PHOTOGRAPHIES DE PETER CHARAF en collaboration avec Julien Girardot, Margaux Chalas, Yvan Zedda, Éric Loizeau, Basile Prime, Olivier Rouvillois, Monica Namy, Stève Ravussin, Christine Thélier, Julie Schupbach, Pascal Morizot, Charlotte Guillemot, Justine Gaxotte et Franck David
Photo de couverture de Julien Girardot : Le catamaran Race for Water dans la baie de Cook à Moorea, en Polynésie française. Photos de 4e de couverture : Coucher de soleil sur l’équateur dans le Pacifique. Océan Indien, île Rodrigues, un crabe et son précieux trésor en plastique. Collecteur de plastiques à Bornéo. Navigation à Palawan, I’île de Pangatalan aux Philippines.
Éditions Favre SA Siège social 29, rue de Bourg – CH-1002 Lausanne Tél.: +41 (0)21 312 17 17 – Fax: +41 (0)21 320 50 59 lausanne@editionsfavre.com Adresse à Paris 7, rue des Canettes – F-75006 Paris www.editionsfavre.com Dépôt légal en Suisse en février 2020. Tous droits réservés pour tous pays. Toute reproduction, même partielle, par tous procédés, y compris la photocopie, est interdite. Conception graphique et mise en page : Steve Guenat ISBN : 978-2-8289-1822-4 © 2020, Editions Favre SA, Lausanne La maison d’édition Favre bénéficie d’un soutien structurel de l’Office fédéral de la culture pour les années 2016-2020.
ÉRIC LOIZEAU
L’ODYSSÉE DU PLASTIQUE
« BREGUET S’ENGAGE AUX CÔTÉS DE RACE FOR WATER DANS L’ODYSSÉE CONTRE LE PLASTIQUE » « Depuis la création de la Fondation R4W en 2010, Marco Simeoni consacre la majorité de son temps et de sa fortune personnelle à la protection de la planète. Heureusement, depuis 2016, la prise de conscience de l’urgence climatique et environnementale progresse ; quelques entreprises et mécènes ont décidé de soutenir les activités de la Fondation. Ainsi, depuis 2018, de superbes montres bleu aigue-marine sont apparues aux poignets de l’équipage et le bateau affiche fièrement sur son étrave le nom « Breguet ». D’aucuns peuvent s’étonner de la raison pour laquelle un horloger soutient de la sorte une inspiration écologique ! Dans un entretien avec Marco Simeoni, Marc A. Hayek, président de Breguet, s’en explique : « Notre Maison est l’héritière d’un patrimoine qui remonte à 1775, année de sa fondation. Nous créons nos garde-temps de façon traditionnelle et à la main. Ce sont des pièces mécaniques conçues pour traverser les générations. Nous avons pour habitude d’adopter une perspective à long terme et avons à cœur de préserver l’héritage que nous transmettons à nos enfants. Ce sont eux qui représentent l’avenir de notre planète et c’est notre rôle à tous de préserver cette ressource si précieuse et vitale qu’est l’eau. »
Escortés par les dauphins en Guadeloupe.
