J'peux pas j'ai synchro (Ed. Favre 2020) - EXTRAITS

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Jean-Philippe Jel Et pas moyen de le faire en vrai ce grand écart. Et puis j’ai découvert la natation synchronisée. Éduqué à entrer dans la norme, rien ne semblait m’y mener. Mais je me suis mis à la pratiquer parce que ce sport, c’est moi. Ni plus ni moins. J’ai mis tant de temps à le comprendre et surtout à l’accepter. À m’accepter. J’ai enfin cessé de vouloir être un bonhomme pour être moi-même. Avec ma dégaine de bûcheron et mon maillot rose, je suis devenu une nageuse de synchro. Une synchronette. Avant de commencer, j’ai quand même dû me faire accepter dans le milieu. Dit comme cela, on dirait une mafia. C’est un peu le cas, la synchro est un monde clos. Pétri de codes. Dans ce livre, je vous emmènerai dans les coulisses de la synchro, un des très rares sports unisexes, et vous comprendrez, enfin, de quoi il retourne. Vous verrez, ça change tout. Et afin de voir si le virus prend sur vous, je vous donnerai quelques pistes pour vous jeter à l’eau. J’peux pas, j’ai synchro, c’est un bout de mon parcours de vie et c’est aussi un guide pour commencer doucement à lever les guiboles. Et qui sait, peut-être que comme moi, vous oserez enfin être vous !

J’peux pas, j’ai synchro

J’ai été officier dans deux armées. Puis j’ai enseigné aux enfants dans le 9.3., le canton de Fribourg et même avant tout ça à des adultes en Hongrie. J’ai couru des marathons, des trails, été nageur de course et de fond. J’ai été marié, j’ai un fils. Et toutes ces années, je n’avais aucune idée de qui j’étais. Le grand écart, je connais.


Jean-Philippe Jel

J’peux pas, j’ai synchro Parcours insolite d’un homme qui a réinventé sa vie


Siège social 29, rue de Bourg CH – 1002 Lausanne Tél. : +41 (0)21 312 17 17 – Fax : +41 (0)21 320 50 59 lausanne@editionsfavre.com Adresse à Paris 7, rue des Canettes F – 75006 Paris www.editionsfavre.com Dépôt légal en Suisse en mars 2020. Tous droits réservés pour tous les pays. Toute reproduction, même partielle, par tous procédés, y compris la photocopie, est interdite. Mise en page : Lemuri-Concept Couverture : Dynamic19 Photo de 4e de couverture : © Muriel Antille ISBN : 978-2-8289-1831-6 © 2020, Éditions Favre SA, Lausanne, Suisse

La maison d’édition Favre bénéficie d’un soutien structurel de l’Office fédéral de la culture pour les années 2016-2020.


Introduction Nous sommes tous tombés, un jour ou l’autre, sur une compétition de natation synchronisée diffusée à la télévision. Cette grande boîte à peine interactive qui diffuse des images et du son, souvenez-vous. Et il faut bien le dire, nous sommes restés perplexes devant ce sport. La réaction naturelle étant de se dire : « Mais pourquoi ? » Curieux, on regarde quand même. Il y a trop de codes, c’est hermétique. Alors, au lieu de se passionner, on change de chaîne. Qu’est-ce donc que cette « natation artistique », nouveau nom de la « natation synchronisée » ? De la danse dans l’eau ? De la gymnastique dans l’eau ? Un peu de tout ça ? Rien de tout ça ? On a tous nos préjugés sur ce sport. Pas très diffusé s’il en est. Pas très clair, un peu comme tous les sports notés à vrai dire. La synchro n’a pas bonne presse. Superficielle, ridicule même. Ces maillots, cette démarche au bord du bassin, ces grands sourires, ces mimiques de colère, le maquillage. On s’imagine bien des choses, parfois même que les nageuses s’aident du fond de la piscine pour exécuter les figures. On n’explique pas tout ça. Soit la personne qui en parle en sait trop, soit elle est totalement à l’ouest. Résultat, l’information est incompréhensible, et souvent basée sur le jugement. C’est joli. Ce n’est pas joli. J’aime, je n’aime pas. Pendant longtemps, mon désir d’être un mec, avant d’être moi-même, m’a mené à expérimenter tout ce qui est mauvais pour moi. Alors ce sport de gonzesses, non merci. « Oser être moi », je n’osais pas.

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Rien ne semblait m’y conduire. Marathonien, officier de Marine puis des Armes, père de famille, nageur de course, empêtré dans une représentation normée de ce que c’est d’être un mec, un fils, un mari. Sans compter que je ne suis pas vraiment le danseur ou le gymnaste qui se reconvertit dans l’eau, comme c’est souvent le cas avec les rares nageurs de synchro. Avant la synchro, j’étais raide comme un piquet. Après trois ans dans ce milieu, plusieurs compétitions, un titre national, trois clubs, une demi-douzaine de partenaires de duo, après des débuts compliqués, certains aspects de la synchro me laissent d’ailleurs encore perplexe. Est-ce bien un sport ? C’est pourtant une discipline olympique, même si certains bruits de couloir laissent augurer une coupe drastique pour laisser sa place à d’autres épreuves. Le duo mixte qui devait arriver sous les anneaux risque de rester le bec dans l’eau. La synchro concerne qui ? On n’y voit que des filles après tout. Oui, les filles, c’est comme ça qu’on s’appelle entre nous. Je suis une nageuse de synchro. J’y reviendrai. C’est, il faut le savoir, un des très rares sports unisexes. Avec vous, je remonterai le chemin qui m’a mené à la synchro. Même si absolument rien n’aurait pu m’y faire croire. À ma connaissance, il n’existe pas de petit guide pour découvrir la natation synchronisée, ses chorégraphies, ses codes, ses jeux de pouvoir occasionnels qui font de Game of Thrones un épisode des Teletubbies. Alors, si vous vous êtes toujours demandé comment comprendre cette discipline, ce qui se passe en coulisse, si en somme, vous voulez en savoir plus sur la synchro et enfin comprendre ce que vous voyez, tournez la page. Et si vous allez jusqu’au bout, je vous confierai quelques bases et petits secrets personnels pour vous exercer dans votre bassin habituel. Sachez enfin que malgré l’expérience, la consultation de la documentation Fina (la Fédération internationale de natation), 6


