Transplanté

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Joseph Gorgoni


Éditions Favre SA 29, rue de Bourg – CH-1003 Lausanne Tél. : (+41) 021 312 17 17 lausanne@editionsfavre.com Groupe Libella www.editionsfavre.com Dépôt légal en Suisse en novembre 2023. Tous droits réservés pour tous pays. Sauf autorisation expresse, toute reproduction de ce livre, même partielle, par tous procédés, est interdite. Auteur : Joseph Gorgoni Collaboration à l’écriture : Sébastien Corthésy Photographie : collection personnelle de Joseph Gorgoni Mise en pages : Dédikace ISBN : 978-2-8289-2136-1 © 2023, Éditions Favre SA, Lausanne, Suisse Les Éditions Favre bénéficient d’un soutien structurel de l’Office fédéral de la culture pour les années 2021-2024


Introduction Fibrose pulmonaire idiopathique, insuffisance respiratoire hypoxémique sur infection SARS-COV2 avec trachéotomie, sinusite maxillaire aiguë fongique, épanchement pleural cloisonné de 13 mm d’épaisseur, embolie pulmonaire soussegmentaire latéro-basale gauche, hémorragie digestive haute sur ulcères duodénaux et gastrite érosive, troubles de la déglutition, malnutrition protéino-énergétique avec un score NRS à 5/7, troubles anxio-dépressifs, anévrisme cérébral de 2,5 x 3,2 mm du segment A2 gauche, transplantation pulmonaire bipulmonaire avec réduction du volume bilatéral au niveau de la lingula et du LSD dans contexte de fibrose pulmonaire idiopathique, insuffisance rénale aiguë, tachycardie, dyslipidémie, fibrillation auriculaire paroxystique à réponse ventriculaire rapide cardioversée par Cordarone post-transplantation pulmonaire, infection pulmonaire par Aspergillus fumigatus dans un contexte d’immunosuppression post-transplantation… J’ai été TELLEMENT MALADE !

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Ah ! Je vous ai gardé le meilleur pour la fin : dyspnée d’effort en augmentation associée à une toux sèche et… des diarrhées. L’avantage d’avoir des diarrhées pendant qu’on est dans le coma, c’est qu’on ne s’en souvient pas… En revanche, les infirmières… Je pense qu’elles s’en souviendront longtemps ! J’ai été TELLEMENT MALADE ! Un autre avantage d’une diarrhée, c’est qu’on sait ce que c’est ! Non, parce que quand on lit « transplantation pulmonaire bipulmonaire », jusque-là on a compris que c’est les poumons, mais quand le médecin poursuit par « avec réduction du volume bilatéral », là on ne comprend plus rien. Et alors « au niveau de la lingula et du LSD »… Déjà « lingula » … Je ne savais pas que j’en avais une et c’est dommage. Et le LSD… Non mais ça, ça fait longtemps ! « Anévrisme cérébral de 2,5 x 3,2 mm du segment A2 gauche. » On dirait une commande chez Hornbach ! « Va voir m’chercher un anévrisme de 2/5 sur 3/2 au segment A2 gauche. » Et sinon, la dernière fois que j’ai entendu parler d’Aspergillus fumigatus c’était dans la carte de printemps du Restaurant de l’Hôtel de Ville de Crissier. C’était très bon. Enfin bref. Quand j’ai dit à mes amis que j’allais commencer mon livre en vous listant tout ce que j’avais eu, ils m’ont dit « Mais t’es fou ! Et le secret médical ? » Je leur ai répondu « Oh, tu sais, je ne pense pas qu’ils vont se souvenir de tout ! » Et puis entre nous, secret médical… Avec deux couvertures de L’illustré et une tournée de 60 représentations à travers la Suisse romande, ce n’est pas le secret le mieux gardé du monde ! Bon maintenant que vous savez ce que j’ai eu, je suis sûr que vous êtes IMPATIENTS de savoir ce que je prends pour me soigner :

