Couvert_AnthoFantastique_1_Layout 1 2015-03-17 14:43 Page1
Des couloirs ténébreux des romans gothiques au livre infini de Jorge Luis Borges, cette anthologie propose un panorama de la littérature fantastique du XVIIIe siècle à nos jours. Peuplés de créatures surnaturelles terrifiantes ou envoûtantes, les huit récits qui la composent s’ancrent dans les peurs, mais aussi dans les désirs les plus profonds de l’humanité. Ils nous entraînent aux limites du monde dans lequel nous vivons, questionnent les au-delàs, l’invisible et l’occulte ; ils s’intéressent aux frontières floues et malléables entre réel et imaginaire, fiction et réalité, et, pour ces raisons, nous fascinent et nous interpellent. Fantômes et manoirs hantés, représentations de la mort, vampires, statues animées, revenants, arts occultes, doubles, monstres et objets magiques, autant de thèmes et de motifs abordés dans ce recueil, dont la visée première est de permettre au lecteur de découvrir l’univers étrange et inquiétant du fantastique. Huit récits (dont un extrait de roman) annotés Une introduction portant sur la littérature fantastique Une présentation de chacun des auteurs et de leurs œuvres Une présentation des thèmes et des motifs abordés dans chacun des récits Huit ateliers d’analyse, dont deux de lectures croisées Imprimé sur papier contenant 100 % de fibres recyclées postconsommation.
fantastique
Recueil de textes
CODE DE PRODUIT : 218389 ISBN 978-2-7617-7861-9
Édition établie par Alexandre Limoges
Anthologie de la littérature
fantastique
Anthologie de la littérature fantastique
Anthologie de la littérature
Anthologie de la littérature fantastique Recueil de textes
Notes, questionnaires et synthèses établis par Alexandre LIMOGES, professeur au Cégep John-Abbott
9001, boul. Louis-H.-La Fontaine, Anjou (Québec) Canada H1J 2C5 Téléphone: 514-351-6010 • Télécopieur: 514-351-3534
Direction de l’édition Katie Moquin
Révision linguistique Nicole Lapierre-Vincent
Direction de la production Danielle Latendresse
Correction d’épreuves Marie Théorêt
Direction de la coordination Rodolphe Courcy
Conception et réalisation graphique Girafe & associés
Charge de projet Juan Carlos Arellano López
Illustration de la couverture Catherine Gauthier
La Loi sur le droit d’auteur interdit la reproduction d’œuvres sans l’autorisation des titulaires des droits. Or, la photocopie non autorisée – le photocopillage – a pris une ampleur telle que l’édition d’œuvres nouvelles est mise en péril. Nous rappelons donc que toute reproduction, partielle ou totale, du présent ouvrage est interdite sans l’autorisation écrite de l’Éditeur. Les Éditions CEC inc. remercient le gouvernement du Québec de l’aide financière accordée à l’édition de cet ouvrage par l’entremise du Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres, administré par la SODEC.
Anthologie de la littérature fantastique, collection Grands Textes © 2015, Les Éditions CEC inc. 9001, boul. Louis-H.-La Fontaine Anjou (Québec) H1J 2C5 Tous droits réservés. Il est interdit de reproduire, d’adapter ou de traduire l’ensemble ou toute partie de cet ouvrage sans l’autorisation écrite du propriétaire du copyright. Dépôt légal : 2015 Bibliothèque et Archives nationales du Québec Bibliothèque et Archives Canada ISBN 978-2-7617-7861-9 Imprimé au Canada 1 2 3 4 5 19 18 17 16 15
Imprimé sur papier contenant 100 % de fibres recyclées postconsommation.
Sommaire Présentation ...................................................................................... La littérature fantastique .................................................................. Qu’est-ce que la littérature fantastique ? .......................................... Origines du fantastique .................................................................. Tzvetan Todorov, théoricien du fantastique ................................. Quelques approches contemporaines ............................................. Le merveilleux et la science-fiction ......................................................... Thèmes, motifs, récits ........................................................................... Les auteurs des récits fantastiques en leur temps .............................. Chronologie .................................................................................. Anthologie de la littérature fantastique Le roman gothique ........................................................................... Une inspiration architecturale ................................................................ Une fascination pour le passé................................................................. Un univers de contrastes ....................................................................... Le surnaturel dans le gothique – un précurseur du fantastique ............. Le fantôme ............................................................................................ Fantômes du grenier, fantômes du sous-sol ........................................... Le poids du passé .................................................................................. Ann Radcliffe et son œuvre ......................................................................... Les mystères d’Udolphe ......................................................................... Les mystères d’Udolphe (extrait) ........................................................
5 7 8 10 12 14 16 18 21 22
La mort ............................................................................................. Edgar Allan Poe et son œuvre ...................................................................... Le masque de la Mort Rouge ................................................................ Le masque de la Mort Rouge (texte intégral) .....................................
64 68 71 72
Le vampire ....................................................................................... Théophile Gautier et son œuvre .................................................................. La morte amoureuse ............................................................................. La morte amoureuse (texte intégral) .................................................
