D’origine valaisanne, le Dr José Vouillamoz est un généticien de la vigne de renommée internationale, formé au profilage ADN des cépages à l’Université de Californie, Davis (USA). Avec les célèbres journalistes Jancis Robinson MW et Julia Harding MW, il est coauteur de l’ouvrage Wine Grapes (Allen Lane, 2012), la référence mondiale sur tous les cépages cultivés dans le monde. Avec le biologiste Giulio Moriondo du Val d’Aoste, il est coauteur du livre Origine des cépages valaisans et valdôtains (Éditions Belvédère, 2011), aujourd’hui épuisé. Il est aussi auteur et coauteur de nombreux articles scientifiques et de livres sur les cépages. José Vouillamoz est en outre un expert en vin reconnu qui est sollicité pour donner des conférences et des dégustations dans de nombreux pays. Il est membre de l’Académie Internationale du Vin, de l’Académie du Vin de Bordeaux et du Circle of Wine Writers. ISBN 978-2-8289-1630-5
Crédits photographiques © Sedrik Nemeth www.sedriknemeth.com
9 782828 916305
José Vouillamoz
C É PAG ES S U I SS ES
En Suisse, plus de 250 cépages sont cultivés sur une surface de seulement 15’000 hectares, ce qui constitue probablement un record mondial. Parmi eux, 80 peuvent être considérés comme indigènes : 59 sont des croisements récents obtenus par la main de l’homme, 21 sont des croisements spontanés apparus au fil du temps dans les vignobles. L’origine de ces derniers repose souvent sur des légendes folkloriques. L’Amigne du Valais aurait été introduite par les Romains, le Completer des Grisons aurait été importé d’Italie par des moines bénédictins, le Chasselas viendrait d’Égypte ou de Constantinople, etc. Depuis quelques années, le test ADN est venu bousculer les idées reçues en dévoilant plusieurs parentés insoupçonnées, comme la découverte des parents du Rouge du Pays (ou Cornalin en Valais), des parents du Räuschling zurichois et des enfants du Completer. Pour les cépages indigènes, cet ouvrage présente les principaux synonymes, l’historique, l’arbre généalogique (dont plusieurs inédits), l’étymologie, la superficie, les régions de culture et les différents types de vin, ainsi que des recommandations personnelles sur les producteurs représentatifs.
J osé V ou i llamoz
C É PAG E S S U I S S E S H istoires
et origines
J os é V o u i l la m oz C É P A G E S SUISS E S H istoires
et or igines
Sous le parrainage de l’association Vitis Alpina (c/o José Vouillamoz, Rue de Lausanne 52, CH 1950 Sion) Avec le soutien de
Éditions Favre SA Siège social et bureaux 29, rue de Bourg CH-1003 Lausanne Tél. : (+41) 021 312 17 17 Fax : (+41) 021 320 50 59 lausanne@editionsfavre.com Adresse à Paris 7, rue des Canettes F-75006 Paris www.editionsfavre.com Dépôt légal en Suisse en octore 2017. Tous droits réservés pour tous pays. Sauf autorisation expresse, toute reproduction de ce livre, même partielle, par tous procédés, est interdite. Première réimpression en décembre 2017. Deuxième réimpression en juin 2019. Photographies : © Sedrik Nemeth Graphisme Francfort Communication & Partenaires François Bernaschina www.francfort.ch ISBN : 978-2-8289-1630-5 © 2017, Éditions Favre SA, Lausanne, Suisse. La maison d’édition Favre bénéficie d’un soutien structurel de l’Office fédéral de la culture pour les années 2016-2020.