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• A ntirejets : Modigraf, Prograf et Tacrolimus • Immunosuppresseurs : CellCept • Calcium : Calcimagon, à vie • Tension : Voltum • Cortisone : Prednisone • A ntifongique : Noxafil, Ambisome, intraveineuse, inhalation • Bêtabloquant : Beloc • A nti-reflux : Nexium J’ai été TELLEMENT MALADE ! Et si jamais j’ai mal à la tête, j’ai demandé au médecin : « Est-ce que je peux prendre une Aspirine ? » Il m’a répondu : « Non mais vous êtes fou, il y a beaucoup trop d’effets secondaires ! Mais prenez un grezerscassis. » J’ai dit « c’est quoi ça ? De l’homéopathie ? » « Non non, un bonbon au cassis, un Grether’s Cassis… » Je peux vous dire qu’après tout ça, plus la transplantation, plus les soins à domicile, plus 42 jours de coma et le prix de tous ces médicaments, mon assurance maladie ne m’envoie plus de chocolats à Noël. Si vous vous demandez pourquoi les primes augmentent, c’est moi si jamais ! J’ai été TELLEMENT MALADE ! Mais bon, je vous rassure, ce livre, c’est comme le Titanic. Vous savez que ça finit bien… enfin bien… faut le dire vite… Dans quel état je suis ! Pour vous dire, quand je m’assieds, je pousse un long soupir « Haehehhueuhe » et quand je me relève, je fais « Allez hop ! ». Ça fait jeune ! TELLEMENT MALADE ! Lorsqu’on m’a proposé de vous raconter mon histoire à travers un bouquin, j’ai d’abord répondu « Il était temps ! » Après, j’ai réalisé qu’on ne proposait que rarement aux 7


jeunes d’une vingtaine d’années d’écrire un livre sur leur vie. J’avoue, ça m’a foutu un coup de vieux. On a tenté de me convaincre en me disant que des tas de personnes jeunes avaient écrit leurs mémoires : Loana, Paris Hilton et même Miley Cyrus à 16 ans (les meilleures six pages jamais écrites). Bien essayé, mais pour me rassurer, c’est raté ! Après réflexion (et ma vexation passée), j’ai dit « Ok, c’est une bonne idée, faisons-le. Mais qui va l’écrire ? » Lorsque mon éditeur m’a répondu « Eh ben… toi ? », j’ai éclaté de rire. Moi ? Écrire un bouquin ? Je crois être assez lucide sur mes qualités littéraires… Et puis quoi encore ? Arnold Schwarzenegger se met à la politique ? Élie Semoun à la musique ? Alain Morisod devient une star internationale ? Ok, mauvais exemples… mais vous voyez le principe ! Il y a quelques années, j’aurais refusé. Qui est-ce que ma vie pourrait bien intéresser ? J’ai un travail un peu fou, c’est vrai, mais dans le fond, ma vie ressemble à celle de beaucoup d’autres. Et puis finalement, en y regardant d’un peu plus près, après ce qui m’est arrivé ces derniers temps, je me suis fait la réflexion que oui, j’ai quand même vécu des choses pas banales. C’est le moins que l’on puisse dire ! Après tout ce que j’ai traversé, je suis vraiment content de pouvoir être là, de vous retrouver sur scène, de pouvoir écrire ce bouquin. Ce n’était pas gagné ! Vous vous rendez compte, en l’espace de six mois, j’ai failli mourir trois fois. Trois fois ! Tout est allé tellement vite… Il faut que je vous raconte ! Mais avant tout, permettez-moi de me présenter.

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Mes parents, 70 dans les années

Je chant e au m aria ge d e m on o ncle

Avec m a s

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la œur, Danie


Quelques présentations Je m’appelle Joseph, je suis né le 10 mai 1966 à Genève. Ma maman, Françoise, née Jacot-Descombes, est originaire du Locle (mais née à Genève, ouf !). Elle a eu la bonne idée de me concevoir seize mois après ma sœur, Daniela, avec Mario Gorgoni, arrivé des Pouilles quelques années avant, en 1963. Enfin, bonne idée… selon moi. J’ai toujours eu l’impression de ne pas être complètement voulu. Lorsque mon père est mort, je rangeais ses affaires et ma maman m’a dit « Tout ce que tu fais quand même… Quand je pense que je ne te voulais pas. » Ah ouais, carrément. Je vous rassure, ça m’a fait rire. Dans le fond, je le savais. Si ma maman avait pu avorter, elle l’aurait fait, j’en suis sûr. Mais à l’époque… Après, je vous avoue, je ne m’attendais pas à ce que ça sorte à ce moment-là ! À vrai dire, ce n’est pas par hasard si je fais ce que je fais. Je laisse aux plus psychologues d’entre vous le soin d’y apporter une explication plus claire. Pour une fois que c’est le médecin qui aura payé pour la consultation ! J’ai le souvenir d’une enfance assez heureuse. Je suis très proche de ma grand-mère maternelle, Jeanne 11