81 88 89 90
28 29 31 31 33 34 36 37 39 40 42
Objets animés et inanimés ................................................................. 129 Prosper Mérimée et son œuvre .................................................................... 134 La vénus d’Ille ....................................................................................... 135 La vénus d’Ille (texte intégral) ........................................................... 136
Sommaire Les sciences occultes .......................................................................... 170 Auguste Villiers de L’Isle-Adam et son œuvre .............................................. 177 Véra ...................................................................................................... 179 Véra (texte intégral) .......................................................................... 180 Le double .......................................................................................... 192 Guy de Maupassant et son œuvre ............................................................... 197 Le Horla ................................................................................................ 198 Le Horla (texte intégral) .................................................................... 200 Le monstre ........................................................................................ 231 Howard Phillips Lovecraft et son œuvre ....................................................... 235 L’appel de Cthulhu ................................................................................ 239 L’appel de Cthulhu (texte intégral) .................................................... 240 Le fantastique moderne et Jorge Luis Borges ................................................ 286 Le livre de sable ..................................................................................... 294 Le livre de sable (texte intégral) ........................................................ 295 L’étude des œuvres Quelques notions de base .................................................................. 304 En préliminaire : description du genre ............................................... 304 La nouvelle .............................................................................. 304 Tableau de synthèse des caractéristiques de la littérature fantastique..... 305 L’étude des textes ............................................................................. 307 Les mystères d’Udolphe, Ann Radcliffe .............................................. 308 Le masque de la Mort Rouge, Edgar Allan Poe .................................. 311 La morte amoureuse, Théophile Gautier ........................................... 313 La vénus d’Ille, Prosper Mérimée ....................................................... 316 Véra, Auguste Villiers de L’Isle-Adam .................................................... 318 Le Horla, Guy de Maupassant ............................................................... 321 L’appel de Cthulhu, Howard Phillips Lovecraft ....................................... 324 Le livre de sable, Jorge Luis Borges ........................................................ 326 Glossaire ................................................................................... 328 Bibliographie ............................................................................ 332
Présentation Pourquoi la littérature fantastique exerce-t-elle une si grande fascination ? Souvent considérés comme des œuvres d’importance secondaire appartenant à un registre* mineur, les récits fantastiques ont néanmoins traversé les époques, conservant une notoriété dépassant souvent celle de nombreuses œuvres conformes aux canons. Le XIXe siècle, âge d’or de la littérature fantastique, a notamment vu naître des auteurs tels que Maupassant1, Poe2 et Gautier3 : leurs succès, toujours aussi remarquables, témoignent de la pérennité des thèmes abordés et des motifs développés. Cette pérennité est fondée sur les nombreux attraits du fantastique. Parmi eux figure sans aucun doute le caractère dramatique des récits* qui en font partie. Ce sont, pour la plupart, de courtes nouvelles*, plus faciles à aborder que de longues œuvres romanesques*. Très denses, elles sont donc entièrement tendues vers leur chute*, c’est-à-dire leur fin, souvent abrupte ; elles tiennent leur lecteur en haleine jusqu’à un dénouement surprenant, si ce n’est effrayant, stupéfiant, voire troublant. Bien qu’il ne s’agisse pas nécessairement d’un trait caractéristique du genre*, les auteurs de récits fantastiques recourent souvent au frisson, à la peur, pour renforcer l’effet dramatique du dénouement et exacerber la tension qui le précède. Dans la gamme d’émotions susceptibles d’être provoquées chez les lecteurs, la peur est si étroitement associée au genre qu’il serait aisé de définir ensuite le fantastique par l’angoisse qu’il s’emploie à induire. L’attirance vers le fantastique est également due à une forme d’exotisme thématique. En effet, l’exploration des frontières entre le naturel (ce qui appartient au monde des vivants, tel que nous le connaissons) et le surnaturel (ce qui est a priori exclu de ce monde et pourrait remettre en question sa stabilité) permet 1. Voir la biographie présentée dans ce livre. 2. Idem. 3. Idem.
5
* : Cf. Glossaire
Présentation aux auteurs de peupler leurs récits d’êtres extraordinaires (fantômes et vampires, par exemple) ou d’aborder des sujets comme la mort, la folie ou les sciences occultes, qui se situent aux limites des mondes physique et métaphysique*. Le fantastique fascine également parce qu’il entraîne le lecteur dans les remous de la psychologie, anticipe ses craintes et sonde ses désirs les plus fondamentaux et les plus anciens. Mieux que tout autre genre, le fantastique interpelle le lecteur et le met dans la peau de ses personnages, au point de lui inspirer tantôt la fascination, tantôt l’aversion. Les dénouements de ces récits, souvent amibigus et se prêtant à différentes interprétations, contribuent à laisser chez le lecteur une impression marquante. Les textes proposés dans cette anthologie dessinent un panorama de la littérature fantastique occidentale depuis ses origines, puisées dans un genre précurseur, le roman gothique4 anglais, jusqu’au milieu du XXe siècle avec le renouveau thématique mis en œuvre par des auteurs tels que H.P. Lovecraft5 et Jorge Luis Borges6. En plus de considérations historiques, une volonté de présenter une gamme variée de thèmes, de motifs et de créatures apparaissant de manière récurrente dans les textes fantastiques a également motivé le choix des récits et guidé celui des commentaires. D’un point de vue géographique ou thématique, les œuvres sélectionnées (en français ou traduites de l’anglais et de l’espagnol) proviennent de divers pays : France, Angleterre, États-Unis et même Argentine. Ce recueil ne demeure toutefois qu’une introduction à la littérature fantastique, l’objectif principal de cette édition étant de piquer la curiosité de lecteurs, de leur donner envie de se plonger dans l’univers captivant du fantastique.
4. Voir les pages 28 à 37 de ce livre. 5. Voir la biographie présentée dans ce livre. 6. Idem.
6
* : Cf. Glossaire
La littĂŠrature fantastique
Qu’est-ce que la littérature fantastique? À retenir Titre texte
Protagoniste Personnage principal.