Table des matières Introduction Qu’est-ce qu’un cépage ? Comment naît un cépage ? Clones Définition du cépage Sélection clonale Noms des cépages Collections de cépages Identification des cépages Ampélographie Test ADN Test de paternité Classification des cépages suisses
7 16 16 16 17 17 18 18 18 18 19 19 20
Chapitre 1 – Cépages patrimoniaux Évolution de l’encépagement Époque romaine De l’époque romaine à l’an Mille De l’an Mille au XVe siècle Du XVIe au XVIIIe siècle Du XIXe au XXIe siècle Fiches de cépages Amigne Arvine Bondola Bondoletta Chasselas Completer Cornalin Diolle Eyholzer Roter Goron de Bovernier Gros Bourgogne Grosse Arvine Himbertscha Hitzkircher Humagne Lafnetscha Räuschling Rèze
23 25 25 25 25 26 26 29 30 34 39 42 44 51 55 58 61 64 67 71 74 77 80 85 88 92
3
Rouge de Fully Rouge du Pays Schwarzer Erlenbacher Autres cépages anecdotiques
97 100 104 107
Chapitre 2 – Croisements Création de cépages à Agroscope Carminoir Charmont Diolinoir Doral Galotta Gamaret Garanoir Mara Autres croisements suisses Chardoris Mennas Pinorico
109 111 112 115 116 119 121 122 124 126 128 128 129 130
Chapitre 3 – Hybrides Hybride ou croisement ? Hybrides obtenus par Valentin Blattner à Soyhières dans le Jura. Birstaler Muskat Cabernet Blanc Cabernet Colonjes Cabernet Jura Cabernet × Maréchal Foch Cabernet Noir Cabernet Soyhières Cabernet VB Caberneuf Cabertin Merlotin Millot-Foch Pinotin Réselle Riesel Sauvignon-Soyhières Hybrides de Valentin Blattner pas encore nommés
133 134 134 136 137 137 138 138 139 139 140 140 141 141 142 143 143 144 144 145
4
VB CAL 1-28 VB CAL 1-36 VB CAL 6-04 Hybrides obtenus à Agroscope Divico Autres hybrides suisses Kalina Muscat Bleu Siramé
145 145 145 146 146 148 148 148 149
Index des noms de cépages
151
Ouvrages de référence
158
Remerciements
159
5
Introduction À l’état sauvage, la vigne est une liane. Sa nature est de grimper aux arbres ou sur un autre support pour faire des fleurs. Une fois fécondées par le vent ou par des petits insectes, les fleurs produisent des fruits audessus de la canopée, dans le but de se faire manger par des oiseaux qui iront déféquer les graines plus loin, propageant ainsi l’espèce. Il y a environ 10’000 ans, l’Homme a domestiqué cette liane qui constitue aujourd’hui nos vignes et qui a engendré tous les cépages du monde. Pour la cultiver, il faut la tailler régulièrement. C’est un stress important pour la plante. Sa réaction de survie est par conséquent de produire des fruits pour engendrer une nouvelle génération : pour l’Homme, c’est synonyme de vendanges. C’est pourquoi son nom botanique Vitis vinifera signifie « vigne qui porte le vin ». En effet, la quasi-totalité des vins du monde sont élaborés à partir de cette espèce botanique, à l’exception de quelques boissons alcoolisées issues d’espèces américaines (comme Vitis labrusca ou Vitis riparia) que l’on utilise parfois aux États-Unis, mais aussi au Tessin pour élaborer le vin Nostrano (avec entre autres le cépage Isabella, nommé aussi Fragolino ou Gros Framboisé). On estime qu’il existe entre 5’000 et 10’000 cépages dans le monde, en comptant les cépages de cuve (pour faire du vin), les raisins de table et les raisins secs destinés à être mangés, ainsi que les porte-greffes (hybrides d’espèces américaines sur lesquels sont greffés les cépages européens pour les protéger du phylloxéra). Dans notre ouvrage de référence Wine Grapes (Allen Lane 2012), avec mes co-auteures Jancis Robinson MW1 et Julia Harding MW, nous avons dénombré 1368 cépages cultivés dans le monde pour faire du vin disponible dans le commerce. En Suisse, on cultive au moins 252 cépages (sans compter les cépages à l’essai et autres curiosités) sur environ 15’000 ha, soit 0.2 % de la surface mondiale (tableau 1). Parmi ces 252 cépages, 168 sont admis dans les appellations d’origine contrôlée (AOC), allant de 12 à 85 cépages selon les cantons. C’est une diversité énorme, et peut-être même un record du monde. On peut toutefois se demander s’il faut s’en enorgueillir ou s’en alarmer. En effet, la diversité ne fait pas l’identité, ce qui explique l’expression provocatrice disant que « le vin suisse n’existe pas » ! Je distingue trois catégories de cépages en Suisse : les indigènes qui y sont vraisemblablement nés, les traditionnels qui y étaient présents avant 1900, et les allogènes qui y ont été introduits après 1900, soit pendant ou après la reconstitution des vignobles suite à l’épidémie du phylloxéra. Ainsi, 31.6 % sont indigènes (80), comprenant 43 hybrides, 16 croisements et 21 cépages d’origine spontanée (que j’appelle « cépages patrimoniaux »), 8.4 % sont traditionnels (23), tandis que plus de 60 % des cépages cultivés en Suisse sont allogènes (152) (tableau 1). 1 Master of Wine : titre le plus prestigieux dans l’industrie vitivinicole, délivré à ce jour à seulement 353 personnes de 28 pays différents qui ont passé des examens théoriques et pratiques d’un très haut niveau.
