Doux comme le silence roman
Raphaël Guillet
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— Oui j’ai adoré cette nuit, mon lapin. La prochaine fois, je te mange !
Une cinquantaine de personnes sortirent à la station du Flon et l’étau se desserra. Le barbu aux sourcils épais lui adressa deux nouveaux clins d’œil. Pour qui se prend-il ? se demanda-t-elle avant de comprendre : le gars n’était pas un dragueur, il souffrait d’un tic nerveux.
es yeux d’Alice fixèrent la tête de mort sur la coque du smartphone de l’homme qui lui faisait face. Il parlait en ignorant les autres passagers du métro, agglutinés dans une rame pleine à craquer :
Chapitre 1
L
Alice observa les autres personnes qui l’entouraient : une jeune cadre dynamique réprimant un bâillement, un adolescent dont la publicité sur le pull vantait les mérites du tourisme en Gruyère, une jeune femme aux cheveux bleus et un barbu qui lui faisait des clins d’œil. Alice fit semblant de ne pas remarquer ces œillades de mauvais dragueur.
Les autres usagers du métro écoutaient de la musique, regardaient leurs chaussures ou leur reflet dans la vitre. Un jeune homme d’une vingtaine d’années attira son regard. Alice repéra un air de famille dans les traits de son visage. Son petit frère Raoul, pensa-t-elle, ressemblerait à ce beau mec s’il était encore en vie. Et il aurait à peu près le même âge. Elle le regarda pianoter sur son smartphone. Elle-même n’avait pas emporté le sien, elle avait congé, elle ne voulait recevoir ni appels ni messages.
Le métro entama sa descente vers la gare. Alice ajusta l’élastique qui maîtrisait sa crinière blonde. Elle reposi tionna le sac à dos sur ses épaules puis fit bouger ses orteils dans ses chaussures de montagne. Elle les avait achetées à l’époque de sa formation de policière sur les hauteurs de Savatan et ne les avait plus chaussées depuis un an à cause de son master à l’École des sciences criminelles et de ses débuts professionnels d’inspectrice à la Police judiciaire de Lausanne.Lesrandonnées en montagne lui avaient manqué durant ces douze mois de travail intense. Elle s’était contentée, pour se défouler, de deux-trois heures hebdomadaires de fitness en salle mais elle allait enfin retrouver l’air pur des Alpes. « Je serai au sommet de la Dent de Jaman avant midi » se dit-elle. Elle n’y était jamais allée et y tenait énor mément. Son père s’y était rendu durant son service mili taire et lui avait souvent parlé de l’extraordinaire vue pano ramique depuis ce rocher au-dessus du lac Léman.
Aucune réaction. La jeune femme ne respirait plus. Alice aperçut un téléphone sur le sol et le saisit.
La voix enregistrée annonça la station terminus de la gare, la rame s’immobilisa en émettant un crissement désa gréable. Alice observa à travers la vitre un mouvement de foule inhabituel. Quelque chose de spécial venait de se produire. Elle aperçut une jeune femme effondrée sur le quai. Les gens s’étaient spontanément écartés, créant un espace autour du corps allongé sur le sol. Alice dut attendre l’ouverture automatique des portes pour courir vers la victime. Elle s’agenouilla, lui parla sans obtenir de réponse, lui frappa la joue, lui saisit le poignet en cherchant son pouls et tenta de la ranimer.
— C’est toi, Tiffany, qu’est-ce que tu fichais ?
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— Il y a quelqu’un ? demanda-t-elle.
— Votre amie vient d’avoir un malaise, répondit Alice. Je vous rappelle dans deux minutes. Votre prénom ?
Alice la remercia mais ce n’était pas nécessaire. Elle reprit le téléphone portable de la victime en pressant la touche rappel.
— Maeva. Qu’est-ce qu’elle a Tiffany ?
— Mais vous l’avez sur le portable de Tiffany, mon numéro !