Définir le fantastique s’avère une tâche nettement plus ardue qu’elle n’y paraît au premier abord. Chacun tient généralement pour acquis qu’il pourrait reconnaître une œuvre fantastique ; toutefois, appelés à définir le genre, les uns restent muets, les autres avancent timidement qu’il s’agit d’œuvres marquées par « l’intervention du surnaturel ». L’association entre le fantastique et le surnaturel semble si évidente qu’on en vient parfois à confondre les deux termes. Or, peut-on vraiment définir le fantastique par l’intrusion d’un ou de plusieurs événements surnaturels ? D’une part, une telle définition impliquerait que toute œuvre comportant des éléments surnaturels s’inscrive dans la catégorie du fantastique. Pourtant, le surnaturel surgit à l’intérieur d’œuvres variées et dissemblables, dont certaines sont également très anciennes. Dans l’Odyssée, attribuée au poète Homère (autour du VIIIe siècle avant Jésus-Christ), Ulysse, à son retour de Troie, doit notamment combattre un cyclope, échapper à des sirènes et déjouer les plans d’une magicienne. Au XVIIe siècle, dans ses Fables, La Fontaine* fait parler des animaux et leur prête une faculté raisonnante ainsi qu’une psychologie humaine, tandis que dans le Hamlet de Shakespeare*, le protagoniste* est avisé par le fantôme de son père du meurtre dont il a été la victime. Est-ce à dire que ces œuvres font partie de la littérature fantastique ? On aurait tendance à rejeter intuitivement une définition si vaste qu’elle permettrait de les inclure. D’autre part, une œuvre doit-elle être exclue du genre fantastique si le surnaturel, à l’inverse, n’en fait 8
* : Cf. Glossaire
La littérature fantastique pas partie ? Dans « La peur », l’un des contes* fantastiques de Guy de Maupassant, un homme, persuadé qu’un revenant va tenter de l’assassiner, confond son chien avec cet esprit vengeur et l’abat derrière une porte, après une nuit entière de terreur. Nul événement surnaturel dans cette histoire ; seulement la crainte et la terreur, qui s’insinuent lentement et qui paralysent : d’abord cet homme, puis, par contamination, ses proches et même le narrateur* de l’histoire. Devrait-on alors considérer que l’absence de surnaturel, dans ce conte, nous oblige finalement à reconsidérer sa place dans le fantastique ? La présence du surnaturel ne permet pas, en vérité, de définir le fantastique. Nombreux, certes, sont les auteurs qui font appel au surnaturel, mais celui-ci n’est ni nécessaire ni exclusif au genre et apparaît plutôt comme un recours privilégié et récurrent. Le problème reste donc entier…
9
* : Cf. Glossaire
Conte Récit court dans lequel un narrateur raconte une histoire. On le distingue ainsi du roman (long) ou d’une pièce de théâtre (les événements sont joués sur une scène plutôt que racontés).
Narrateur Dans l’énonciation du récit littéraire, le personnage qui raconte (ou l’instance de narration), qui ne doit pas être confondu avec l’auteur.
Subjectif Ce qui est propre à un sujet (la perception d’un individu), par opposition à l’objectivité, qui se rapporte aux choses en tant Titretelles. que
À retenir texte
Castex (1915-1995) Essayiste français, auteur d’une étude chronologique approfondie portant sur le fantastique en France (1951).
Caillois (1913-1978) Écrivain et critique français, qui a publié une étude intitulée Au cœur du fantastique (1965).
Hoffmann (1776-1822) Auteur de contes fantastiques.
Origines du fantastique Avant de tenter de le définir comme genre, penchonsnous un moment sur le terme « fantastique ». Selon Jean-Luc Steinmetz, poète et essayiste français, il provient vraisemblablement du grec phantasein et du latin fantasticum (imaginaire), qui se rapporte à l’idée de voir apparaître quelque chose d’illusoire. Le terme est employé en français dès le Moyen Âge au sens de « possédé », nous précise-t-il encore, puisqu’une personne atteinte de folie, animée par une présence démoniaque, croit voir des choses qui n’existent pas. Le terme en viendra progressivement à qualifier ce qui relève de l’imagination, qui serait donc subjectif* et faux, à l’inverse de ce qui appartient à la réalité et qui serait, par conséquent, objectif et vrai. C’est d’ailleurs cette opposition entre imaginaire et réalité qui est à la source des premières définitions de la littérature fantastique, au moment où l’étude du genre devient de plus en plus populaire, c’est-à-dire à partir des années 1950 (notamment avec PierreGeorges Castex* et Roger Caillois*). Le fantastique connaît une période florissante en France autour de 1830. Il s’y développe grâce à l’influence de l’écrivain allemand E.T.A. Hoffmann*, et de l’essai intitulé Du fantastique en France (1830) de Charles Nodier*, lui-même auteur de récits fantastiques. Mais pourquoi une date si tardive ? Pourquoi le fantastique n’aurait-il pas pu apparaître avant le XIXe siècle ? La réponse, pour Pierre-Georges Castex, se trouve dans la définition même du genre, qui consiste pour lui en « une intrusion brutale du mystère dans la 10
* : Cf. Glossaire
Les auteurs des rĂŠcits fantastiques en leur temps
22
Naissance d’Edgar Allan Poe.
Naissance de Théophile Gautier.
1811
Naissance de Prosper Mérimée.
1809
1804
1803
1800
Napoléon Bonaparte, devient empereur des Français (→ 1815).
Début du romantisme en France (→ 1850).
