Mais ce n’est pas tout : comme si des antennes inconnues étaient soudain activées en nous, les plus infimes variations de notre environnement nous deviendront perceptibles. Qui a déjà physiquement senti le contraste entre l’air chaud parfumé d’une prairie et le froid humide qui monte d’un ruisseau ? Ou entendu le trottinement menu d’un rongeur, voire le froissement imperceptible des ailes d’une chauve-souris ? Paradoxalement, c’est l’obscurité elle-même qui remet en lumière nos sens restés dans l’ombre. Nous nous sentons alors tout simplement plus vivants, dans une nouvelle dimension qui s’ouvre à nos perceptions, comme si la pénombre bienveillante nous aidait à retrouver un continent sensoriel perdu et, avec lui, notre pleine présence au monde.
© photo Christian Coigny
Ce guide magnifiquement illustré vous invite à une nouvelle expérience : de la préparation de l’équipement aux types de paysages qui se prêtent le mieux à la marche nocturne, une initiation magique avec conseils pratiques. L’auteur : Il aime les montagnes lointaines, la forêt silencieuse et les vastes déserts.
STEFAN ANSERMET
Lorsque l’on se déplace dans le noir, notre cerveau, privé de ses repères habituels, doit faire appel à des sensations qu’il a presque oubliées. Se balader la nuit, c’est faire revivre les anciens instincts, ceux que la modernité nous a fait négliger. C’est faire confiance à son corps et s’y abandonner, c’est vivre plus intensément la marche et le miracle de notre équilibre sur deux jambes. C’est éprouver à nouveau le sol, avec toutes ses particularités, et s’y ancrer fermement.
Osez la nuit
Pourquoi nos yeux se ferment-ils spontanément au moment de se concentrer sur un son, goûter une saveur ou sentir un parfum ? Parce que sans la vision, le plus important de tous nos sens, nos autres capacités sensitives sont décuplées.
STEFAN ANSERMET
Osez
la nuit marcher dans l’obscurité pour réveiller nos sens oubliés
Les jeux de lumière entre soleil et brouillard, le lever du jour et les ombres du soir. Le bruit de l’orage et de la neige qui tombe, les voyages solitaires et les bouts du monde. Mais aussi les poèmes mélancoliques, et le noir velouté de la nuit piquée d’étoiles. Les pierres rares, les livres et les champignons succulents, les arbres et tout le monde vivant. ISBN 978-2-8289-1699-2
9 782828 916992
DÉVELOPPEMENT PERSONNEL
ÉDITIONS FAVRE SA Siège social et bureaux : 29, rue de Bourg CH-1003 Lausanne Tél. : (+41) 021 312 17 17 Fax : (+41) 021 320 50 59 lausanne@editionsfavre.com Adresse à Paris : 7, rue des Canettes F-75006 Paris www.editionsfavre.com Dépôt légal en Suisse en mai 2018. Tous droits réservés pour tous pays. Sauf autorisation expresse, toute reproduction de ce livre, même partielle, par tous procédés, est interdite. Photos : Stefan Ansermet (sauf autres mentions). Graphisme et mise en pages : www.atelierzed.ch ISBN : 978-2-8289-1699-2 © 2018, Éditions Favre SA, Lausanne, Suisse. Les Éditions Favre bénéficient d’un soutien structurel de l’Office fédéral de la culture pour les années 2016-2020.
STEFAN ANSERMET
OSEZ LA NUIT Marcher dans l’obscurité pour réveiller nos sens oubliés
Les sons . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50 Les odeurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51 Le toucher . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54 La présence du corps . . . . . . . . . 57 Se déplacer en silence . . . . . . . . 58 La beauté de la nuit . . . . . . . . . . . . 59
INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10 PRÉFACE DE L’AUTEUR .. . . . . . . . 14
01 LA NUIT
.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
La toupie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . La Lune . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . La nuit, mère de toutes les négations ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . La nuit dans les mythes . . . . . . Nyx, mère prodigieuse .. . . . . . . Nòtt la Nordique . . . . . . . . . . . . . . . . . L’œil humain et la nuit . . . . . . . . Rhodopsine et myrtilles .. . . . . Comment accélérer le passage à la vision nocturne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Nyctalopie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Vigilance et périphérie . . . . . . . • la vision périphérique . . . . . • la vigilance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . La pollution lumineuse . . . . . . .