Alice s’en rendit compte : elle ne parlait pas, elle hurlait. Elle raccrocha, appela le 144, donna toutes les informations nécessaires pour les secours puis chercha une nouvelle fois la respiration de la mourante. Peine perdue. Alice aperçut une tache rouge sur le tissu du sweat à capuche à la hauteur des seins. Elle fit basculer délicatement le corps inerte de la jeune femme et souleva ses habits. Ce n’était pas un malaise mais un crime. L’orifice d’entrée de la balle était bien visible sous l’omoplate. Alice fut choquée par l’évidence. La vie pouvait être d’une implacable cruauté. Une autre pensée lui traversa l’esprit : la Dent de Jaman, c’était raté pour aujourd’hui ! Elle reprit ses manœuvres et entendit la sirène de l’ambulance. Un homme et une femme la rejoignirent en courant. Alice leur montra la blessure par balles et recula pour les laisser agir.
— On peut vous aider ? demanda une vieille dame.
Alice avait un stylo mais pas de papier. Elle nota rapidement les dix chiffres sur la peau de sa main gauche.
— Je m’appelle Alice, je travaille pour la police. Votre amie Tiffany est mal en point. Je n’ai pas beaucoup de temps, je vous rappellerai. Donnez-moi votre numéro !
— Oui.
— Je vous rappelle dans deux minutes.
— L’appareil de votre amie va sans doute se verrouiller. Donnez-le-moi, s’il vous plaît !
— Maeva ?
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— Désolée, à plus tard !
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Alice raccrocha en se jurant de ne plus jamais laisser son propre téléphone à la maison. On ne peut plus vivre sans, aujourd’hui, conclut-elle en baissant la tête vers Tiffany. Son premier mort depuis qu’elle était inspectrice. Certaine ment pas le dernier.
on dos lui fit mal en ouvrant la boîte aux lettres. Salo perie de vieillesse, pesta-t-il en attrapant deux enve loppes et le Monde diplomatique auquel il était abonné depuis
Il se releva et marcha jusqu’au salon. La femme de ménage avait laissé la fenêtre ouverte pour aérer la pièce. C’était mercredi, jour de marché sur la place de la Palud. Le silence ne revint que partiellement, une fois la fenêtre refermée. Le double vitrage l’immuniserait contre le boucan extérieur mais la gérance ne voulait pas en assumer les frais et il n’était pas question pour lui de payer de sa poche. Il en avait les moyens avec ses économies et sa retraite de professeur d’archéologie mais plutôt crever, pensait-il, que de mettre un genou à terre devant la gérance et la compagnie d’assurances, propriétaire du bâtiment.
L’ascenseurtoujours.le hissa jusqu’au quatrième étage et Victor Morand se retrouva enfin chez lui. La femme de ménage était déjà repartie, tant mieux. Il s’assit dans son fauteuil de lecture, posé au milieu de la chambre d’amis, appelée ainsi bien qu’il n’en eût aucun. Pas même un copain, avait maintes fois ironisé Diane, son épouse, décédée six ans plus tôt.Il feuilleta son journal mais la rumeur de la ville le gêna.
Chapitre 2
Une sirène de police retentit dans le lointain lorsqu’il entra dans la cuisine pour se faire un café. Le temps que l’eau chauffe, il découvrit une miette de pain sur la table,
S
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essuya plusieurs traces de doigts sur l’inox du frigidaire et pesta contre sa femme de ménage, tout juste bonne à demander une augmentation de salaire.
Il posa sa tasse sur la table basse à côté du fauteuil, se rassit et se releva une nouvelle fois : il serait plus à l’aise sans sa veste en velours côtelé. Il s’en débarrassa, plongea une main dans la poche droite, en ressortit un pistolet qu’il déposa juste à côté de la tasse de café.
Maintenant il pouvait lire.
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Il emporta sa tasse de café, vérifia au passage la propreté de la salle de bains et retourna dans la chambre d’amis. Il s’arrêta devant l’unique tableau accroché au centre de la pièce : un portrait maladroit de Winston Churchill. Victor l’avait peint lui-même quelques années plus tôt dans le cadre d’un cours gratuit du programme de vacances de l’université. Il avait surtout raté les yeux. Churchill affichait un regard de bovin endormi et non celui du vieux lion facétieux.Victor tenait à conserver ce tableau raté car Churchill était un de ses héros. Bien plus efficace contre la barbarie nazie que Picasso et son célèbre Guernica.
— Rassure-toi, c’est déjà fait !
— Tu penses au coup de feu ?
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— Ce qui m’étonne, c’est que je n’ai rien entendu.
— Cela te changerait les idées.