Concernant le rapprochement avec les techniques futuristes utilisées sur le bateau Race for Water pour favoriser la transition énergétique, il précise : « Abraham-Louis Breguet, notre fondateur, a été nommé horloger de la Marine royale en 1815. À l’époque, les chronomètres de marine étaient indispensables pour calculer les longitudes en mer. Aujourd’hui, nous sommes fiers que notre nom soit associé à une cause importante : la préservation des océans grâce à de nouvelles technologies. » Il poursuit : « L’impact des activités humaines sur l’environnement ne doit pas être sous-estimé et la responsabilité sociale des entreprises doit devenir une priorité. Tout ce que nous faisons aujourd’hui a des conséquences sur les générations futures et c’est ainsi pour tous les aspects de la vie humaine. » Ces propos en totale adéquation avec les objectifs de sa Fondation permettent à Marco de conclure : « La Maison Breguet est une référence mondiale dans le domaine de l’horlogerie. Son engagement aux côtés de la Fondation Race for Water est un signe fort de sa participation à la cause de la préservation des océans. Cette collaboration est une magnifique reconnaissance pour les équipes de Race for Water qui œuvrent au quotidien sur toutes les mers du globe. Grâce à ce partenariat, le rayonnement de nos actions va être renforcé, nous nous en réjouissons énormément. »
Breguet avec Race for Water 57s
SOMMAIRE 2009-2015 LES PREMIÈRES ANNÉES 2015 L’ANNÉE CAPITALE FRAYEUR AU DÉPART DE BORDEAUX
pp. 8 à 15
pp. 16 à 49 p. 20
2018 UNE ANNÉE PACIFIQUE
pp. 96 à 143
CANAL DE PANAMA FÉVRIER 2018
p. 100
COUCOU VOICI LE PÉROU
p. 106
ESCALE À LIMA
p. 111
JUAN FERNANDEZ
p. 115
RETOUR À L’ÎLE DE PÂQUES
p. 117
RENCONTRE À MOOREA AVEC L’ASSOCIATION « TE MANA O TE MOANA »
p. 124
PREMIERS « BEACH SAMPLING » AUX AÇORES
p. 24
DE L’ATLANTIQUE AU PACIFIQUE
p. 27
RÉVÉLATION !
p. 28
FAKARAVA, ATOLL AUX DEUX VISAGES
p. 30
LES ÎLES SAMOA, UN PARADIS AUX PRISES AVEC LE PLASTIQUE
p. 132
MALDEN : ÎLE CONTAMINÉE
p. 30
BIENVENUE AUX TONGA
p. 135
HAWAÏ, GUAM KOROR… LES ÎLES TERRIBLES
NAVIGATION PACIFIQUE ENTRE TONGA ET FIDJI
p. 140
p. 31
État des lieux de la pollution plastique réalisé par Race for Water en 2015
SCIENTIFIQUES À BORD
pp. 144 à 151
p. 40
EPHEMARE AUX BERMUDES
p. 147
CHAVIRAGE
p. 43
UNE JOURNÉE POUR LA SCIENCE À LA HAVANE
p. 147
UN NOUVEAU BATEAU
p. 47
ESCALE SCIENTIFIQUE EN GUADELOUPE
p. 149
ÉTUDE DES CORAUX EN NOUVELLE-CALÉDONIE
p. 150
2016 DE PLANETSOLAR À RACE FOR WATER
pp. 50 à 67
Race for Water Odyssée 2017-2021
p. 54
2019 CAP SUR L’ASIE
GENÈSE D’UNE ODYSSÉE
p. 56
ESCALE SUR LE « CAILLOU »
p. 156
DE PLANETSOLAR À RACE FOR WATER
P. 60
CŒUR DE VOH
p. 163
LA MACHINE BIOGREEN
P. 64
VANUATU
p. 164
VIVE LE KITE !
p. 166
VISITE DE LA GREEN SCHOOL DE BALI
p. 170
LA RIVIÈRE CITARUM
p. 172
LE VILLAGE PLASTIQUE
p. 175
BORNÉO LA VIE SUR LES DÉCHARGES
p. 178
UNE VISION D’AVENIR
p. 184
2017 NOUVELLE ODYSSÉE ATLANTIQUE
pp. 68 à 95
TEMPÊTE ATLANTIQUE
p. 75
BONJOUR LA HAVANE
p. 77
OÙ SONT PASSÉES LES TORTUES DE MER ?
p. 82
À LA DURE
p. 84
RÉPUBLIQUE DOMINICAINE DROIT DEVANT
p. 87
PARTAGE AVEC LES ENFANTS
p. 93
pp. 152 à 153
REMERCIEMENTS
pp. 188 à 189
RACE FOR WATER EN CHIFFRES
pp. 190 à 191
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2009-2015 LES PREMIÈRES ANNÉES
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Double-page précédente : MOD70 Race for Water (Stève Ravussin) et MOD70 Foncia (Michel Desjoyeaux) à la lutte durant les Krys Match 2011.