Révolution française (→ 1799).
1789 1794
Publication originale du roman Les mystères d’Udolphe d’Ann Radcliffe.
Début du romantisme en Angleterre et en Allemagne, entre 1780 et 1790 (→ 1850).
Naissance d’Ann Radcliffe.
Début du Siècle des lumières (→ 1789).
1780
1764
1715
Vie et œuvre des Événements auteurs fantastiques historiques
Madame de Staël – De l’Allemagne. Goethe – Affinités électives.
Beethoven – Symphonie no 3 « Héroïque ».
Mort d’Antoine Lavoisier, chimiste français.
Horace Walpole – Le château d’Otrante Voltaire – Dictionnaire philosophique.
Événements culturels et scientifiques
Chronologie
Anthologie de la littĂŠrature fantastique
La mort La mort est probablement le thème central de toute la littérature fantastique. Les vampires, morts-vivants, fantômes, golems ou autres monstruosités, animées à partir de la matière inerte, n’en sont en vérité que des déclinaisons et constituent les manifestations concrètes d’un questionnement abstrait portant sur la mort et les fins dernières. L’origine du questionnement remonte à l’orée de l’humanité : déjà, les sociétés primitives enterraient les cadavres, d’une part pour éviter la propagation des maladies, mais de l’autre, symboliquement, pour clairement marquer la frontière entre le monde des morts et celui des vivants, témoignant ainsi du caractère fondamental de cette problématique. Dans l’Égypte ancienne, un rituel complexe s’est substitué à l’inhumation : la momification, dont l’objectif était de permettre à l’âme de séjourner dans le corps après le trépas. Les archéologues européens du XIXe siècle seront d’ailleurs fascinés par la découverte de momies dans un état de conservation stupéfiant, et leurs témoignages vont alimenter l’imaginaire d’écrivains fantastiques, notamment Théophile Gautier (« Le pied de momie », 1840) et Edgar Allan Poe (« Petite discussion avec une momie », 1845). Transgresser la frontière qui sépare les morts des vivants a de tout temps inspiré la fascination et la crainte : au désir de pénétrer, vivant, dans le monde des morts répond la menace d’une intrusion des morts dans le monde des vivants. Que l’une ou l’autre entreprise demeure rigoureusement impossible – la mort n’étant pas un territoire s’étendant aux frontières de la vie, mais un concept abstrait correspondant à son antithèse – n’altère en rien le désir irrépressible de la représenter ou de la figurer. Dans l’Antiquité grecque, la mort se rapportait à une divinité appelée « Thanatos », dont 64
Le masque de la Mort Rouge l’une des tâches était d’accompagner l’âme des morts jusqu’au fleuve Styx, dans les Enfers (rôle également attribué au dieu Hermès). Le Styx devait séparer le monde des vivants et des morts, avant que Charon, le passeur, ne traverse en barque avec le défunt au prix d’une obole. Plusieurs grandes religions ont un ange de la mort – Michel, Samaël ou Azraël, par exemple, dans la tradition judéo-chrétienne –, qui prend souvent, lui aussi, le rôle de psychopompe, c’est-à-dire d’accompagnateur des âmes. L’image traditionnelle qui prédomine en Occident, celle de la faucheuse, réunit plusieurs motifs grappillés dans différentes traditions : sa forme squelettique s’explique simplement par le fait que les ossements, contrairement à la chair, survivent au passage du temps et témoignent encore de l’existence après la mort. La faucheuse porte un long vêtement noir, la couleur du deuil et de l’absence de lumière (symbole de la vie). Son arme, la faux, s’explique par le recours à deux traditions, l’une séculaire, l’autre, religieuse. La faux est d’abord un instrument agraire servant à la moisson. Elle correspond, dans le cycle naturel (comme dans celui du travail agricole), à l’automne, à la mort de la nature qui entre dans la saison hivernale, jusqu’au renouveau printanier. Cette image possède ensuite une dimension religieuse. Dans la Bible, la mort est présentée comme l’un des quatre chevaliers de l’apocalypse avec la guerre, la famine et la conquête. Elle vient moissonner la terre, « faucher » les derniers vivants et annoncer le jugement dernier. La faux symbolise enfin la coupure, le détachement et le passage d’un état à un autre que la mort provoque. Au Moyen Âge, l’imaginaire collectif a maintes fois été frappé par des guerres, des épidémies de peste ou de choléra et de grandes périodes de famine. La mort est omniprésente, de sorte qu’elle apparaît fréquemment dans les œuvres artistiques. Un thème pictural très en vogue, appelé « danse macabre », réunissait les 65
Anthologie de la littérature fantastique
À retenir
défunts et les vivants dans une danse morbide à laquelle participaient, sans égard à leur statut social, les rois, les paysans et les bourgeois, montrant ainsi l’universalité et l’inévitabilité de la mort. La volonté de représenter la mort sous une forme tangible répond à un désir : si elle peut être représentée, elle peut donc être évitée, voire combattue et vaincue. On voit le chevalier du Septième sceau (1957) du cinéaste Ingmar Bergman, par exemple, négocier avec la mort et jouer avec elle le report de son heure dernière dans une partie d’échecs. En vérité, représenter la mort sous une forme identifiable constitue déjà un contresens, une manière purement imaginaire et artificielle de recouper le monde des morts et celui des vivants en revêtant le premier de l’apparence du second. Des créatures comme le vampire et le mort-vivant symbolisent parfaitement cette tendance paradoxale : le « mort-vivant », à titre d’exemple, est un oxymore. La mort n’étant véritablement que l’inverse du vivant, sa négation absolue, elle reste donc, par définition, irreprésentable. • La mort est en quelque sorte le thème central de la littérature fantastique : les êtres surnaturels (mort-vivant, fantôme, vampire, etc.) qui peuplent ses récits y sont généralement associés. • De tout temps, la mort a fasciné et terrifié l’humanité, qui a établi des frontières clairement définies pour délimiter son espace et celui du vivant (en particulier grâce à l’enterrement). • La mythologie et la littérature montrent un désir de représenter la mort sous une forme tangible, notamment pour tenter d’y échapper, mais par définition – la mort étant l’absence, la négation de la vie –, elle demeure irreprésentable.
