de Dieu. L’image récurrente
était celle d’une figure puissante qui surveille pour contrôler, humilier et punir. Dieu était comme les surveillants de prison, les douaniers qui protègent les frontières ou le juge. Puis le groupe a lu un récit célèbre des évangiles où les Pharisiens utilisent l’Écriture pour stigmatiser et marginaliser, avant d’être eux-mêmes remis en cause par Jésus, qui se tient toujours du côté de la personne stigmatisée et marginalisée et qui utilise les mêmes Écritures pour soutenir et inclure. « Qui dans ce récit des évangiles, demanda Bob aux détenus, ressemble au Dieu que vous avez imaginé, Jésus ou les Pharisiens ? » Les détenus étaient unanimes : « Les Pharisiens ». Pendant les vingt minutes qui ont suivi, nous avons tous participé en dialogue à une relecture renversante de la Bible. Quand il fut temps pour les surveillants de venir chercher les détenus, nous avions conclu que si Jésus était la représentation la plus vraie et la plus complète de Dieu, alors nous devions réimaginer un Dieu libérateur, inclusif et plein de compassion. Je n’ai jamais oublié cette rencontre. Plusieurs années plus tard, j’ai constaté avec horreur que les Églises disaient aux Sud-Africains vivant avec le sida que le sida était une punition de Dieu, le salaire du péché. Heureusement, je pouvais m’appuyer sur l’exemple de Bob Ekblad, et alors nous sommes retournés aux mêmes récits des évangiles dans lesquels Jésus offre une image de Dieu rédemptrice et guérissante – plutôt que condamnatoire et destructrice.
Si nous croyons vraiment que la Bible est une bonne nouvelle, alors nous serons tirés de notre passivité et nous nous sentirons obligés d’œuvrer avec le « commandant » Jésus, le rejoignant dans une interprétation de la Bible pleine de compassion et de combativité. Pour ce faire, Bob nous offre les orientations théologiques subversives et révolutionnaires dont nous avons besoin
L’Évangile renversant
Il nous offre aussi un modèle pour que nous sachions comment participer à cet Évangile renversant en contextualisant le processus « voir, juger, agir », qui devient « voir, discerner et répondre ». Formé en tant que bibliste, Bob propose une relecture de l’Écriture, mais la majorité du livre consiste à voir la réalité de notre monde. Au fil des nombreuses années de son ministère, Bob Ekblad a approfondi sa compréhension de ce que veut dire voir la réalité. Une compréhension analytique des systèmes sociaux, culturels, économiques, politiques et religieux qui dominent et oppressent les pauvres et les personnes marginalisées a été au cœur de sa vocation. Récemment, il a été plus attentif aux domaines affectifs individuels de la vie, permettant à l’Esprit de révéler des dimensions de la réalité qui ne peuvent pas être immédiatement expliquées par une analyse systémique. Ce que l’on pourrait appeler le « discernement spirituel » s’est mis à jouer un rôle important dans sa capacité à reconnaître les signes des temps, qu’ils soient collectifs ou individuels.
Parce que l’Évangile interpelle la réalité dans toute sa complexité, Bob affirme que préparer des études bibliques lucides, nécessite « méditation, prière et étude ». Parce que la résistance est si ouvertement militante, subversive et révolutionnaire, elle peut facilement être mal comprise comme étant déconnectée de la vie de foi ordinaire de la plupart des croyants. Pour Bob, il est très clair que de telles études bibliques « subversives » se forment dans la foi ordinaire. Elles ne sont révolutionnaires que parce que notre foi chrétienne, telle que Jésus la définit et la proclame, est subversive et révolutionnaire.
« Demander à l’Esprit sagesse, inspiration et révélation » est vital pour préparer des études bibliques interactives, mais le dur labeur qui consiste à faire attention aux détails de l’Écriture
l’est tout autant, car dans ces détails, c’est Dieu – et non pas le diable – que l’on trouve. Malheureusement, une grande partie de ces détails de l’Écriture ne sont ni reconnus ni lus car nous avons domestiqué la Bible, permettant à nos orientations théologiques prédéterminées de guider ce que nous voyons et entendons dans l’Écriture. En tant qu’érudit et praticien socialement engagé, Bob partage son expérience considérable dans l’art de relire l’Écriture de manière tenace pour nous ouvrir à une lecture « lente » de l’Écriture afin que l’Esprit puisse déranger nos théologies moralistes rebattues.