Valparaiso, Chili, mai 2015 Voici une semaine que j’attends le trimaran Race for Water sur lequel doivent débuter mes actions d’ambassadeur de la Fondation. Ralenti depuis le canal de Panama par des calmes équatoriens et des vents inexistants le long de la côte chilienne, il tarde à arriver et j’en profite pour visiter cette ville mythique, escale traditionnelle des grands trois-mâts barques du début du siècle dernier. Avec l’équipe à terre, nous vaquons de gargotes exotiques en bars de nuit animés d’une faune cosmopolite. Les filles sont belles, la musique ensorcelante, c’est loin d’être désagréable et le temps s’écoule aimablement. Un matin arrive tout droit de Suisse via Santiago du Chili le patron lui-même, le boss. Il se nomme Marco Simeoni. Il est le président fondateur, initiateur de notre grande aventure planétaire que nous nommons Odyssée, car à l’instar de celui d’Ulysse, il s’agit bien d’un long voyage à travers les océans de la planète afin d’aider à leur protection, gage de la survie de l’humanité. Marco s’avance vers moi pour me saluer, écartant les chaises fatiguées du petit restaurant de notre hôtel. C’est un homme brun d’une cinquantaine d’années, au regard sympathique et à l’allure sportive. Il dégage une impression de force tranquille. Je suis ravi de partager un café et quelques moments avec lui, parce que nous ne nous connaissons guère et n’avons que
peu échangé jusqu’ici. Bien sûr, nous nous sommes croisés au départ du bateau voici deux mois déjà, mais il y avait tant de monde, journalistes, amis, proches et parents mêlés sur les quais de Bordeaux qu’il nous a été impossible de parler longtemps. Race for Water est avant tout son histoire et qui peut, mieux que lui, la raconter ? Entre deux gorgées d’un café tonique et odorant, nous entamons notre discussion. Marco, en Suisse très pragmatique, commence par le début : « Je suis un entrepreneur passionné de navigation à la voile et qui a très vite compris la valeur du travail. En effet, je ne viens pas d’une famille très fortunée. J’ai perdu mon père à l’âge de douze ans et ma mère a été obligée de subvenir aux besoins de la famille, ma sœur et moi, avec son seul salaire de secrétaire de direction. Dès l’âge de quatorze ans j’ai commencé à travailler et enchaîner les petits boulots. » Il ajoute en souriant : « Je me souviens d’un été passé à étiqueter des boîtes de conserve où j’ai compris qu’il valait mieux que je m’efforce de faire des études ! » « Et alors, tu as choisi quelle voie ? » « Je suis devenu ingénieur en informatique grâce à une bourse d’étudiant qu’il a fallu que je rembourse plus tard. J’ai travaillé ensuite pendant quatre ans dans une grande firme multinationale comme employé et là je me suis rendu compte que je n’étais pas fait pour fonctionner dans ce genre de société car je suis créatif, plutôt indépendant et j’ai beaucoup de mal à obéir (rires). Il était donc préférable que je crée ma propre boîte avec
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l’expérience que j’avais acquise pendant ces quelques années. C’est ce que j’ai décidé en 1995, à 29 ans. Au début je faisais tout moi-même, l’ingénieur, le commercial, la facturation. Les cinq premières années je n’ai pas pris une semaine de vacances. Mais je pense que c’est formateur de mettre les mains dans le cambouis pour comprendre comment tout fonctionne. » « C’était une société d’informatique je suppose ? » « Oui, on créait et vendait des produits informatiques – réseaux, data, sécurité, etc. J’ai eu la chance de débuter à un moment où internet était en pleine expansion et nous avons grandi avec. Vingt ans après sa création, Veltigroup comptait environ 600 collaborateurs. » « Et la mer dans tout ça ? » « Depuis tout gamin, je pratique beaucoup de sports, le foot et le ski en particulier. Je suis monté sur des lattes dès l’âge de trois ans. J’étais également attiré par le lac, mais je n’ai découvert la voile que tardivement grâce au bateau de mon ex-beau-père. Ensuite, je suis parti vers la mer pendant mes vacances, plus particulièrement en Atlantique, du côté de la Bretagne où j’ai beaucoup navigué et appris. Et puis j’ai rencontré Stève en 2009 à Lausanne. « Le navigateur suisse Stève Ravussin, on m’a dit que tu l’as croisé dans une de tes boîtes de nuit ! » « C’est exact, en plus de ma société d’informatique j’étais associé dans deux night-clubs et c’est dans l’un d’entre eux que j’ai rencontré Stève. » « Ça tient à peu de choses parfois ! » « Oui, car tout est parti de là ! À l’époque, je voulais acquérir un bateau de croisière que j’avais repéré au