22 24 27
03 LA PEUR
. .....................
62
Une peur ancestrale . . . . . . . . . . . . 64 Utiliser la peur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65
28 29 29 30 34 35
04 LES DANGERS
............
68
Les dangers objectifs .. . . . . . . . . 70
36 36 38 38 39 39
L’agression . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 70 • les animaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 70 • l’homme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 72 Les chutes .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 72 Le mauvais temps . . . . . . . . . . . . . . . 73 L’égarement .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75 L’épuisement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 76 Le froid .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 78 Les obstacles invisibles . . . . . . 80 L’alcool et les drogues . . . . . . . . . 81
MARCHER LA NUIT ? .. 42
Les dangers subjectifs . . . . . . . . 82
La vision et le cerveau . . . . . . . . 44 Le pouvoir de la nuit . . . . . . . . . . . 45 Les somnambules . . . . . . . . . . . . . . . 47
Faire la part des choses .. . . . . 82 Les sons . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 84 Les formes visuelles . . . . . . . . . . . . 85
02 POURQUOI
8
...........
Consulter la météo .. . . . . . . . . . . . 105 Consulter les cycles lunaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105
88
L’équipement indispensable 90 L’éclairage .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Le téléphone portable . . . . . . . . Les chaussures . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . L’habillement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Le sac à dos . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les boissons . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . La couverture de survie . . . . . . Les moyens d’allumage . . . . . . Le spray au poivre .. . . . . . . . . . . . . . Le GPS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . L’anti-moustique . . . . . . . . . . . . . . . . .
90 90 92 93 93 93 96 96 97 97 97
Les connaissances utiles .. . . 107 Comment retrouver l’Étoile du Nord ou la Croix du Sud . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 107 Savoir faire un feu . . . . . . . . . . . . . 108 Allumer un feu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 109
07
LA MARCHE DE NUIT . 114 Le choix du bon moment . . . 116 Le climat et la saison . . . . . . . . . . 116 La première fois . . . . . . . . . . . . . . . . . . 119 L’entraînement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121 La progression .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 122 Les paysages à voir .. . . . . . . . . . . 122 La pleine lune . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 125 L’aube et le crépuscule . . . . . . 126 Les nuits polaires . . . . . . . . . . . . . . . 129 Les choses à expérimenter. 130 La photographie de nuit . . . . 133 La marche de pouvoir .. . . . . . . 138
L’équipement optionnel . . . . . 98 Le carnet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 98 Les bâtons de marche . . . . . . . . 98 L’appareil photo et son trépied . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 98 Les chaufferettes . . . . . . . . . . . . . . 100 La nourriture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 101
06 LA PRÉPAR ATION
.. . . . .