les innombrables échanges avec les juges, les nageuses, ce guide n’est que mon point de vue, qui plus est d’homme dans ce monde de femmes. Toute erreur ne peut être imputable qu’à mon seul chromosome Y. Mais avant de revenir sur ce parcours, pour commencer, découvrez comment de débuts hésitants d’otarie bourrée, je suis devenu une synchronette.

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La synchro et moi. Et moi. Et moi. (Sur un air connu) « La démarche de quelqu’un laisse deviner s’il marche déjà dans sa propre voie. Regardez-moi donc marcher ! Mais celui qui s’approche de son but – celui-là danse. »

Ainsi parlait Zarathoustra, Nietzsche J’ai commencé ce sport depuis trois ans maintenant, à trenteneuf ans. Juste avant la crise de la quarantaine. Ouf. Auparavant, j’ai servi sous les drapeaux pendant huit ans en tant qu’officier, dans la Marine nationale puis l’Armée de Terre. J’ai été enseignant en primaire pendant huit autres années. Entre deux, j’ai été coach et père au foyer. Pendant longtemps, je n’ai pu me défaire de ma r­eprésentation idéale de ce que c’est que d’être un homme, un vrai. Le viril, le poilu, le barbu, qui parle fort. Mon père, bien sûr, et aussi ma propre construction parfaite, dans son petit écrin de masculinité irréprochable. Le père, l’amant, le mari, le guide. J’y reviendrai. J’ai aussi longtemps confondu sexe et genre. Passionné par ce que j’ai découvert en synchro, je respire ­ ésormais ce sport, je mange synchro, elle ne quitte pas mes d pensées. Je ne la pratique pas par réaction, par provoc’. Je la pratique parce que ce sport, c’est moi. Ni plus ni moins. J’ai mis tant de temps à le comprendre et surtout à l’accepter. À m’accepter.

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Je ne suis ni le premier, ni le seul homme à pratiquer la synchro. Mais je suis en ce moment le seul homme en Suisse à en faire en compétition. Cela me vaut un statut de curiosité. On me dit que je suis un précurseur. C’est flatteur. Je ne fais pas ce sport pour cette raison. Je le fais parce que j’en suis dingue. Parce que la synchro est ce qui a fait de moi l’homme que je suis depuis le début. Commencer n’a cependant pas été une simple affaire. J’ai dû mettre le pied dans la porte. Affronter les a priori du milieu aquatique, des parents de nageuses, des nageuses, des mecs des nageuses, des coaches, du public. Et ma propre image de moi. Rien que pour rejoindre un club, j’ai dû montrer patte blanche.

Mes débuts. Fin de l’été 2016. Je nage, comme tous les jours ou presque. Et en cette fin de mois d’août, à la piscine extérieure, au bord du bassin, une nouveauté. Un groupe de nageuses de synchro et leur coache, dissimulée sous son chapeau à bords larges. Ce n’est pas le bassin de leur club, mais elles profitent elles aussi de ce temps magnifique. Quelques semaines auparavant, je regardais les Jeux olympiques de Rio, surpris par l’organisation pour le moins originale, guettant les épreuves de natation. Le spectateur lambda. Je tombe alors par hasard sur de la synchro. Un peu par dépit, je regarde. Et pour une raison qui m’échappe, certainement un parcours personnel arrivé à point, je découvre ce sport et le vois enfin pour ce qu’il est. Beau. Peut-être aussi comme un challenge. Faire autre chose dans l’eau. Je me prends en somme une tarte. En y réfléchissant un instant, la synchro a longtemps provoqué mon mépris. Quand d’autres sports, comme le foot, ne suscitent que mon désintérêt profond. Et j’étais militaire pendant huit 10


ans, parler foot était un prérequis à l’intégration. Même ainsi, pas moyen, je m’ennuie. La synchro, elle, ne m’ennuie pas. Elle m’énerve. Et je ne sais pas pourquoi. Parce que c’est uniquement féminin ? À cause des maillots, de la musique ? C’est un peu pourri ces excuses. Je me demande bien pourquoi. Je vais donc voir la coache au bord du bassin et lui demande si elle peut m’enseigner la synchro. J’apprendrai à la connaître, et je comprends mieux désormais sa réaction, mais à ma première demande, elle répond en m’ignorant. Le vent. J’insiste. Elle me regarde alors, un peu surprise. Il faut dire que le gars qu’elle a en face fait 1,78 mètres, la barbe, costaud avec de l’embonpoint. Elle doit penser que je plaisante. Pas vraiment l’apollon élancé qu’on pourrait s’imaginer faire ce sport. J’insiste, tenace. J’entends alors son accent, j’infère. « Vous pouvez m’apprendre ce qu’elles font ? » Cette petite danse prendra bien cinq minutes, haussements de sourcils, dérobades, je parviens quand même à lui laisser mon numéro avec en échange la promesse qu’elle me rappellera. Je vois bien dans son regard que j’ai piqué sa curiosité, aussitôt cachée. Elle ne me rappellera pas, bien entendu. Elle teste ma motivation. J’ai son numéro, je la relance, et elle finit par demander au comité de synchro du club où elle coache si je peux nager. Plus d’un mois après, c’est enfin bon. Je peux commencer, uniquement avec des cours particuliers, pas avec le groupe. Une série de dix cours, un soir par semaine. Pas grave, je suis remonté à bloc. Ces dix leçons n’ont pas été de tout repos. D’abord, aucune partie du bassin ne nous est réservée. Lors de la première séance, 11


