S'engager pour la justice climatique

Page 1

S’ENGAGER POUR LA justice climatique

Contributions protestantes

Textes : Jean-Philippe Barde, Martin Kopp, Valérie Masson-Delmotte, Laura Morosini, Athena Peralta, Frédéric Rognon, Sarah Steward-Kroeker, Marine Vandeventer

Photos : Augustin Gabriel, Timothée Kaufmann, Daniel Maurer

Direction : Jonathan Boulet

Direction éditoriale : Sara le Levier

Mise en page : Coraline Fouquet

© Éditions Scriptura, 2022

6 rue Lhomond, 75005 Paris

ISBN : 978-2-37559-030-0 (SB0041)

Dépôt légal : 2e semestre 2022

Imprimé en France

www.editions-scriptura.com

S’ENGAGER POUR LA justice climatique

Contributions protestantes

Sous la direction de Jean-Philippe Barde et Martin Kopp

LE SIGNE DE NOÉ

L’engagement des chrétiens sur les questions liées à l’écologie, leur attention portée à la justice, à la paix et à la sauvegarde de la création ne datent pas d’hier. Un long chemin de réflexion, d’étude et de discernement a été ouvert depuis longtemps par des pionniers - scientifiques, théologiens, économistes, philosophes - puis des relais ont été pris par d’autres, par des associations, des institutions et aussi, assez vite, par les Églises.

Les lignes que vous découvrez ici, sous l’égide la commission Écologie et Justice climatique de la Fédération protestante de France, s’inscrivent dans ce large mouvement et en rendent compte. Elles présentent bien plus qu’un point d’étape au long de ce parcours déjà très riche : elles appellent le lecteur à saisir ce qui advient. Elles l’embarquent, à l’image de Noé qui embarque les vivants pour les préserver du malheur, non pas seulement pour lui échapper un instant ou quarante jours, ni pour oublier le monde, mais au contraire dans l’attente de revenir à terre et de l’aborder, plus conscient et plus responsable et dans l’impatience enfin apaisée d’un recommencement rendu possible au nom d’une promesse encore inaccomplie.

Le signe de Noé, cet arc-en-ciel, cet arc de guerre posé dans le ciel, cette arme symbole du roi, que Dieu dépose définitivement en un lieu inaccessible comme pour signifier que désormais il ne se fera plus de mal ni de violence sur la terre, est un signe adressé aux hommes afin qu’ils agissent eux-mêmes en paix « sur » cette terre et « pour » cette terre.

7
Préface

Les auteurs de ce livre sont connus au plan national et international. Je veux les saluer et les remercier vivement pour leur contribution originale et de très grande qualité, au nom du protestantisme français. Ils sont ici requis sur des registres différents, tels les membres d’un équipage où chacun prend son quart et assume sa responsabilité dans son domaine de compétence.

Vigies du monde qui vient et que chacun souhaite encore habitable pour soi et pour les générations de demain, pour les humains, pour les animaux et les végétaux, pour la terre et pour l’ensemble de ce qui s’y trouve, les auteurs nous instruisent et nous interpellent.

Après ce voyage en haute mer, après cette navigation-lecture sous les auspices de Noé dont le nom signifie tout à la fois consolation et réhabilitation, nous voici requis à notre tour, désormais, pour prendre la suite. Après avoir été embarqués, il nous faut maintenant débarquer, apprendre, comprendre, partager, plaider, s’engager et agir dans un monde si souvent meurtri qu’il a besoin de consolation, et sur une terre si souvent humiliée qu’elle attend elle aussi des gestes concrets de réhabilitation.

Les chrétiens ne sont donc pas hors-sol, loin de là. Leur espérance dans le royaume est arrimée à celle, crucifiée et ressuscitée, de la justice et de la miséricorde vécues ici-bas.

Ce double enracinement des chrétiens dans le monde et dans « les cieux », cette double citoyenneté, en quelque sorte, les autorise à comprendre l’incarnation -la venue du Christ- autrement que comme le désir capricieux d’un dieu qui s’ennuierait en son royaume, ou comme une visite qui n’aurait pour objet que le salut de quelques-uns, de quelques âmes, un salut personnel, un salut de l’homme seulement, et comme privatisé par lui, au détriment du monde et de toute la création.

