Balades et découverte du patrimoine De nombreux trésors se cachent près de chez vous, mais vous n’avez jamais pris le temps d’aller à leur rencontre ? Et si le moment était enfin venu de partir à l’aventure dans votre région ? Le guide que vous tenez entre les mains sera votre allié le plus fidèle pour redécouvrir la Suisse romande, au travers des lieux qui ont marqué son histoire. Il vous fera entrer dans de splendides demeures, qui cachent des bibliothèques uniques ou des chefs-d’œuvre méconnus. Il vous emmènera sur les chemins de traverse de votre ville pour vous en révéler les secrets. Lorsque vous ressentirez l’appel du grand air, il vous aidera à trouver votre route en pleine nature, là où vous admirerez les vestiges de projets considérables qui ont bien failli changer le visage de l’Europe et qui sont aujourd’hui recouverts par la végétation. Cet ouvrage a pour seul objectif de vous accompagner dans votre exploration de l’exceptionnel patrimoine de Suisse romande. Il propose une sélection de lieux à visiter dans tous les cantons romands et au-delà, avec des conseils et informations pratiques. En route vers l’inattendu !
Yannis Amaudruz est diplômé en histoire et auteur du blogue Helvetia Historica, consacré au patrimoine. Il passe son enfance dans la ferme familiale, dans un village vaudois qui aurait pu servir de décor à un roman de Ramuz. Après un apprentissage de commerce, il décide de se vouer à sa passion pour la compréhension du passé et entre à l’Université de Lausanne. Durant son temps libre, il arpente la Suisse d’est en ouest, convaincu que l’expérience du dépaysement est à portée de train.
LIEUX SECRETS
DE L’HISTOIRE ROMANDE Balades et découverte du patrimoine
LIEUX SECRETS DE L’HISTOIRE ROMANDE
Lieux secrets de l’histoire romande
Yannis Amaudruz
YANNIS AMAUDRUZ
GUIDE |
Avec l’aimable soutien de :
Éditions Favre SA Siège social et bureaux : 29, rue de Bourg CH-1003 Lausanne Tél. : (+41) 021 312 17 17 Fax : (+41) 021 320 50 59 lausanne@editionsfavre.com Adresse à Paris : 7, rue des Canettes F-75006 Paris www.editionsfavre.com Dépôt légal en Suisse en juillet 2019. Tous droits réservés pour tous pays. Sauf autorisation expresse, toute reproduction de ce livre, même partielle, par tous procédés, est interdite. Photo couverture : © Neil Harrison | Dreamstime.com Graphisme et mise en pages : www.atelierzed.ch ISBN : 978-2-8289-1787-6 © 2019, Éditions Favre SA, Lausanne, Suisse. Les Éditions Favre bénéficient d’un soutien structurel de l’Office fédéral de la culture pour les années 2016-2020.
Yannis Amaudruz
LIEUX SECRETS DE L’HISTOIRE ROMANDE Balades et découverte du patrimoine
TABLE DES MATIÈRES
CANTON DE GENÈVE . .
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8
CAROUGE Une ville neuve aux portes de Genève . . . . . . . . . . .
12
GENÈVE Lumière sur le mur .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18
CANTON DE VAUD . .
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AVENCHES Et si une autre histoire entrait dans l’arène ? . . . . .
28
BEX Ruée vers l’or blanc . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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CHÂTEAU-D’ŒX Des montagnes de lait . . . . . . . . . . . . . . . . .
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MÉZIÈRES La Grange sublime . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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ORNY Canal fantôme .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
52
ORON Bibliothèque d’anthologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
58
VEVEY Présence russe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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CANTON DU VALAIS ..
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70
AYENT Retour aux sources . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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SAILLON Le bandit qui jouait à pile ou face . . . . . . . . . . . . . . .
80
SAINT-MAURICE Une abbaye qui fait de vieux os . . . . . . . . . .
86
SION Quand l’art grimpe au plafond . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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CANTON DE FRIBOURG .