je vais donc au culot demander au moniteur d’aquagym si on peut prendre un bout de son bassin. Il accepte. Rien ne me préparait à la synchro. Presque quarante ans de natation ? Aucun effet. C’est même plutôt le contraire, avec des réflexes de nageur ancrés profondément, je sais juste avancer dans l’eau. Efficacement certes. En apprenant le tir de combat, notre instructeur nous disait qu’il fallait répéter un geste trois mille fois pour le faire entrer dans la mémoire musculaire. Maintenant, je pratique le tir sportif, et les réflexes de combat reviennent, alors que je ne leur ai rien demandé. CEVITAL. Un de ces acronymes bien ­militaires. Certitude, Élévation, Visée, Index, Tir, Analyse, Liaison. Impossible de l’oublier. En natation, je dois bien ajouter six zéros aux trois mille. C’est dire si mes habitudes sont fortes. La coache me voit me débattre avec l’eau, je n’arrive à rien. Rien que rester sur le dos sans bouger est un calvaire. Elle ne se décourage pas et cherche des solutions pour m’accompagner. Le gabarit et l’expérience ne sont pas ceux d’une gamine de sept ans. Sans compter que le corps masculin semble moins bien flotter. Ce qui est faux, mais c’est ce que je ressens, tel le sac de pierres lâché dans l’eau, bien incapable de rester à la surface. Ce n’est pas désagréable de se sentir à nouveau étranger à ce milieu qui est le mien. L’eau. La première séance s’achève. J’ai pu, pendant trois mètres, exécuter un simple pagayage par la tête qui ne ressemblait pas trop aux gesticulations d’une otarie bourrée. Je suis empli de fierté. Ces quelques secondes font passer le reste de l’entraînement, un supplice (toutes proportions gardées, la coache est pertinente et patiente. Et puis, on ne part pas à la conquête spatiale), comme un mauvais souvenir. Rendez-vous est pris la semaine suivante. Le bassin auparavant accessible ne l’est plus. Je commence à agacer. De ces dix leçons, je retiens les pagayages de base, le voilier et la jambe de ballet. Et surtout le grand sentiment de plaisir.

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Et mal partout. Les muscles sollicités sont différents, je mettrai un an et demi à ne plus avoir mal après les entraînements. Et c’est sans parler de la souplesse. Nous en sommes à la septième ou huitième leçon quand Inna, la coache, me parle du show de Noël. Les shows, c’est très important pour la synchro. On peut nager nos programmes sans se prendre la tête comme à une compétition, on peut vraiment se faire plaisir. C’est aussi ­ l’occasion de montrer notre sport, d’ouvrir un événement à ­ un public plus large qui, par sa petite participation, permet de financer la ­gélatine (vous verrez) et une partie des frais liés aux compétitions. Elle me demande si je suis intéressé. Si participer me plairait. Je n’en reviens pas. Je bondis sur l’occasion. Elle parlera de ma motivation aux filles du groupe masters, et deux d’entre elles se montreront intéressées pour nager un trio avec moi. Estelle et Emeline, merci ! La coache montera un petit ballet à trois, dont je garde un souvenir impérissable. Une chorégraphie où je tente les deux ou trois trucs que je sais faire pour l’instant, qu’Inna sait admirablement mettre en scène : j’attends, assis au bord du bassin, dans une sortie de bain, en lisant le journal. Les deux nageuses se prélassent au bord du bassin, style années vingt, collier de perles et porte-cigarettes. À ma montre fictive, l’heure sonne. Dans le personnage, je me remémore soudain une chose importante : fais tomber la sortie de bain et plonge à l’eau, d’où j’invite les filles. La musique commence. Je ne me rappelle pas du titre, mais elle me rappelle One More Kiss Dear, de la BO de Blade Runner. Le ballet est lancé. Je ne me souviens pas de grand-chose, si ce n’est ma grande concentration, une espèce de détachement, et la réaction du public, visiblement ravi. Les cris quand je lève ma jambe de ballet. Le goût m’est donné. C’est la confirmation. 13


J’insiste donc pour rejoindre le groupe, je ne me vois pas nager tout seul, en synchro, cela n’a pas de sens. Le 1er février, après dix séances particulières, un show, je rejoins enfin la section synchro. C’est aussi fort que le jour où j’ai été retenu pour être officier. C’est aussi fort que la réussite au concours de prof des écoles. Plus encore. De fait, je suis moins suivi pendant ces entraînements de groupe, je dois me fondre dans la masse. Et cet ajustement participera à mon évolution. Je vais apprendre à faire comme. Pendant longtemps, je vais imiter les filles, qui en nageant simplement me donnent l’exemple. Enfin, simplement. C’est vite dit. Cette illusion de facilité, vous vous en doutez, passe par bien des heures d’entraînement. C’est une chose de bien l’avoir en tête, c’en est une autre de le faire. La troisième partie de ce petit livre vous permettra d’en juger sur pièces. J’ai avec moi quelques très bonnes nageuses, qui me donnent à voir toutes ces choses que je ne comprends pas encore. La position des mains pour rester sur place. Comment tenir la tête, comment passer d’une figure à l’autre, des détails par milliers qui font que ce qui semble si simple est en fait particulièrement compliqué et physique à mettre en œuvre. Parmi elles, l’une se détache. On voit dans sa façon de nager sa passion, tous ses mouvements en sont les témoins. C’est fluide, précis, expressif et en apparence sans effort. Estelle sera mon modèle. Elle ne s’en cache pas cependant, elle s’est demandé ce que je foutais là quand je suis arrivé. Certaines filles seront plus curieuses et prendront le temps de m’expliquer en détail les figures. Il faut dire que je me fais un peu discret. Étrange posture que d’être plus âgé et de ne rien maîtriser, d’être le débutant. Merci Charlotte, Shannon, Rebecca, Shana, Céliane, Emilie, Morgane et j’en oublie. Pour votre extrême patience et votre 14