Le sujet de cette étude est donc ambitieux. Il demande, il est vrai, une attention, un peu de temps pour la méditation. Mais il désigne le projet

8

salvateur du Christ ! Ce projet concerne bien, en effet, le monde entier, le cosmos, nature et création tout à la fois. Comme l’écrit Martin Kopp1 : « l’incarnation du Christ ne valorise pas que l’humanité : elle ennoblit tous les vivants et le tout de l’être. Chaque chose, chaque créature, a une valeur propre coram Deo, devant Dieu. En contexte de destruction écologique, le prolongement éthique crève les yeux (...). Or, la vie et les paroles de Jésus-Christ ont une pertinence naturelle et cosmique, et il convient d’envisager ce qu’Elizabeth A. Johnson nomme le “ministère profond” de Jésus-Christ. Parler de “ministère profond”, ou de “ministère intégral” – une formule peut-être plus douce à vos oreilles –, c’est énoncer que Jésus-Christ agit et parle pour toutes les créatures. Son ministère est “terrestre”, non seulement au sens de : sur terre, mais aussi dans l’amour de la terre et de ses habitants, et pour eux ».

Préfacer un tel ouvrage est ainsi pour moi un bonheur et un honneur : il s’agit par ce simple geste d’écrire une invitation à le lire mais aussi à lire entre les lignes ce à quoi il invite lui-même : apprendre et comprendre les enjeux considérables de ce que désigne l’expression « justice climatique ». Relire avec une intelligence renouvelée, par conséquent, les textes bibliques qui n’ont pas dit leurs derniers mots, à l’aune de cette promesse d’un Christ qui prend au sérieux la terre et tout ce qu’elle contient, et oser enfin un pas de plus dans le témoignage de la foi en Dieu qui proteste depuis toujours contre la mort et l’injustice, et qui nous appelle inlassablement à la vie en plénitude, dans la conscience vive de nos limites sur cette terre et de notre vulnérabilité.

PASTEUR FRANÇOIS CLAVAIROLY

Président de la Fédération protestante de France de 2013 à 2022

9
1. Martin Kopp, «Christologie et écologie», Lourdes, Assemblée de la Conférence des évêques de France, 2022.

Introduction

JEAN-PHILIPPE BARDE ET MARTIN KOPP

S’il aura fallu près de 50 ans pour que la crise écologique, dans ses nombreuses dimensions, soit reconnue comme un défi majeur pour nos sociétés, le réchauffement climatique se manifeste désormais comme une partie critique et un puissant révélateur de cette crise. Depuis la « Convention des Nations Unies sur les changements climatiques » (CCNUCC) signée à Rio en 1992, le long chemin vers un véritable changement de société soutenu, entre autres, par des politiques efficaces et pérennes, reste semé d’embuches et offre un horizon de sens désirable et d’engagement chrétien tout à la fois.

Dans le contexte de la préparation de la COP 21 de 2015, la Fédération protestante de France avait publié en 2014 une première réflexion sur les défis scientifiques et éthique du changement climatique1. Six ans après l’Accord de Paris, on constate que les trajectoires actuelles de réchauffement débouchent inéluctablement sur de véritables catastrophes écologiques, économiques et sociétales. Contenir le réchauffement sous le seuil des + 2 à + 1,5 °C nécessiterait des bouleversements dans de nombreuses sphères de la vie sociale, économique et politique et un changement profond des modes de vie. La récente COP 26 (novembre 2021) a accouché d’une progression à tout petits pas et, en l’état actuel, ne présage guère de progrès rapides et suffisants. Pourtant, dans le même temps, la conscience des enjeux progresse parmi les populations, des jeunes se sont mobilisés par millions, un nombre croissant et diversifié d’acteurs s’engage concrètement, des solutions innovantes sont mises en œuvre au

1. Martin Kopp, Otto Schäfer, Claire Sixt-Gateuille, Jacques Varet, Vincent Wahl, Les changements climatiques, Lyon, Olivétan, 2014.