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96
ESTAVAYER-LE-LAC Un musée cocasse qui coasse . . . . . . . . . 100 FRIBOURG Fossés comblés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 106
CANTON DE NEUCHÂTEL ..
...................
114
LA CHAUX-DE-FONDS Un art d’une brûlante nouveauté . . . . . 118 LE LOCLE Du fil aux aiguilles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 124 LES VERRIÈRES Une armée étrangère trouve refuge en Suisse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 130 NEUCHÂTEL Du sang sur les murs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 136
CANTON DU JURA .
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142
DELÉMONT Une synagogue à la campagne . . . . . . . . . . . . . . . 146 SAINT-URSANNE Vive le Jura libre ! . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 152
CANTON DE BERNE .
.........................
160
BIEL / BIENNE Die Stadt qui parle allemand und Französisch . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 164 ÎLE SAINT-PIERRE Une promenade rêveuse en compagnie de Rousseau . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 170 TAVANNES Balade contre la montre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 178
AILLEURS EN SUISSE .
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184
APPENZELL La Déclaration suisse des droits de la femme et de la citoyenne .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 188 LAC DES QUATRE-CANTONS Sur les traces des mythes fondateurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 194 VAL MÜSTAIR La citadelle de la quatrième Suisse .. . . . . . . . . 200 SOLEURE Les ambassadeurs sont en ville . . . . . . . . . . . . . . . . 206 STEIN AM RHEIN D’un ciel à l’autre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 212 VORARLBERG Le 27e canton suisse ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 218
LIEUX SECRETS
DE L’HISTOIRE ROMANDE Balades et découverte du patrimoine
INTRODUCTION
Il y a de cela presque dix ans, je dévorai un petit ouvrage intitulé À quoi sert l’histoire aujourd’hui ? Je suis bien incapable de me souvenir de son contenu. Cependant, la question n’a cessé de me hanter depuis. Lorsqu’on me la pose, je suis tenté de répondre que l’histoire n’a pas à servir à quelque chose. Encore moins à nous servir. Son rôle n’est-il pas au contraire de bouleverser nos certitudes ? Sans trop se soucier de nos états d’âme, elle renverse joyeusement la table des idées reçues et remet à l’heure les pendules du passé. Parfois, elle nous donne une claque. Mais elle nous étonne toujours par sa formidable capacité à éclairer notre présent : l’his toire n’est en effet pas seulement une somme de connaissances qui nous renseignent sur des époques antérieures à la nôtre. Elle est aussi un voyage qui nous invite à remettre en cause ce que nous prenions pour des évidences. Bien vivante, et grâce à sa force de persuasion, elle parvient à faire sortir du silence cette foule de témoins qui peuplent les villes et les cam pagnes. Elle ne manque jamais une occasion de tendre l’oreille pour écouter ce qu’ils ont à nous enseigner. Eux, ce sont les châteaux issus d’un monde révolu, les hôtels particuliers, les vieilles fermes aux murs truffés de secrets, les restes de canaux encore gorgés d’une eau mystérieuse, les ateliers d’ouvriers, les fabriques désaffectées, les monuments érigés en l’honneur de grandes figures ou les vestiges romains qui nous laissent admiratifs face à une antique ingéniosité. Tous ont quelque chose à nous dire. Ce guide se propose donc de retracer le passé de localités situées en Suisse romande, en invitant les lectrices et les lecteurs à partir à la découverte d’un patrimoine accessible à tous. Car l’héritage culturel, enrichi au fil des siècles, est un bien commun. Un trésor collectif qui se joue des appartenances.
