Fermin Solis, Bunuel dans le labyrinthe des tortues

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Ne pas dĂŠranger, artiste en plein rĂŞve


“ Dieu n’existe pas et nous sommes ses prophètes.” Cormac McCarthy, La Route


Luisito...


Luisito. C’est moi, la Sainte Vierge.


Oui, je suis la mère de toutes les créatures terrestres. Y compris toi.

Mère !

De toutes les créatures ? Des rats et des couleuvres aussi ?

Des cafards ?

Eh oui. Mais pas des poules, hein ? J’ai horreur des poules.

Bien sûr.

Mais viens, maintenant... J’ai quelque chose à te montrer.

Pourquoi tu as le visage de ma mère ? Mon visage est celui que tes yeux veulent voir.


Pas si vite ! Je ne sais pas voler.


Regarde à l’intérieur, Luisito.

Une girafe !?


Je t’aime, malgré tout. Je t’aimerai toujours.

Laissez-moi, sales putes, dehors ! Arrêtez de picorer !... C’est insupportable !



Hôtel Ronceray. Paris, fin décembre 1932.

Monsieur ?... Monsieur ?... Vous avez un appel !

Allô ? Luis Buñuel à l’appareil.

Voilà Monsieur !

Merci.

Luis ? Tu te souviens de ce qu’on avait dit ? Fais tes valises ! J’ai touché le gros lot à Huesca ! Le gros lot, Luis ! Le gros lot !

Tu vois, Ramón.  La réalité peut être aussi surréaliste que   l’imagination la plus débridée.

Ndt : Les textes en italique sont en français dans l’original.


Paris ne nous aime plus


“ À trop ravauder, l’argent vient à manquer. ” Aldous Huxley, Le meilleur des mondes


Paris, septembre 1932


Tout ce que je dis c’est qu’au fond vous n’êtes qu’une poignée de petits-bourgeois qui font mumuse avec l’argent de papa.


Ne me parle pas de mon père, Ramón.

l m’apparaît encore en rêve, allongé sur son lit de mort. Il se lève brusquement, tend ses bras énormes et tente de m’étrangler.

Et pourtant, tu sais quoi, Ramón ?

Comment peux-tu en vouloir toujours à ton père ? Il est mort depuis combien de temps ? Dix ans ?

Toi et tes rêves, Luis. Moi et mes rêves.

Si on me disait : “ Il te reste vingt ans à vivre. Qu’aimerais-tu faire de chacune de tes journées à venir ?  ” Je répondrais : “ Donnez-moi deux heures de vie active et vingt heures de rêve ”.

Ça fait vingt-deux heures. Et que fais-tu des deux qui restent ?


Je regarderais le monde par un œilleton.

Ha, ha, ha ! Un œilleton ! Vous me faites marrer, les surréalistes !

Le fait est que je commence à en avoir marre d’appartenir à cette sorte d’aristocratie intellectuelle.

Voilà une bonne définition du groupe !


Je chie sur le groupe surréaliste !

Au début, je voyais en eux un moyen de faire la révolution avec les seules armes du scandale.

Oui, mais vos outrances artistiques vous éloignent de plus en plus du reste du monde...

Au moins, on parle de moi.

Ha, ha, ha, ha !

Par exemple, qu’est-ce que tu as gagné à faire tes deux films ?

On peut savoir ce qu’il y a de si drôle, Acín ?


L’autre jour, à peine arrivé à Paris, j’ai lu une nouvelle dans le journal.

Un cinglé est entré au Louvre et s’est mis à lacérer L’angélus de Millet à coups de couteau.

Plus que le geste d’un dément, j’y vois un acte surréaliste. C’est évident.

Il cherchait peut-être simplement à voir son acte récompensé.

Mais dis-moi, quel plaisir ou avantage peut-on retirer à mutiler une œuvre d’art ?

Récompensé ?

Selon mon Sade bien-aimé, toute action en rapport avec le vice ou le crime... toute atteinte à la morale publique trouve toujours sa récompense. Opinion que je partage, comme tu le sais.

Je t’assure que ce type n’y connaissait rien au marquis. Tu sais ce qu’il a dit quand on l’a arrêté ?


“Au moins on parlera de moi”

Tu compares l’acte terroriste et irresponsable d’un fou contre l’art avec Un chien andalou et L’âge d’or ? Oh, non, non ! Au contraire...

... Je c savo rois ir qu e cert ain cerc s intell les ec ont v tuels u poési de la ed tes f ans ilms.


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