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Préambule
Dans le monde dans lequel nous vivons, les stimuli acoustiques sont omniprésents. Qu’il s’agisse de bruits provenant d’activités humaines ou de sons provenant de la nature. À tel point que nous avons donné un nom à cet état de fait, nous parlons de « paysage sonore ». Produit par la nature, ce paysage est souvent apaisant et recherché, comme les chants d’oiseaux, le ressac de la mer ou une brise traversant des branchages. Par contre, lorsqu’il est généré par les activités humaines, en particulier dans les sociétés industrialisées, il est souvent assimilé à une forme de pollution. Agréable ou désagréable à notre oreille, nous ne pouvons y échapper. J’ai personnellement fait ma thèse sur l’acoustique sous-marine à l’Université de Genève, et le monde immergé, que l’équipe de la Calypso présentait comme celui du silence, s’avère tout sauf silencieux. Et si nous essayons de neutraliser les stimuli acoustiques qui nous parviennent, comme dans un caisson d’isolation sensoriel, ce sont les sons émanant de notre propre corps qui s’imposent à nous et composent notre paysage sonore. Nul doute que nos ancêtres n’aient été exposés aux stimulations acoustiques de la nature les environnant. Qu’ils aient été de Flores, de Denisova ou de Néandertal, comme sapiens, ils se sont interrogés sur les sons qui en émanaient. D’autant que les bruits de la nature sont de précieuses sources d’informations qui, dans certains cas, peuvent s’avérer vitales : ils avertissent de l’approche d’un prédateur, ils trahissent la position d’une proie, les sons de la nature comme le tonnerre ne seraient-ils pas la manifestation d’une entité céleste ou totémique? Plus étranges encore que les bruits extérieurs sont ceux que notre corps émet spontanément, plus ou moins discrètement: gargouillis, borborygmes, éructations, flatulences, ronflements, pour sporadiques qu’ils soient, sont des productions corporelles. Ces bruits, jugés incongrus dans certaines sociétés, sont eux aussi riches d’enseignements pour l’observateur avisé. Ils
renseignent sur l’état de santé, de faim, de satiété ou de digestion du sujet ou de ses pairs. Toutefois, parmi nos productions sonores, il en est une qui diffère des autres ; elle est permanente… régulière, bien que plus marquée parfois… pour devenir presque oppressante dans l’effort. Ta-ta… Ta-ta… C’est un rythme… C’est un battement… C’est celui du cœur. Plus mystérieux encore, et nos ancêtres l’ont constaté à n’en point douter: une fois les corps inertes, ces battements disparaissent, le corps devient silencieux… Ce battement est consubstantiel à la vie. Ce battement est la manifestation de la vie ! Il confine au mystique : le reproduire, ne serait-ce pas un moyen d’entrer en contact avec les totems, s’approcher des dieux? Tant bien que mal, deux mains, deux pierres, deux morceaux de bois qui s’entrechoquent, des pieds qui martèlent le sol reproduisent ce battement. La production de sons percussifs n’est d’ailleurs pas l’apanage exclusif de notre espèce. Au cœur de la forêt de Taï, en Côte d’Ivoire, des éthologues, alors chercheurs à l’Université de Zurich, relatent que des groupes de chimpanzés (Pan Troglodytes) font usage de percussions à des fins tout à fait singulières. Dans la densité de la végétation, ils observent que ces chimpanzés à l’état sauvage utilisent les contreforts des arbres comme des tambours. De l’étude et
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l’analyse de ce comportement, les éthologues déduisent que les chimpanzés utilisent ces sons pour transmettre des informations sur leur position et les changements de direction dans le déplacement du groupe, (Boesch, 1991). S’agit-il d’une forme de proto-langage à base percussive? Se peut-il que cette forme de communication se soit enrichie? Qu’elle ait évolué? Notre propre lignée évolutive aurait-elle communiqué à travers les percussions avant que le larynx ne migre et que le langage articulé se développe? Il ne s’agit là que d’interrogations. Ce mode de communication n’est pas sans rappeler celui des tambours parleurs que l’on trouve sur de nombreux continents ou dans nombre de régions du monde, en Afrique en particulier. Nous comprenons que l’origine des sons est polymorphe, qu’ils peuvent être naturels, considérables, fonctionnels ou musicaux. Naturels tel le bruit d’un arbre qui tombe en forêt, considérables comme les sons produits par une activité, à l’instar du forgeron qui frappe sur une enclume, fonctionnels dès lors qu’ils transmettent un message, et musicaux quand ils sont dédiés au culte ou au plaisir. Pour avoir, nous tous, enfants, tapé sur des casseroles, nous sommes nombreux à penser connaître ce que sont les percussions ! Mais quelle définition en donnerions-nous? La percussion est cette famille d’instruments produisant une suite de bruits, d’effets et d’événements sonores qui sont créés en frappant, claquant, grattant, brossant, frottant ou écrasant toutes sortes d’objets. Simple de conception et de réalisation, l’hypothèse que nous défendons est que les percussions, aussi primitives soient-elles, sont à l’origine de la musique.