66
La danse macabre.
Edgar Allan Poe et son œuvre (1809-1849)
Mallarmé, Stéphane (1842-1898) Poète français étroitement associé au mouvement symboliste, auteur notamment du « Cygne » et du « Sonnet en yx ».
Edgar Allan Poe est né en 1809 à Boston, dans l’État du Massachusetts, aux États-Unis. Comme il fut abandonné par son père peu de temps après sa naissance et que sa mère mourut une année plus tard, Poe grandit dans une famille adoptive, les Allan. Après s’être adonné à la poésie à partir de 1827, il écrivit ses premières nouvelles, qui commencèrent à paraître dans divers journaux et périodiques en 1832. À l’âge de 26 ans, il épousa sa cousine Virginia Clemm, âgée seulement de 13 ans. En 1839 parurent ses Tales of the Grotesque and the Arabesque, un recueil en deux volumes réunissant plusieurs récits publiés depuis ses débuts littéraires. Il ne connut de son vivant qu’un seul épisode de gloire, lors de la publication du poème « Le corbeau » (The Raven) en 1845. Manifestement plongé dans l’alcoolisme après la mort de Virginia en 1847, sa propre mort survint en 1849 à Baltimore, dans le Maryland, dans des circonstances mystérieuses qui n’ont pas été élucidées. Si Poe ne connut que peu de succès de son vivant dans son pays natal, son influence fut grande en Europe, notamment en France et en Russie. Poe a livré à la postérité une œuvre poétique curieuse et originale, centrée sur la musicalité, qui a largement inspiré les poètes français du XIXe siècle, dont Charles Baudelaire et Stéphane Mallarmé*, qui l’ont tous deux traduite. Quant à ses œuvres en prose, on pourrait les ranger dans trois grandes catégories : les récits humoristiques et satiriques, tels que « Le duc de l’omelette » et « Lionerie », dans lesquels Poe se moque 68
* : Cf. Glossaire
Le masque de la Mort Rouge des travers des hommes de son temps, mais aussi de critiques et d’écrivains avec lesquels il entretenait de nombreuses querelles. Les récits de la deuxième catégorie, dits de « ratiocination », sont d’une grande importance pour l’histoire littéraire : on dit en effet de Poe qu’il est l’inventeur du genre « policier ». « La lettre volée » et « Double assassinat dans la rue Morgue », par exemple, mettent en scène le détective français Auguste Dupin, qui résout des crimes par le seul exercice de son extraordinaire faculté de raisonnement. Poe n’en demeure pas moins l’un des plus importants écrivains du genre fantastique, et ce sont peut-être les récits de cette troisième catégorie qui ont exercé l’influence la plus durable sur la postérité. Le fantastique, chez Poe, constitue en quelque sorte la contrepartie des récits de « ratiocination » : si Dupin avait des facultés de raisonnement et de déduction exceptionnelles, les personnages principaux des récits fantastiques sont, à l’inverse, affectés par des dérèglements de leur faculté raisonnante. Ils en sont d’ailleurs souvent conscients : Egaeus, dans « Bérénice », confesse immédiatement qu’il souffre « d’aberrations de ses facultés mentales » qui l’amènent à contempler avec une obsession inexplicable les dents de sa fiancée. Roderick Usher (« La chute de la maison Usher ») parle d’une tare familiale qui se manifeste par une agitation nerveuse, un mal qui lui fait éprouver une « foule de sensations extranaturelles ». Les exemples font pléthore partout dans les récits de Poe. Or, même si ces personnages nous avertissent d’emblée qu’ils souffrent de troubles mentaux, nous sommes néanmoins happés par leur narration et leurs récits, et, par conséquent, nous en arrivons à partager le délire hallucinatoire dans lequel ces troubles les plongent. Le tour de force de Poe consiste justement à nous immerger dans l’univers incongru, bizarre et pourtant familier dans lequel évoluent ses personnages, sans qu’on perçoive la transition – on ne ressent que 69
Anthologie de la littérature fantastique l’étrange malaise et l’irréductible étrangeté qui sont si caractéristiques du fantastique. Poe s’inspire souvent du genre gothique, mais lui fait prendre un tour différent que décrit parfaitement Max Dupperey en parlant chez lui d’un « gothique intériorisé où la demeure et les paysages gothiques se lisent comme les métaphores d’une psyché délirante1 ». Le surnaturel, chez Poe, est toujours intérieur, produit d’un esprit déréglé, qui engendre ses propres apparitions à partir de ses craintes et de ses désirs profonds, et qui nous les présente avec une telle conviction qu’on en vient à y croire. Enfin, Poe a maintes fois abordé le thème de la mort, fasciné par l’instant du trépas : ses personnages meurent, revivent, puis meurent encore une fois sous l’œil stupéfait de ses narrateurs terrifiés, mais également captivés par le spectacle de l’agonie. Parmi ses récits fantastiques, « Bérénice », « Ligeia », «Morella», «La chute de la Maison Usher» et «Éléonora» mettent en scène des revenantes. « Bérénice » et « La chute de la Maison Usher » traitent encore de l’enterrement prématuré, et s’ajoutent ainsi à d’autres textes abordant (directement ou de manière oblique) le même thème, tels que « Le chat noir », « Le cœur révélateur », « La barrique d’Amontillado », « Le puits et le pendule » et « L’enterrement prématuré ». Tous ces titres forment une véritable constellation de récits portant sur la mort, la revenance et la confusion des états de vie et de mort. À cette liste s’ajoutent finalement « Le cas de Monsieur Valdemar », dans lequel un homme subit une hypnose après sa mort, ainsi que le récit qui va nous intéresser maintenant, « Le masque de la Mort Rouge ».