Jacot-Descombes, qui m’a beaucoup inspiré bien des années plus tard pour vous-savez-qui. J’adore ma maman, et c’est réciproque. Elle n’est pas maternelle pour un sou, mais elle est tellement gentille. Une vie du temps d’avant : tombée enceinte assez jeune, puis mariée dans la foulée. Pas sûr qu’elle ait été très heureuse… Mais elle a toujours fait illusion pour nous. Mon père était très amoureux d’elle, très jaloux aussi. Il l’engueulait quand un homme la regardait dans la rue. En même temps, c’était un Italien des Pouilles… Elle aurait dû s’y attendre ! Elle, elle ne regardait jamais les autres hommes. Pas par manque d’intérêt, mais à cause de sa myopie carabinée ! Lorsqu’on allait se baigner dans la mer à San Gennaro, elle me demandait de venir avec elle pour l’aider à retrouver sa serviette, c’est dire ! Un jour, vers mes 8 ans, j’ai voulu faire une blague, je lui ai dit « Oh regarde, papa t’attend les bras grands ouverts, tu peux courir vers lui ! » en lui montrant un inconnu au loin. Contre toute attente, elle l’a fait. Peut-être que ça vous a fait rire… Elle et mon père, pas du tout. Je me suis bien fait engueuler ! Avec ma sœur, on a toujours eu des rapports tout à fait normaux. Pas passionnant à raconter, je sais. J’ai une sœur, je l’aime beaucoup et parfois on se dispute. Comme tous les frères et sœurs ! Le genre de personne avec qui, à chaque fois qu’on se croise, on se dit « Mais pourquoi on ne se voit pas plus ? À partir de maintenant on se voit plus régulièrement ! »… Jusqu’à la fois suivante. Ma maman était mère au foyer, mon père était électricien. On habitait Meyrin. Globalement, ça allait (jusqu’à ce que j’arrive à l’école, mais ça, on y reviendra). Je voulais faire de la scène, les chanteurs me faisaient rêver. J’aimais la musique, il n’y avait que ça qui m’intéressait : le spectacle. J’étais fasciné par les émissions de variétés. Fou de Claude François, Dalida, Sylvie Vartan, Sheila… C’étaient (et ce sont toujours) mes idoles. Quand on avait des invités à la maison, j’insistais pour faire un spectacle, « comme à la 12


télé ». Je prenais une brosse comme micro, j’enfilais une perruque et me lançais à corps perdu en playback. Je sais, aujourd’hui ces pratiques seraient de sérieux… « signes annonciateurs », mais à l’époque on trouvait ça plutôt amusant, rien de bien anormal. Les choses se sont compliquées un peu lorsque je suis entré à l’école. Comme je jouais beaucoup avec les filles et jamais avec les garçons, on me disputait beaucoup. On commençait à me traiter de fiotte, de PD, de fille ratée, de rital (ce qui était tout de même plus original). Quand on me demandait ce que je voulais faire plus tard, je répondais « chanteuse » ! Je vous laisse imaginer les réactions de mes camarades… Surtout les garçons. Non, je crois vraiment qu’on peut dire que j’ai vécu une scolarité facile, sereine, épanouissante… À la gym, souvent le prof disait : « On va mettre les garçons d’un côté, les filles de l’autre. » Et il y avait toujours un abruti pour dire : « Et puis Joseph, il va où ? » Ça faisait beaucoup rire les autres… Moi moins ! Je rêvais d’autres horizons. Je ne me suis jamais senti inférieur (ni supérieur d’ailleurs), mais je me suis toujours senti un peu différent des autres. Ils ne se lassaient jamais de me le rappeler. Aujourd’hui, c’est devenu mon métier, mais à l’époque, enfant, je ne comprenais pas pourquoi tous ces enfants se moquaient de moi. Je ne comprenais pas non plus pourquoi j’étais différent. Pourtant, des petits détails auraient pu me mettre la puce à l’oreille. À la télévision, c’étaient des princes dont je tombais amoureux, jamais des princesses. J’étais aussi… troublé par les pantalons serrés de James West dans Les Mystères de l’Ouest. Qui ? Qui ? Je vous le demande : qui aurait pu penser que ceci pouvait être le signe d’une quelconque homosexualité ? Je vous rappelle tout de même le contexte : nous étions en 1975. À cette époque, Mitterrand n’avait pas encore dépénalisé l’homosexualité. Jusqu’en 1992, c’était même 13