L’une des marques de notre époque religieuse est le fait que la direction des Églises soit devenue de plus en plus autocratique1. Les chrétiens ordinaires, nous rappelle Bob, sont devenus de plus en plus passifs, en mode « je-reçois-une-bénédiction » plutôt que « je-partage-une-bénédiction ». Des rencontres libératrices nécessitent que les animateurs fassent preuve de talents dynamiques car elles nécessitent une participation dynamique. Mon souvenir le plus tenace de Bob est le suivant : je l’ai observé faciliter la participation des personnes présentes, y compris dans les endroits les plus improbables, comme auprès de détenus en prison ou d’ouvriers agricoles migrants en plein champ. Faciliter une telle participation est un art, un talent et une discipline spirituelle. Ce livre consacre un espace considérable à nous proposer, à nous tous, des ressources pour que nous devenions de meilleurs animateurs.
Les études bibliques « de résistance » n’ont pas pour objectif de mieux nous faire connaître nos Bibles, même si elles vont approfondir notre compréhension de l’Écriture. Au contraire, elles cherchent à changer nos réalités, à la fois sociales et individuelles.
1 En particlulier dans le monde anglo-saxon, ndlt.
L’Évangile renversant
Fidèles à la pratique « voir, juger, agir », nous nous engageons dans ces études bibliques combatives pour « aboutir à des conversions, des guérisons et des transformations personnelles et sociales », comme Bob le dit. Ces études bibliques cherchent à changer nos réalités, sociales et individuelles. Le processus même d'y participer nous change. Cette étude de la Bible attentive et active nous fournit des ressources qui nous permettent de travailler avec Dieu à transformer notre monde.
Ce livre est une ressource précieuse pour toutes les personnes qui aspirent à participer à l’œuvre renversante et révolutionnaire de Dieu. Bob raconte des anecdotes issues de ses décennies d’expérience dans des contextes différents, qui illustrent son interprétation résistante, qui montre en chair et en os le pouvoir transformateur de l’Évangile.
PRÉFACE
Jésus de Nazareth est mon inspiration pour ma vie et mon ministère et pour ce que j’appelle en français des « études bibliques interactives » ou des « rencontres libératrices ».
La vie et l’enseignement de Jésus, tels que consignés dans les évangiles du Nouveau Testament, incarnent le mot « évangile », qui signifie « bonne nouvelle » ou « message libérateur ».
Selon les Écritures du Nouveau Testament, Jésus est le Fils de Dieu, le Messie d’Israël, et le Seigneur lui-même en chair et en os. Il est né dans un monde marqué par l’oppression et l’injustice pour annoncer et incarner le mouvement de libération globale de Dieu. Comme un insurgé, un résistant, Jésus passe derrière les lignes ennemies de façon clandestine, puis établit la confiance avec un entourage grandissant de personnes humbles prêtes à le suivre. Il résiste aux autorités de son époque, avec leurs systèmes légaux, et appelle d’autres à le rejoindre.
Jésus pousse à la révolution, qu’il appelle le Royaume de Dieu. Il commence incognito, mais après son baptême vers l’âge de trente ans, il démontre publiquement dans ses enseignements une autorité jusque-là sans précédent, qui est confirmée par des actes de guérison, de plaidoyer et de libération au profit des opprimés, des
L’Évangile renversant pauvres, des exclus. Les nombreuses rencontres que fait Jésus dans les évangiles montrent qu’il enfreint les règles établies pour défendre les personnes marginalisées. Il s’en prend aux autorités – à la fois visibles et invisibles – et modélise un combat spirituel holistique source de liberté.
Jésus aime les gens si librement et si efficacement partout où il va, il cherche et trouve les personnes perdues et abandonnées, il relève les opprimés qui ont perdu espoir, il offre la vie en abondance à toutes celles et ceux qui le suivront. Comment ne pas en faire autant ? Lire la vie de Jésus dans les évangiles m’inspire à le suivre, profondément, à me baser sur ses enseignements pour ma vie quotidienne, et à travailler avec lui pour rejoindre les autres avec la bonne nouvelle qu’il incarne et proclame partout dans le Nouveau Testament.