Salon Nautique de Paris, un Etap 45. J’en ai parlé à Stève qui m’a vite dissuadé du projet lorsque je lui ai avoué prévoir l’utiliser seulement quelques semaines par an. Stève, lorsqu’il ne courait pas autour du monde, régatait sur le lac en D35, un catamaran de course d’un peu plus de 10 m. Il m’a proposé d’en acheter un et le mettre aux couleurs de Veltigroup. Il en serait le skipper, je pourrai lui servir d’équipier et inviter mes clients à bord. En même temps je me rendais compte de l’importance de l’eau sur la planète et de la pollution des rivières et des lacs. La machine était en route. Nous étions en 2009. » Les propos de Marco me rappellent cette année 2009. Il existait alors dans le monde des courses
Marco Simeoni devant le D35 Veltigroup au mouillage à Morges (lac Léman) en 2010.
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de multicoques océaniques une organisation appelée l’ORMA (Ocean Racing Multihull Association) dirigée par un ami, le champion de planche à voile olympique Franck David. Depuis 1995, cette organisation gérait les compétitions des multicoques de 60 pieds (18 m), véritables formules 1 des mers, soit une vingtaine de bateaux appartenant aux grandes marques impliquées depuis des années dans le sponsoring voile et menés par les meilleurs skippers du moment. Mais le système périclitait et le nombre de bateaux diminuait à cause du coût financier des projets, toute innovation technique étant autorisée à condition de respecter la longueur hors tout de 60 pieds. La solution était peut-être la « monotypie », soit des bateaux respectant une jauge identique et permettant en principe de diminuer les coûts. C’est ainsi qu’est né le projet MOD70 sous l’impulsion de Franck avec des trimarans de 70 pieds (21 m) tous identiques et devant permettre aux participants de courir à armes égales. Marco reprend : « Stève était très impliqué dans cette nouvelle jauge et c’est lui qui m’a fait rencontrer Franck. Devant le manque de coordination des armateurs de l’ORMA, nous avons décidé en 2010 avec Franck et Stève de racheter le concept et les droits des MOD70 pour un projet privé incluant la construction d’une flotte de bateaux et l’organisation d’un circuit comprenant courses transocéaniques, tours du monde et régates en rade. Mais le projet sportif ne me suffisait pas. Il
manquait une dimension environnementale avec le sport comme vecteur idéal pour communiquer. Le terrain de jeux des MOD70 étant les océans, je pensais alerter sur la nécessité de se préoccuper de la préservation de l’eau et des océans, même si à ce moment-là, on nous prenait pour des extraterrestres lorsqu’on s’alarmait sur le sujet. C’est pour cela que nous avons appelé notre premier MOD70, le numéro un de la flotte, Race for Water ! » Il poursuit : « Ainsi, en 2009, nous travaillons essentiellement sur le contenu de ce projet environnemental que nous voulons rattacher au projet sportif en nous entourant d’experts. C’est pour cela que nous engageons rapidement Anne Cécile Turner, proche du monde de la course au large par son mari Mark Turner, mais surtout parce qu’elle avait suivi une formation liée aux problématiques de l’eau sur la planète. Nous nous sommes rapidement focalisés sur la thématique des déchets plastiques qui était très peu médiatisée mais déjà un sujet très préoccupant. C’est la raison pour laquelle nous décidons de créer la Fondation en lui donnant le nom de Multi One Attitude. L’idée étant de réunir tout le monde (Multi) autour d’une seule attitude responsable face aux problèmes de l’eau (One Attitude). Au début de cette aventure, j’avoue n’avoir aucune expérience, que ce soit dans le monde des fondations ou dans l’expertise de la pollution plastique. Bien sûr, par mes premières navigations je m’étais rendu compte que l’océan était pollué. Mais c’est en travaillant pendant six mois avec
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Croisement serré des MOD70 durant l’European Tour 2012 à Kiel (Allemagne).