considéré comme une pathologie. Pratiquement personne n’en parlait. Et quand on l’évoquait à la télévision, c’était toujours « l’homosexualité, ce problème ». Et les commentaires de mon père n’arrangeaient rien : « Ça, c’est de la vraie saloperie ! » Alors à 10 ans, difficile de comprendre pourquoi j’étais différent. Heureusement que les choses ont bien changé ! Enfin bien changé… Je recroise aujourd’hui encore certains de ces « copains d’école » de l’époque. Ils viennent me voir quelques fois après le spectacle : – Adieu, on était à l’école ensemble, qu’est-ce qu’on s’est marrés, tu te souviens ? Arh arh arh arh arh ! – Ça oui, je te le garantis : je me souviens… – Il est pas mal ton spectacle, mais t’en as pas marre de faire le travelo ? Toujours agréable. Et moi, je réponds, par habitude : « Moi aussi ça me fait plaisir de te voir… En tout cas tu n’as pas changé ! » Et tu le regardes partir, en l’entendant dire à sa compagne : « Tu vois chérie ! Toi qui ne voulais pas me croire quand je te disais que j’étais à l’école avec le pédé de la télé ! » Parce que oui, pour certains, je suis toujours « le pédé de la télé ». Moi je veux bien, mais lequel ? Je pense que la plupart de mes anciens camarades, quand ils me voient à la télévision en Marie-Thérèse, ils pensent que, chez moi, je me promène en déshabillé vaporeux avec une perruque et des mules à pompons… Je vais vous décevoir : quand je suis déshabillé, je ne suis plus vraiment vaporeux ! Enfin bref, toujours un plaisir de revoir les copains. Je n’aimais pas l’école, et elle me le rendait bien. Je n’étais pas très scolaire (vous n’avez qu’à admirer la qualité d’écriture de ce texte, j’attends toujours mon Nobel de 14


littérature) et j’ai quitté le système scolaire (ah ben tiens, deux fois le mot scolaire en une phrase, je vous avais bien dit) dès que possible, à 15 ans. J’ai commencé un apprentissage chez Baumann-Jeanneret, une papeterie genevoise, en parallèle à des cours de danse. J’y ai trouvé ma place et, surtout, des « semblables ». J’ai même retrouvé dans ces cours Mena, qui était à l’école avec moi et qui deviendra ma plus proche amie. J’avais découvert ce qui deviendra ma vie : la danse, le chant, le spectacle. Bref. Je m’appelle Joseph, je suis danseur (enfin, j’étais danseur), chanteur, homosexuel (ça, en revanche, ça n’a pas changé). Quarante ans plus tard, je vis toujours de ma passion. Je mets des robes dans le cadre de mon métier pour vous faire rire et vous me connaissez mieux sous le nom de « Marie-Thérèse ». On se fréquente depuis tout ce temps, mais on ne se connaît pas vraiment. Vous imaginez peut-être que j’ai un chauffeur, que j’ai une grande maison et que je me baigne régulièrement dans du lait d’ânesse ? Vous allez être déçus ! Je fais mes courses tout seul, comme un grand. Je vis dans la campagne genevoise, dans une maison familiale qui appartient à la famille de Florian, mon mari. Mon mari. Ça fait toujours bizarre. Je ne sais pas pourquoi, le mot « mari » m’a toujours fait rire. « Mâââri ». De même que le mot « épouse ». « Vous n’êtes pas venu avec votre CHARMANTE ÉPOUUUUUZE ? » Déjà ça, ça me fait marrer. Mais écrire que j’ai un MARI, alors qu’il y a quelques dizaines d’années seulement l’homosexualité pouvait vous amener en prison, c’est si absurde que ça en devient drôle. C’est là qu’on se rend compte de la chance qu’on a de vivre là où on vit, à l’époque dans laquelle on vit. On est quand même l’un des seuls pays au monde où le peuple a voté à la grande majorité le droit au mariage pour tous !