102
Les précautions indispensables . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 104
BIBLIOGR APHIE . . . . . . . . . . . . . . . . 140
Reconnaissance du parcours . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 104 Prévenir l’un de vos proches . . . . . . . . . . . . 104
REMERCIEMENTS . . . . . . . . . . . . . . 141
9
TABLE DES MATIÈRES
05 L’ÉQUIPEMENT
OSEZ
LA NUIT
Introduction
C’est à 18 ans pendant mon service militaire obligatoire dans l’armée suisse que j’ai expérimenté pour la première fois la marche de nuit sans lumière et que j’ai découvert sa force et sa beauté. À ma demande, j’avais été incorporé dans l’infanterie de montagne afin d’effectuer mon devoir civique dans un environnement que j’appréciais. Notre entraînement comprenait des exercices de déplacements nocturnes les plus discrets possible afin d’apprendre à ne pas nous faire repérer. Dans mon souvenir le plus marquant, mon unité complète progressa par monts et par vaux pendant cinq jours sur plus de 180 km uniquement de la nuit tombée à l’aube. Les soldats harassés passaient ensuite leurs journées à dormir camouflés dans les bois et les granges à foin. Durant cet exercice, j’eus la chance inattendue d’être placé en compagnie d’un seul autre camarade dans la patrouille de tête du bataillon, avec une heure d’avance sur le gros de la troupe. À cette époque le GPS n’existait pas encore et nous ne pouvions compter que sur des cartes topographiques au 1:25 000. Notre mission était de repérer le 12
chemin dans l’obscurité totale, de signaler les difficultés et les bifurcations importantes par radio portative, ainsi que de détecter la présence potentielle « d’ennemis ». À part pour consulter la carte, nous avions bien sûr l’interdiction formelle d’utiliser nos lampes de poche, mais il était inutile pour nos officiers d’insister sur ce point, car ils avaient réussi avec ce drôle de jeu de guerre en pays neutre à nous faire retomber un peu en enfance. Malgré ce contexte contraignant, ou plutôt grâce à lui, cette marche dans le silence complet au milieu des sombres forêts alpines entrecoupées de pâturages fut pour moi une révélation inoubliable. Tous mes sens étaient dans un état d’éveil et de sensibilité hors du commun, me révélant à moi-même des capacités insoupçonnables et inespérées. Je me sentais simplement encore plus vivant que dans mon état ordinaire, et étrangement une partie de ma peur d’exister s’était évanouie avec celle de l’obscurité. Je n’ai bien sûr pas compris tout de suite l’importance de cette découverte fortuite, mais tout mon être profond avait tellement aimé cette expérience que je l’ai ensuite répétée régulièrement et intentionnellement, le plus souvent seul ou parfois avec des amis. Plus tard, mon activité professionnelle et mes voyages personnels m’ont aussi amené à parcourir d’autres continents, où j’ai pu revivre de magnifiques rencontres avec la face obscure de notre planète. À travers cet ouvrage, je me suis finalement décidé à essayer de révéler à d’autres personnes cette bizarre impulsion qui me fait sortir me promener quand tout le monde est couché. Vous découvrirez je l’espère vous aussi les beautés cachées de la nuit en pleine nature, mais vous expérimenterez surtout son effet inattendu sur vos perceptions, votre niveau de conscience et votre présence au monde. 13
01
LA NUIT
22
Tout le monde croit connaître la nuit, cette évidence qui rythme nos journées de la naissance jusqu’au tombeau, mais qu’en sait-on vraiment ? Il y aurait tant à dire sur ce sujet universel que de nombreux ouvrages n’y suffiraient pas. Ce chapitre est une évocation libre, quelques définitions et amorces de pistes qu’il vous est loisible de suivre ou non.