bonne humeur. Chacune de vos voix m’ont fait comprendre des choses complémentaires. C’est en effet surprenant, deux nageuses ne m’expliqueront pas la même figure de la même manière. Et même si cela paraît identique, chacune a sa façon de faire. Je comprends dès lors que ce sport est l’expression de ­personnalités. J’entrevois le caractère artistique. En attendant, le nageur barbotte. Il leur faudra de la patience, parce que dès que je mets la tête en bas, que tout se retourne, toute synchronisation disparaît. Je pourrais me sentir gêné, mais je m’accroche, et on se marrera bien des fois de mes gesticulations désordonnées. N’empêche, mon cerveau n’arrive pas à tout coordonner. Bras, jambes, position de la tête, respiration, enchaînements. Tout est obscur. Pour bien faire, les bras battent à un rythme quand les jambes font tout autre chose. Parfois, les quatre membres sont ­désynchronisés, comme pour les vrilles. Il me faut apprendre cette nouvelle langue, cette nouvelle orthographe, avant de pouvoir passer à la grammaire. Souvent, je quitte un entraînement, deux heures trente, en n’ayant réussi qu’une fois ou deux certaines figures, et encore de façon pas très satisfaisante dans l’absolu. Rien que cela m’emplit de satisfaction, j’avance. C’est aussi parfois rageant, j’ai l’impression de ne parvenir à rien. Les progrès ne sont pas très visibles. Mais en moi, je sens l’évolution. Je commence à lire la synchro. La fin de la première saison servira à renforcer les bases. En point de mire, le show de fin d’année. Un peu tristoune ce show, puisque le même jour la majorité des filles est partie à une ­compétition importante. Je garde cependant un excellent souvenir de ce duo avec Shannon sur Tainted Love de Soft Cell, où je suis encore très hésitant. Je n’en ai cure, je kiffe. Je veux en faire plus. La pause estivale arrive. Ce n’est pas possible, je ne tiendrai pas deux mois sans synchro. 15


Je demande donc à la coache de me donner des programmes d’entraînement. Ce qu’elle fera, bien entendu, le regard amusé. Comment en suis-je venu à ne pas pouvoir me passer de synchro, à presque quarante ans ? À la suite d’un parcours personnel et professionnel où absolument rien, en apparence, ne devait me mener à « danser dans l’eau ». D’autant plus que je ne danse jamais. Forcément.

La Picardie natale. Je suis né à Amiens, une ville du nord de la France, dans une clinique à côté de laquelle je suis retourné habiter, par hasard, des années après, pendant mon master. C’est étendu ce bled, avec l’agglomération ça vous couvre près de 350 km2 du territoire français, Paris et Marseille réunis. Alors revenir dans ce coin précis… Et dans ce quartier, il se trouve qu’habitait mon mentor intellectuel, le prof de français du collège. Ce que j’ignorais totalement en allant y vivre. Pendant six mois, nous avons été voisins. Le genre de type qui portait les cheveux longs et des costumes élégants et décalés, dans le bled où j’ai grandi, 2000 âmes et autant de vaches et de cochons. Ça tranchait, ça clivait. Son ouverture d’esprit, rigoureuse et passionnée, a contribué à former la mienne. Le gars qui aurait pu enseigner à Paname, mais qui a choisi Airaines, dans la Somme. Le trou du cul du monde. Comme il y en a tant. Vous connaissez la Somme ? Il y a sa baie, certes, que je conseille à chacun d’aller voir une fois dans sa vie, au coucher du soleil, en hiver, par marée basse. C’est hors du temps et de l’espace. C’est aussi un des derniers départements de France pour les résultats scolaires. C’est ballot. Il faut dire que la curiosité, à part pour critiquer ce que fait le voisin, n’est pas une vertu picarde. Il paraît que c’est sa situation géographique qui en fait cet îlot culturel, à défaut d’un autre mot. 16


Lieu de passage, personne ne s’y arrêtait en allant des Flandres, des ports de la Manche, de la mer du Nord ou de la Normandie vers Paris, le reste de la France et le monde. Par hasard, dix ans après le collège, je retombe sur ce prof en allant faire les courses près de mon logement étudiant chez l’habitant. S’ensuivront de longues soirées de discussions animées sur tous les sujets. J’ai donc grandi à la cambrousse. Je ne me serais jamais vu y rester, comme à l’armée, on dépérit, on s’emmerde. Et aujourd’hui, cette campagne picarde me manque, même si je sais bien que le caléidoscope de l’enfance déforme les ­souvenirs. La petite rue où je jouais avec mes camarades, la rivière qui passait dans le jardin, les oies qui cacardaient et les vaches qui meuglaient toute la nuit en appelant les petits qu’on leur avait soustraits. Pendant plusieurs jours, leurs lamentations ­emplissaient la nuit. Puis elles oubliaient, ou acceptaient le joug humain. C’est con une vache, vous leur jetez des cailloux à la tête et ça sonne creux. Et ça se laisse faire. Ma mère était une notable de la bourgade, l’assistante sociale. Je voyais défiler toute la misère du monde quand je jouais dans son bureau et que les entretiens n’étaient pas trop personnels. De toute façon, je ne comprenais rien à ce qui se disait. Les gens passaient leur temps à se plaindre. À juste titre parfois, mais que faisaient-ils pour tenter de s’en sortir ? J’ai du coup développé un réflexe épidermique aux plaintes. « Sors-toi les doigts et fais ce que tu veux faire. » Ha, si c’était si simple… J’ai néanmoins souvenir de cette anecdote, survenue des années plus tard. Un type n’ayant pas de travail vient chez ma mère, qui se démène pour lui en trouver un. Pas de bol, c’est loin de chez lui, et il a perdu son permis en pratiquant un des sports locaux : le gymkhana sur parking de supermarché. Ma mère lui dégote donc une location de mobylette, et gratos en plus. Le premier jour de son nouveau travail, l’employeur appelle ma mère en disant qu’il n’est pas venu. Le type n’avait pas voulu faire les cinq kilomètres à pied pour aller ­récupérer sa mob’. Il aurait préféré, je cite « qu’on lui apporte chez (lui). » 17