— Oui. Au silence de la foule aussi. Personne n’a crié parmi les gens qui attendaient le métro. Peut-être parce que personne n’a compris ce qui se passait.
Elle vit Sting s’approcher d’elle. Un de ses collègues à la brigade criminelle.
Alice et Sting soulevèrent les rubans qui délimitaient la scène de crime et rejoignirent la rue à l’extérieur de la station de métro.
— Je renonce.
A
lice regarda l’ambulance repartir à vide. Un médecin vint officialiser le décès de la jeune femme. Trois experts de la police scientifique s’affairaient autour de son corps en quête d’indices alors que le flux des passagers du métro était canalisé par un cordon de sécurité.
— Tu n’as vraiment rien vu ? demanda-t-il.
— Rien ! Il va falloir lancer un appel à témoins.
Chapitre 3
— Va quand même marcher. Tu es en congé, Alice !
— Non. J’aimerais travailler avec l’équipe qui sera chargée de cette enquête, expliqua-t-elle alors que le télé phone de la défunte sonnait dans sa main droite.
— Désolée, Maeva, fit Alice sans lui laisser le temps de parler. Je comprends votre impatience. Où est-ce que je peux vous retrouver ?
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— Je lui expliquerai.
Alice nota l’adresse et décida de s’y rendre aussitôt.
— Tu viens avec moi, Sting ?
— Bien sûr mais tu ne voudrais pas te changer d’abord ?
ictor Morand reposa le Monde diplomatique. Il ferma les yeux et revit la jeune femme s’effondrer devant lui sur le quai du métro, provoquant un étrange silence dans la foule interloquée. Le silence, enfin ! Ou, plus précisément, la fin de l’insupportable conversation téléphonique que cette stupide créature avait entamée au Café du Simplon, près de la gare, où Victor aimait aller boire son thé le matin car on y trouvait une panoplie de journaux.
V
Cette idiote serait encore en vie, pensa-t-il, si elle avait opté pour un autre bistrot. Elle vivrait encore si elle ne s’était pas considérée comme le centre du monde avec son satané smartphone. Elle respirerait encore si elle n’avait pas débité autant de stupidités au téléphone. Comment pouvait-on causer si fort en public et ignorer les autres à ce point ? Aujourd’hui, les forfaits sont illimités et la bêtise infinie.Ill’avait
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Chapitre 4
tuée, conclut Victor, car elle incarnait la barbarie contemporaine. Cette jeune femme représentait tout ce qu’il rêvait d’éradiquer de la surface de la Terre : le bavardage et le bruit, fléaux bien plus toxiques pour l’humanité, selon lui, que la pollution, le spécisme ou l’énergie nucléaire. Ce credo, il lui était arrivé de l’exprimer devant ses étudiants en archéologie lors de ses digressions sur l’évolution des civilisations. Ce qu’il ne leur avait pas dit, c’est qu’il en ferait une croisade et qu’il avait acheté un pistolet pour mener à bien cette bataille personnelle. Non pas qu’il fût
Victor avait acheté son pistolet, doté d’un silencieux, à un vendeur anonyme sur internet. Il le gardait presque toujours dans la poche de son veston pour s’habituer à sa présence. C’était risqué mais cela faisait partie du projet. Il l’avait donc sur lui au Café du Simplon et il lisait un maga zine lorsque la jeune idiote avait commencé sa conversa tion bruyante et impudique.
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La petite idiote avait continué de pérorer à plein volume durant une dizaine de minutes. Puis elle avait quitté le bistrot pour aller prendre le métro. Victor l’avait suivie à distance respectable puis s’était approché d’elle sur le quai, se tenant finalement juste derrière.
Elle était toujours au téléphone :
Victor avait fait glisser l’extrémité du canon de son pistolet hors de la poche droite de sa veste en velours et,
attiré par la violence mais c’était, pensait-il, la façon la plus sûre d’obtenir un résultat digne de ce nom. Si l’étude de l’Histoire lui avait enseigné quelque chose, c’était bien ça.
— Ouais, il arrive là. Ah ça me tue d’aller bosser ! Et toi, Maeva, t’es déjà arrivée ?
« On peut obtenir beaucoup plus avec un mot gentil et un revolver qu’avec un mot gentil tout seul » avait écrit Al Capone dans ses mémoires.