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Dans la vie, les humoristes ne sont souvent pas les mêmes que sur scène. J’aime rire de tout, au quotidien, je suis assez moqueur, mais les gens me disent parfois que j’ai l’air triste. Un jour, à la Migros à côté de chez moi, la caissière me dit : « Oh Marie-Thérèse, avec mes copines, on vous adore, vous nous faites tellement rire ! Mais là, vous avez l’air tellement sérieux ! » Sérieux ? Ben oui mais en même temps, je fais mes courses… Vous m’imaginez, tout à coup, arriver à la caisse avec la voix de Marie-Thérèse : « Hé ! Bonjour madame la caissière, ça va ? C’est pas facile, hein ? Surtout quand on n’a pas fait d’études ! En même temps, avec un physique comme le vôtre, il vaut mieux en cacher la moitié ! » Et les gens dans la file : « Hahaha ! bravo ! » Et même la caissière : « Ah ah ah ! Il est marrant, hein ? Je peux avoir une orthographe sur ma Cumulus ? » Pareil, si vous pensez que je suis du genre à sortir faire la fête avec tous mes amis célèbres, vous allez être déçus. Je l’ai beaucoup (beaucoup) fait, presque trop, mais la sagesse aidant (qui a dit l’âge ?) et le fait de ne plus être seul (mais avec mon MARI) m’ont beaucoup calmé. J’aime bien être chez moi, avec des amis, autour d’un bon repas. Un vrai petit vieux ! Et mes amis ne sont pas célèbres… Du moins, pas tous. Par chance, j’ai gardé le même entourage depuis mes débuts. C’est peut-être aussi ça qui m’a aidé à ne pas perdre la tête à cause du succès. La célébrité en Suisse, ce n’est pas comme ailleurs. Quand j’en parle avec mes quelques illustres connaissances qui habitent en France, je me dis qu’on a quand même du bol. Avec la notoriété, je pourrais être affiché en boucle dans 16


les tabloïdes. Mais ici, les tabloïdes prennent rendez-vous, s’excusent de te déranger et acceptent que tu refuses une interview. Quant aux photos, non seulement elles sont bien faites, mais tu peux même choisir celle qui sera publiée ! Tu peux relire tes citations avant publication, les corriger si besoin… Tout le monde est très bienveillant. Il y a un échange de bons procédés : on leur donne un peu de « biscuit », et ils nous font de la promotion. En trente ans, j’ai eu une seule mauvaise expérience. Alors que j’étais avec mon MARI Florian depuis quelques années (je l’ai rencontré il y a plus de vingt ans !), un journaliste me demande s’il peut le mentionner dans son article et le présenter comme mon conjoint. Je lui réponds que bien sûr, mais de ne pas en faire la une ou de le vendre comme une grosse information. Je n’ai rien à cacher, mais le but est de faire la promotion de ma tournée avec le cirque Knie, et en aucun cas de ma vie privée. Quelques heures plus tard, on me dit que la une du journal en question va être publiée avec « FLORIAN, C’EST LUI LE MEC DE MARIETHÉRÈSE ». Je suis évidemment (très) énervé et (très) déçu. Sur ce, je reçois l’appel d’un autre journaliste, vert de rage, qui m’engueule sous prétexte que j’aurais donné le scoop à quelqu’un d’autre, alors « qu’on se connaît depuis tellement longtemps ». C’est la meilleure : c’est moi qui me fais engueuler ! Je lui réponds « mais quel scoop ? » Il me dit « tu avoues ton homosexualité ! » Ah ben quelle surprise ! Tu parles d’un scoop ! « Qu’est-ce qui vous a mis sur le chemin ? Le titre de l’article, le fait que je travaille en robe ou le fait que j’en parle ouvertement depuis toujours ? » Qu’estce que vous voulez, il y a des journalistes de qualité à qui on ne peut rien cacher ! Le public suisse est formidable. Il me porte depuis toujours et surtout me laisse vivre ma vie. Bien sûr, cela arrive de me faire arrêter dans la rue pour des photos, des selfies, des autographes, mais de manière adorable. J’essaie de le rendre au public. Après tout, c’est grâce à lui que j’ai toujours pu 17