11

niveau local et il existe de réelles dynamiques positives qui entretiennent l’espoir, y compris au sein des communautés chrétiennes. Plus que jamais, la justice climatique est une exigence et une ardente obligation, qui nous mène à cheminer sur une ligne de crête, entre la menace et la promesse.

C’est dans ce contexte que cet ouvrage propose un approfondissement des défis de la justice climatique. Partant d’un état des lieux scientifique et de la problématisation d’une notion de « justice climatique » encore souvent méconnue dans les milieux chrétiens, il s’ancre dans les réflexions bibliques et théologiques et aboutit à une présentation critique de l’action chrétienne aux niveaux collectif, politique et personnel. La lectrice ou le lecteur trouvera ainsi bel et bien, dans ces pages, des « contributions », c’est-à-dire, non pas une parole institutionnelle, mais des apports riches qui offrent autant d’occasions d’apprendre, de se laisser aiguillonner, d’être inspiré, et finalement, de s’engager.

Il faut d’abord faire le point des connaissances scientifiques sur la crise climatique. Valérie Masson-Delmotte présente un état des lieux sur la base du rapport du Groupe d’experts sur l’évolution du climat (GIEC) de 2021 (Ch. 1). Elle souligne que l’augmentation des concentrations atmosphériques des gaz à effet de serre (GES) depuis 1750 est sans conteste due aux activités humaines et que les émissions de la dernière décennie sont les plus élevées et sans précédent depuis 2000 ans. Les principaux effets sont un réchauffement de l’atmosphère (+ 1,1 °C en moyenne au cours de la dernière décennie) et des océans. Parmi les multiples conséquences, on peut citer la multiplication des phénomènes météorologiques extrêmes, la désertification, les reculs de la biodiversité, l’insécurité alimentaire, l’acidification des océans, la fonte des glaces, l’augmentation du niveau des mers (de 15 à 30 cm d’ici 2050, 50 cm à 3 m en 2300, selon les scénarios). La très inégale répartition géographique de ces effets, selon les continents, les pays, les régions, les zones urbaines, ou les catégories de population, pose avec acuité la question de la justice climatique. Faute d’une réduction significative des émissions de GES, l’avenir est sombre.

12

Le défi est la réalisation effective des objectifs de l’Accord de Paris de 2015 : limiter le réchauffement largement en-dessous de 2 °C et poursuivre les efforts pour le limiter à 1,5 °C. Objectifs réaffirmés par la COP 26 (à Glasgow, en novembre 2021), mais dont la réalisation demeure incertaine. Réduire les émissions de CO2 de 45 % entre 2010 et 2030 et parvenir à des émissions mondiales de CO2 à net zéro autour de 2050, restera difficile, car les émissions mondiales continuent d’augmenter.

Les conséquences du réchauffement climatique affectent de nombreuses façons les populations les plus pauvres et les plus vulnérables, aussi bien à l’échelle mondiale qu’à l’intérieur de chaque pays ou région. Dès lors, la question de la justice climatique se place au cœur du débat. Mais comment la définir et à quels niveaux ? C’est la question que traite Jean-Philippe Barde (Ch. 2). Au niveau international, les nombreux principes définis notamment par la « Déclaration de Rio » de 1992, puis par les engagements limités et souvent partiellement appliqués des successives « Conférences des parties » (COP) de la CCNUCC ne se traduisent que très partiellement par une plus juste répartition du fardeau entre les régions du monde. Sécheresses, épisodes climatiques dévastateurs, migrations climatiques impactent particulièrement, parfois exclusivement, les plus pauvres. L’injustice climatique est exacerbée par l’explosion des inégalités de revenus et de patrimoine, de sorte que par exemple, les 10 % les plus riches aux États-Unis émettent 73 tonnes de CO2 par personne et par an, contre 9,7 tonnes par an pour les 50 % les plus pauvres ; en Europe, 29,2 tonnes contre 5,1 tonnes, etc. Cette inégale répartition des effets du changement climatique concerne également la répartition du fardeau des mesures de lutte, atténuation et compensation, aussi bien au niveau international, qu’à l’intérieur de chaque nation ou région : comment assurer un juste partage des coûts ?