un expert des causes environnementales, le Professeur Guido Palazzo de l’Université de Lausanne, que j’ai compris de quoi il s’agissait. C’est lui, mon premier contact scientifique, qui m’a prouvé que ce produit moderne à la fois commun et pratique est le problème majeur de la pollution marine. Au début, faute d’une connaissance approfondie du sujet et sans solutions concrètes à proposer, nous nous sommes concentrés sur la sensibilisation du grand public en utilisant les villages de course du circuit des MOD70. Nous disposions d’une grande tente gonflable très repérable qui nous permettait d’informer les spectateurs des dangers menaçant le “terrain de jeu” des navigateurs. C’est aussi à ce moment-là qu’avec Anne Cécile nous avons eu la vision des trois gouttes que nous utilisons toujours aujourd’hui dans notre communication : “Learn” pour apprendre, “Share” pour partager, “Act” pour agir. » Je l’interromps brièvement : « Je me souviens très bien de cette période car je m’intéressais de près à cette nouvelle classe de multicoques. J’avais d’ailleurs eu la chance de participer aux premières sorties du bateau à Lorient et Anne Cécile m’avait engagé comme “ambassadeur” de la Fondation aux côtés du skieur Aurélien Ducroz. »
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Il répond : « Oui et le succès de notre bateau Race for Water a entraîné le changement de nom de la Fondation car nous nous sommes aperçus que les gens utilisaient plus souvent cette formule, plus facile à mémoriser et finalement plus parlante que la première. Une course pour l’eau, ou pour sauver l’eau. Mais dans les faits et pour revenir aux trois gouttes, nous avons convenu que nous n’étions principalement actifs que dans la goutte “Share”, celle de la sensibilisation car ce n’est pas avec les MOD70 et dans le cadre des compétitions qu’il était possible de faire vraiment de la science (“Learn”) et des relevés d’eau de mer en traînant un filet Manta. En fait, le programme lié à la goutte “Act” ne viendra qu’après la première Odyssée. » Nous voici donc en 2012, en pleine crise économique européenne. Elle entraîne la fin du championnat des MOD70 et la Fondation Race for Water, liée au fonctionnement et au financement des MOD, se retrouve en grand danger. Marco décide de continuer tout de même à financer ses activités au service de l’environnement malgré l’arrêt de la partie sportive. Marco continue avec un sourire légèrement crispé : « C’est à ce moment-là que j’ai vraiment commencé à mettre de ma poche… Et, à mesure que le temps passait, je m’apercevais de l’insuffisance de nos actions. Nous parlions finalement de choses que nous ne connaissions pas vraiment : les îles de plastiques que tout le monde évoquait existaient-elles réellement, la pollution des îles, l’impact des plastiques
sur la faune marine… qu’en était-il ? Nous disposions alors d’un bateau formidable, inutile, immobilisé au fond d’un hangar, et d’une équipe motivée. Alors, après avoir fait le deuil de l’histoire des MOD, on s’est dit avec Franck et Stève qu’on devait partir sur une aventure écologique utile, concrète, observer la réalité des choses, explorer ces fameux cinq “gyres” (gigantesques tourbillons de déchets provoqués par les courants marins) dont parlaient tous les médias, toucher concrètement le problème. C’est comme cela qu’est née l’idée de la première Odyssée ! Utiliser la vitesse du trimaran afin de réaliser en moins d’un an un tour du monde des océans, des rivages, des plages des îles proches et lointaines pour réellement apprendre et connaître le vrai