faire ce que j’aime. Les gens sont si respectueux, distants. Parfois, ils s’excusent de venir me dire qu’ils m’adorent. C’est très courageux de dire à quelqu’un qu’on ne connaît pas personnellement qu’on l’aime ! Je sais que certaines personnalités accueillent froidement ce genre d’initiatives et vous diront que ça les ennuie d’être reconnus. Je pense que ce sont des menteurs ! C’est toujours flatteur d’être reconnu pour son travail. Il y a juste des situations où ça peut être plus gênant que d’autres, comme à l’hôpital… Mais j’y reviendrai. Il faut aussi remettre en perspective ma notoriété. Je ne suis pas Madonna non plus ! On peut dire que je suis une petite vedette locale, comme on peut en trouver en France, en Italie et dans tous les pays du monde. Nous ne les connaissons pour la plupart pas, et c’est aussi vrai me concernant à l’étranger. Il faut savoir s’en souvenir. Quand vous avez la chance de remplir des salles, d’avoir parfois plus de 1000 personnes debout qui vous acclament, on peut facilement péter les plombs. Donc si on n’est pas, à la base, un peu équilibré, cela peut être difficile de le rester ! On peut vite se sentir supérieur, au-dessus de la « foule », presque légitimement. Cela reste un travail. Un travail éphémère qui plus est, qui peut s’arrêter d’un jour à l’autre. Dans notre métier, traditionnellement, on nous applaudit lorsqu’on a fini de travailler. Cela change d’un boulanger, d’un maçon ou d’un infirmier (sauf durant quelques semaines en 2020, mais ça nous a vite passé !). Toutefois, la scène, ça reste un métier. À la fin de notre journée de travail, on remballe nos affaires et on rentre à la maison, sans savoir si demain, ça recommencera. Et c’est là que ceux qui nous attendent chez nous ont toute leur importance. J’ai de la chance, chez moi, j’ai mon MARI. Et il ne se lasse jamais de me remettre à ma place chaque fois que j’ai pu avoir le moindre trait de vanité.

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– J’ai cartonné ce soir ! Immense succès ! – Ah cool. Et tu as bien mangé ? – Oui, je me suis régalé. – Eh ben ça se voit. – … Bonne nuit. Ça fait toujours plaisir. Mais ça aide surtout à rester humble avec son public. Ce qui m’aide beaucoup aussi, c’est de me rappeler que pour chaque personne qui adore mon travail, un autre le déteste ! Avec Marie-Thérèse, il n’y a pas de doute possible : soit on aime, soit on n’aime pas. Et dans ce cas-là, on ne se gêne pas de me le dire. Parfois maladroitement, d’ailleurs. Si vous saviez le nombre de fois où j’ai entendu « D’habitude je déteste Marie-Thérèse, mais là j’ai adoré, bravo ! » ou encore « Je vous avoue que je suis venu à reculons, mais finalement c’était cool ! » Quel compliment ! C’est comme si vous disiez à un chef au restaurant « D’habitude c’est dégoûtant mais là j’ai bien mangé ». Ça part d’une bonne intention, mais c’est raté. Ceux qui n’aiment vraiment pas mon travail n’ont souvent pas le courage de me le dire dans la rue. Et comme ils ne vont en tout cas pas venir à l’un de mes spectacles, ils prennent le soin de m’écrire. Pour préparer ce livre, j’ai relu quelques courriers que j’ai reçus depuis trente ans. Uniquement les lettres désagréables, bien entendu. Parce que si j’avais dû relire toutes les lettres d’admirateurs, de gens qui m’adorent, qui me trouvent formidable, généreux, qui sont fous de moi, de moi, de moi, de MOI, j’en aurais eu pour des mois ! J’en ai tout de même sélectionné une de ces lettres d’admirateurs (pas besoin de langage inclusif car, étonnamment, c’étaient beaucoup des admirateurs au masculin). Cette lettre est, je crois, la plus… comment dire… la plus étonnante que j’ai retrouvée. Elle commence de manière très officielle : 19


« Concerne : bite volante. » Le ton est donné ! « Cher Joseph, j’apprécie beaucoup ce que vous faites… » Jusqu’ici, tout est normal. C’est après que ça se gâte. « Vous allez aussi bien vous marrer en voyant les photos cijointes d’une de mes œuvres. » Forcément, un artiste, cela attise ma curiosité ! J’avais déjà oublié l’objet de la lettre… « Il s’agit d’une bite volante téléguidée d’environ 1m20 de long et 1m50 d’envergure. » Et évidemment, il y a la photo ! Il continue : « J’en ai fait aussi une version “planeur” qui est en cours de finition, décorée aux couleurs du Vatican, pour voler au-dessus de la fraternité d’Ecône, et les asperger de yaourt. Si jamais ça vous intéresse, mon atelier vous est ouvert. » À mon avis, il n’y a pas que l’atelier ! Il a laissé également son nom et son adresse. Je ne peux évidemment pas vous les donner. Cependant, des gens qui fabriquent des bites volantes, il n’y en a pas énormément. Donc si vous en connaissez un, c’est très probablement lui ! Je me suis donc concentré sur les gens qui m’aiment manifestement moins. Et là, il y a deux catégories. Il y a les allumés, ceux qui deviennent hystériques rien que parce qu’un homme se déguise en femme : « Honte ! Intolérable ! Bassesse ! Sacrilège ! Bêtise ! Acteur comédien du diable ! » (souligné) « En Arabie, on vous décapiterait ! » (souligné deux fois) « Avez-une conscience ? Honte à vous !!! » Je vous avoue que, ceux-là, je préfère qu’ils écrivent. Et bien sûr il y a ceux qui n’aiment pas Marie-Thérèse parce qu’inconsciemment, ils se reconnaissent dans le personnage : « Cessez de nous programmer cette Marie-Thérèse qui n’est absolument pas représentative des téléspectateurs romands. Mais voui ! » 20