7
Qu’est-ce qu’un cépage ? Cette question d’apparence anodine appelle en réalité une réponse qui est loin d’être intuitive. En effet, beaucoup de professionnels considèrent par exemple que le Pinot Noir, le Pinot Gris et le Pinot Blanc sont trois cépages distincts, alors que pour l’ampélographe (du grec ampelos = vigne et graphein = décrire) et le généticien, il s’agit du même cépage. Pourquoi ? La réponse peut être abordée en posant une autre question. Comment naît un cépage ? Tous les cépages du monde sont nés de la même manière. À l’origine de chaque nouveau cépage se trouve un seul et unique pépin de raisin issu de la fécondation du pistil de la mère par le pollen du père. Si la baie contenant le pépin n’est pas vendangée, elle peut être mangée et déféquée plus loin par un oiseau, ou elle peut simplement tomber à terre, et le pépin pourra germer au milieu d’une vigne. Jusqu’à la fin du XIXe siècle, les vignes étaient souvent plantées en foule, avec un mélange de plusieurs cépages, sans véritable agencement. Ainsi, une plantule issue d’un pépin pouvait croître parmi ses parents, sans risquer d’être forcément arrachée, ce qui n’était plus le cas dès le début du XXe quand on a commencé à créer des vignobles mono-cépages en rangs parallèles. Dès l’âge d’environ trois ans, la plante pouvait alors commencer à porter ses premiers fruits. S’ils étaient dignes d’intérêt, le vigneron attentif pouvait décider de multiplier ce cep en faisant des boutures (sections d’une plante-source avec bourgeons) ou des marcottes (enfouissement d’un sarment encore attaché à la plante-source) pour en conserver les caractéristiques. En effet, s’il semait un pépin, il générait automatiquement un nouveau cépage, puisque le pépin est issu d’une fécondation, même si le cépage s’est fécondé lui-même (autofécondation). C’est donc ainsi que sont nés tous les cépages historiques, avant que l’Homme ne commence à faire des croisements manuellement dès le milieu du XVIIIe siècle. Clones Lors de la multiplication par bouturage ou par marcottage, la plante ne subit presque aucune modification génétique. Toutefois, après des décennies, des siècles ou des millénaires de multiplication, de petits « accidents » ponctuels arrivent lors de la réplication de l’ADN. Ce sont des mutations naturelles qui ont lieu grosso modo toutes les 100’000 divisions cellulaires. Pour chaque plant de vigne, il faut bien plus de 100’000 divisions pour avoir une plante adulte, donc chaque cep est forcément porteur de mutations. La majorité d’entre elles n’auront pas d’effet visible pour l’œil humain. Par contre, certaines mutations peuvent avoir un effet spectaculaire, modifiant par exemple la taille des grappes, la période de maturité, la forme des feuilles, la taille des baies, la couleur des baies, etc. C’est ce qu’on appelle des clones ou des biotypes. Par conséquent, pour le généticien et l’ampélographe, le Pinot Gris et le Pinot Blanc ne sont que 16
des variations de couleur du Pinot Noir, qu’on ne peut pas considérer comme des nouveaux cépages, même si leurs vins sont très différents. Pour les cépages les plus anciens et les plus répandus, de nombreuses mutations ont pu s’accumuler avec les myriades de plantes multipliées. Ainsi, plus un cépage montre de variabilité clonale, comme le Pinot ou le Chasselas, plus il est ancien. Définition du cépage On arrive alors à la définition stricte du mot « cépage » : c’est l’ensemble des clones qui se sont différenciés par multiplication végétative à partir d’une seule plante initiale, elle-même issue d’un seul pépin généré par deux cépages parents.