état de la pollution des océans par le plastique. Cela nous ramenait d’une manière efficace au “Learn”. Nous avions les marins pour conduire le bateau, il nous fallait une équipe de scientifiques pour donner leur caution, récolter les particules plastiques aux différentes escales et appliquer les protocoles pour les analyser. On a décidé alors de travailler avec trois universités spécialisées dans les problèmes environnementaux : celle de Bordeaux, l’École polytechnique fédérale de Lausanne et l’école d’ingénieurs de Fribourg. Chacune avec sa spécialité. Bordeaux étudie l’impact des microparticules sur les larves de poissons japonais, Lausanne qualifie le type des polymères que l’on trouvera sur les plages et Fribourg la toxicité des nanoparticules collectées. » Il s’interrompt un instant avant de reprendre concentré :
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« Mais le vrai flash, je l’ai eu voici quelques semaines avant de venir vous retrouver ici. C’était lors de mon passage à Rio afin de préparer la future escale de notre trimaran au Brésil. J’étais en train de boire tranquillement une bière à Copacabana en écoutant de la musique quand j’ai été alerté par le manège d’un homme en train de récupérer des canettes vides dans un grand filet porté sur son épaule. En fait, il attendait que je finisse la mienne pour la récupérer. J’ai compris à ce moment-là qu’il fallait faire de même pour les déchets plastiques, donc trouver une solution pour les valoriser afin que les collecteurs de rue les récupèrent avant qu’ils ne finissent dans la nature, ou pire, dans la mer. »
La Trinité-sur-Mer, public des «Krys Match» en 2011.
Fondation Race for Water : la génèse 3 min 40 s
Stève Ravussin, Skipper du MOD70 Race for Water. Marco Simeoni, Président de la Fondation Race for Water. Arnaud Ploix, Directeur général de Krys Group, sponsor titre de la Krys Ocean Race, course MOD70 entre New York et Brest. Franck David, Directeur Exécutif de Multi One Design.
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2015
L’ANNÉE CAPITALE
“ C’est vraiment cette année 2015
qui est à l’origine de notre stratégie à venir. Être sur le terrain est essentiel pour comprendre et imaginer les solutions.” Marco Simeoni à Jakarta – juin 2019
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Cette année 2015 est en effet celle de la réalisation de la première Odyssée, voyage autour du monde liminaire des équipes de la Fondation. Elle permettra de témoigner de la pollution dramatique des océans par les plastiques et de concrétiser le contenu de la fameuse première des trois gouttes, celle du « Learn ». L’idée est d’explorer les principaux « gyres » de déchets des océans atlantique, pacifique et indien et visiter les rivages d’une grande partie de la planète, impliquant un long voyage de plusieurs mois incluant 35 escales destinées à un premier véritable examen scientifique. Ainsi le bateau quittera Bordeaux au mois de mars 2015 avec un retour prévu au même endroit à la fin novembre de la même année. Même si cette première expédition maritime s’achèvera par une fortune de mer – le chavirage du trimaran Race for Water en plein océan Indien – elle restera un succès et servira de prélude à la seconde Odyssée de 2017. Cette exploration maritime de ces fameux gyres alimentera la réflexion de Marco concernant le futur de sa Fondation. Elle le persuadera qu’il est illusoire de vouloir nettoyer les océans mais qu’il faut impérativement agir à la source et surtout trouver des solutions techniques pour valoriser les déchets plastiques.