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INTRODUCTION
À Alexandre, Gaëlle et mes parents
Et d’ailleurs, comment définir « l’identité » de la Suisse romande ? Les limites de ce territoire éclaté entre plusieurs cantons sont floues. Les villes de Fribourg, Morat ou Bienne ne sont-elles pas à cheval sur la barrière des langues ? La région est ainsi au carrefour de plusieurs grandes cultures européennes, et voilà ce qui fait sans nul doute son génie. Elle ne vit et ne jure que par l’échange. Depuis des siècles, des hommes et des femmes traversent cette petite parcelle du monde, à la recherche d’un refuge ou pour y apporter leur savoir-faire. Vous découvrirez l’étonnant parcours de certains d’entre eux en feuilletant les pages qui suivent. Les Romands ont parfois le sentiment d’être un peu à la marge, coincés entre leurs compatriotes alémaniques et leur cousine française. Le hasard des frontières leur a appris à composer avec leur statut de minorité. Qu’ils soient fromagers du Pays-d’Enhaut, horlogers des Montagnes neuchâte loises ou taverniers de Carouge, les habitants de ce coin de pays ont de tout temps entretenu d’intenses relations avec leurs voisins. Le salut, puis le succès, sont passés par l’ouverture. L’histoire nous rappelle ainsi avec force l’interdépendance qui noue la Suisse romande au reste de l’humanité. La relation avec l’extérieur, la prise en compte de l’altérité, la conscience d’appartenir à un monde plus vaste : voilà peut-être ce qui fait le cœur de « l’identité romande », si pour autant elle devait exister. Une conviction m’anime. Chacune et chacun peut se laisser surprendre par le patrimoine romand, d’une richesse souvent insoupçonnée. L’ouvrage que vous tenez entre les mains vous désignera des chemins à suivre au cours de vos explorations dans toute la Suisse romande, en vous proposant des pistes hors des sentiers battus. Et s’il contribue modestement à vous faire voir l’histoire sous un angle nouveau, il aura remporté son pari.
INTRODUCTION
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Canton de
VAUD
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AVENCHES Et si une autre histoire entrait dans l’arène ? BEX Ruée vers l’or blanc CHÂTEAU-D’ŒX Des montagnes de lait MÉZIÈRES La Grange sublime ORNY Canal fantôme ORON Bibliothèque d’anthologie VEVEY Présence russe
Avenches Payerne Yverdon-les-Bains Orbe
Orny
Moudon Echallens
Mézières Oron
Le Chenit
Morges Rolle
Château-d’Œx
Lausanne
Vevey
Montreux
Nyon
Les Mosses Aigle
Villars
Bex
© Yannis Amaudruz
AVENCHES Et si une autre histoire entrait dans l’arène ? Paris a sa tour Eiffel, Berlin sa porte de Brandebourg, Londres son palais de Westminster. Influencées par des millions d’images, les représentations collectives associent bien souvent une ville à un symbole précis. Avenches n’échappe pas à la règle. Elle doit une large partie de sa notoriété à son passé antique, qui fait la fierté de ses habitants. Durant la belle saison, les arènes romaines s’animent, grâce à plusieurs festivals renommés loin à la ronde. Est-ce donc bien étonnant que l’amphithéâtre soit devenu l’emblème d’Avenches ? Et pourtant, l’histoire de la ville ne s’arrête pas à ce monument. Sur la colline qui domine de glorieux vestiges antiques presque deux fois millénaires, le bourg fondé au Moyen Âge mérite que l’on s’y attarde. Littéralement construit sur les derniers souvenirs de la grandeur romaine, il témoigne d’un passé trop souvent méconnu et englouti par la force d’attraction du célèbre amphithéâtre. Pourquoi ne pas offrir votre regard à l’autre visage d’Avenches, le temps d’une visite ? Entre le Ve et le VIe siècle, alors que l’Empire romain s’efface, les habitants d’Avenches quittent progressivement la plaine pour vivre sur la colline où s’élèvent aujourd’hui encore les édifices médiévaux et modernes. Elle qui comptait 20 000 habitants à son apogée du Ier siècle, la voilà qui semble se replier. Perdre en importance. Certes, elle ne retrouvera jamais sa grandeur romaine. Mais elle finira par se bâtir une nouvelle prospérité. 28