Des gars comme lui, il y en a partout certes, et même qui portent des costumes, on serait surpris. Mais vous avez une idée du niveau. Ça, et cette odeur qu’il y avait parfois dans le bureau, que je n’identifiais pas. Je compris bien des années plus tard, après des manips interminables à l’armée, que c’est l’odeur de la crasse. Une odeur tenace, comme la misère. Souvent on me demande d’où je suis. Je ne comprends pas vraiment cette question. De la Terre pardi ! Or il faut croire que beaucoup se définissent par leur lieu de naissance. Et en sont fiers. Fier d’être ch’ti, valaisan, hongrois, auvergnat, picard, des exemples au pif, mais ça marche pour tous les coins et recoins du monde. La culture se résume-t-elle au lieu où l’on est né ? Alors oui, c’est une partie intégrante de notre développement, la faculté qu’on s’adapte à notre milieu. C’est une des grandes ­qualités humaines après tout, sinon, on ne serait même pas nés, nos ancêtres auraient fini sous les pattes d’un mammouth ou dans la gueule d’un tigre à dents de sabre. L’évolution, faut croire. Il faut voir le degré de résilience. Sur les bateaux, quand ça bouge, les jeunes marins vomissent leurs tripes. Il y a ce moment où on est tellement mal qu’on se sent bien. Il paraît, car je n’ai pas le mal de mer et que je me contentais de louvoyer entre les seaux. Bref, je suis Picard. Je pourrais en avoir honte, mais non, c’est là où j’ai grandi, et ça me manque parfois. Je comprenais les codes là-bas. Chaque chose avait sa place. La Picardie m’a dressé le tableau de tout ce que je ne voulais pas. Que je suis allé chercher ailleurs. Forcément. J’ai donc revêtu tour à tour le costume des rôles qu’on attendait de moi. Fils, militaire, prof, mari, père, nageur, homme, coureur, ami. Je ne voulais pas me trouver, je n’y arrivais pas, du coup, je ferai ce qu’on attend de moi.

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Le boulot. Il y a en chacun de nous un courant qui nous dit quoi faire. On sait. Or toute notre éducation et l’aliénation radicale du travail, des rôles, de la société, font qu’on fait taire cette voix. On la travestit sous les costumes de la raison. Et du coup, bien souvent, on se retrouve à suivre une carrière qui annihile, le terme n’est pas trop fort, ce qu’on est. Après tout, nous sommes socialement définis par notre travail. « Salut, tu t’appelles comment, tu fais quoi ? » et ensuite, ha, ho, je range dans la case « intéressant », « bankable », « on s’en fout », « original », etc. Le pire, c’est alors d’être sans travail. On ne sert à rien. Esclaves de nos désirs d’appartenir. Alors certes, nos parents avaient souvent un boulot à vie, ils pouvaient mal nous conseiller. Maintenant, on change plus aisément. Cela ne change rien au problème. Notre nature n’est pas selon moi dans le boulot, la productivité. Elle est en nous, et pour tous dans le respect de chacun. Amen. Et donc, à 18 ans, quand on a de la purée entre les oreilles et l’entrejambe en feu, on nous demande de choisir notre avenir. Chose merveilleuse, on nous laisse le choix. Comme si. En fait, dans le meilleur des cas, on va juste se choisir une petite case où l’on se sentira bien. Ou alors on ira d’un taf à l’autre, perdus. Moi, à 18 ans, je ne sais pas quoi faire. De bons résultats scolaires, les portes sont grandes ouvertes. Que je pense. L’idiot. À 10 ans, je voulais être paléontologue. Paraît que ça paie mal, dommage, creuser pour trouver des os de dinosaure est devenu à la mode avec Jurassic Park. Puis en regardant Cousteau, je voulais être plongeur. Ça ne nourrit pas son homme. Puis informaticien, plus pragmatique déjà. Pas de bol, à 18 ans, le domaine connaît un coup de mou. Et enfin psychiatre. Ça, paraît que ça paie bien. Mais je me range alors du côté de mon père, « ils sont plus tarés que leurs patients. » Oui, papa.