Sélection clonale Depuis 1923, la station fédérale de recherche agronomique Agroscope a entrepris un programme de sélection des meilleurs clones des principaux cépages cultivés en Suisse (Chasselas, Pinot Noir, Gamay, etc.). Cette sélection clonale est souvent perçue comme un appauvrissement de la biodiversité. Si cela a pu être le cas par le passé, lorsque seulement un ou deux clones d’un même cépage, de préférence très productifs, étaient mis à disposition des vignerons à travers les pépiniéristes, la situation a désormais grandement évolué. En effet, la sélection clonale menée par Agroscope a pour objectif initial de sauvegarder et de conserver la biodiversité existante à l’intérieur d’un cépage. Ainsi, plus de 300 clones de Chasselas ont été réunis dans le plus grand conservatoire existant pour ce cépage situé sur le domaine expérimental de Pully, résultat d’une prospection presque centenaire effectuée dans de vieilles vignes de l’ère pré-clonale. Dès 1992, un programme visionnaire de sauvegarde de la diversité génétique des cépages traditionnels et autochtones du Valais a été mis sur pied par Agroscope en collaboration avec l’Office cantonal de la viticulture du Valais et la Société des pépiniéristes valaisans. L’ensemble des travaux de sauvegarde de la biodiversité clonale des cépages traditionnels et autochtones cultivés en Suisse a permis à l’heure actuelle de constituer un conservatoire réunissant plus de 1800 têtes de clones de 24 cépages, introduits suite à des tests virologiques permettant d’exclure les candidats porteurs de viroses graves (court-noué, enroulement, etc.). Ce conservatoire permet la sélection de candidats potentiellement intéressants dans le cadre d’essais où leurs aptitudes agronomiques et œnologiques sont étudiées de manière détaillée en comparaison avec des clones de référence. Cette activité a permis pour l’instant d’homologuer 55 clones de 32 cépages et deux porte-greffes qui sont diffusés dans le cadre de la filière de certification suisse. À l’horizon d’une décennie, plus de 80 clones des cépages traditionnels et indigènes suisses seront à disposition et offriront une large palette permettant d’améliorer encore le potentiel de nos cépages. À titre d’exemple, on 17
dénombre au total 109 clones ou biotypes pour l’Arvine, dont six ont été sélectionnés et sont distribués par les pépiniéristes en mélange afin de conserver la biodiversité dans les vignobles. La plantation de plusieurs clones aux caractéristiques complémentaires en parallèle permet une adaptation optimale aux conditions du site de culture et potentiellement d’améliorer la complexité des vins.
Noms des cépages Selon le Code international de nomenclature pour les plantes cultivées, les noms de cépages sont entourés de guillemets simples et commencent par une majuscule, à l’exception des conjonctions de coordination (p. ex. ‘Rouge du Pays’). Afin de ne pas alourdir le texte de cet ouvrage qui comprend de nombreux noms de cépages, je me permets de laisser tomber les guillemets simples.
Collections de cépages Pour conserver un cépage, il est indispensable de maintenir une plante en croissance. En effet, on ne peut pas conserver un cépage sous forme de pépins, car ils constituent chacun une nouvelle génération, et on perdrait ainsi l’identité du cépage. C’est pourquoi il existe en Suisse plusieurs collections qui maintiennent en vie 1 à 10 ceps d’un cépage ou d’un clone particulier, ce qui représente un coût non négligeable. La plus ancienne et la plus importante est la collection nationale de la station fédérale de recherche agronomique Agroscope au domaine du Caudoz à Pully : fondée en 1916, elle contient plus de 3500 plantes représentant plus de 600 cépages ou clones différents du monde entier. Cette collection est la référence du réseau de la Commission pour la conservation et la sauvegarde des plantes cultivées de variétés autochtones et historiques de Suisse. Elle est utilisée pour l’identification des cépages, la conservation d’anciennes variétés en voie de disparition, notamment au niveau suisse, et comme source de matériel génétique pour les programmes d’amélioration variétale (croisements dirigés). Elle est complétée par d’autres collections publiques ou privées (Tessin, Saint-Gall, Zurich), toutes réunies depuis 1999 à un réseau national (Plan d’action national pour la conservation des ressources génétiques) dont les données sont accessibles via www.bdn.ch.