Dans une perspective biblique et théologique, l’interpellation est forte, comme le montre Sarah Stewart-Kroeker (Ch. 3). Quelle est la bonne et juste sauvegarde de la création de Dieu ? La justice peut être liée à cette notion « d’intendance » au sens théologique d’une mission juste délé-

13

guée à l’être humain par le Dieu créateur (Gn 1). Mais cette intendance peut s’avérer bonne ou mauvaise, donc injuste. De plus, l’injustice climatique embrasse ou exacerbe les injustices sociales, raciales, de genre et environnementales existantes. « …Si les cris de tous les pauvres et des marginalisés sont aussi le cri du Christ qui appelle à l’amour juste –l’amour qui soigne le malade, qui habille le nu, qui nourrit l’affamé, qui accueille l’étranger (Mt 25.35-40) – le cri du climat cumule ces cris trop peu entendus. »

Dans ce contexte, l’engagement des chrétiens, des Églises et institutions, œuvres et mouvements est attendu et nécessaire. Au sein du Protestantisme français, Frédéric Rognon montre (Ch. 4) qu’après une longue léthargie et quelques querelles théologiques et doctrinales, on assiste à un profond changement de paradigme, au travers de ce qu’il appelle « le chemin tortueux du protestantisme français vers la théologie verte ». Mais ce cheminement est désormais bien engagé avec de nombreuses initiatives, tant au niveau des Églises locales qu’à celui des instances nationales. Au sein du Catholicisme, l’encyclique « Laudato Si’ » du pape François apporte un puissant stimulant, fortement axé sur l’exigence de justice, face à la « clameur de la Terre » qui rejoint la « clameur des pauvres ». Sur le plan œcuménique, le programme « Église verte » connaît, en France, un franc succès avec la participation de quelques 700 Églises et communautés (dont environ 20 % dans le Protestantisme en 2021).

L’engagement pour la justice climatique des Églises doit aussi se manifester au niveau international et dans l’interpellation du politique. Athena Peralta souligne (Ch. 5) que dès 1983, le Conseil œcuménique des Églises (COE) lance le processus « Justice, paix et sauvegarde de la création » et qu’en 1992 (date de la CCNUCC), il établit un groupe de travail et un programme d’action sur le changement climatique. À l’occasion de la COP 21 de 2015, le COE interpelle les gouvernements, entre autres pour « promouvoir une juste transition vers une économie zéro carbone qui crée des emplois et assure que personne n’est laissé pour compte ».

14

De cette longue expérience, des enseignements peuvent être tirés sur les fondements et la méthode de ce « lobbying » ou de ce « plaidoyer » chrétien, tels que : l’affirmation des fondements bibliques de la justice et une affirmation de la mission prophétique des Églises, non pas pour une critique systématique, mais pour porter la vision de la tension vers la nouvelle création ; donner une voix aux sans voix. À ces fins, il est essentiel de bien « cibler » le message vers les personnes, groupes, forums et institutions ainsi que de trouver les bon relais et « alliés » dans ces démarches.

La tension vers la justice climatique exige l’engagement personnel de chacune et de chacun, hors de toute stratégie de fuite en avant, par exemple dans la fatalité ou la peur. C’est « une conviction de foi » qui doit nous mettre en marche, avance Marine Vandeventer (Ch. 6), car, « l’action pour la justice climatique, pour le chrétien, découle non seulement de la prise de conscience d’une responsabilité morale, mais aussi d’un élan de reconnaissance vers Dieu pour sa miséricorde accordée à un pécheur repentant, et d’un élan d’amour vers le prochain ». Libre et pardonné, le chrétien peut résolument et joyeusement s’engager ; les pistes d’action sont ouvertes, comme en témoignent de nombreuses formes d’engagements et d’action.