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Alors je fais des études de lettres, parce que j’imagine que je vais mieux comprendre le monde en commençant par les mots qu’on lui affuble. Pas de bol, c’est tout sauf ça les lettres. J’aurais dû étudier la Cabale, là, j’aurais été servi. Je finis la classe prépa, Hypokhâgne, khâgne et même khûbe, je suis tenace. Avec comme idée de rejoindre l’École normale supérieure, le temple bien français où l’on parque les futures élites soi-disant lettrées. Je foire le concours, pas très motivé en fin de compte. On triture le français en s’arrêtant à sa surface, les auteurs, ça me dégoûte. Et je sens que je dois faire passer mon apprentissage en me coltinant à la vie. Je ne serai pas déçu. Ayant raté le concours pour l’ENS par deux fois, pourquoi faire les choses à moitié ? Je finis à la FAC d’Amiens. Le jour des inscriptions, je vois l’endroit et n’ai qu’une envie, partir en courant. Lieu de savoir ? Savoir vivant ? Sur un mur, dans mon désarroi total, je vois une affichette. « Faites lecteur en Hongrie. » Je n’ai aucune idée de ce qu’est un lecteur, et je ne connais rien de la Hongrie. Je monte au bureau chargé des candidatures et découvre, surpris, que personne n’a postulé. C’est parti, à la rentrée, je m’envolerai pour la terre magyare. Si j’étais déjà parti avant, ce n’était pas d’une longue traite, même en internat pendant la prépa. Je m’émancipe, fichtre. La langue hongroise n’est pas latine. Du tout. Ni même germanique ou slave. Je ne m’en rends compte que sur place. On ne comprend rien. Et dans cet environnement étrange et étranger, je me sens perdu, voyant tout avec des yeux ­d’enfant qui ne comprend pas ce qui l’entoure. Les mœurs aussi sont différentes. Depuis, ça a énormément changé, mais quand j’y arrive, en 1999, l’emprise du communisme est encore palpable. Architecturalement, dans les mentalités. Une forme de ­ résignation joyeuse. En apparence. Avec cette spécificité d’îlot culturel lié à cette langue, venue tout droit des steppes d’Asie centrale. Vous cherchiez où boire un verre, vous étiez mal barré si vous ne connaissiez pas le mot « bar ». Pas de grandes vitres avec pignon sur rue comme les bistros français, c’est en sous-sol, 20


après un escalier souvent pas très engageant, ou au dernier étage d’un immeuble, pour les meilleurs. Alors on demande, on se fait comprendre, et on se retrouve dans des endroits où on ne peut pas boire un coup tranquille. Il y a forcément quelqu’un qui vient se mettre à côté et vous tape la discute. Sans langue ­véhiculaire commune, on baragouine pendant des heures en mélangeant tous les mots qu’on connaît, inventant les autres et mimant le reste. J’aurai plus appris sur le langage dans ces bars que dans l’ensemble de mes cours sur la langue. On en ressort avec des maux et des mots de crâne ­légendaires, et pas forcément à cause de la boisson. Puis je fourbis mes armes en donnant quelques cours à l’Institut supérieur de pédagogie, l’équivalent des défunts IUFM et des hautes écoles de pédagogie. À un public totalement féminin. La profession d’enseignant est encore bien genrée ces années-là en Hongrie, c’est un métier de femme. Ha, les rôles. Boulot de femme, pas pour moi donc, je passerai les concours de l’enseignement en France avec un blocage intellectuel lié à ce rapport que moi aussi je plaque sur ce métier. Accompagner, soigner, hormis pour les toubibs (en majorité masculins), c’est pour les meufs. Les mecs doivent faire un truc qui pète. Soit on pète des trucs, comme à l’armée. Soit on fait péter de la thune. Vu que je me cogne de la thune, je ferai péter des trucs. Je rejoins alors la Marine, parce que l’eau reste depuis toujours mon élément. C’est le seul endroit où je me sens bien, éternel retour au liquide amniotique ? Les bruits du monde s’amenuisent, je me déplace en trois dimensions, je ne suis pas cloué au sol. Vu qu’on ne fait pas sauter beaucoup de choses dans la Marine, hormis dans des spécialités qui me sont refusées à cause de ma vue, je décide de basculer dans l’armée de Terre. Encore un parcours où il faut postuler, et après de nombreuses sélections et un peu de chance, je suis pris. J’y ferai l’expérience de ce que je ne trouvais pas dans la Marine. Les marins, en voguant sans cesse, ont quand même cette ouverture d’esprit qui manque cruellement à la biffe. 21


De Charybde en Scylla, je ne trouve jamais ce que je cherche. Parce que je nie ce que je suis.

L’atavisme paternel. (Non, ce n’est pas une maladie de piafs.) C’est en effet par atavisme paternel que je rejoins les drapeaux. Les récits de mon père. L’image monolithique qu’il a à mes yeux. L’envie d’être un bon fils, qui ne le décevra pas. J’y cherchais moi l’honneur, et une forme de Bushido, la voie martiale du guerrier. Et devinez ce que j’y ai trouvé ? Des êtres humains. En uniforme. Animés des mêmes motivations que tout un chacun. Une belle carrière, l’aventure, le pouvoir, la soumission, le poste pépère et ainsi de suite. Une armée qui envoie ses chars sans obus sur les théâtres, chars jouissant heureusement d’une réputation destructrice imparable. Il faut voir une charge de blindés dans la plaine, c’est d’une beauté froide. Il y avait des situations ubuesques dont voici un exemple. Les officiers, rendus colonels, sont au sommet de la chaîne alimentaire de la hiérarchie, juste après les généraux. Or, vu que ce grade est un seuil, que pour être général, c’est une coupe drastique, on a une pelletée de colonels qui ne servent plus à grand-chose. Et pour asseoir leur autorité sur d’autres colonels, ils cherchent dans les registres de Saint-Cyr qui a le plus d’ancienneté, et ferment ainsi le caquet de l’autre « cinq pleins » (comme les galons sur les épaules, par opposition à l’alternance de couleurs du lieutenant-colonel). Tous ne sont pas comme cela, heureusement. Certains ont une mission, comme le père d’un camarade de promo qui, constatant la déliquescence progressive de notre belle armée, a pris un commandement sensible, pour « tenir le tout, parce que si nous on baisse les bras, il reste qui ? » Mais ceux qui ne juraient que par l’ascenseur hiérarchique ne comprenaient pas le type qui faisait ça par altruisme résigné et le voyaient comme un arriviste. 22


Je n’ai pas trouvé ma place dans l’armée, j’y ai mis trop ­d’attentes et j’y suis allé pour faire plaisir à papa, en y brûlant mes ailes. Huit années de ma vie. Mais qui suis-je, bon sang à la fin ?

