Breccia / Trillo, Buscavidas

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Buscavidas


Titre : Buscavidas. Titre original : Buscavidas. Textes : Carlos Trillo. Dessins : Alberto Breccia. Traduction : Latino Imparato et Alejandra Carrasco. Remerciements à Nadine Rivière et à Eve Deluze pour leur aide. ISBN : 2-87827-053-3 Dépôt légal : quatrième trimestre 2001. © 1981, 1982, 2001 Carlos Trillo et héritiers d’Alberto Breccia. Tous droits réservés. © 2001, Rackham pour l’édition française. Rackham 5, rue Hoche 93100 Montreuil e-mail : info@editions-rackham.com Achévé d’imprimer en septembre 2001 sur les presses de Grafiche Milani à Segrate (Italie).


ALBERTO BRECCIA CARLOS TRILLO Buscavidas

R RACKHAM



A

lberto Breccia aimait particulièrement les histoires brèves réunies dans ce volume. Il se sentait bien à l’aise dans les récits de six ou huit pages. Caricaturiste hors pair, il affectionnait le genre grotesque qui lui permettait de mettre en scène visages et situations empruntées à la réalité. Mais il est fort probable que son attachement à la série Buscavidas (qui, littéralement, signifie « cherche vies «) soit dû au contexte dans lequel ces pages ont été réalisées. Buscavidas a vu le jour entre 1981 et 1982 ; la dictature qui a écrasé l’Argentine sous une épaisse chape de mort et de terreur commence à se fissurer. La déconfiture du régime militaire après la guerre des Malouines ouvre des espaces d’expression qu’on peut timidement occuper sans risquer sa liberté ou sa vie. Conçus comme des petites histoires morales (Breccia et Trillo avaient déjà adapté sous cette forme les contes des frères Grimm), les épisodes de Buscavidas sont profondément influencés par la réalité qui entourait les deux auteurs. Les textes de Trillo s’emploient à construire, pièce par pièce, une sorte de catalogue sordide de la méchanceté humaine. Breccia y ajoute son propre récit en images de ces années noires : il surcharge le ton grotesque, construit des perspectives oppressantes et tortueuses. La lumière est crue, Breccia dessine en noircissant entièrement les cases et en modelant ensuite les volumes par touches successives d’acrylique blanc. Les paysages sont parsemés de pancartes qui affichent des « oui » ou des « non » péremptoires. Des crânes, les orbites vides couvertes par un cache noir, traînent un peu partout. Dans une ville de Buenos Aires bien reconnaissable mais réduite à un triste squelette, les gens déambulent cachés derrière leurs lunettes noires : les lunettes de la peur et de la lâcheté. Dans les images de Breccia, par le biais de ses personnages ridicules et monstrueux, apparaissent déjà les germes d’un travail de témoignage et de mémoire qui donnera naissance, peu de temps après, à Perramus. Réalisé dans la souffrance et l’indigence, Buscavidas n’a pas eu une vie facile. À la fin des années’80, toutes les planches originales ont été perdues. Cette édition a été établie sur la base de documents et reproductions fournies par les éditeurs argentins et italiens qui ont publié ces pages dans différentes revues. Nous avons essayé, par un long travail de restauration de rendre au mieux l’œuvre d’Alberto Breccia. L’ éditeur



Buscavidas

Le jaloux

La grand-mère

Persecuté

Zéro de conduite

Star System

Histoire de fous

La famille

La vie est un feuilleton

Valdés aux trousses

Histoire pour un après-midi de pluie La vie est un boléro absurde Grand et Petit Le choix



Le jaloux

(Celui-là fera l’affaire.)

Garçon, un café, s’il vous plaît.

Excusez-moi… Puis-je m’asseoir ?

Oui, bien sûr.


(Bien… il n’y a plus Qu’à attendre qu’il commence son histoire.)

Quand je bois, je me souviens d’elle.

(Bien… Plus vite que je ne pensais.)

Puis, au cinquième ou sixième verre, je commence à l’oublier; à la fin, je flotte tout seul dans les airs et il y a plein de trains qui passent dans ma tête.

«Mais j’étais jaloux et je la harcelais de reproches.»

«Je l’aimais et elle m’aimait.»

Tu l’as regardé ! Tu as regardé ce type !

Rends-moi un service, comme ça tu ne douteras plus de mon amour.

Crève-moi les yeux.

«Je l’ai fait et j’ai compris à quel point elle m’aimait.»

Garçon… Un autre whisky


«Quelques jours plus tard, nous étions dans un bar. Elle alLa aux toileTtes et dut demander de l’aide p o u r r e v e n i r à n ot r e table.»

Tu l’as touché ! Tu as touché cet inconnu !

Par ici, Mademoiselle.

Tu doutes encore de mon amour. D’accord, coupe-moi les bras.

Vous croyez que je me suis senti mieux , après l’avoir mutilée, ? Ha, ha, ha!

Merci, Monsieur.


Ça fait des nuits que tu ne dors pas. Qu’est-ce qui t’arrive ? J’ai peur.

peur que tu te barres avec un autre.

Je ne veux pas que tu souffres. Coupe-moi les jambes. Je l’ai fait et cela m’a rassuré. J’ai commencé à sortir tous les soirs. J’étais tranquille, confiant.

Mais une nuit…

«Je pouvais rentrer à n’importe quelle heure. Elle était toujours là à m’attendre.”

Elle est partie ! On l’a enlevée ! Comment ? Qui ?


J’ai marché. J’ai deambulé dans les rues, la cherchant com-me un fou .

j’ai fini pour la retrouver. Elle était partie avec le propriétaire d’un cirque.

Elle était heureuse avec lui. Elle avait toujours eu le désir secret de devenir une star, de monter sur une scène pour qu’on la regarde.

garçon, Un autre whisky!


À vous maintenant. Qu’est-ce que vous me racontez en échange ?

Rien.

(La nuit a été profitable.)

Je n’ai pas d’histoires à raconter, moi. Garçon, encaissez mon café.

(Celle-là, je l’archive dans le classeur des histoires d’amour.)


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