VAUD
< < Porte de l’Est
L’évêque Marius : d’une ville à l’autre En 573, Marius est élevé au rang d’évêque d’Avenches. Même si les sources sont lacunaires à ce sujet, on suppose qu’il est à l’origine du transfert du siège de l’évêché à Lausanne, où le château SaintMaire a été nommé en son honneur, lors de sa construction au début du XVe siècle. Aujourd’hui, l’imposant édifice abrite les bureaux des membres du Conseil d’État vaudois. Marius n’est pas resté célèbre que pour sa fonction religieuse. Il a laissé l’un des rares témoignages qui attestent du triste épisode de l’effondrement de Tauredunum : en 563, une montagne portant ce nom s’écroule dans le Léman et provoque un raz-de-marée. Une vague de 13 mètres de haut déferle sur Vidy ; à Genève, elle s’élève encore à 8 mètres. Un tsunami avant la lettre secoue le lac et ses rives. Commencez votre excursion devant les arènes, et jetez-leur un regard attentif. Curieuse construction, n’est-ce pas ? Après tout, les amphithéâtres de Martigny, de Nîmes ou encore de Rome ne comportent pas de tour, comme celle qui, à Avenches, abrite le Musée romain. Serait-ce une particularité régionale ? En réalité, la tour en question date du XIe siècle. Elle doit son existence à l’évêque de Lausanne, propriétaire de la ville d’Avenches jusqu’à l’arrivée des Bernois en 1536. Lorsque Leurs Excellences s’emparent d’Avenches, elles en font le chef-lieu d’un bailliage. Dans l’enceinte de la ville médiévale, il existe alors déjà un château, construit au XIe siècle. Mais son aspect est quelque peu rudimentaire et il n’est pas suffisamment spacieux. Par conséquent, entre 1565 et 1569, des travaux permettent d’agrandir le bâtiment (rue du Château), tout en le dotant d’une somptueuse tour d’escalier de style Renaissance. Une belle démonstration de prestige de la part du pouvoir bernois, vous en conviendrez. En levant les yeux, vous remarquerez à droite de la tour les visages de trois personnages. Il s’agit d’artisans qui ont participé au chantier : le maître d’œuvre et tailleur de pierre, le sculpteur ainsi que le charpentier. Tout au long du Moyen Âge et sous l’Ancien Régime, les habitants d’Avenches récupèrent massivement des pierres sur les vestiges romains afin de bâtir de nouveaux édifices sur la colline ou pour produire de la chaux. Des traces de ces apports sont toujours visibles. Prenons l’exemple du temple protestant (place de l’Église 1), dont l’apparence actuelle date des années 1709-1711. Observez bien les angles situés au sud. Que remarquezvous ? Des morceaux de frise prélevés sur un temple romain servent de fondation à l’édifice religieux. Le symbole est libre d’interprétation : s’agit-il VAUD
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d’un hommage aux habitants d’Aventicum ? Ou d’une façon de réaffirmer la vérité du christianisme ? En méditant sur la question, entrez dans le temple, dont la salle principale est caractéristique de l’architecture réformée. Sur l’un des murs, vous remarquerez une peinture colorée, antérieure aux transformations du début du XVIIIe siècle. Elle représente sainte Apolline. Le martyre d’Apolline Alors que des persécutions contre les chrétiens se déroulent à Alexandrie au cours du IIIe siècle de notre ère, la vierge Apolline, adepte de la parole du Christ, est présentée à ses bourreaux. Ils commencent par lui arracher ses dents, une à une. Puis, devant la résignation de la sainte, ils décident d’allumer un bûcher pour l’y faire brûler vive, si elle refuse de renoncer à sa foi. Apolline, convaincue que la vie éternelle l’attend après la mort, étonne ses bourreaux lorsqu’elle se jette volontairement dans les flammes. Elle est la patronne des dentistes et, cela ne s’invente pas, de ceux qui ont mal aux dents. Le XVIIIe siècle sera une époque particulièrement faste pour le développement architectural d’Avenches. Bien que la cité ne compte