« Qui suis-je, où vais-je, dans quel état j’erre ? » Les écoles de Saint-Cyr Coëtquidan. La fabrique d’officiers des Armes de la France. Un vendredi, à quelques heures de la quille, pendant ma formation d’officier, lors d’un entraînement de franchissement, en groupe. La quille, ce n’est pas tous les week-ends, alors du coup, on est peut-être moins concentré. La Quille, ce bateau qui ramenait les forçats libérés du bagne de Cayenne. Par franchissement, comprenez passer des obstacles divers et variés, de type rivière, fossé, murs, paroi, concertina, passages piétons, et caetera. Objectif, en groupe, en s’aidant les uns les autres, franchir un mur à près de cinq mètres de haut. Presqu’en haut, pour une raison que j’ignore, je lâche prise et tombe, sur le bas du dos, presque sur les fesses, de ces quelques mètres. Le sac, heureusement, amortit le choc. L’impact, sans pitié, me coupe quand même le souffle. J’attends un instant, puis essaie de me relever. Impossible, le bas du corps ne répond pas. Aucune douleur, aucune sensation. Quand tout le reste paraît plus clair, limpide, le temps semble s’étirer, la lumière plus forte. Pas le temps de paniquer, mes jambes reviennent à la vie en une dizaine de secondes grosso merdo, et c’est reparti. Je n’en parle ni aux cadres ni à mes camarades, faut faire le bonhomme. « Jel, réveil ! qu’est-ce que tu glandes par terre ? » J’ai dû échapper à sa vigilance. Pas un son ne sort de ma bouche, le souffle est encore court. Je me relève et monte, l’équipe attend. 23


Vient le quartier libre, nous sommes AD, à disposition du chef de section. Bien souvent cela veut dire que l’on fait un peu ce que l’on veut, au quartier, en formation. Alors quand je dis qu’on fait ce que l’on veut, cela reste une enceinte militaire, on ne va pas se mettre à brailler, en rentrant à poil. Quoique. Me voilà dans le train, Rennes-Paris. Puis le métro, puis le train de banlieue, puis vingt minutes à pied. Exténué, je vais me coucher. Le lendemain matin, réveil à la lumière du soleil, cela change des réveils quotidiens à 05h30, dans le noir, pour faire sa toilette et s’habiller, impeccables, en trente minutes, puis aller à son poste de TIG, souvent le nettoyage de couloirs où tout le monde passe avec ses rangers dégueulasses. On gueule, on recommence, inspection terminée, on va prendre le petit déj’ au pas de course, parce qu’à 07h00, il y a rassemblement. Là, c’est peinard. Juste besoin de se lever et d’aller manger un bon petit déj’ bien gras. Sauf que je n’arrive pas à bouger. Tout le bas de mon corps ne répond pas. À ce moment-là, dans ce cadre protégé, un grand moment de panique. On pense aux tétraplégiques, ou est-ce les paraplégiques ? On ne pense pas net, on a peur que ce soit son tour. J’ai envie de crier, d’appeler à l’aide. Aucun son ne sort de mon gosier. Étranglé par les sanglots de la honte, de la pitié, de la peur. Mais mon cri intérieur sera entendu. Au bout d’une heure peut-être, je parviens à récupérer peu à peu les sensations, c’est comme si mes jambes prenaient feu, en partant du sacrum. Pas un feu de cheminée, un feu presque froid. Bienvenu. Si je sens quelque chose, c’est bon signe me dis-je. Je fais quelques mouvements hésitants. Reprends des forces, avant de sortir de la chambre. Je rejoins le salon où se trouve ma future ex-femme. Avant que je ne lui dise que j’ai mal, elle m’envoie « C’est à cette heure-ci que tu te lèves, j’aimerais profiter du week-end. » Je ne lui dirai donc rien. 24


Ce mal de dos m’accompagne depuis ce jour-là. Il s’avère que j’ai deux disques intervertébraux, L4-L5, L5-S1, soit ceux qui lient au sacrum, qui ont explosé. Bon, c’est relatif, ils se sont ouverts et l’inflammation en poussant sur les nerfs a provoqué la paralysie temporaire. Mais on ne sait pas qu’elle est temporaire quand elle survient. Depuis, je vis avec cette épée de Damoclès qui peut me paralyser, à tout moment finalement. Et je peux vous dire que quand la douleur revient, j’ai cet instant de panique. Encore plus maintenant que sans mes jambes, fini la synchro. J’aurais pu tout arrêter et repartir avec une pension confortable à vie. J’aurais pu aussi ne pas me relever, allez savoir. Le lundi matin je pointais au rapport. Forcément. N’empêche que cette blessure m’a bien diminué et a participé à une suite de carrière pas très glorieuse. Sans parler des séquelles au quotidien. Je fus déclaré à nouveau apte au service, et ai accompli le reste en serrant les dents. J’ai soigné ce mal de toutes les façons possibles. Une kiné et un ostéopathe de Domloup, près de Rennes, m’ont certainement sauvé du fauteuil. Un grand merci à vous deux. J’ai aussi essayé l’acupuncture et tout un tas d’autres choses. Et je suis passé à deux doigts d’être accro aux antidouleurs. Je ne citerai pas le nom de ce qui m’a été prescrit, mais une fois, rentrant d’un entraînement sur le terrain plus long et fatigant que les autres, je me suis trompé de dose, et j’ai ainsi fortement augmenté les suivantes. Parce que c’était la seule façon de faire taire la douleur. Parfois, encore maintenant, alors que c’est traité, la douleur revient. De ces douleurs qui recouvrent tout, emplissent votre quotidien, vous empêchent de penser. On est rigide, la nausée vous prend tant vous avez mal. Sans parler de la soudure des vertèbres qui n’aide pas vraiment à ma souplesse. Je me suis sevré seul, en arrêtant d’un coup le traitement. Le sevrage, rapide certes, n’a pas été une partie de plaisir. Sueurs violentes, angoisses, irritabilité, douleurs au bide. L’habituelle. 25


