L’illusion d’Overlain
Titre : L’illusion d’Overlain. Titre original : La Ilusión de Overlain. Textes et Dessins : Luis Durán. Traduction : Alejandra Carrasco. Maquette : Gurvan Friderich. ISBN : 978-2-87827-106-5 Dépôt légal : troisième trimestre 2007. © 2005 Luis Durán. Tous droits réservés. © 2007 Rackham pour l’édition française. info@editions-rackham.com www.editions-rackham.com Achevé d’imprimer en juillet 2007 sur les presses de Grafiche Milani à Segrate (Italie).
L’ILLUSION D’OVERLAIN
Luis DurÁn
Traduit de l’espagnol par Alejandra Carrasco
RACKHAM
Ă€ un certain moment, je te demanderai de fermer les yeux pour te conduire dans un voyage imaginaire fabuleux...
... vers le lieu où s’écrivent tous les « il était une fois... », tous les « il y a très, très longtemps ».
Ferme les yeux, à présent.
Imagine que tu marches à travers un bois…
… Et qu’un soleil déclinant commence à se cacher derrière les arbres sombres et millénaires.
À mesure que tu t’enfonceras dans les fourrés, les oiseaux oublieront leurs chansons et tous tes rêves se transformeront en pluie.
Continue d’avancer.
Tu apercevras au loin une maison déserte et dépourvue de fenêtres, seulement éclairée par une lune qui se découpe sur des nuages noirs.
Approche-t’en et entre.
À l’intérieur de la maison, il y a des enfilades de portes à perte de vue…
… et, sur chacune d’elles, un nom est écrit.
Le tien y figure aussi.
Arrête-toi devant.
Quand tu auras ouvert et franchi la porte, tu seras au beau milieu de cet endroit dont tu te souviens et rĂŞves parfois.
Tu seras arrivĂŠ en Diluvie.
Madame Turneer !
Madame Tur... Madame Turner!
Oh, monsieur Vincent! Le beau garçon ! Quelle joie !
Monsieur Douglas a annoncé votre venue, mais je n’en étais pas si sûre... Vous venez si rarement...
Où est m-mon père ? Dans quel hôpital l’a-t-on transporté?
Il est là-dedans... dans son bureau.
Hôpital ?
Dans... son bureau ?
Ben oui, avec ses masques, comme d’habitude...
Monsieur Douglas n’est pas à l’hôpital...
Bonjour, fiston !
Quelle joie de te revoir ! Cela faisait combien de temps ?
...Père... Que... que faites-vous debout ?
Père...
J’ai... j’ai reçu un télégramme qui disait que...
Quatre ans ?
Télégramme... Quel télégramme ?
Ah, oui... le télégramme ! Eh bien, hum, oui, tu sais comment sont les vieux...
... Nous exagérons toujours nos indispositions.
Père, ce télégramme disait que vous aviez un pied dans la tombe !
Indispositions ?
Ha !
Dans la voiture bar, j’ai feuilleté la presse pour voir si je trouvais votre faire-part de décès !
Enfin... Vincent, Dieu du ciel, pourquoi es-tu si fataliste ? Il me semble t’avoir payé une bonne éducation, non ?
...Je vais préparer le dîner. tu Te nourris mal ?
Parfait, madame Turner !
Humm...
Et toi, mon cher Vincent, détends-toi et... oh... attends...
... C’est l’heure.
Oooh !
Aaaah !
... Les sœurs Cashford... Ponctuelles comme une horloge...
Rassure-toi, personne n’osera me chasser de ce quartier.
Je voulais dire de ce pays...
Elles finiront par vous chasser d’ici, monsieur Douglas.
Euh...
... Je trouve... je trouve que ça a un peu changé, chez vous...
Oui, ma collection de masques africains s’est étoffée.
... qui disait avoir combattu durant la guerre, parfois pour et parfois contre notre pays...
Tu vois, ceux-là ? Je les ai achetés à un marin britannique...