Identification des cépages Ampélographie L’ampélographie, du grec ampelos = vigne et grapheîn = (d)écrire, est la science qui décrit la vigne et ses cépages, principalement par la forme des feuilles, mais aussi des grappes, des tiges, etc. Cette science fondamentale demande une grande expertise et un entraînement constant. Si la plupart des cépages peuvent être distingués par cette méthode, il arrive que 18
des cépages très proches soient difficiles à différencier (par exemple, le Chardonnay a été longtemps confondu avec le Pinot Blanc). En outre, la détermination d’un cépage dépend de son stade de développement. En effet, personne n’est capable de reconnaître formellement une plantule, et l’ampélographe doit parfois attendre l’apparition des grappes et des baies pour identifier le cépage. Finalement, avec 5’000 à 10’000 cépages dans le monde, aucun ampélographe ne peut se targuer de tous les différencier visuellement. Le test ADN apporte ainsi un complément substantiel à l’ampélographie classique et permet souvent d’en pallier les limites. Test ADN En 1985, l’établissement d’un profil génétique unique pour chaque être humain a été mis au point en Angleterre par Sir Alec Jeffreys. En 1993, il a été élaboré par une équipe australienne pour identifier chaque cépage. Il consiste à mesurer la taille de l’ADN à des régions spécifiques nommées « microsatellites ». Pour chaque cépage, deux mesures sont possibles à chaque région, car les chromosomes vont toujours par paires. Après l’analyse de 6 à 12 microsatellites, on arrive à un profil génétique unique pour chaque cépage, une sorte de carte d’identité moléculaire. En comparant avec une banque de données de référence, on peut ainsi identifier un cépage de manière statistiquement indiscutable. Pour les principaux cépages cultivés en Suisse, tous les profils de références sont répertoriés dans la Swiss Vitis Microsatellite Database (http ://www1.unine.ch/svmd) que j’ai établie en 2006, ainsi que dans la Banque de données nationales (www.bdn.ch) à laquelle j’ai collaboré. Il n’est toutefois pas encore possible d’identifier les clones d’un même cépage avec le test ADN. De même, il n’est pas encore possible d’identifier le ou les cépages qui composent un vin fini (c’est par contre possible dans les moûts). Test de paternité Le test ADN ne permet pas seulement d’identifier un cépage de manière indubitable, il permet également de reconstruire les parentés entre les cépages. En effet, les lois de l’hérédité indiquent que chaque individu (cépage, Homme, etc.) reçoit la moitié de son ADN de son père et l’autre moitié de sa mère. On peut ainsi reconstruire l’arbre généalogique d’un cépage, pour autant que ses ancêtres n’aient pas disparu. Pour ce faire, il faut l’analyse de 30 à 50 régions d’ADN (microsatellites) et l’intervention des calculs de probabilité.
19
Classification des cépages suisses Pour le présent ouvrage, je propose de classer les cépages indigènes à la Suisse en trois catégories : 1. Cépages patrimoniaux 2. Croisements 3. Hybrides Les cépages de chaque catégorie sont présentés dans trois chapitres par ordre alphabétique.
Le vignoble suisse
•• •• ••
20
Valais Vaud Genève Trois-Lacs Suisse alémanique Tessin
21
Arvine
36
Vins L’Arvine est le cépage blanc le plus emblématique du Valais où il produit des vins complexes, nerveux, aux arômes d’agrumes et de rhubarbe, avec une structure voluptueuse et une salinité caractéristique en finale. Parmi les producteurs d’Arvine, il m’est difficile de faire un choix mais je souhaite citer pour les vins secs (en remontant le Rhône) : Cave Philippe et Veronyc Mettaz ainsi que Benoît Dorsaz à Fully, Cave Renaissance à Charrat, Cave Mandolé/Thétaz Noël & Fils, Cave Corbassière et Valentina Andrei à Saillon, Cave Gilbert Devayes à Leytron, Simon Maye & Fils à Saint-Pierre-de-Clages, Didier Joris ainsi que René Favre & Fils à Chamoson (ce dernier possède les plus vieux ceps d’Arvine du monde, plantés en 1928), Varone Vins, Charles Bonvin & Fils et Provins à Sion, Cave de l’Orpailleur/Frédéric Dumoulin à Uvrier, Domaine des Muses/ Robert Taramarcaz et Domaines Rouvinez à Sierre. En vins doux issus de raisins flétris sur souche, l’Arvine Grain Noble ou l’Arvine Grain par Grain du Domaine Marie-Thérèse Chappaz à Fully sont des vins sublimes qui font partie pour moi des meilleurs du monde, mais ce sont aussi des raretés très recherchées. Je recommande également la Cave Gérald Besse à Martigny-Croix, Philippe Darioli à Martigny, Benoît Dorsaz à Fully et Domaine du Mont d’Or à Sion. L’Arvine a rarement été plantée hors du Valais. En Suisse, on en trouve quelques parcelles à Neuchâtel depuis les années 70, à Genève depuis les années 90, ainsi que plus récemment dans les cantons de Vaud, d’Uri et du Tessin. En Italie, le Chanoine Josef Vaudan, alors directeur de l’Institut agricole régional d’Aoste, a introduit l’Arvine depuis le Valais dans le val d’Aoste en 1970, où ce cépage connaît un joli succès depuis quelques décennies (environ 12 ha en 2016). En 1992, c’est Angelo Gaja, le producteur le plus réputé d’Italie, qui en a planté 0.36 ha à Serralunga au Piémont. Le résultat fut un désastre, selon ses propres mots, principalement à cause de problèmes de coulure et de sarments cassants. En France, on en trouve quelques parchets dans le Languedoc-Roussillon, ainsi que dans la Vallée du Rhône où le vigneron charismatique Michel Chapoutier en a planté un demi-hectare à titre expérimental à Tain-l’Ermitage, essai aujourd’hui abandonné. En 2011, le Comité technique permanent de la sélection des plantes cultivées en France a inscrit l’Arvine au Catalogue officiel des variétés de vigne pour la France.
