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Heidi, une série de romans à succès
Le succès des deux romans de Johanna Spyri
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Les romans écrits par Charles Tritten *
Les suites et adaptations écrites par d’autres auteurs
Johanna Spyri publie Heidis
Lehr-und Wanderjahre en 1880, sous-titré Eine Geschichte für Kinder und auch für Solche, welche die Kinder lieb haben (soit Une histoire pour les enfants et pour ceux qui aiment les enfants) chez l’éditeur Friedrich Andreas Perthes à Gotha, en Allemagne, en 1880. Le succès est immédiat, ce qui l’incite à écrire rapidement une suite. Heidi kann brauchen, was es gelernt hat paraît chez le même éditeur en 1881.
Le titre original renvoie au roman de Johann von Goethe, Wilhelm Meisters Lehrjahre. Les années d’apprentissage de Wilhelm Meister raconte l’histoire d’un personnage nommé Wilhelm, un jeune marchand itinérant qui souhaite devenir comédien, chemine et doit faire son apprentissage de la vie tout en déjouant les différents obstacles qui se dressent sur son parcours : paru en 1795, il inaugure la grande tradition allemande du roman de formation, dit Bildungsroman, tradition dans laquelle Johanna Spyri inscrit ainsi clairement son histoire de Heidi. Par contre, Heidi fait partie avec Tom Sawyer de Mark Twain, Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll ou encore Le Robinson suisse du pasteur suisse alémanique Johann David Wyss, édité en 1812 à Zurich, des premières œuvres majeures de la littérature pour enfants, et ouvre la voie à un champ littéraire et éditorial dont le succès ne fait que grandir jusqu’à nos jours.
C’est une amie fidèle de Johanna Spyri qui réalise la première traduction de Heidi en français : la Genevoise Camille Vidart, par ailleurs féministe engagée et militante, rencontre Johanna alors qu’elle exerce en tant que maîtresse principale d’école supérieure à Zurich. Heidi et Encore Heidi paraissent en 1882 chez l’éditeur Georg à Berne et Genève. Ces livres sont principalement diffusés auprès des enfants de Suisse romande. Des exemplaires circulent en France via l’éditeur-libraire protestant Fischbacher, mais de manière assez confidentielle jusqu’en 1914. C’est aux volumes publiés presque un demi-siècle plus tard par la maison Flammarion que l’histoire de Heidi doit sa célébrité en langue française, et à un traducteur-adaptateur lausannois aussi entreprenant que quelque peu opportuniste, Charles Tritten.
Né en 1908, responsable de la librairie d’un grand magasin lausannois, il ne se contente pas de retraduire les volumes originaux de Heidi : il en écrit plusieurs suites, imaginant une Heidi jeune fille, puis adulte, mère et même grand-mère. Trois volumes paraissent sous sa plume : Heidi jeune fille en 1936, Heidi et ses enfants en 1939 et Heidi grand’mère en 1946. Flammarion publie par ailleurs en 1938 Au pays de Heidi, un recueil de quatre histoires, traduites par Tritten, fleurant bon les Alpes qui sont cette fois sorties de l’imagination de Johanna Spyri. Mais Charles Tritten n’est pas Johanna Spyri, et les années 1930 et 1940 ne sont, en Suisse comme en Europe, plus les années 1880 : il fait de Heidi une jeune fille, puis une femme, correspondant au modèle bourgeois, moral et patriotique du moment, soit une ménagère et une mère de famille parfaite, conforme aux idéaux de la défense spirituelle. Heidi se marie avec Peter le chevrier et ensemble, ils construisent une famille qui, le soir au coin du feu, se raconte les mythes helvétiques du serment sur le Grütli, de Guillaume Tell et les belles légendes des alpages. On est loin du portrait tout en nuances de la petite orpheline de cinq ans déchirée entre son bonheur à la montagne, son attachement à son grand-père et son affection pour Clara, exprimant violemment son rejet de la ville mais découvrant par ailleurs avec éblouissement, au cœur de cette même ville, les joies de la lecture.
Paradoxalement, les romans de Charles Tritten recueillent beaucoup plus de succès en Suisse et en France que les traductions plus fidèles et littéraires de Camille Vidart. Que l’on peut heureusement (re)lire en version intégrale dans une édition publiée par Gründ en 2011 avec des belles illustrations de Laetitia Zink. Ou dans une excellente traduction contemporaine de Luc de Goustine et Alain Huriot parue en 1979 à L’École des loisirs, accompagnée des illustrations de Tomi Ungerer. En ce qui concerne les éditions adaptées pour les enfants, et donc raccourcies dans une version album illustré, une des plus intéressantes est sans conteste celle signée de l’écrivain alémanique Peter Stamm, illustrée par le subtil dessinateur Hannes Binder (La Joie de Lire pour l’édition française).
Entre-temps, Heidi a gagné le monde : une première traduction anglaise est disponible dans les librairies dès 1884, suivie de plus de soixantedix langues différentes, dont le japonais en 1920 déjà, lui permettant d’essaimer dans le reste de l’Asie. Particulièrement inattendu, le véritable culte voué à Heidi au Pays du Soleil levant s’explique en partie par l’opposition forte entre la tradition et la modernité que traverse aussi le Japon à cette époque, thème central du livre. Tout comme la représentation de la nature comme source inépuisable de bonheur et de lieu de quête d’absolu, motif dans lequel les Japonais se reconnaissent fortement.
Au fur et à mesure des traductions, retraductions et déclinaisons successives, les traducteurs se font adaptateurs et sabrent, interprètent ou édulcorent l’œuvre originale pour l’harmoniser au goût de leur public du moment. Phénomène révélateur du peu de respect que l’on a longtemps réservé à la littérature enfantine : Heidi devient une sorte d’héroïne publique que chacun peut mettre en scène où bon lui semble en lui faisant vivre les aventures les plus fantaisistes. Le tout évidemment attribué à Johanna Spyri pour garder le parfum originel des Alpes !
Les deux romans originaux de Johanna Spyri, soit Heidis Lehr-und Wanderjahre (1880) et Heidi kann brauchen, was es gelernt hat (1881), parus aux éditions Friedrich Andreas Perthes.
Les histoires de Heidi écrites directement en français par son traducteur le Lausannois Charles Tritten, publiées par les éditions Flammarion : Heidi jeudi fille (1936), Heidi et ses enfants (1939) et Heidi grand’mère (1946).