Il y a urgence. La réflexion, la théologie et l’action pour la justice climatique, à tous les niveaux sont désormais bien engagées. Ce petit livre s’efforce de clarifier le débat et de poser quelques pierres pour la réflexion et l’action dans le contexte du Protestantisme français. Notre immense gratitude à toutes celles et ceux qui y ont contribué ! Peu à peu, la route se trace, même si elle présente un visage ambivalent, depuis les difficultés du chemin jusqu’aux joies du voyage. Comme le proclame le prophète Ésaïe : « Quelqu’un crie : Dans le désert, frayez le chemin du SEIGNEUR ! Aplanissez une route pour notre Dieu dans la plaine aride ! » (És 40.3).

15

Partie 1 : ÉTAT DES LIEUX ET ANALYSE

Changement étatclimatique, des scientifique

Changement climatique, état des lieux scientifique

VALÉRIE MASSON-DELMOTTE

Co-Présidente du groupe 1 du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC).

Chapitre 1

Changement climatique, des lieux scientifique C

ette présentation de l’état des lieux scientifique vis-à-vis du changement climatique tel qu’il est observé aujourd’hui, et ses futurs possibles, s’appuie sur les conclusions principales du rapport du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC) de 2021 sur les bases physiques du changement climatique, que j’ai supervisé, ainsi que quelques réflexions sur la base des décisions de la récente Conférence des parties (COP 26).

Les rapports du GIEC fournissent un socle de référence vis-à-vis de l’état des connaissances scientifiques, reconnu par tous les pays. Ils sont rédigés par des centaines de chercheurs du monde entier, aidés par des centaines de contributeurs, avec plusieurs étapes de relecture, par des milliers de scientifiques et d’experts nommés par les gouvernements. Les auteurs des rapports, sélectionnés parmi de multiples candidatures scientifiques, examinent les éléments probants disponibles dans les publications scientifiques, de manière objective, rigoureuse et exhaustive, dans des chapitres approfondis. Ce travail se fait sur la base du volontariat, de manière non rémunérée. Leurs conclusions sont ensuite synthétisées dans un résumé technique et un résumé à l’intention des décideurs, qui lui-même fait l’objet d’une approbation par les représentants de tous les pays, pour s’assurer que ces conclusions représentent de manière équilibrée et expriment clairement les points clés issus de l’évaluation scientifique approfondie.

Ainsi, le rapport de 2021 a été rédigé par 234 scientifiques de 65 pays différents, pendant 3 ans, et s’appuie sur l’analyse des éléments probants de plus de 14 000 publications scientifiques. Plus de 78 000 commentaires ont été pris en compte lors des étapes successives de relecture des versions préliminaires de ce rapport. Il reflète des progrès scientifiques majeurs en sciences du climat, issus de l’intégration des connaissances provenant de l’observation de la Terre, de l’étude des climats passés, de la compréhension des facteurs et des processus qui façonnent les changements du système climatique, de la modélisation du climat à l’échelle globale et régionale, et de la co-construction d’une information clima-

19

tique en appui à la prise de décision, dans le cadre du développement des services climatiques1.

I. OÙ EN SOMMES-NOUS AUJOURD’HUI ?

Nous avons maintenant une vision d’ensemble des changements du climat de la Terre, et de la manière dont les activités humaines l’affectent, à l’échelle planétaire comme à l’échelle régionale.

1. L’influence humaine sur le climat est sans équivoque

L’augmentation des concentrations atmosphériques en gaz à effet de serre depuis les années 1750 est due aux activités humaines. Les émissions annuelles de dioxyde de carbone (CO2), de méthane, et d’oxyde nitreux ont été les plus élevées au cours de la dernière décennie, et sont maintenant respectivement 47 %, 156 % et 23 % au-dessus de leur niveau préindustriel. Leurs concentrations continuent donc à augmenter dans l’atmosphère. Depuis 1900, le taux d’augmentation du CO2, qui résulte de la combustion du charbon, du pétrole et du gaz et de la déforestation, est beaucoup plus rapide qu’à aucun moment de l’histoire géologique, et le niveau actuel (plus de 400 parties par millions) est sans précédent sur plus de 2 millions d’années. La concentration de méthane a fortement augmenté ces dernières années, principalement du fait des émissions issues des énergies fossiles et de l’élevage de ruminants. La concentration d’oxyde nitreux augmente continûment, du fait de l’utilisation d’engrais azotés, des épandages, et également de l’utilisation des énergies fossiles.