— Maeva, t’as vraiment bien fait de choisir cette couleur pour tes cheveux !
L’heure de l’offensive avait sonné. De nombreux condamnés à mort avaient été exécutés pour des raisons bien plus futiles, se dit-il en repensant à ce déclic. Il était sérieux, incapable de la moindre ironie. Son épouse le lui avait souvent reproché.
Victor avait d’abord pesté intérieurement, comme les autres clients du bistrot, en cherchant à supporter ce désa grément. La vie tient à peu de chose. À une petite phrase de rien du tout, parfois :
Victor se souvenait aussi du smartphone, tombé au sol à côté d’elle. Il avait voulu l’écraser pour se venger mais avait bien fait d’y renoncer.
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avant de tirer, avait attendu le crissement du freinage auto matique de la rame de métro, car un pistolet silencieux ne l’est jamais complètement. Il avait ensuite remarqué l’impact de la balle sous l’omoplate de la jeune femme avant qu’elle ne s’écroule.
Les portes s’étaient ouvertes, les passagers étaient sortis de la rame et il était entré, apercevant à travers la vitre une femme aux cheveux blonds qui s’agenouillait près de la jeune morte pour lui porter secours. Le métro était reparti. Ni vu ni connu, avait-il pensé. Tout avait été si facile.
Elle regretta aussitôt.
— Inutile d’insister, je vous testais. Je suis d’accord depuis le début !
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Alice leva les yeux. Il plaisantait, elle en était presque certaine.—Sije comprends bien, je dois enquêter en minijupe ?
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— Premièrement, vous étiez sur place lorsque la jeune fille est morte, ajouta Yerly. Et vous serez un appât de premier choix pour attirer le tueur.
Chapitre 5
Vous voulez vraiment travailler sur cette enquête, AliceJean-Luc! Yerly la regardait de manière qu’elle comprenne que c’était prématuré ou risqué pour une inspectrice sans expérience. Mais elle n’était pas du genre à reculer devant l’obstacle et entama une longue diatribe pour défendre sa cause.—Ne vous fatiguez pas, Alice.
Tout le monde voudrait un chef comme lui, pensa-t-elle. Cet homme réunissait toutes les qualités nécessaires pour diriger la brigade criminelle de la PJ de Lausanne : discré tion, flair, expérience et même ce petit quelque chose en plus — une forme de détachement, voire de fatalisme — qui faisait tout son charme, même s’il n’était pas ce qu’on appelle un beau gosse.
— Désolée mais c’est important pour moi.
— Non. Maeva m’a permis d’établir la liste de leurs amis communs. Avec Sting, nous sommes aussi allés sur le lieu de travail de Tiffany. Elle était shampooineuse dans une échoppe de toilettage pour chiens. Comme Maeva, la patronne ne lui connaissait aucun ennemi.
— Alice, c’est le genre de question que vous devez forcé ment vous poser dans la recherche du mobile !
— Jolie ?
— Vous sous-entendez que je radote !?
— Tiffany ?
— C’est toujours maigre au début ! Et notre métier serait ennuyeux à mourir…
— Deux fois. Lorsque vous étiez venu présenter votre travail à l’École des sciences criminelles. Et le premier jour de mon stage.
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Une femme portant un tel prénom ne mérite pas de vivre, songea Yerly, mais il garda cette plaisanterie pour lui.
— Ne les perdez pas de vue, Alice. Elles sont nos seules pistes pour l’instant.
Alice marqua un temps d’arrêt.
— Si le tueur laissait sa carte de visite dans la poche de la victime, je sais, vous me l’avez déjà dit.
— Je vous l’ai déjà dit ?
— Maeva, sa meilleure amie. Elle ne voit pas qui aurait pu en vouloir à ce point à Tiffany.
— C’est tout, Alice ?
— C’est maigre ?
— Jolie, oui. Avec deux cents grammes de maquillage et dix kilos en trop comme beaucoup de jeunes femmes aujourd’hui.—Etvous avez rencontré une de ses copines, dites-vous ?
— Tiffany, oui. La victime.
— Encore faut-il savoir ce qui aiguise son appétit, enchaînat-il. La jeune femme était-elle jolie, sensuelle, aguicheuse ?
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— Ce surnom, c’est à cause du chanteur ?
— C’est moi qui vous remercie de me laisser travailler sur cette enquête.