1. Dans Valérie Tritter (éd.), Encyclopédie du fantastique, 2010, p. 827.
70
Le masque de la Mort Rouge
Le masque de la Mort Rouge Récit curieux, fantasque, souvent interprété comme une allégorie, « Le masque de la Mort Rouge » (The Masque of Red Death) portait comme sous-titre A Fantasy lors de sa publication en 1842. L’histoire du prince Prospero, qui se barricade dans son abbaye pour se protéger, en compagnie des nobles de ses terres, des ravages de la « Mort Rouge », se veut, entre autres, une réflexion sur la représentation de la mort. Prospero pense pouvoir lui échapper en fermant de lourdes herses pour séparer ses contrées ravagées par la maladie contagieuse des domaines de son abbaye. Or, le récit comporte un avertissement, presque une morale : nul ne peut échapper à la mort dont l’empire est illimité. Ambivalent à plusieurs égards, chargé de symboles, « Le masque de la Mort Rouge » se prête à diverses interprétations et illustre bien l’inventivité et l’originalité qui ont fait de Poe l’auteur peut-être le plus emblématique de la littérature fantastique.
71
Le masque de la Mort Rouge
5
10
15
La Mort Rouge avait pendant longtemps dépeuplé la contrée. Jamais peste ne fut si fatale, si horrible. Son avatar, c’était le sang, la rougeur et la hideur du sang. C’étaient des douleurs aiguës, un vertige soudain, et puis un suintement abondant par les pores, et la dissolution de l’être. Des taches pourpres sur le corps, et spécialement sur le visage de la victime, la mettaient au ban de l’humanité1, et lui fermaient tout secours et toute sympathie. L’invasion, le progrès, le résultat de la maladie, tout cela était l’affaire d’une demi-heure. Mais le prince Prospero était heureux, et intrépide, et sagace. Quand ses domaines furent à moitié dépeuplés, il convoqua un millier d’amis vigoureux et allègres de cœur, choisis parmi les chevaliers et les dames de sa cour, et se fit avec eux une retraite profonde dans une de ses abbayes fortifiées. C’était un vaste et magnifique bâtiment, une création du prince, d’un goût excentrique et cependant grandiose. Un mur épais et haut lui faisait une ceinture. Ce mur avait des portes de fer. Les courtisans2, une
notes 1. la mettaient au ban de l’humanité : la forçaient à l’exil, à l’isolement.
2. courtisans : personnes de la cour d’un roi, d’un prince, qui constituent son entourage.
72
L’étude des œuvres
Quelques notions de base En préliminaire : description du genre La nouvelle La nouvelle* est née en Italie au XIVe siècle. Son appellation vient du latin novella : renseignement sur une chose arrivée depuis peu, dans un récit bref et concentré. Cette forme de fiction se répand en France et devient très populaire à la Renaissance. La nouvelle vise généralement la vraisemblance, alors que le conte se nourrit de merveilleux*. Comme son nom l’indique, la nouvelle s’attache à raconter ce qui est nouveau. Elle met donc en scène des événements et des personnages contemporains. Mais, en fait, le terme peut être utilisé pour tout récit qui a les caractéristiques d’un roman, mais en peu de pages : elle se concentre sur un seul événement, présente moins de personnages qu’un roman et se termine par une « chute* » qui clôt l’histoire en quelques phrases sur un élément inattendu. L’intérêt pour ce type de récit s’explique par le fait que la lecture peut en être faite d’un trait tout en frappant l’imaginaire de façon fulgurante. Voilà la qualité essentielle d’une nouvelle : après l’avoir lue, le lecteur conserve un souvenir précis et singulier du récit.
304
* : Cf. Glossaire
Tableau de synthèse des caractéristiques de la littérature fantastique Histoire et intrigue
• Un événement mystérieux perturbe le quotidien du personnage principal et menace sa conception du monde. • Le cadre est généralement réaliste, mais l’événement perturbateur pourrait bien être de nature surnaturelle et, conséquemment, remettre en cause la réalité admise. • Le récit est généralement bref et tendu vers sa chute ; l’intrigue est simple et les actions, rares.
Personnages
• Le protagoniste* n’est souvent qu’une personne ordinaire. • Il est toutefois possible que son équilibre mental soit fragile. • Il est peut-être victime d’hallucinations ou peut confondre le rêve et la réalité. • Les personnages sont généralement peu nombreux et le récit, centré sur le protagoniste. • L’événement surnaturel peut supposer la présence d’êtres susceptibles de faire glisser le héros dans l’irrationnel : morts-vivants, vampires, personnages incarnant le diable (empruntés au merveilleux*).