37
Valais
Grisons
Provence (F)
?
?
Colombaud
Completer
Humagne
Himbertscha
Lafnetscha
Le Lafnetscha est issu d’un croisement naturel entre l’Humagne du Valais et le Completer des Grisons. C’est donc un petit-fils du Colombaud de Provence et un demi-frère du Himbertscha. (NB : ou vice versa, car le Colombaud pourrait tout aussi bien être un enfant de l’Humagne, auquel cas le Himbertscha pourrait théoriquement en être un parent, ce qui est peu plausible car l’Humagne est mentionné bien antérieurement).
Origine Distribution
87
Räuschling
En bref Cépage rare originaire d’Allemagne mais n’ayant survécu qu’en Suisse. Principaux synonymes Klöpfer (Rheinland-Pfalz en Allemagne), Offenburger (Rheinland-Pfalz), Räuschling Weiss, Reuschling, Ruchelin (France), Weisser Räuschling, Zürirebe (nord de la Suisse), Züriwiss (nord de la Suisse). Origine historico-génétique
NB : Malgré son origine allemande, ce cépage, qui ne peut pas être considéré comme indigène à la Suisse, est tout de même inclus dans le présent ouvrage car sa culture ne se trouve actuellement qu’en Suisse.
Le Räuschling est un vieux cépage originaire de la vallée du Rhin en Allemagne où il a été possiblement mentionné pour la première fois en 1546 sous son vieux nom de Drutsch. Il était cultivé au Moyen Âge dans les régions de Rheinland-Pfalz et Bade-Wurtemberg, ainsi qu’en Alsace (France) et dans le nord et l’ouest de la Suisse, seule région où il a survécu. Le test de paternité m’a permis de démontrer que le Räuschling est issu d’un croisement naturel entre le Gouais Blanc du nord-est de la France (ou sud-ouest de l’Allemagne) et le Savagnin de l’est de la France. Une mutation de couleur nommée Räuschling Rot existe depuis le XVIIIe siècle. Étymologie Le nom de Räuschling pourrait venir de Rausch, le « bruit », en référence au bruit du vent passant par le feuillage très dense, ou de Russling, basé sur le vieil allemand Rus = bois foncé en référence à la couleur des sarments. Superficie en Suisse 22.8 ha, uniquement en Suisse allemande, principalement dans le canton de Zurich (17.5 ha). Vins Depuis bien longtemps, le Räuschling n’est cultivé que dans le nord de la Suisse, en particulier dans le canton de Zurich. Il produit des vins légers avec des notes d’agrumes et généralement une acidité élevée. Le domaine Schwarzenbach à Meilen sur les bords du lac de Zurich produit sans doute l’un des meilleurs Räuschling, et démontre brillamment son impressionnant potentiel de vieillissement, les années de garde le faisant de plus en plus ressembler à un Riesling. D’autres producteurs remarquables comprennent Weingut Pircher à Eglisau et Weingut Erich Meier à Uetikon am See (Zurich), ainsi que WeinStamm à Thayngen (Schaffhouse). La mutation rouge Räuschling Rot est vinifiée par exemple par Weingut Hasenhalde à Meilen (Zurich).