D’un point de vue pratique, ce voyage autour du monde auquel il se consacrera d’un bout à l’autre, en mer à bord du trimaran, ou à terre auprès des équipes scientifiques, lui permettra de concevoir l’idée des collecteurs de rue pour limiter la prolifération des déchets plastiques dans la nature et réfléchir à une technologie novatrice permettant de valoriser les matières plastiques en les transformant en énergie, adaptée aux contraintes des endroits les plus touchés par cette pollution. Autre événement d’importance, c’est la donation invraisemblable du catamaran solaire PlanetSolar par son propriétaire allemand, l’entrepreneur visionnaire Immo Ströher, qui va permettre à Marco et son équipe d’envisager une seconde Odyssée et parfaire ainsi la réalisation des deux autres gouttes « Share » et « Act ». Ainsi, ce nouveau bateau extraordinaire, une fois modifié, servira de centre opérationnel au futur périple. Dès 2015, en parallèle de la pérégrination scientifique du trimaran autour de la planète, l’équipe de Race for Water élaborera les fondations du voyage suivant en étudiant les modifications nécessaires du nouveau bateau et imaginant déjà le prochain itinéraire.
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FRAYEUR AU DÉPART DE BORDEAUX Le bateau part de Bordeaux le week-end du 15 mars 2015 pour cette première étape qui doit l’amener jusqu’à New York en passant par les Açores et les Bermudes. Ils sont sept à bord. Embarquent aux côtés du skipper suisse Stève Ravussin un équipage professionnel composé de Martin Gavériaux, Olivier Rouvillois (Bunny), Claude Thellier, le navigateur suisse Edouard Kessi, le photographe franco-suisse Peter Charaf, responsable des images et media-man, et Marco Simeoni lui-même. À l’époque, j’avais été étonné par le choix de Bordeaux trouvant plus logique et plus sûr de partir par exemple de Lorient, port
d’attache du bateau. En fait, j’ai appris plus tard que le départ et le retour avaient été prévus initialement à Monaco avec le soutien de la Fondation Prince Albert 2 toujours intéressée par les expéditions à caractère écologique. Mais pour différentes raisons, le projet avait été annulé au dernier moment. Lorient n’étant pas disponible, la Fondation avait contacté Alain Juppé maire de Bordeaux, homme politique avisé et convaincu de l’importance de l’environnement. Celui-ci s’était montré tout de suite enthousiaste, ce qui explique ce choix de dernier instant, malgré les difficultés et dangers de navigation sur cette partie de la Gironde.
“ J’estime qu’il est important lorsqu’on dirige une telle expédition
d’être avec son équipage sur le bateau, même si les conditions sont difficiles. Cela fait partie de mes valeurs. Je tiens également à constater moi-même l’ampleur des dégâts au milieu des océans ! ” Marco Simeoni – mars 2015
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La municipalité de Bordeaux a fait les choses en grand. Dès mon arrivée pour assister aux derniers préparatifs, je suis impressionné par la somme de travail effectuée et l’engouement du public bordelais qui se presse sur le quai d’honneur où se trouve amarré notre superbe bateau. L’énorme tente gonflable Race for Water semblable à une longue chenille bienveillante est installée sur le terre-plein quai Richelieu, face au trimaran, et sert de centre névralgique à la Fondation. Pendant toute la semaine vont se succéder séances de sensibilisation à la problématique de la pollution des océans, conférences de presse de nos scientifiques, rencontres avec l’équipage, pour le plaisir de tous et particulièrement des enfants qui seront des centaines à venir à la rencontre des marins. Le départ du bateau est un moment très émouvant. Nous sommes en fin d’après-midi, un début de soirée sobrement ensoleillé présageant un coucher de soleil brumeux sur le fleuve. Il fait presque doux pour ce mois de mars et le bateau envoie ses voiles au milieu de la rivière, devant le quai d’honneur garni d’un bon millier de spectateurs. Les privilégiés dont je fais partie vont accompagner les premiers milles de navigation à bord du ferry affrété pour l’occasion. Une saine émotion nous envahit. Ils partent ainsi, à la voile, pour un gigantesque périple de 300 jours, 40 000 milles
L’équipe de la première Odyssée au complet.
Vous venez de consulter un EXTRAIT d'un livre paru aux Éditions Favre. Tous droits réservés pour tous les pays. Toute reproduction, même partielle, par tous procédés, y compris la photocopie, est interdite. Éditions Favre SA Siège social 29, rue de Bourg CH – 1002 Lausanne Tél. : +41 (0)21 312 17 17 lausanne@editionsfavre.com www.editionsfavre.com