Ce livre commence par un aperçu de ce que j’appelle l’Évangile de la résistance – le message libérateur et renversant qui se trouve dans l’Écriture, le plus clairement énoncé dans la vie et l’enseignement de Jésus de Nazareth, tels que décrits dans le Nouveau Testament. Ce livre inclut des perspectives et des suggestions sur la façon de recevoir et de préparer des messages qui invitent à la conversion, qui initient des actions de libération et qui engendrent une transformation holistique de guérison. Le point central de ce livre est de proposer des manières pratiques d'animer des conversations autour de la Bible dans des situations de marginalité, avec des personnes qui n’ont pas l’habitude qu’on aille les rencontrer pour les aimer et qui n’ont pas l’habitude d’être appelées par Dieu. Que ce soit parmi des détenus en prison, les habitants de bidonvilles urbains déshérités, des villageois africains, des Occidentaux avec ou sans éducation, ou des personnes qui vont régulièrement
à l’église, mon espérance est de faciliter des rencontres qui vont transformer les vies, à travers un partage en dialogue sur l'Écriture.
J’ai écrit ce livre douze ans après Lire la Bible avec les exclus1 , ma première tentative de communiquer cette façon de lire la Bible avec les personnes marginalisées. À ce moment-là, mon attention se portait sur les marges économiques et sociales, et sur les exclus de la culture dominante. Ma priorité se porte toujours sur la lecture de l’Écriture en tant que bonne nouvelle parmi les pauvres et les exclus, mais je constate aussi que la bonne nouvelle découverte parmi les détenus, les toxicomanes et les membres de gangs peut enflammer les cœurs des personnes participant à des cercles plus ordinaires ou du courant majoritaire, qui trouvent la Bible terne, sans lien avec leurs vies, ou bien étrangère et problématique. Je suis convaincu que lire la Bible peut nourrir notre foi et inspirer des actions de libération qui apporteront des transformations personnelles et sociales.
Mon approche et ma théologie ont été continuellement purifiées par le feu de la vie et du ministère. Depuis douze ans, j’ai parcouru l’ensemble du corps de Christ, les coins et les recoins du canon biblique à la recherche de la bonne nouvelle qui a la puissance de transformer les vies. Cette quête s’est accélérée à mesure que j’ai vu certains de nos détenus bien-aimés – si inspirés – certains ouvriers agricoles, ou certains paysans du Honduras qui participaient à nos études bibliques, rechuter, récidiver, et succomber aux séductions des idoles de notre époque. D’autres, au contraire, bénéficient d’une santé bien meilleure et sont devenus actifs dans le ministère. Ma quête d’approches fructueuses m’a aussi conduit à 1 Ed. Olivetan, 2008.
L’Évangile renversant franchir les frontières des différences, apprenant humblement de ministres et de praticiens de camps divergents.
L’Évangile renversant : pour une lecture libératrice de la Bible est un manuel de « formation » qui, j’espère, va aider ses lecteurs à envisager l’étendue de la révolution de Jésus pour que nous puissions y participer plus pleinement. La partie 1 est conçue pour aider les lecteurs à préparer des études bibliques. Le chapitre 1 présente le mouvement d’insurrection et de résistance, de Jésus ; le chapitre 2 identifie les postulats sous-jacents à des lectures libératrices de l’Écriture ; le chapitre 3 décrit la mission plus large de Dieu à travers l’Écriture ; le chapitre 4 présente une « étude de cas » avec la rencontre entre Jésus et une femme et sa communauté.
La partie 2 se concentre sur les manières d'animer des études bibliques (aussi appelées des rencontres libératrices). Le chapitre 5 examine comment nous pouvons nous caler sur la vision de Jésus ; le chapitre 6 identifie la façon dont nous pouvons entendre et percevoir des révélations prophétiques ; le chapitre 7 discute des manières de préparer des messages libérateurs ; le chapitre 8 se concentre sur la façon d'animer des études bibliques dans différents contextes ; le chapitre 9 explore comment employer les dons de l’Esprit comme des « tactiques de guérilla » quand on conduit des études bibliques, que l’on prêche ou que l’on enseigne.