88
147
Seibel 451
?
Gamay
Gamaret
Seibel 405
Gouais Blanc
Reichensteiner
?
Seyval Blanc
Divico
Ganzin 1
Merzling
Bronner
Aramon du Gard
Munson
Seibel 2
?
Aramon Noir
Rayon d’Or
Gouais Blanc
Munson
Seibel 14
V. rupestris
Seibel 85
Seibel 405
V. vinifera
?
Gouais Blanc
Pinot Gris
Bicane
Pinot
?
Blanc Royal
Saint Laurent
V. amurensis Ruprecht
Geisenheim 6494
Zarya Severa
Syanets Malengra
Malingre Précoce
V. rupestris Ganzin
V. rupestris
Nouveau Bayard
Bourrisquou x V. rupestris
Bourrisquou
Freiburg 379-52
Riesling
?
Ganzin 1
V. rupestris Ganzin
Aramon Noir
Seibel 4199
Ganzin 1
?
Gouais Blanc
Aramon Noir
Gouais Blanc
V. vinifera
V. rupestris
Jaeger 43 (V. lincecumii)
V. rupestris Ganzin
Jaeger 43 (V. lincecumii)
Jaeger 43 (V. lincecumii)
Aramon Noir
V. rupestris x V. lincecumii
V. rupestris
V. vinifera
Seibel 5656
Seibel 14
Seibel 4595
Munson
V. rupestris
Le Divico est un hybride dirigé entre le Gamaret et le Bronner, lui-même un hybride complexe obtenu en Allemagne. C’est donc un neveu du Garanoir et du Mara. Son pedigree contient des cépages de Vitis vinifera ainsi que des individus de vignes américaines (Vitis rupestris et Vitis lincecumii) et asiatique (Vitis amurensis) porteurs de résistances aux maladies. Voir l’arbre généalogique du Gamaret pour la suite du pedigree du Reichensteiner.
?
Jaeger 43 (V. lincecumii)
Étymologie Divico était un chef helvète qui a battu une armée romaine, symbolisant la bonne résistance du cépage. Superficie en Suisse Environ 10 ha. Vins Le Divico donne des vins très colorés avec des arômes d’épice, de poivre, de clou de girofle, de myrtille et de violette, riches en tannins de bonne qualité. Il est produit en mono-cépage par le Domaine de Chambleau à Colombier (Neuchâtel), le Domaine La Colombe à Féchy (Vaud), la Cave Le Bosset à Leytron (Valais) et par Didier Joris à Chamoson (Valais), ce dernier n’ayant effectué aucun traitement depuis la plantation en 2012.
Divico
148
Autres hybrides suisses Outre quelques obscures hybrides d’origine probablement américaine mais uniquement cultivés en Suisse de manière sporadique comme le Madera et la Magliasina, les cépages suivants ont été obtenus en Suisse et sont cultivés sur plus de 0.3 ha: Kalina
En bref Anecdotique, surtout cultivé comme raisin de table. Couleur Rouge-violet. Origine historico-génétique Hybride obtenu dans les années 1970 de parents non divulgués par Anton Meier à la Rebschule Meier à Würenlingen (Argovie). Étymologie Inconnue. Superficie en Suisse 0.39 ha. Vins Bien qu’il soit décrit comme un raisin de table blanc, le Kalina a des baies rouges à violettes, et il est utilisé pour faire du vin blanc. Il est vinifié en mono-cépage chez CK-Weine à Schinznach (Argovie) et en assemblage chez Weingut Schödler à Villigen (Argovie).
Muscat Bleu
En bref Anecdotique, surtout cultivé comme raisin de table aromatique. Principaux synonymes Garnier 83/2, Muscat Bleu Garnier. Couleur Noir. Origine historico-génétique Hybride Garnier 15-6 × Perle Noire obtenu dans les années 1930 par Charles Garnier, vigneron à Peissy (GE). Étymologie Tirée de son arôme muscaté et de la couleur des baies. Superficie en Suisse 2.65 ha. Vins Le Muscat Bleu est cultivé principalement comme raisin de table, mais quand il est vinifié il donne des vins avec un arôme muscaté très présent. 149
Il est vinifié en mono-cépage chez Diroso Kellerei à Tourtemagne (Valais) qui en fait un rosé, chez Biolenz-Engelwurz à Uesslingen (Thurgovie) et chez Strasser Weingut Stammerberg à Oberstammheim (Zurich). On le trouve en assemblage chez plusieurs producteurs en Suisse allemande (Thomas Böni à Frauenfeld/Zurich, Hof Kasteln à Oberflachs/Argovie). On en trouve aussi en Belgique et en Autriche. Suisse
France
Allemagne
Chancellor
Müller Thurgau
Italie
Espagne
Subéreux
Villard Noir
Seibel 6468
Teneron
Garnier 15-6
Subéreux
Seyve Villard 12-358
Perle Noire
Muscat Bleu
Le Muscat Bleu est issu de l’hybridation entre le Garnier 15-6, créé en Suisse par le même obtenteur que pour le Muscat Bleu, et le Perle Noire obtenu en France, tous deux étant eux‑mêmes des hybrides complexes (voir Chardoris pour le pedigree du Müller-Thurgau).