Table des matières Introduction. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5 I. La synchro et moi. Et moi. Et moi. (Sur un air connu). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9 Mes débuts.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10 La Picardie natale.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16 Le boulot. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19 L’atavisme paternel. (Non, ce n’est pas une maladie de piafs.). . . . . . . . . . 22 « Qui suis-je, où vais-je, dans quel état j’erre ? ». . . . . . . . 23 Enseigner. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29 Exploser en vol.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34 L’idée d’un livre. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38 Mon parcours sportif. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42 Parler de la synchro.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45 Nageuse de synchro. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47 Pourquoi faire de la synchro ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49 Le complexe de Batman. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49 Le soutien du bord du bassin. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51 Les tests. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52 L’Aquacup, ma première compétition.. . . . . . . . . . . . . . 55 Les proches.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56 La micronotoriété. Les réactions.. . . . . . . . . . . . . . . . . . 60 « Je est un autre. ». . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 64 Et ensuite ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65

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II. Décoder la synchro. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69 La piscine, son univers impitoyable. (Sur un autre air connu). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 70 Les clubs de natation.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 72 L’oseille.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73 Les sports notés.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 74 Les disciplines.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 78 Le ballet technique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 78 L’exécution et l’impression.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79 Le ballet libre.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81 Les solos.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 84 Les duos.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 85 Les groupes.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 85 Les combos libres.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 86 Unisexe.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87 Les portés.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93 Les catégories de nageuses.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95 La musique et le tap tap. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96 Un entraînement type en club.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 98 Les synchronettes. Les hommes.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 101 La gélatine, le chignon et les maillots. . . . . . . . . . . . . . . 103 La synchro en France. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105 Ridicule. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 108 Les films. Aquabatix.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 114 III. Se jeter à l’eau.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 117 Les assouplissements.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 119 Les grands battements.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 120 Le papillon. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121 Le travail des pointes. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 122 Mes objectifs pour vous. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 123 Les débuts. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 124 Si l’on s’accroche un peu.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 124 Si l’on s’accroche.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 124

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Les prérequis.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 124 Nager. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 124 Pour le tout-venant. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 126 Pour le guerrier en bonnet de bain.. . . . . . . . . . . . . . . . 126 Retenir son souffle.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 127 Être endurant. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 128 Avoir de la mémoire.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 129 De la coordination.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 129 En résumé.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 129 Les déplacements de base. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 130 Exercice préliminaire : La frite. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 130 Le pagayage par la tête.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 132 Le pagayage par les pieds.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 133 L’hélice.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 133 Le rétropédalage, ou egg beat.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 135 Si l’on s’accroche un peu.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 137 Le voilier.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 137 La jambe de ballet.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 139 Le flamant ou flamenco, le flamingo ?. . . . . . . . . . . . . . 141 Si l’on s’accroche.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 143 La croix.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 143 L’américain.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 145 La grue.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 146 Le fléchi.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 150 Le carpé.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 152 Conclusion. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 155 Pour aller plus loin. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 157 Remerciements. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 159

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Vous venez de consulter un

EXTRAIT d'un livre paru aux Éditions Favre.

Tous droits réservés pour tous les pays. Toute reproduction, même partielle, par tous procédés, y compris la photocopie, est interdite. Éditions Favre SA Siège social 29, rue de Bourg CH – 1002 Lausanne Tél. : +41 (0)21 312 17 17 lausanne@editionsfavre.com www.editionsfavre.com


Jean-Philippe Jel Et pas moyen de le faire en vrai ce grand écart. Et puis j’ai découvert la natation synchronisée. Éduqué à entrer dans la norme, rien ne semblait m’y mener. Mais je me suis mis à la pratiquer parce que ce sport, c’est moi. Ni plus ni moins. J’ai mis tant de temps à le comprendre et surtout à l’accepter. À m’accepter. J’ai enfin cessé de vouloir être un bonhomme pour être moi-même. Avec ma dégaine de bûcheron et mon maillot rose, je suis devenu une nageuse de synchro. Une synchronette. Avant de commencer, j’ai quand même dû me faire accepter dans le milieu. Dit comme cela, on dirait une mafia. C’est un peu le cas, la synchro est un monde clos. Pétri de codes. Dans ce livre, je vous emmènerai dans les coulisses de la synchro, un des très rares sports unisexes, et vous comprendrez, enfin, de quoi il retourne. Vous verrez, ça change tout. Et afin de voir si le virus prend sur vous, je vous donnerai quelques pistes pour vous jeter à l’eau. J’peux pas, j’ai synchro, c’est un bout de mon parcours de vie et c’est aussi un guide pour commencer doucement à lever les guiboles. Et qui sait, peut-être que comme moi, vous oserez enfin être vous !

J’peux pas, j’ai synchro

J’ai été officier dans deux armées. Puis j’ai enseigné aux enfants dans le 9.3., le canton de Fribourg et même avant tout ça à des adultes en Hongrie. J’ai couru des marathons, des trails, été nageur de course et de fond. J’ai été marié, j’ai un fils. Et toutes ces années, je n’avais aucune idée de qui j’étais. Le grand écart, je connais.


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