Partie 1
SE P R ÉPARER À DES ENCONTRES R LIBÉRATRICES
Suivre le commandant Jésus
Je plaisante avec des anciens membres de gangs impliqués dans le ministère de Tierra Nueva en disant que Jésus est notre comandante. Ce mot espagnol désigne un commandant militaire ou de guérilla. Il donne l’ordre de tirer, il instruit ses soldats dans les tranchées de la guerre pour qu’ils fassent avancer le mouvement d’une insurrection sans précédent : une insurrection qui donne véritablement la vie, pour ajouter au Royaume de Dieu des habitants, des quartiers entiers et des groupes de gens du monde entier. Ces amis sont habitués aux commandants des gangs, ceux qui donnent l’ordre de tirer, ou bien ils en sont euxmêmes. Mais ils sont fatigués de vivre dans la peur, de porter le deuil de leurs potes1 bien-aimés tués lors de fusillades déclenchées depuis une voiture qui passait par-là ; ils en ont assez de passer des années de leur vie à purger de longues peines de prison.
Nous aimons que Jésus soit un outsider, à la recherche de recrues, zélé pour partir en mission. Nous aimons qu’il se retrouve avec ses confidents sur des montagnes ou dans des bateaux, rendant visite aux gens dans leurs maisons, enseignant et guérissant les foules le long du chemin, dans des champs ou des synagogues, sur des plages ou dans des déserts. Parler ainsi de Jésus est enthousiasmant. Nous
1 Argot des gangs pour désigner un membre du gang issu du même quartier.
1
L’Évangile renversant
avons vu tellement de victimes d’une vie frénétique, de l’addiction au travail, qu’il soit légal ou illégal, à la drogue, à l’alcool, trop de victimes de la pauvreté, de la violence des gangs, des violences domestiques. Nous en avons assez des couples qui se brisent, des enfants récupérés par les services de protection de l’enfance, des incarcérations, des morts prématurées par suicide, des homicides, des overdoses, et de toutes les différentes maladies. Beaucoup d’entre nous connaissent les bénéfices restaurateurs de l’aide salvatrice de Jésus, et nous souhaitons que d’autres en profitent. Faire partie d’un mouvement de véritable libération nous attire, nous donnant une nouvelle raison de vivre – et peut-être même quelque chose pour laquelle mourir.
La définition de la guerrilla donné par le dictionnaire convient dans une certaine mesure pour Jésus et ses disciples : « Combat mené par des groupes clandestins et caractérisé par des actions ponctuelles en vue de déstabiliser un régime1 » En espagnol, le mot guerrilla est un diminutif pour guerra (la guerre), qui inclut la notion de guerre à petite échelle. Les tactiques de guérilla sont définies comme une « forme de guerre caractérisée par des actions de harcèlement, d'embuscades ou de coups de main2 ». Le ministère de Jésus consiste à rejoindre des gens ordinaires pour les rendre capables d’agir par eux-mêmes, et ceci implique en général une lutte prolongée contre des puissances gigantesques. Cela requiert de la flexibilité, de l’adaptabilité, et d’être sur le qui-vive 24h/24.
Contrairement à la guérilla moderne, Jésus refuse la violence physique, la coercition et la terreur (Mt 26.52, Lc 9.55). Mais comme les activistes de la guérilla ou les résistants, Jésus utilise des tac-
1. www.larousse.fr
2 Ibid
Suivre le commandant Jésus tiques non-conventionnelles, se déplace en petites unités mobiles (Mc 9.30), recrute parmi les exclus (Mc 2.15), plaide la cause des opprimés (Lc 13.16), dépend de soutiens locaux (Lc 8.3, Jn 12.1-2) et multiplie sa force de frappe en augmentant le nombre des personnes qui le suivent (Lc 10.1).
À mesure que Dieu infiltre l'humanité, la présence de Jésus a une dimension subversive. La stratégie de Dieu consiste à naître comme un agent double, derrière les lignes ennemies, dans une famille qui est à la fois humble et qui pourtant est apparentée au héros du peuple, le Roi David. Jésus, cependant, amène la révolution à un autre stade. Les premières trente années de Jésus, qu’il passe comme un charpentier à Nazareth, révèlent le vif intérêt que Dieu porte aux cellules dormantes des débuts, puisqu’elles sont une façon de diffuser son levain en dehors des radars de l’empire. Après son baptême, Jésus incarne une autorité sans précédent qui attire les adhérents, et le mouvement se multiplie parmi les marginaux.