23
La toupie Les nuits se succèdent sur notre planète pour une raison très simple : la Terre effectue un tour sur elle-même en vingtquatre heures, ou plus exactement en 23 heures, 56 minutes et 4,1 secondes. Cela paraît être immuable mais en réalité cela n’a pas toujours été le cas, car le globe terrestre était animé d’une bien plus grande vitesse peu après sa naissance il y a 4,5 milliards d’années. C’est à cette époque très lointaine que Théia, une planète de la taille de Mars, a heurté obliquement la Terre dans une collision d’une énergie colossale. Cet impact a fait partiellement entrer en fusion les deux corps célestes, donnant naissance à la Lune, qui est littéralement un fragment fondu issu de ce cataclysme. De plus, la force exercée latéralement par Théia lors du choc a imprimé à la Terre une vitesse qui lui faisait faire une rotation en cinq heures seulement, à la façon d’une toupie géante. Les nuits et les jours ne duraient donc que deux heures et demie… Notre planète a depuis graduellement ralenti jusqu’à l’allure que nous lui connaissons actuellement, mais ce freinage continue à agir insensiblement, au rythme de quelques millisecondes par siècle, et les jours comme les nuits sont destinés à s’allonger de plus en plus. C’est sur l’équateur que les nuits et les jours sont rigoureusement de même durée, c’est-à-dire de douze heures chacun toute l’année. Dans ces contrées, le soir tombe d’un coup et la nuit y est particulièrement noire, alors que le matin se déploie comme en accéléré. Plus on se rapproche des pôles, plus la durée des jours et des nuits s’allonge ou se réduit proportionnellement selon la période de l’année. Une longue obscurité de plusieurs mois suivie par un temps équivalent de clarté diurne caractérise les très hautes ou très basses latitudes. 24
25
Š Photo : Gregory H. Revera. commons.wikimedia.org
26
Lié directement au flux énergétique reçu du soleil, cet éclairage alterné et cyclique revêt une importance capitale sur notre Terre. En effet, une planète immobile sur elle-même aurait une face grillée par le soleil et une autre glacée par le froid de l’espace, la vie n’étant possible (peut-être !) que sur l’étroite bande tempérée séparant ces deux domaines stérilisés par ces conditions extrêmes. En conséquence, la succession des nuits est aussi nécessaire à la vie que la lumière du jour. Cette constatation toute simple ne devrait-elle pas nous aider à ne pas juger le monde sur un mode binaire en assimilant la lumière au bien et l’obscurité au mal ? La réalité est un peu plus complexe.
La Lune C’est grâce à Théia que la Terre forme un couple stable avec la Lune, son satellite naturel, dont la grande taille est proportionnellement unique dans le système solaire. Stable parce que la Lune est suffisamment massive pour que son interaction gravitationnelle avec la Terre régularise leurs orbites respectives et diminue les risques d’un changement brutal et catastrophique de l’inclinaison du globe terrestre. La Lune est aussi depuis toujours l’astre dont la lueur laiteuse rend les nuits moins sombres. Bien qu’on la voie aussi très souvent le jour, elle reste liée à l’obscurité et symbolise aussi bien des valeurs positives que négatives. Plusieurs livres ne suffiraient pas à épuiser ce sujet, presque aussi vaste que l’histoire de toute l’humanité.
27
La nuit, mère de toutes les négations ? La plupart des langues parlées dans l’ère culturelle occidentale 2 ont pour fond commun un proto-langage originel que les linguistes ont reconstitué par déduction et désigné du nom d’indo-européen. *nokhᴼ-th-(s), ou pour simplifier nokht- est la racine du mot nuit dans nos idiomes, depuis le latin noctis, le grec ancien nyx, l’ancien slave nošti et le gotique nahts jusqu’à nos night, notte, noche, nacht et noch’ (en russe). Bien que cette hypothèse ne soit probablement pas partagée par les spécialistes, on ne peut s’empêcher de construire un parallèle entre cette racine nokht- et les innombrables vocables qui évoquent une négation dans nos langues : non, ni, ne, nein, niet, no, nicht, nada, niema, etc. Il est difficile de croire qu’il s’agit d’un simple hasard, puisque la nuit est peut-être le phénomène naturel qui exprime le mieux depuis toujours l’idée d’une absence essentielle, celle de la lumière. Cette opposition entre ces deux principes est d’ailleurs le fondement de la plupart des mythes et des différents récits de la naissance du monde : au début des temps règnent toujours les ténèbres et le chaos indifférencié, suivis par la lumière qui apporte la vie et l’ordre divin. Cette association de la nuit avec un principe négatif se retrouve d’ailleurs en partie dans les mots qui désignent la mort en grec ancien (nekus, nekros), la mort violente en latin (nex, necis) et tuer en indo-européen (*nek-). Même le mot noir (du latin nigrus) pourrait être issu de la même famille sémantique indiquant une idée de négation, d’absence ou d’opposition.