— Sting !
Alice aurait voulu prolonger la discussion mais Yerly se leva.— Contactez-moi dès que vous le jugerez utile. Et surtout allez marcher en montagne de temps en temps pour vous aérer l’esprit. Désolé pour votre excursion manquée aujourd’hui.—Nevous inquiétez pas pour moi.
— Disons que j’ai bonne mémoire.
— Encore une chose, Alice. Le vouvoiement est de rigueur pour le chef de la police ou de la PJ. Mais tout le monde se tutoie au sein de la brigade. Je te dis tu désormais et tu en fais de même, ok ?
Alice sortit satisfaite du bureau de son chef. Elle avait obtenu ce qu’elle voulait. Cette enquête serait importante pour sa carrière d’inspectrice, elle en était sûre. Elle était prête à y consacrer toute son énergie. Elle repensa à son père et à leurs échanges lorsqu’il était hospitalisé au CHUV. Elle lui avait soufflé à l’oreille qu’il pouvait s’en aller sans se faire de souci pour sa fille. Elle s’en sortirait toujours grâce au sens de l’effort qu’il lui avait inculqué.
— Je pense que vous vous entendrez bien avec l’inspec teur Favre.
Alice quitta l’Hôtel de police, s’arrêta en chemin chez un épicier portugais pour acheter un peu de jambon, du pain, une salade et des capsules de café puis elle se retrouva dans le métro pour rentrer chez elle dans les hauteurs de la ville.
— Pas vraiment, non ! fit-il en souriant. Je vous laisse mener l’enquête sur ce point également.
— Merci, Alice ! Vous me rassurez à moitié.
— Sting, si vous préférez.
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La rame du métro se dépeupla au fil des arrêts. Alice sortit à la station Fourmi et marcha dans la nuit le long d’un chantier jusqu’à l’immeuble où elle louait un appartement près de l’autoroute. Elle devait encore l’aménager, se disait-elle à chaque fois qu’elle allumait l’ampoule sans abat-jour du salon. Prendre le temps d’acheter un canapé, un deuxième fauteuil, une petite bibliothèque pour y ranger ses livres, entassés dans trois cartons. À vrai dire, elle s’en fichait. Cet appartement minuscule valait tous les palaces du monde grâce au trésor découvert dans la salle de bains. Une baignoire n’est plus considérée comme un luxe de nos jours mais c’en était un pour Alice. Elle n’avait jamais connu ce privilège durant son enfance dans la ferme de ses parents et il n’y avait qu’une douche dans le
Que de surprises depuis le réveil ! Elle revit dans sa tête le film de sa journée : le soleil des matins d’automne, la liberté des jours de congé, le coup de fil à sa mère, le métro bondé, le type qui lui faisait des clins d’œil, le beau gosse qui ressemblait à son frère, Tiffany allongée sur le quai, l’am bulance, les sanglots de Maeva dans le magasin d’articles de sport où elle travaillait, la discussion, ensuite, avec la patronne de Tiffany alors qu’un teckel aboyait entre ses mains de shampooineuse, le repas à la cafétéria avec Sting, la discussion avec le médecin légiste, le retour au commis sariat, l’entretien avec son chef. Ainsi que son feu vert.
Elle sortit son smartphone de la poche, écrivit « sting » sur un site de traduction en ligne et lut « dard » en français. Elle comprit l’ironie de Yerly et regretta d’avoir manqué de répartie, d’autant qu’elle s’était montrée un peu stupide avec son histoire de minijupe. Mais elle n’était pas du genre à se morfondre dans l’autoanalyse. Elle décida d’aban donner cette pensée parasite. C’était sa nature, après tout, sa façon très directe de parler aux autres, sans calcul ni posture. Elle n’avait pas l’intention de changer.
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studio qu’elle avait loué près de la gare au début de ses études.Elle fit couler l’eau chaude, se déshabilla. Qui pouvait en vouloir à Tiffany et pour quelle raison ? se demanda-t-elle, une fois immergée dans son nuage de mousse.
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d'un livre paru aux Éditions Favre.
EXTRAIT
Éditions Favre SA Siège social 29, rue de Bourg CH – 1002 Lausanne Tél.: +41 (0)21 312 17 lausanne@editionsfavre.com17www.editionsfavre.com
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