Le plus souvent, la façon d'opèrer de Jésus est simple : rencontrer les gens n’importe où, là où ils sont. Il n’est pas un commandant qui gère ses affaires avec une distance de sécurité, mais il est un activiste de première ligne, sur le terrain. Souvent, il prend l’initiative, cherchant les gens personnellement. Il voit et appelle des personnes ordinaires – des pêcheurs (Mt 4.18-22) et des collecteurs d’impôts (Mt 9.9), y compris le chef des collecteurs d’impôts, Zachée, qu’il appelle à descendre de son arbre et qu’il invite à séjourner dans sa maison (Lc 19.1-10). Jésus voit un homme handicapé depuis trente-huit ans parmi de nombreuses personnes invalides sous un portique, lui demande s’il veut aller mieux puis le guérit sur place (Jn 5.2-9). Jésus attire aussi des adhérents issus de cercles plus privilégiés : le chef pharisien, Nicodème, qui est impressionné par ses signes (Jn 3.1-2) ; Jeanne, femme de Chuza,
L’Évangile renversant
intendant d’Hérode, qui soutient financièrement Jésus et ses disciples (Lc 8.3), le chef d’une synagogue, qui désespère de voir guérir sa fille à l’agonie (Lc 8.41), un centurion romain qui supplie Jésus de guérir son esclave (Mt 8.5-9). Êtes-vous prêts à vous joindre à eux ?
D’autres fois, les rencontres de Jésus ont lieu à la volée, ces rencontres imprévues semblent être des interruptions. Des aveugles et des lépreux crient au secours le long des routes, il s’arrête pour les guérir ou les purifier, ou alors il enseigne en marchant (voir Lc 18.35-43 ; Mc 10.46-52 ; Mt 8.1-3). Des gens se présentent également à Jésus avec un besoin de délivrance (voir Mt 8.16, 9.32-33 ; Mc 5.2-16). À chaque fois, ces rencontres deviennent pour Jésus des occasions d’enseigner, de remettre en question, et d’offrir un soulagement immédiat. Une fois, des hommes creusent un trou dans un toit et font descendre un homme handicapé juste sous le nez de Jésus et de chefs religieux hostiles. Jésus déclare spontanément au paralytique « tes péchés sont pardonnés » (Mc 2.2-7). Puis Jésus prouve son autorité en disant à l’homme « lève-toi, prends ton lit et rentre chez toi » (Mc 2.8-11). De telles actions aboutissent à des discussions et parfois de à l’agressivité de la part des ennemis de Jésus.
Jésus utilise souvent le langage de la résistance quand il donne des instructions à ses disciples. Il y a une combativité dans ses propos et ses actions à travers les évangiles. « Je vous ai donné l’autorité pour marcher sur les serpents et les scorpions, et sur toute la puissance de l’ennemi, et rien ne pourra vous faire de mal » déclare Jésus à soixante-dix de ses récentes recrues (Lc 10.19). Il proclame aussi la violence contre des ennemis invisibles : « Si le Fils de Dieu s’est manifesté, c’est pour détruire les œuvres du diable » (1Jn 3.8). Puisque « le monde entier gît au pouvoir du Mauvais », Jésus et ses
Suivre le commandant Jésus disciples doivent organiser une force de frappe et être suffisamment équipés pour cette tâche (1Jn 5.19).
Jésus utilise aussi les tactiques du royaume et un arsenal d’armes qui « ne sont pas de ce monde » (Jn 18.36), telles que la prière, le jeûne, le pardon, l’amour et la puissance de Dieu. Son armement inclut aussi ses paroles. Lui-même et ses disciples s'en servent comme faisant partie intégrante de leur mission qui consiste à annoncer la bonne nouvelle à toute la création (Mc 16.15). Jésus lui-même dit : « Ne pensez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre : je ne suis pas venu apporter la paix, mais l’épée » (Mt 10.34). Cette épée est appelée ailleurs « l’épée de l’Esprit », elle est la Parole de Dieu (Ép 6.17) et elle fait partie de l’arsenal des croyants (Ép 6.13-17). Hébreux 4.12 déclare clairement que « la Parole de Dieu est vivante, agissante, plus acérée qu’aucune épée à deux tranchants ». Jésus chasse même les mauvais esprits avec une parole (Mt 8.16).
