Les éditions du Lumignon présentent dans cet extrait à feuilleter en ligne les premières pages du livre
Printemps, une saison chez les sorcières, troisième tome de la série Une saison chez les sorcières, à paraître le 9 octobre 2017. Texte et illustrations : Anaïs Goldemberg
AnaĂŻs Goldemberg
Pour Pour Alice, Alice ! venue avec le printemps. A.G. A.G.
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Ombre
et poussière
Dans l’immense forêt, le son des gouttes d’eau résonnait de toutes parts. Alors que les dernières neiges avaient enfin fondu et que la température se réchauffait un peu plus chaque jour, les bois n’étaient plus qu’une vaste éponge gorgée d’eau par les pluies incessantes. Il était presque midi et le printemps était, selon l’almanach, sur le point d’arriver. Toutefois, la Nature semblait en avoir décidé autrement. Les arbres étaient aussi nus qu’en plein hiver et leurs branches
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Printemps
sombres ne s’ornaient que d’écharpes brumeuses. Parfois, un timide rayon de soleil transperçait la pénombre ambiante et des milliers de gouttes d’eau étincelaient soudain depuis chaque branche, chaque creux d’écorce et chaque rocher moussu. Hélas, la lumière disparaissait vite, laissant la forêt redevenir ce bien terne paysage pour un étrange printemps. Quelques chants d’oiseaux auraient égayé les lieux, bien sûr. Malheureusement, tous les oiseaux des bois dormaient profondément dans le sous-sol d’une curieuse demeure, en plein milieu de la forêt. Au cœur d’une clairière détrempée, la maison des sorcières s’élevait au-dessus des brumes, ses nombreux toits luisant dans la faible lumière. Des touffes de mousse avaient commencé à envahir les murs, et les pignons au nord et à l’est en étaient déjà presque recouverts. Les briques et les pierres avaient disparu : on aurait dit qu’il ne restait plus que des fenêtres, accrochées à la paroi moelleuse et verte. C’était un véritable paradis pour les escargots et les limaces, mais ces derniers étaient aussi invisibles que les autres animaux des bois. Quoique, regardez attentivement : il y avait bien une petite araignée bleue qui escaladait les minuscules tiges de la mousse recouvrant le mur nord de la grande tour. Son parcours laborieux la menait résolument vers une fenêtre restée entrouverte, même si son trajet était plus d’une fois ralenti par les lourdes gouttes d’eau qui parsemaient la mousse. L’ araignée obstinée était coiffée du plus petit chapeau pointu qu’on ait jamais vu et, si l’on tendait bien l’oreille, on pouvait l’entendre bougonner en contournant les pièges de la mousse une série ininterrompue de jurons, comme « Nom d’un poêle à bois ! », « Par le grimoire occulte ! » ou « Sapristi de champignon moisi ! ». Arrivant enfin à se hisser sur le rebord de la fenêtre, l’araignée secoua ses pattes pour les débarrasser de l’humidité. Quatre de ses membres étaient chaussés de ravissantes et minuscules bottines noires. Puis elle sauta dans l’entrebâillement de la fenêtre et se retrouva à l’intérieur de la maison. L’araignée avait disparu : à sa place se tenait une sor-
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Une saison chez les sorcières
cière aux quatre bottines trempées et à l’air renfrogné. Alors qu’elle ôtait son chapeau pour l’essorer d’un geste machinal, elle balaya du regard la chambre où elle venait de pénétrer. « Évidemment, personne n’a pensé à allumer un feu dans ma cheminée ! Bande d’ingrates ! » Elle percha de nouveau son chapeau sur son imposant chignon puis sortit de la chambre, laissant sur le plancher une petite flaque d’eau. Le grand palier qui desservait plusieurs portes de formes et de couleurs variées était jonché d’objets. La sorcière se fraya un chemin parmi des dizaines de paires de moufles dépareillées, des seaux, des balais de genêt, des cache-nez en laine et des serpillières grises. Elle descendit un escalier tout aussi encombré, se retrouva sur un nouveau palier où l’empilement d’objets improbables s’élevait jusqu’à mi-cuisse, continua de descendre l’escalier en glissant plus qu’en marchant et, enfin, arriva au pied des marches. Une petite foule y était réunie. C’était un étrange rassemblement : à première vue, on distinguait des chapeaux poin-
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Printemps
tus de toutes les tailles puis, juste en dessous, des accoutrements bariolés, des gants, des masques et des tabliers fleuris. Toutes les sorcières de la maisonnée s’étaient regroupées autour d’une imposante horloge en bois, plantée au pied de l’escalier. Le cadran n’indiquait aucune heure : à la place des douze chiffres était peint un arbre partagé en quatre parties. En haut à gauche, les branches de l’arbre étaient ornées de fleurs pâles. Le quart juste à droite représentait le feuillage du même arbre, cette fois d’un vert profond où se cachaient quelques fruits mûrs. En bas à droite, des feuilles aux couleurs de feu jonchaient le sol. Enfin, en bas à gauche, l’arbre n’était qu’une silhouette noire jaillissant d’une épaisse couche de neige. L’horloge représentait les quatre saisons et son unique aiguille frémissait entre l’hiver et le printemps. Les sorcières avaient les yeux rivés sur cette aiguille. Seules quelques-unes d’entre elles remarquèrent l’arrivée de leur congénère. « Alors, Aragnangnan ? As-tu trouvé quelque chose ? » demanda une petite sorcière noyée dans une blouse rayée trop grande pour elle. « Rien du tout. Je n’ai pas vu une seule ombre dans cette maudite forêt détrempée. » Elle montra l’horloge du menton. « Et vous, toujours en hiver ? » « Oui » répondit Youplala. « Mais l’aiguille s’est mise à vibrer depuis quelques instants : le passage au printemps est imminent ! » « Chut ! » firent plusieurs sorcières, alors que l’aiguille tressautait. Aragnangnan observa l’horloge d’un air maussade et grommela : « Le printemps, tu parles ! Il n’y a rien de printanier dans les bois. Pas le moindre bourgeon en fleur, pas le plus petit nid d’oiseau en construction. Rien ! Et nous avons d’autres choses plus importantes à régler, non ? Et notamment ces ombres... »
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Une saison chez les sorcières
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