D’accord, la deuxième phrase, l’autrice de cette lettre ne l’a pas spécifiquement écrite, mais je suis sûr qu’elle l’a dit ! Dans l’émission « Marie-Thérèse en Vacances », on voyait Marie-Thérèse entrer dans un bassin plein de personnes très âgées, et elle disait : « T’as vu Jacqueline ? C’est pas une piscine, c’est une soupe aux légumes ! » À la suite de la diffusion de l’émission, j’ai reçu le message suivant : « Madame, Vous aussi, un jour, vous serez un vieux légume dans la piscine. Il ne faut pas l’oublier. Je ne dirai pas autre chose, malgré mon envie. Salutations de vieux. » Vieux, on s’en doutait ! Il n’y a pas que ceux qui écrivent, il y a ceux qui vous disent les choses en face, mais en passant très vite. Pendant qu’on tournait à Loèche-les-Bains, justement, dans la rue, un monsieur passe et crie d’assez loin : « On va encore avoir des conneries à la télé ! » Puis il est parti en marchant très vite. Quel homme, quel courage ! Je suis sûr qu’en rentrant, il a dit à sa femme : « Je leur ai dit, à la TSR, qu’on en avait marre de leurs conneries, que j’allais écrire à la direction, que je connais personnellement le directeur, et pis que si ça continue, moi je ne paie plus la redevance et que je les emmerde, je leur ai dit ! » Et sa femme qui a dû lui répondre : « Tu as bien fait ! » L’avantage des lettres, c’est que je peux les garder. Parce que ça me fait beaucoup rire. Ça ne me pose pas de problème 21


qu’on n’aime pas ce que je fais. On ne peut pas plaire à tout le monde. Il faut être conscient que les gens qui vous adorent peuvent vous détester de la même manière instantanément. Ça fait partie du jeu. Parfois, certaines personnes confondent un peu l’artiste et le personnage, et partent du principe que s’ils n’aiment pas Marie-Thérèse, ils ne m’aiment pas non plus. Mais là aussi, c’est la vie. Et heureusement, parfois, ils me le disent de manière assez marrante… À l’époque, j’habitais au centre-ville de Genève quand un matin, j’ai croisé un type dans la rue, qui m’a dit en me croisant : « Pas trop mal au cul ? » Oui, moi comme vous, la première fois, je n’étais pas sûr d’avoir bien compris. Deux jours après, je l’ai recroisé, il a recommencé : « Pas trop mal au cul ? » Je lui ai dit « Pardon ? » Pas de réponse. Surpris, un peu fâché et, surtout, interloqué, je me suis dit que, la prochaine fois que je le croiserais, je lui demanderais quel est son problème. Mais quand je l’ai recroisé et que j’ai vu son regard, j’ai compris que, effectivement, il y avait un problème ! Lui a continué, pendant des mois, trois ou quatre fois par semaine : « Pas trop mal au cul ? » Ça a fini par me faire rire. Et puis un jour, il a disparu. Des mois après, je l’ai recroisé au même endroit. Il est venu vers moi et m’a dit : « Je suis désolé pour tout ce que je vous ai dit. » Et il est reparti. À nouveau, cela m’a laissé sans voix. Mais je me suis dit que c’était bien, qu’il allait mieux. Le lendemain, je l’ai recroisé. Je l’ai salué avec un sourire, et lui : « Pas trop mal au cul ? » Je suis resté là, planté sur le trottoir, bouche bée. Je ne l’ai jamais recroisé depuis. Un mystère !