alors qu’environ 800 habitants, elle est une étape importante sur la route qui mène de Lausanne à Berne. Après le temple, c’est donc au tour de l’Hôtel de Ville (rue Centrale 33) de subir d’importants travaux, en 1753-1754. Il faut dire qu’il y a urgence : l’ancien siège de l’administration est sur le point de tomber en ruine. Leurs Excellences chargent donc l’architecte officiel de la Ville de Berne de s’occuper de la construction d’un nouvel édifice. En observant la façade, vous noterez la présence de trois bustes sculptés. Leur signification est-elle similaire à celle des figures qui ornent le château ? Non, elle est bien différente : il s’agit des empereurs romains Vespasien (dont le banquier de père a vécu à Aventicum), Titus et Domitien. Quant au fronton, vous y devinerez une tête de Maure, symbole de la ville, entouré de deux autres personnages. Empruntez le passage couvert qui vous mènera à la rue des Alpes. Face à vous s’élève la tour de Benneville, qui date certainement du XIVe siècle. Descendez les escaliers qui se trouvent à sa gauche. Arrivé en bas, vous apercevrez sur la droite une pierre commémorative rappelant l’existence passée de la synagogue d’Avenches (en face de la rue des Terreaux 13). À partir de 1826, des juifs venus d’Alsace, souvent marchands de chevaux, s’installent en ville, jusqu’à représenter 14 % de la population en 30
VAUD
Quand Avenches la Bernoise redécouvrait Aventicum la Romaine Au début du XVIe siècle, Avenches devient un territoire bernois. Les nouveaux maîtres, que l’on appelle respectueusement « Leurs Excellences », s’approprient les lieux. Avant leur arrivée, de vastes connaissances liées au passé romain de la ville étaient peu à peu tombées dans l’oubli. C’est alors qu’un certain Marquard Wild, bibliothécaire en chef à Berne, se penche dans les années 1710 sur le cas d’Aventicum, le nom gallo-romain d’Avenches. Et voilà qu’il parvient à démontrer que la cité était bel et bien la capitale de l’Helvétie romaine ! Une impulsion est
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© Yannis Amaudruz
1870. Le lieu de culte est quant à lui bâti en 1863-1864, ce qui témoigne de l’importance prise par la communauté au fil du XIXe siècle Peu de temps après cependant, le nombre de personnes de confession israélite diminue. Comment expliquer un tel déclin ? En 1866, les juifs obtiennent la liberté de s’établir où bon leur semble sur le territoire suisse, puis la liberté de culte en 1874. À ce moment-là, l’économie rurale connaît une crise dans la région. De nombreux membres de la communauté partent donc s’établir dans de plus grandes villes. La synagogue, peu à peu désertée, est finalement détruite dans les années 1950, faute de moyens suffisants pour en garantir l’entretien. Un pan majeur Tour du Vully de l’histoire d’Avenches disparaissait. Une étoile de David, dessinée sur le toit de la tour du Vully (rue de la Tour), rappelle ce passé. En cette première moitié de XXIe siècle, il ne reste dans toute l’Europe occidentale que de très rares synagogues de campagne (voir Delémont). En regagnant l’amphithéâtre par la rue des Alpes, peut-être conviendrezvous que la ville doit certes beaucoup à Aventicum. Mais que les quelques chefs-d’œuvre érigés au sommet de la colline depuis le Moyen Âge valent bien une balade sur les hauteurs. En bonne vaudoise, la cité vous aura « déçu en bien ».
© Yannis Amaudruz
donnée. Leurs Excellences sont soucieuses de l’amphithéâtre, là où des combats de gladiateurs divertissaient jadis toute la ville. Elles ordonnent ainsi plusieurs travaux visant à le restaurer. Des fouilles permettent de mieux comprendre l’histoire de la cité. Au XIXe siècle, l’intérêt pour le passé romain s’accentue. Pour autant, le canton de Vaud, désormais souverain, ne passe pas loin de la catastrophe : on projette de raser les arènes pour y construire une route. Heureusement, on revoit les plans, même si une partie de l’amphithéâtre est endommagée durant les travaux.