À l’exception notable du basque, du hongrois, du finnois, du same et de
2
l’estonien.
28
La nuit dans les mythes Toutes les mythologies anciennes qui sont parvenues jusqu’à nous ont réservé à la nuit un rôle particulièrement important. Chez les Grecs anciens, c’est la déesse primordiale Nyx (Nύξ ) qui la personnifie, alors que les Romains lui donnent le nom de Nox et les anciens Nordiques celui de Nòtt. Dans les lignes qui suivent, nous nous limiterons à Nyx et à Nòtt pour à la fois embrasser et comparer les deux extrémités de l’Europe.
Nyx, mère prodigieuse Bien avant la plupart des autres dieux du panthéon, Nyx et son frère Erèbe (les Ténèbres) naissent directement du Chaos initial, juste après Gaïa (la Terre), Tartare (l’Abîme sans fond) et Eros (l’Amour). Une petite remarque s’impose au début de cette histoire afin de bien comprendre ce qui va suivre : vu le faible nombre de partenaires disponibles à l’origine du monde, il est évident que pratiquement seuls les frères et sœurs étaient aptes à fonder des familles. Et c’est ainsi que de l’union incestueuse de Nyx et d’Erèbe seront conçus Ether (la Lumière céleste) et Héméra (la Lumière terrestre). Ces derniers feront comme leurs parents et auront d’innombrables enfants dont Thalassa (la Mer), Léthé (l’Oubli), l’Inceste (sic), Algos (la Douleur), Neikos (les Disputes), mais aussi la Colère, la Mendicité, l’Intempérance et enfin les Titans Atlas, Hypérion, Polos, Cronos, Rhéa, Moneta et Dioné, entre autres. Nyx séparée d’Erèbe ne restera pas inactive de son côté et enfantera toute seule et sans l’aide d’un mâle une ribambelle de rejetons dont les plus connus sont : Thanatos (la Mort noire), Hypnos (le sommeil), les mille Songes (dont Morphée), Charon (le passeur des Enfers), Némésis (la Vengeance et la Justice divine), le Styx (un fleuve des Enfers), Philotès (l’Amour sexuel), une escouade de nymphes (les Hespérides, gardiennes des 29
pommes d’or), ainsi que la fameuse Hécate, déesse de la Sorcellerie et de la Lune. À la lecture de cette longue liste de divinités, on ne peut qu’être frappé par la profonde ambiguïté de la descendance issue de l’union de la Nuit et des Ténèbres. Si en toute logique on y dénombre Mort noire, Douleur, Oubli, Disputes, Sorcellerie et Colère, on y voit aussi à l’opposé la Lumière céleste et terrestre ainsi que la Mer. C’est là que réside peut-être une partie de la beauté étrange et paradoxale de ces anciennes croyances, où rien n’est totalement mauvais ni absolument bon, au contraire des religions révélées qui prétendent pouvoir séparer clairement le bien du mal. Les Anciens avaient de la complexité du monde une vision certainement plus inquiétante et imprévisible, mais peutêtre plus réaliste ?