Narration
Qui raconte l’histoire ? • Si tous les choix de narrateurs* sont possibles, la narration est très souvent à la première personne et assurée par le protagoniste de l’histoire. • S’il s’agit en effet d’un narrateur identifié au personnage principal, le lecteur partage sa perception des événements. La perspective est donc subjective et le récit, douteux.
De quel point • La focalisation est souvent interne : le lecteur doit pouvoir de vue la pénétrer la conscience d’un personnage pour partager scène est-elle sa perspective, sa perception des événements, ses doutes, observée ? ses émotions. Thématique
• La réalité et l’imaginaire, le naturel et le surnaturel, le rêve et la vie réelle. • L’émotion : tout le registre* associé à la peur et aux craintes les plus profondément ancrées dans l’inconscient. • Le bien, le mal et la sexualité : le roman fantastique sert souvent à exprimer des désirs de transgression morale.
305
* : Cf. Glossaire
Tableau de synthèse des caractéristiques de la littérature fantastique (suite) Style et procédés d’écriture
• Utilisation d’un lexique associé à l’expression de la subjectivité et de l’émotion, ainsi que de figures de style permettant d’appuyer ce procédé : hyperbole*, emphase*, antithèse*, comparaison, métaphore. • Utilisation de procédés d’écriture permettant d’accroître la tension (gradation, ellipse) et permettant d’exprimer l’indescriptible : métaphore, ellipse, interjection, néologisme, exclamation, interrogation, oxymore*, parataxe, contraste, etc.
306
* : Cf. Glossaire
La morte amoureuse, Théophile Gautier, pages 90 à 128 a Commentez le titre du récit. Quelle figure de style est employée ici ? z Commentez le nom de « Clarimonde ». e Un phénomène se produit dans ce passage et constitue la clé interprétative du récit : la rencontre avec Clarimonde, qui bouleverse l’existence du jeune prêtre Romuald. Décrivez : a) la manière dont le narrateur conçoit son ordination au début du passage ; b) la façon dont il perçoit Clarimonde ; c) la manière dont il conçoit finalement la vie de prêtre après avoir vu Clarimonde. r Qu’est-ce que vous observez ? Quel phénomène se produit-il ? t Commentez le paragraphe contenu entre les lignes 247 à 251 : « Et je sentais la vie [...] un coup de tonnerre. » Selon vous, à quoi Romuald fait-il subtilement référence ? Que se produit-il en lui ? y a) Quels sont les traits caractéristiques du vampire chez Clarimonde ? b) Gautier accorde d’autres caractéristiques originales à son vampire que l’on ne retrouve pas nécessairement parmi les traits habituels. Quelles sont-elles ? u Étudiez la fin du récit à partir du moment où l’abbé Sérapion ouvre le tombeau de Clarimonde (l. 1033 et suivantes). a) Comment interpréter ce dénouement ? b) Était-elle « le diable » ? c) Selon vous, Clarimonde a-t-elle bel et bien existé ? Justifiez votre réponse.
313
Théophile Gautier Bram Stoker*, Dracula L’auteur anglais Bram Stoker a publié son Dracula en 1897. Ce roman épistolaire* commence avec le récit d’un jeune clerc de notaire, Jonathan Harker, qui voyage en Transylvanie pour des raisons professionnelles. Il doit y rencontrer le comte Dracula qui l’a mandé, car il désire acheter une propriété à Londres. Arrivé au lugubre château gothique du comte, Harker s’aperçoit bien vite qu’il est devenu son prisonnier…
Lectures croisées
Dracula voyage ensuite en Angleterre où il va traquer la fiancée de Jonathan, Mina Murray, et son amie Lucy. Ce n’est qu’avec l’aide d’un professeur du nom d’Abraham Van Helsing que le groupe arrivera à affronter le vampire. L’extrait choisi se situe au début du récit, quand Jonathan Harker rencontre Dracula dans son château.
5
10
15
20
Quand j’arrivai à la fin de mon récit, j’avais également terminé mon souper, et mon hôte en ayant exprimé le désir, j’approchai une chaise du feu de bois pour fumer confortablement un cigare qu’il m’offrit tout en s’excusant de ne pas fumer lui-même. C’était, en vérité, la première occasion qui m’était donnée de pouvoir bien l’observer, et ses traits accentués me frappèrent. Son nez aquilin lui donnait véritablement un profil d’aigle ; il avait le front haut, bombé, les cheveux rares aux tempes mais abondants sur le reste de la tête ; les sourcils broussailleux se rejoignaient presque au-dessus du nez, et leurs poils, tant ils étaient longs et touffus, donnaient l’impression de boucler. La bouche, ou du moins ce que j’en voyais sous l’énorme moustache, avait une expression cruelle, et les dents, éclatantes de blancheur, étaient particulièrement pointues ; elles avançaient au-dessus des lèvres dont le rouge vif annonçait une vitalité extraordinaire chez un homme de cet âge. Mais les oreilles étaient pâles, et vers le haut se terminaient en pointe ; le menton, large, annonçait, lui aussi, de la force, et les joues, quoique creuses, étaient fermes. Une pâleur étonnante, voilà l’impression que laissait ce visage. J’avais bien remarqué, certes, le dos de ses mains qu’il tenait croisées sur ses genoux, et, à la clarté du feu, elles m’avaient paru plutôt blanches et fines ; mais maintenant que je les voyais de plus près, je constatais, au contraire,
314
* : Cf. Glossaire
la morte amoureuse
25
30
qu’elles étaient grossières : larges, avec des doigts courts et gros. Aussi étrange que cela puisse sembler, le milieu des paumes était couvert de poils. Toutefois, les ongles étaient longs et fins, taillés en pointe. Quand le comte se pencha vers moi, à me toucher, je ne pus m’empêcher de frémir. Peut-être, son haleine sentait-elle mauvais ; toujours est-il que mon cœur se souleva et qu’il me fut impossible de le cacher. Le comte, sans aucun doute, le remarqua, car il recula en souriant d’un sourire qui me parut de mauvais augure et qui me laissa encore mieux voir ses dents proéminentes. Puis il alla reprendre sa place près de la cheminée. Nous restâmes un bon moment sans parler, et comme en regardant autour de moi, je levai les yeux vers la fenêtre, je la vis qui s’éclairait des premières lueurs de l’aube. Un lourd silence semblait peser sur toutes choses. Pourtant, en écoutant attentivement, j’eus l’impression d’entendre des loups hurler dans la vallée. Dracula, 1897. Édition du groupe « Ebooks libres et gratuits ». (Extrait de la page 47.)