Façade du château
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VAUD
Se rendre à Avenches En transports publics : depuis la gare CFF d’Avenches, compter 8 minutes à pied pour atteindre le haut de la colline où se trouve la vieille ville. Possibilité de prendre le bus 533 jusqu’à l’arrêt Avenches, Hôtel de Ville. Le trajet dure 4 minutes. En voiture : sur l’autoroute entre Yverdon-les-Bains et Berne, prendre la sortie Avenches. Suivre les panneaux Avenches. Des places de parc se trouvent à proximité directe de la vieille ville.
En famille Aventicum connaît un essor considérable lorsqu’elle devient la capitale d’une colonie latine vers l’an 70 de notre ère. Elle jouit d’une position idéale, le long d’une route qui mène vers le col du Grand-Saint-Bernard (voir Saint-Maurice) et à proximité d’un lac. Pour afficher le nouveau statut de la ville, un mur d’enceinte long de 5,5 kilomètres est construit. 200 000 m3 de calcaire sont transportés sur des bateaux depuis le nord du lac de Neuchâtel. Il est difficile de se représenter le caractère colossal des travaux, qui ne durent qu’une douzaine d’années. Une balade agréable dans la campagne permet de découvrir de larges vestiges du mur, par exemple la porte de l’Est (La Tornalla 11). En faisant bien attention où vous mettez les pieds, grimpez donc au sommet de la seule tour de l’enceinte antique qui soit encore bien conservée, en raison de travaux d’entretien menés dès le Moyen Âge. Située à quelques mètres de la porte de l’Est, elle servait alors de poste de surveillance. Vous profiterez d’une vue à couper le souffle sur la cité médiévale d’Avenches. N’est-ce pas un privilège de naviguer ainsi d’une époque à l’autre ?
Vous avez encore du temps ? Au fil du temps, les découvertes de vestiges romains se multiplient, tant et si bien qu’un musée voit le jour en 1824. Quelques années plus tard, il prend ses quartiers dans la tour dite « de l’évêque » qui surplombe les arènes (Tour de l’Amphithéâtre). Appartenant aujourd’hui au canton, il présente l’histoire d’Aventicum au travers des pièces les plus fameuses de sa collection. Informations pratiques : www.aventicum.org
Ruée vers l’or blanc Faites-vous encore attention à lui ? Lorsqu’il vous arrive d’en ajouter un peu trop à cette recette héritée de votre grand-mère, d’en acheter au supermarché ou de le passer par habitude à votre voisin de table, peutêtre ne le percevez-vous que comme un ingrédient parmi tant d’autres. Un produit courant devenu banal. Avouez que vous le regardez parfois du coin de l’œil, en vous méfiant de lui, tant on vous rappelle que le consommer avec excès peut se révéler nuisible. Pourtant, indispensable à la survie même de l’organisme, sa présence dans nos cuisines n’a longtemps rien eu d’une évidence. Venu de loin, il coûtait cher et suscitait les appétits des pouvoirs politiques. Pour s’en procurer, certains États n’hésitaient d’ailleurs pas à l’échanger contre des contingents militaires. Un peu à la façon du pétrole aujourd’hui, le sel était le pivot du commerce. Lorsque l’économie agricole connaît un développement important dans les Alpes au cours du Moyen Âge, les besoins en sel se font pressants. Le précieux minéral ne sert en effet pas seulement à ravir les palais des fins gourmets. Il est avant tout une matière première fondamentale pour la conservation des aliments, l’élevage du bétail ou encore la fabrication de fromage. Pourtant, sur le territoire de la Suisse actuelle, nul n’a encore
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VAUD
© Mines de Sel de Bex
BEX