Nòtt la Nordique Nòtt était la fille sombre et noire d’un géant qui s’appelait Norfi. Elle fut mariée en troisième noce au dieu Ase Delling, avec lequel elle eut un fils beau et lumineux qu’ils nommèrent Dag (= le jour). Odin (ou Wotan) donna ensuite à la mère et à son enfant deux chevaux et deux chars, avec la tâche de tourner autour de la Terre. Depuis ce temps, Nótt chevauche en premier sur sa monture Hrimfaxi, qui chaque matin recouvre le sol de rosée avec l’écume de sa bouche. Elle est suivie par Dag sur son cheval Skinfaxi, qui éclaire l’atmosphère tout entière de son immense crinière. On peut remarquer tout d’abord que beaucoup de mythologies antiques semblent considérer la nuit et le jour comme indépendants du Soleil, comme si la lumière était un principe en soi, n’ayant nul besoin d’une source précise pour régner sur l’univers. 30
La déesse Nòtt sur son cheval Hrimfaxi. Peinture de Peter Nicolai Arbo (1831-1892). © commons.wikimedia.org
D’autre part, comme chez les Grecs anciens (avec Ether et Héméra, enfants de Nyx et Erèbe), c’est bien le jour qui est le fils de la nuit et pas le contraire. En conséquence, chez les peuples du Nord, la nuit avait la préséance sur le jour, ce qu’atteste l’écrivain romain Tacite à propos des Germains en 98 après J.-C. : « Ils ne comptent pas, comme nous, le nombre des jours, mais celui des nuits ; c’est ainsi qu’ils fixent les rendez-vous. » 31
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EXTRAIT d'un livre paru aux Éditions Favre.
Tous droits réservés pour tous les pays. Toute reproduction, même partielle, par tous procédés, y compris la photocopie, est interdite. Éditions Favre SA Siège social 29, rue de Bourg CH – 1002 Lausanne Tél. : +41 (0)21 312 17 17 lausanne@editionsfavre.com www.editionsfavre.com
Mais ce n’est pas tout : comme si des antennes inconnues étaient soudain activées en nous, les plus infimes variations de notre environnement nous deviendront perceptibles. Qui a déjà physiquement senti le contraste entre l’air chaud parfumé d’une prairie et le froid humide qui monte d’un ruisseau ? Ou entendu le trottinement menu d’un rongeur, voire le froissement imperceptible des ailes d’une chauve-souris ? Paradoxalement, c’est l’obscurité elle-même qui remet en lumière nos sens restés dans l’ombre. Nous nous sentons alors tout simplement plus vivants, dans une nouvelle dimension qui s’ouvre à nos perceptions, comme si la pénombre bienveillante nous aidait à retrouver un continent sensoriel perdu et, avec lui, notre pleine présence au monde.
© photo Christian Coigny
Ce guide magnifiquement illustré vous invite à une nouvelle expérience : de la préparation de l’équipement aux types de paysages qui se prêtent le mieux à la marche nocturne, une initiation magique avec conseils pratiques. L’auteur : Il aime les montagnes lointaines, la forêt silencieuse et les vastes déserts.
STEFAN ANSERMET
Lorsque l’on se déplace dans le noir, notre cerveau, privé de ses repères habituels, doit faire appel à des sensations qu’il a presque oubliées. Se balader la nuit, c’est faire revivre les anciens instincts, ceux que la modernité nous a fait négliger. C’est faire confiance à son corps et s’y abandonner, c’est vivre plus intensément la marche et le miracle de notre équilibre sur deux jambes. C’est éprouver à nouveau le sol, avec toutes ses particularités, et s’y ancrer fermement.
Osez la nuit
Pourquoi nos yeux se ferment-ils spontanément au moment de se concentrer sur un son, goûter une saveur ou sentir un parfum ? Parce que sans la vision, le plus important de tous nos sens, nos autres capacités sensitives sont décuplées.
STEFAN ANSERMET
Osez
la nuit marcher dans l’obscurité pour réveiller nos sens oubliés
Les jeux de lumière entre soleil et brouillard, le lever du jour et les ombres du soir. Le bruit de l’orage et de la neige qui tombe, les voyages solitaires et les bouts du monde. Mais aussi les poèmes mélancoliques, et le noir velouté de la nuit piquée d’étoiles. Les pierres rares, les livres et les champignons succulents, les arbres et tout le monde vivant. ISBN 978-2-8289-1699-2
9 782828 916992
DÉVELOPPEMENT PERSONNEL