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Ah, je me permets de préciser. Si après la lecture de ce livre, vous deviez me croiser dans la rue, ce n’est pas indispensable de me demander si j’ai mal au cul. C’est très amusant la première fois, mais les cent vingt fois qui suivent peuvent avoir tendance à être plus fatigantes. Non parce que, depuis que je raconte cette histoire, ça n’arrête pas. Ça a commencé par les journalistes. Cela peut aller de celui qui essaie de faire de l’humour, toujours très fin : « Bonjour Joseph, asseyez-vous ! Vous voulez un coussin ? » et qui rit d’un air bête, à celui qui ne doute de rien, et qui tente sa chance : « Alors le passage “pas trop mal au cul”, avec mon ami, on a a-do-ré ! On peut vous inviter à boire un verre ? » Enfin bref, il y a des gens qui m’aiment, d’autres qui ne m’aiment pas, et surtout une écrasante majorité de gens qui ne me connaissent pas sur cette planète ! Cela remet tout de suite les pieds sur terre. Je vous dirai encore que, dans la vie, je suis assez contemplatif. Je peux passer des heures à regarder la nature et l’horizon, les animaux, la verdure… Si on m’avait dit ça il y a trente ans, moi qui étais tellement citadin… Ce que j’ai toujours contemplé, en revanche, ce sont les vêtements. Parfois, chez moi, avant de sortir, il me faut une bonne heure de contemplation pour décider comment je vais m’habiller pour venir au théâtre. Et en arrivant, qu’est-ce que je fais ? Je me change ! Ah ça, mon rapport aux fringues, c’est catastrophique ! Quand j’ouvre mon armoire, c’est Pretty Woman. « I feel pretty Oh so pretty, I feel pretty and pitty and gay » ! Bon, pretty, ça reste à prouver, et gay… Je crois que c’est clair ! Non, c’est terrible : le soir, je me couche en me demandant ce que je vais bien pouvoir porter le lendemain pour aller sortir le chien. Parfois même, je me relève pour préparer ce que je vais mettre. Et le lendemain, évidemment, je mets autre chose. 23


Le dimanche, c’est pareil : si je dois aller acheter du pain, ça peut me prendre une bonne demi-heure pour choisir ce que je vais mettre ! Pour aller à la boulangerie, donc. Non, parce qu’il y a des choses qu’on ne porte pas dans une boulangerie. Par exemple en Gucci : « Mettez-moi deux baguettes ! », ça ne va pas. À la limite en Gaultier, ou alors en Prada… Ça dépend de la boulangerie ! Les chaussures, c’est la même chose. C’est débile. J’ai au moins cent paires de pompes ! J’en ai payé certaines parfois très cher, et je ne les ai jamais mises. J’ai entendu Céline Dion dire exactement la même chose. C’est vous dire si c’est grave ! En même temps, c’est très important les chaussures : on dit qu’il ne faut jamais mettre les mêmes deux jours de suite, sinon ça les déforme. Là aussi, MarieThérèse ajouterait : « C’est comme pour tout ! » Les vêtements, pour moi, c’est plus qu’une passion. Je crois que j’ai un vrai problème avec ça. Une espèce de souci permanent de mon apparence. Je ne comprends pas, en général ce sont les filles qui sont comme ça. Non mais vraiment, je vous le demande : qui l’eût cru quand, petit, je volais les robes et les chaussures à talons de ma maman ? Il y a beaucoup de choses que je n’aurais pas crues ! Que je serais encore bien vivant, que vous seriez encore là, que j’écrirais un livre… Quelle chance ! Je reste surpris de tout ce qui m’est arrivé et qui m’arrive encore, de ma vie, de tout cet amour que je reçois… Je ne m’en suis jamais lassé. Je n’ai jamais rien considéré comme acquis, je continue à penser que tout peut s’arrêter du jour au lendemain. Dernièrement, tout a failli s’arrêter pour de bon. Je suis tombé méchamment malade. Et maintenant qu’on se connaît un peu mieux, je crois qu’il est grand temps que je vous le raconte.

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Avec Fl orian…

… mon MARI

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EXTRAIT d'un livre paru aux Éditions Favre.

Tous droits réservés pour tous les pays. Toute reproduction, même partielle, par tous procédés, y compris la photocopie, est interdite. Éditions Favre SA Siège social 29, rue de Bourg CH – 1002 Lausanne Tél. : +41 (0)21 312 17 17 lausanne@editionsfavre.com www.editionsfavre.com


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