découvert de sel qui permettrait de couvrir les besoins intérieurs. Une fois de plus, la Confédération ne peut donc se passer des échanges avec l’étranger pour assurer son approvisionnement. Tributaire de ses alliances politiques, elle se voit contrainte de passer des accords et de conclure des marchés avec les puissances qui l’environnent, parfois en marchant sur des œufs. De longs siècles durant, elle devra par conséquent déployer des trésors de diplomatie – et d’opportunisme – pour éviter une pénurie. Car la note sociale aurait alors été particulièrement salée. En 1475, dans le contexte des guerres de Bourgogne, Berne envahit le Pays de Vaud. À l’issue du conflit, Leurs Excellences se retirent des territoires conquis. Elles conservent toutefois les régions de Bex et d’Aigle, ces dernières faisant donc partie des premiers espaces romands intégrés à la Confédération. Certes, une source salée avait bien été repérée à Panex, non loin d’Ollon, à une altitude d’environ 900 mètres, mais aucune exploitation conséquente n’avait jamais été mise en œuvre. Quelques décennies plus tard, Berne se rend compte de l’enjeu pour son économie et confie sa gestion à des privés dans les années 1530. Hélas, la source ne rapporte pas grand-chose car elle s’avère faiblement salée. Le commerce avec l’étranger reste donc déterminant. Le sel, une affaire d’État Sous l’Ancien Régime, le sel n’est pas commercialisé dans de petites échoppes. Il s’agit d’un produit géré directement par les autorités. Ainsi, Berne instaure un monopole sur le sel dès 1623. À partir de cette date, le canton est le seul acteur habilité à acheter et à vendre le précieux minéral sur tous les territoires qu’il administre. Pour s’approvisionner, la population se rend dans les dépôts qui se trouvent dans les différentes localités. Grâce à ce système, Berne peut compter sur d’intéressantes rentrées fiscales. En 1678, un coup de théâtre vient troubler l’équilibre bernois. Louis XIV met la main sur la Franche-Comté voisine, riche en salines, alors qu’il possède déjà les marais salants d’Aigues-Mortes en bordure de mer, près de Montpellier. Berne, qui s’approvisionnait aux deux sources, pouvait ainsi faire jouer la concurrence et bénéficier de tarifs avantageux. Le canton n’hésite d’ailleurs pas à échanger des soldats contre le minéral tant convoité. Mais voilà que la France a l’exclusivité, ce qui renverse les rapports de force. Leurs Excellences s’activent dès lors pour lancer de nouvelles recherches dans les environs de Bex. Ne serait-il pas particulièrement bien venu de mettre à jour d’autres mines de sel ? On craint en effet que VAUD
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© Mines de Sel de Bex
Louis XIV ne décide de faire grimper les prix sur un coup de tête et mette à mal les finances cantonales. La chance sourit à Berne. Dès les années 1680, on trouve de nouvelles sources. L’administration des salines connaît quant à elle une profonde transformation, puisque le canton choisit de gérer lui-même l’exploitation quelques années plus tard. On entreprend à la même époque de grands travaux, creusant dans la montagne dans l’espoir d’y trouver des gisements plus importants encore. Malgré tout, l’autosuffisance en sel tant rêvée ne sera guère atteinte sous le régime bernois. Surtout, l’entreprise nécessite des quantités invraisemblables de bois pour chauffer l’eau dans de grands bassins afin de récupérer le précieux sel. Voilà qui ne manque pas de provoquer des conflits avec les communautés voisines, puisque les forêts de ces dernières sont surexploitées pour le compte des salines et se réduisent comme peau de chagrin. En plus d’être un matériau de construction, le bois est aussi un combustible incontournable dont on ne saurait se passer. La déforestation menace, d’autant plus qu’il faut mettre en place un système de plusieurs dizaines de kilomètres de tuyaux en bois pour acheminer l’eau de la montagne
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VAUD