1. Les services climatiques concernent la fourniture d’informations climatiques de manière à faciliter la prise de décision. Ils sont construits par une implication appropriée des utilisateurs et des prestataires, s’appuient sur des informations et une expertise scientifiquement crédibles, offrent un mécanisme d’accès efficace et répondent aux besoins des utilisateurs.

20

Du fait de la capacité de ces gaz à modifier les flux de rayonnement infrarouge et à piéger de la chaleur qui ne part plus vers l’espace, les activités humaines entraînent un déséquilibre du bilan d’énergie de la Terre, conduisant à une accumulation de chaleur dans le système climatique.

L’effet réchauffant des gaz à effet de serre est partiellement masqué par l’effet refroidissant (« parasol ») des particules de pollution.

L’influence humaine nette sur le climat a encore augmenté au cours de la dernière décennie, du fait d’émissions records de gaz à effet de serre, et de la poursuite de l’augmentation de leur concentration atmosphérique, ainsi que de la diminution de cet effet de masque des particules de pollution, en particulier en Europe et en Amérique du Nord.

Les variations des facteurs naturels comme l’activité du soleil ou l’occurrence d’éruptions volcaniques explosives (avec l’effet « parasol » de leurs poussières pendant quelques années) sont évidemment pris en compte et n’ont qu’un faible effet. Il est néanmoins probable qu’une éruption volcanique majeure, au moins, se produira au cours de ce siècle ; il est important de s’y préparer.

Nous comprenons maintenant bien les changements dans le bilan d’énergie de la Terre, depuis les perturbations des flux de rayonnement jusqu’au devenir de l’excès de chaleur qui s’accumule. Les activités humaines ont réchauffé l’atmosphère (1 % de la chaleur supplémentaire), l’océan (91 %) et la surface des continents (5 %), entraînant la fonte des glaces (3 %) et provoquant des changements généralisés, rapides et qui s’intensifient.

Le niveau du réchauffement à la surface de la Terre, un indicateur clé de l’état du climat, atteint désormais 1,1 °C, pour la dernière décennie, par rapport à 1850-1900 – chacune des 4 dernières décennies a été successivement la plus chaude depuis le début des enregistrements, et le réchauffement s’est accentué à partir des années 1970.

22

Ce réchauffement est sans précédent sur plus de 2 000 ans. Le niveau de température de la dernière décennie dépasse celui des intervalles les plus chauds de la période interglaciaire actuelle, il y a environ 6 500 ans. Le dernier épisode plus chaud s’est produit avant la dernière période glaciaire, il y a environ 125 000 ans, du fait des variations graduelles des caractéristiques de l’orbite de la Terre. Le rythme et l’ampleur des changements récents constituent une rupture par rapport aux variations naturelles passées du climat

Figure 1 : Réchauffement observé à la surface de la Terre à partir des observations (en moyenne annuelle) et reconstruit à partir des archives naturelles du climat (en moyenne sur 10 ans), par rapport à la moyenne 1850-1900. Source : GIEC, 2021.

Notre meilleure estimation est que l’intégralité (100 %) de ce réchauffement est dû aux conséquences des activités humaines, en prenant en compte les facteurs naturels (soleil et volcans) et la variabilité spontanée (interne) du climat. Cette variabilité naturelle module les changements d’origine humaine, aux échelles régionales et décennales, mais n’a qu’un effet très faible sur le réchauffement planétaire à l’échelle du siècle.

Notre compréhension du rôle de chaque composante de l’influence humaine sur le climat a progressé. L’influence humaine sur le climat à ce

23

jour est dominée par les émissions de dioxyde de carbone (qui ont un effet cumulatif) puis de méthane (avec son effet direct, et via le rôle du méthane dans la chimie atmosphérique qui conduit à former un autre gaz à effet de serre et polluant en surface, l’ozone).

Observations

2

Réchauffement gaz à effet de serre

Refroidissement aérosols Influence humaine

Variabilité interne –0 5 Facteurs naturels

rôle des facteurs naturels et de l’influence humaine sur le réchauffement observé. Source : GIEC, 2021.