Questionnaire sur le texte de Bram Stoker, Dracula a Quels sont les traits de Dracula qui évoquent ceux d’un vampire ? z Certains traits de Dracula peuvent à première vue sembler étonnants. Pourquoi, selon vous, Stoker choisit-il de donner à son vampire des mains grossières aux paumes poilues avec des doigts courts et gros, tandis que les ongles sont longs et fins ? Un nez qui lui donne un profil d’aigle ? Vers la rédaction – Analyse croisée
a Comparez les descriptions de Dracula et de Clarimonde en vous appuyant sur les ressemblances et les différences, sur la manière qu’ont les narrateurs, Romuald et Harker, de les décrire (style, approche, réaction émotive, impressions, etc.).
315
Glossaire Pour étudier la littérature fantastique : lexique de base et autres termes Animisme : système qui attribue une âme, un esprit à tout ce qui se trouve dans la nature.
Castex, Pierre-Georges (1915-1995) : essayiste français, auteur d’une étude chronologique très approfondie portant sur le fantastique en France (Le conte fantastique en France, 1951).
Antagoniste : dans la littérature, personnage opposé, rival. Anthropomorphisme : tendance à prêter à des animaux ou à des objets des formes et des réactions humaines.
Champ lexical : ensemble de mots qui sont liés sémantiquement, qui se rapportent à un même thème. Chute (dans un récit) : dénouement d’un récit. La chute de la nouvelle mène souvent à une conclusion inattendue.
Antithèse : opposition entre deux éléments rapprochés dans le but de la mettre en relief. Balzac, Honoré (1799-1850) : romancier français associé au mouvement réaliste, qui a notamment publié La comédie humaine, un ensemble réunissant plus de 90 romans et nouvelles.
Clarke, Arthur C. (1917-2008) : écrivain de science-fiction britannique, auteur, notamment, de 2001 : L’odyssée de l’espace. Conte : récit court dans lequel un narrateur raconte une histoire. On le distingue ainsi du roman (long) ou d’une pièce de théâtre (les événements sont joués sur une scène plutôt que racontés).
Baudelaire, Charles (1821-1867) : poète français identifié aux poètes maudits. Il a notamment traduit de l’américain au français les textes de Edgar Allan Poe.
Darwin, Charles (1809-1882) : biologiste anglais dont les travaux ont mené aux théories de l’évolution et de la sélection naturelle.
Bestiaire : ensemble, collection de créatures, d’êtres ou de monstres. Bizet, Georges (1838-1875) : compositeur français de la période romantique.
Emphase : figure qui consiste à exprimer quelque chose de manière exagérée. Il peut s’agir d’une figure de style, mais aussi d’un défaut attribué à un écrivain (style emphatique, excessif).
Caillois, Roger (1913-1978) : écrivain et critique français, qui a notamment publié une étude sur le fantastique intitulée Au cœur du fantastique (1965).
328
Couvert_AnthoFantastique_1_Layout 1 2015-03-17 14:43 Page1
Des couloirs ténébreux des romans gothiques au livre infini de Jorge Luis Borges, cette anthologie propose un panorama de la littérature fantastique du XVIIIe siècle à nos jours. Peuplés de créatures surnaturelles terrifiantes ou envoûtantes, les huit récits qui la composent s’ancrent dans les peurs, mais aussi dans les désirs les plus profonds de l’humanité. Ils nous entraînent aux limites du monde dans lequel nous vivons, questionnent les au-delàs, l’invisible et l’occulte ; ils s’intéressent aux frontières floues et malléables entre réel et imaginaire, fiction et réalité, et, pour ces raisons, nous fascinent et nous interpellent. Fantômes et manoirs hantés, représentations de la mort, vampires, statues animées, revenants, arts occultes, doubles, monstres et objets magiques, autant de thèmes et de motifs abordés dans ce recueil, dont la visée première est de permettre au lecteur de découvrir l’univers étrange et inquiétant du fantastique. Huit récits (dont un extrait de roman) annotés Une introduction portant sur la littérature fantastique Une présentation de chacun des auteurs et de leurs œuvres Une présentation des thèmes et des motifs abordés dans chacun des récits Huit ateliers d’analyse, dont deux de lectures croisées Imprimé sur papier contenant 100 % de fibres recyclées postconsommation.
fantastique
Recueil de textes
CODE DE PRODUIT : 218389 ISBN 978-2-7617-7861-9
Édition établie par Alexandre Limoges
Anthologie de la littérature
fantastique
Anthologie de la littérature fantastique
Anthologie de la littérature