Là n’est pas son seul coup de génie : entre 1651 et 1659, il dirige la construction d’un canal entre Collombey et Vouvry, dans l’idée de profiter d’une voie navigable pour remonter la vallée du Rhône depuis le Léman, étant donné qu’il fait également venir du sel par la Savoie. De tels projets sont dans l’air du temps, puisque les autorités bernoises encouragent un chantier similaire en Pays de Vaud (voir Orny). L’idée de départ ne verra toutefois jamais le jour, même si le canal sera prolongé jusqu’au Bouveret au cours du XIXe siècle. Si vous aimez les success stories à l’américaine, vous adorerez les réussites financières à la valaisanne : Stockalper, en homme d’affaires redoutable, parvient à accumuler une fortune estimée à plus de 500 millions de francs actuels. Son surnom de « roi du Simplon » ne vous étonnera donc pas. Témoin grandiose de la prospérité de Stockalper, son palais de Brigue vaut la visite et permet d’apprécier l’architecture baroque de cet immense bâtiment. Informations pratiques : www.brig-simplon.ch
Le château d’Aigle
© Flobert CC BY-SA 4.0
Canton du
VALAIS
© Musée valaisan des bisses
AYENT Retour aux sources On dénombre plusieurs centaines de bisses dans l’ensemble du Valais. Certains, suspendus au-dessus du vide, font figure de véritables prouesses techniques et attestent l’ingéniosité de leurs bâtisseurs. Beaucoup sont laissés à l’abandon depuis de longues décennies et il n’en reste ainsi que des vestiges, propices à nourrir notre imaginaire. Pourtant, près de 300 d’entre eux demeurent en activité. Ils témoignent aujourd’hui encore d’un savoir-faire ancestral, ancré dans une réalité sociale à la fois complexe et fascinante. Mais qu’est-ce qu’un bisse ? Il s’agit d’un canal d’irrigation artificiel à ciel ouvert dont la fonction consiste à faire cheminer l’eau depuis les régions d’altitude jusque sur les coteaux et dans la plaine, au cours de la période estivale. Impossible de les réduire à des conduites rudimentaires, tant leur construction exige des connaissances étendues et la mobilisation d’une main-d’œuvre abondante. Au Moyen Âge, les premiers bisses captent l’eau de source facilement accessible, qui s’avère pourtant insuffisante en
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VALAIS
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EXTRAIT d'un livre paru aux Éditions Favre.
Tous droits réservés pour tous les pays. Toute reproduction, même partielle, par tous procédés, y compris la photocopie, est interdite. Éditions Favre SA Siège social 29, rue de Bourg CH – 1002 Lausanne Tél. : +41 (0)21 312 17 17 lausanne@editionsfavre.com www.editionsfavre.com
Balades et découverte du patrimoine De nombreux trésors se cachent près de chez vous, mais vous n’avez jamais pris le temps d’aller à leur rencontre ? Et si le moment était enfin venu de partir à l’aventure dans votre région ? Le guide que vous tenez entre les mains sera votre allié le plus fidèle pour redécouvrir la Suisse romande, au travers des lieux qui ont marqué son histoire. Il vous fera entrer dans de splendides demeures, qui cachent des bibliothèques uniques ou des chefs-d’œuvre méconnus. Il vous emmènera sur les chemins de traverse de votre ville pour vous en révéler les secrets. Lorsque vous ressentirez l’appel du grand air, il vous aidera à trouver votre route en pleine nature, là où vous admirerez les vestiges de projets considérables qui ont bien failli changer le visage de l’Europe et qui sont aujourd’hui recouverts par la végétation. Cet ouvrage a pour seul objectif de vous accompagner dans votre exploration de l’exceptionnel patrimoine de Suisse romande. Il propose une sélection de lieux à visiter dans tous les cantons romands et au-delà, avec des conseils et informations pratiques. En route vers l’inattendu !
Yannis Amaudruz est diplômé en histoire et auteur du blogue Helvetia Historica, consacré au patrimoine. Il passe son enfance dans la ferme familiale, dans un village vaudois qui aurait pu servir de décor à un roman de Ramuz. Après un apprentissage de commerce, il décide de se vouer à sa passion pour la compréhension du passé et entre à l’Université de Lausanne. Durant son temps libre, il arpente la Suisse d’est en ouest, convaincu que l’expérience du dépaysement est à portée de train.
LIEUX SECRETS
DE L’HISTOIRE ROMANDE Balades et découverte du patrimoine
LIEUX SECRETS DE L’HISTOIRE ROMANDE
Lieux secrets de l’histoire romande
Yannis Amaudruz
YANNIS AMAUDRUZ
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