L’influence humaine est également le principal facteur du réchauffement de l’océan et son acidification, du recul de la glace de mer arctique et du manteau neigeux de printemps, du recul généralisé des glaciers et de la fonte de la calotte du Groenland, ainsi que de la montée du niveau des mers.

2. De multiples conséquences

Le changement climatique d’origine humaine affecte de plus en plus chaque région de la Terre de multiples façons. Il est plus prononcé au-dessus des continents, où il atteint déjà 1,6 °C, et 2 à 3 fois plus intense autour de l’Arctique.

24
ºC –0.5 –1 0 0 0 0 5 1.0 1.5 2.0 ºC –1 0 0 0 0 5 1 0 1.5 2 0 A ibu on
Figure : Évaluation du

L’atmosphère se réchauffe, contient plus de vapeur d’eau, avec des changements à grande échelle de la circulation atmosphérique, avec par exemple un décalage de la circulation tropicale, et des rails de tempêtes extra-tropicales vers les pôles. L’influence humaine affecte l’ensemble des pluies de mousson, qui diminuent en réponse à l’effet refroidissant des particules de pollution, mais augmentent avec les concentrations croissantes de gaz à effet de serre.

La saison de croissance des végétaux s’allonge à nos latitudes, et la végétation et les sols captent environ 31 % de nos émissions annuelles de CO2. Les zones climatiques se déplacent, affectant les espèces terrestres (déplacements vers les pôles et en altitude, renouvellement des espèces plus rapide) et on observe un dégel des sols gelés, en montagne comme en Arctique. Les débits des rivières ont été altérés du fait de la diminution du manteau neigeux au printemps.

L’influence humaine sur le climat renforce la fréquence et l’intensité d’événements extrêmes tels que les vagues de chaleur, les pluies torrentielles, les sécheresses et les conditions météorologiques chaudes, sèches et venteuses propices aux incendies de forêt. Les extrêmes froids deviennent à l’inverse plus rares. De nombreux extrêmes chauds observés au cours de la dernière décennie auraient eu une probabilité d’occurrence extrêmement faible sans l’influence humaine sur le climat. La proportion globale de cyclones tropicaux de catégories 3-5 a augmenté au cours des 4 dernières décennies. Une atmosphère plus chaude peut contenir environ 7 % de vapeur d’eau de plus pour chaque 1 °C de réchauffement. Le changement climatique d’origine humaine renforce l’intensité des précipitations des cyclones tropicaux. Une majorité des terres émergées est affectée par une diminution de l’eau disponible pendant les saisons sèches, du fait d’une augmentation de l’évaporation des sols et de la transpiration des plantes dans un climat plus chaud, ce qui conduit à une augmentation des sécheresses de type agricole ou écologique.

25

La

Table des matières PRÉFACE 7 INTRODUCTION .........................................................................................................................................................................11 Partie 1 : ÉTAT DES LIEUX ET ANALYSE Chapitre 1 ...................................................................................................................................................................................... 18 Changement climatique, état des lieux scientifique VALÉRIE MASSON-DELMOTTE Chapitre 2 ....................................................................................................................................................................................46
justice climatique
environnementale
BARDE Chapitre 3 .................................................................................................................................................................................... 72
justice climatique dans une perspective biblique
théologique SARAH STEWART-KROEKER
: une exigence globale,
et sociale JEAN-PHILIPPE
La
et
Partie 2 : ENJEUX ET ENGAGEMENTS CHRÉTIENS Chapitre 4 94 L’engagement en écologie des Églises, communautés, œuvres et mouvements protestants FRÉDÉRIC ROGNON Chapitre 5 112
les Églises et
chrétiens peuvent-ils plaider auprès des décideurs
ATHENA PERALTA Chapitre 6 ................................................................................................................................................................................. 128 L’engagement personnel pour la justice climatique MARINE VANDEVENTER ENVOI ...............................................................................................................................................................................................145 PRÉSENTATION DES AUTEURS .......................................................................................................................149
Comment
les
?

Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.