Siramé
En bref Aromatique, bien adapté aux climats marginaux. Principaux synonymes Salomé. Couleur Noir. Origine historico-génétique Hybride obtenu dans les années 1970 par Anton Meier à la Rebschule Meier à Würenlingen (AG), de parents non divulgués, l’un d’eux étant probablement un hybride de Seyval. Étymologie Inconnue. Superficie en Suisse 0.33 ha. Vins Développé initialement comme raisin de table et de cuve, le Siramé n’est à ma connaissance cultivé en Suisse que par Davinum à Grüningen (Zurich) et chez Weingut Lenz à Uesslingen (Thurgovie) qui l’utilisent en assemblage. On en trouve également au Danemark et en Suède.
150
I ndex
des noms de cĂŠpages
Vous venez de consulter un
EXTRAIT d'un livre paru aux Éditions Favre.
Tous droits réservés pour tous les pays. Toute reproduction, même partielle, par tous procédés, y compris la photocopie, est interdite. Éditions Favre SA Siège social 29, rue de Bourg CH – 1002 Lausanne Tél. : +41 (0)21 312 17 17 lausanne@editionsfavre.com www.editionsfavre.com
D’origine valaisanne, le Dr José Vouillamoz est un généticien de la vigne de renommée internationale, formé au profilage ADN des cépages à l’Université de Californie, Davis (USA). Avec les célèbres journalistes Jancis Robinson MW et Julia Harding MW, il est coauteur de l’ouvrage Wine Grapes (Allen Lane, 2012), la référence mondiale sur tous les cépages cultivés dans le monde. Avec le biologiste Giulio Moriondo du Val d’Aoste, il est coauteur du livre Origine des cépages valaisans et valdôtains (Éditions Belvédère, 2011), aujourd’hui épuisé. Il est aussi auteur et coauteur de nombreux articles scientifiques et de livres sur les cépages. José Vouillamoz est en outre un expert en vin reconnu qui est sollicité pour donner des conférences et des dégustations dans de nombreux pays. Il est membre de l’Académie Internationale du Vin, de l’Académie du Vin de Bordeaux et du Circle of Wine Writers. ISBN 978-2-8289-1630-5
Crédits photographiques © Sedrik Nemeth www.sedriknemeth.com
9 782828 916305
José Vouillamoz
C É PAG ES S U I SS ES
En Suisse, plus de 250 cépages sont cultivés sur une surface de seulement 15’000 hectares, ce qui constitue probablement un record mondial. Parmi eux, 80 peuvent être considérés comme indigènes : 59 sont des croisements récents obtenus par la main de l’homme, 21 sont des croisements spontanés apparus au fil du temps dans les vignobles. L’origine de ces derniers repose souvent sur des légendes folkloriques. L’Amigne du Valais aurait été introduite par les Romains, le Completer des Grisons aurait été importé d’Italie par des moines bénédictins, le Chasselas viendrait d’Égypte ou de Constantinople, etc. Depuis quelques années, le test ADN est venu bousculer les idées reçues en dévoilant plusieurs parentés insoupçonnées, comme la découverte des parents du Rouge du Pays (ou Cornalin en Valais), des parents du Räuschling zurichois et des enfants du Completer. Pour les cépages indigènes, cet ouvrage présente les principaux synonymes, l’historique, l’arbre généalogique (dont plusieurs inédits), l’étymologie, la superficie, les régions de culture et les différents types de vin, ainsi que des recommandations personnelles sur les producteurs représentatifs.
J osé V ou i llamoz
C É PAG E S S U I S S E S H istoires
et origines