Le ministère de Jésus lié à la parole consiste à enseigner, prêcher, guérir, délivrer et prophétiser. Jésus ordonne à ses disciples : « Proclamez que le règne des cieux s’est approché. Guérissez les malades, réveillez les morts, purifiez les lépreux, chassez les démons. Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement » (Mt 10.7-8). Toutes ces actions et bien d’autres encore font partie de l’armement de Jésus. La violence physique ne fait jamais partie de ses tactiques – il utilise plutôt l’amour actif pour les ennemis. Cet amour inclut la résistance au mal et à l’injustice à travers la confrontation et la mise en lumière verbales, ainsi que le refus public de respecter des lois injustes.
Au cours de son ministère sur terre, Jésus ne représente ni le milieu religieux, ni le milieu social dominants, mais il opère en dehors des cercles des organisations religieuses juives et, en tout
L’Évangile renversant cas, de l’Empire romain. Il ne bénéficie pas d’un statut élevé au sein d’une religion qui collabore avec le pouvoir, il n’est pas non plus un chef accepté de la culture dominante. Au contraire, il vit en dehors de la théocratie principale, et le royaume qu’il proclame n’est résolument « pas de ce monde » (Jn 18.36). En fait, dans une analogie subversive, il se compare lui-même à un voleur venu cambrioler une maison (Mt 24.43 ; Lc 12.39). D’abord, il ligote l’homme fort de la maison avant de dérober ses biens (Mt 12.29 ; Mc 3.27). Cette image suggère que le monde est comme une prison, ce qui implique que la mission de Jésus – et donc la nôtre – est de participer à des évasions qui vont libérer les captifs, plutôt que de réformer la prison pour en prendre le contrôle ! Jésus envoie même Pierre en mission comme le chef d’un mouvement appelé l’Église, qui, comme une tempête, défoncera les portes de l’enfer pour libérer les captifs (Mt 16.18).
Contrairement aux religions et idéologies politiques contemporaines qui cherchent à accroître leur contrôle et leur domination, Jésus n’appelle pas les personnes qui le suivent à prendre les armes d’une façon combative pour se défendre ou se prémunir contre les royaumes de ce monde (Mt 20.25-26). De fait, Jésus réprimande ses disciples quand ils essaient de le défendre avec des armes, disant : « Penses-tu que je ne puisse pas supplier mon Père, qui me fournirait à l’instant plus de douze légions d’anges ? » (Mt 26.53)
Jésus se décrit lui-même comme venant « d’en haut » (Jn 3.31), contrairement à tout le monde venant « d’en bas » (Jn 8.23). Il dit à ses contemporains qu’il s’en ira bientôt pour rejoindre un endroit qu’ils ne pourront pas trouver (Jn 7.34-36). Depuis son poste légitime dans son royaume, il nous informe des priorités célestes pour que nous puissions incarner son programme « sur la terre comme au ciel » (Mt 6.10). Aujourd’hui, dans notre monde
Suivre le commandant Jésus de plus en plus post-chrétien, nous devons afficher délibérément notre statut de « voyageurs et étrangers » (1P 1.1 ; 2.11) en assumant pleinement notre identité céleste dans laquelle nous ne sommes plus « des étrangers ni des gens du dehors » (Ép 2.19). À mesure que nous suivons Jésus, un changement d’identité s’opère. Ce dernier nous éloignera de la culture et des valeurs dominantes autour de nous, amenant les autres à nous voir potentiellement comme une sorte de résistant. Jésus se décrit lui-même comme celui que l’on rejette (Jn 12.48), que l’on haït (Jn 7.7 ; 15.18,23,24,25) et que l’on persécute (Jn 15.20). Il promet aux personnes qui le suivent qu’elles feront elles aussi l’expérience de ces choses-là, puisqu’il les inclut dans ceux qui ne sont « pas de ce monde » (Jn 17.14).
Contrairement aux combattants de la résistance qui opèrent en secret, se faufilant à travers des forces d’occupation puissantes, Jésus parle et agit la plupart du temps ouvertement, en public. Il enseigne dans des synagogues et dans le temple à Jérusalem, renversant les tables des changeurs de monnaie et s’opposant directement aux chefs religieux (Mt 21.12-13). « Moi, j’ai parlé ouvertement au monde ; j’ai toujours enseigné dans la synagogue et dans le temple, là où tous les Juifs se rassemblent, et je n’ai rien dit en secret » déclare Jésus à Pilate (Jn 18.20). Jésus considère que le temple est la maison de son Père (Lc 2.49) et reconnaît que « la terre appartient au Seigneur » (Ps 24.1). Pour autant, quand les chefs juifs complotent pour tuer Jésus, il arrête d’arpenter la Judée et limite ses déplacements à la Galilée (Jn 7.1). Quand les chefs du temple à Jérusalem prennent des pierres pour le lapider, il se cache (Jn 8.59). Quand ils essaient de se saisir de lui, il les esquive (Jn 10.39). Quand les autorités juives se mettent à planifier son assassinat, « Jésus ne circule plus ouvertement parmi les Juifs ; mais il part de là pour la région proche du désert »
L’Évangile renversant (Jn 11.54). Les grands prêtres et des pharisiens donnent l’ordre au peuple de les informer sur les allers-et-venues de Jésus pour l’arrêter : cela montre qu’il est un fauteur de trouble subversif. Il doit donc prendre ses précautions (voir Jn 11.57). Il finit crucifié entre deux criminels (Lc 23.32) : c’était bel et bien un fauteur de trouble subversif !
Le ministère public de Jésus ne dure que trois ans, avant qu'il ne soit arrêté et exécuté par crucifixion comme un hors-la-loi. Pendant ce temps très court, Jésus se concentre sur la mission que lui a donnée son Père. Il recrute douze disciples, qui se déplacent partout avec lui, reçoivent ses enseignements et sont témoins de ses actions directes. Onze de ces disciples font partie des 120 personnes qui reçoivent le Saint-Esprit le jour de la Pentecôte. La vie explosive de Jésus inspire un mouvement de personnes qui le suivent, et qui – après en être rendues capables par le Saint-Esprit à la Pentecôte – continuent à incarner et à proclamer le royaume de Dieu.
La vie et les enseignements de Jésus accomplissent la mission historique de Dieu pour sauver le monde et donnent le la pour nos actions jusqu’à ce qu’il revienne. Les nombreuses rencontres que Jésus fait avec les gens sont écrites dans le Nouveau Testament pour que nous les lisions et les discutions aujourd’hui. Elles nous invitent et nous inspirent à agir comme le Christ. Notre tâche consiste à trouver comment nous pouvons transmettre son riche enseignement dans des endroits similaires, à des bénéficiaires similaires – comment nous pouvons « nous en sortir avec une étude biblique », comme j’aime bien le dire, ou avec une rencontre libératrice.
La présentation que font les évangiles de la vie et des enseignements de Jésus en tant que Messie d’Israël est précédée par l’Ancien Testament, qui incluent du matériel décrivant
Suivre le commandant Jésus
Dieu d’une façon qui semble incompatible avec Jésus. Les récits du jugement de Dieu contre les pécheurs, les lois exigeant des sacrifices d’animaux, la séparation des gens impurs et des gens purs, et les descriptions choquantes de la conquête violente du pays des Cananéens : voilà autant d’éléments qui peuvent troubler des lecteurs qui chercheraient dans la Bible une bonne nouvelle. Dans le prochain chapitre, nous allons identifier les pièges à éviter et les postulats sous-jacents qu’il nous faut envisager pour lire la Bible en vue d’une libération aujourd’hui. Au chapitre 3, nous considérerons quelques façons d’envisager le récit plus large de l’Écriture qui soient cohérentes avec la révélation de Dieu en Jésus. Puis, au chapitre 4, nous nous pencherons sur la façon dont Jésus s’est engagé dans une rencontre libératrice avec la femme samaritaine.