... et les autres, là, je les ai...
... Père,
... Pourquoi vouliez-vous me voir ?
Eh bien... tu es mon fils... Ne trouves-tu pas normal que j’aiE envie de te voir ?
Euh... Vincent, dis-moi... Vous connaissant, pas du tout.
Ta femme et ta fille ne viendront pas ?
Quand j’ai reçu votre télégramme et que j’y ai lu que vous étiez mourant, je n’ai pas attendu de faire mes valises et... euh... elles seront là dans deux jours, avec mes bagages. ... Je ne me souvenais pas de cette photo...
Laquelle ?
Une colonie de termites désaffectée, la savane en était infestée.
Celle-là. Quelle... quelle est cette horreur que vous serrez dans vos bras ?
Ces photos ont au moins vingt ans, mais je les ai encadrées hier... ... Je suppose que... j’ai repensé à l’Afrique...
Tu sais quoi, Vincent ?
Parfois, quand je regarde par la fenêtre…
« … il me semble voir encore le ciel du Kenya. »
Le natif jeta dans le fleuve une demi calebasse évidée…
… Et tandis qu’il la voyait s’éloigner, il imaginait que c’était un canoë et qu’il était un grand capitaine qui voyageait à son bord.
Quelques jours après, en aval du fleuve, elle fut trouvée par un enfant qui avait quitté son village en quête de l’arbre sacré.
Rentrant au village avec sa moitié de calebasse, sa mère le gronda…
… Pourquoi n’est-il pas bien d’emporter chez soi… les rêves des autres.
oui ? Monsieur Douglas…
Maman…
…a-t-il déjà vu des girafes de près ?
Bien sûr, et aussi des lions, des rhinocéros, ton grand-père a vécu longtemps en Afrique.
Je reviens tout de suite, je vais demander au contrôleur à quelle heure nous arrivons à Guilford.
Oui.
Humm !
Hein ?
Vous êtes trempé.
Bonjour, mademoiselle Adriatique.
C’est vrai, mais vous savez que chez moi, en Diluvie…
… que lisez-vous aujourd’hui ?
… Il ne fait jamais, jamais beau.
Ah, bonjour, monsieur Diovan…
Ditesmoi…
Et puis-je savoir de quelle histoire il s’agit ?
Une histoire, monsieur Diovan.
C’est… l’histoire d’un arbre… un arbre qui parle.
Mm… Vous êtes bien curieux, monsieur Diovan.
Oh… Voyons…
… Il était une fois… un arbre qui parlait…
… Un jour, une fillette qui était fort triste de voir son papa partir rejoindre son grand-père en Afrique…
… alla se promener dans les bois et y rencontra un arbre qui parlait.
L’arbre lui dit : « Que t’arrive-t-il ? » Et la fillette lui répondit : « Oh, un arbre qui parle ! »
L’arbre lui dit que cela n’avait rien de bizarre et que lui aussi il parlait souvent avec les oiseaux et les écureuils.
« Si tu viens me voir de temps en temps, je te donnerai de mes fruits », lui dit l’arbre.
Et la fillette le revit de nombreuses fois. Ainsi, à force de lui parler, la jeune fille…
… DEVINT peu à peu un élément de la nature.
Euh… A vrai dire, monsieur Diovan… ce conte, je… je ne le trouve pas extraordinaire.
Je crois que vous devriez faire un petit effort supplémentaire.
Bon. Humm !
Il était une fois… un arbre qui parlait.
L’arbre était très fier de connaître beaucoup de mots.
Des mots tels que fleur, musique, nuage… chemin, abri, fruit…
Un jour, l’arbre fut surpris par le teint foncé d’un vieil homme...
...qui s’approcha et s’assit à son ombre ; avant de partir, il grava un mot sur son écorce à l’aide d’un vieux canif.
L’arbre qui parlait demanda à un écureuil qui passait par là de lui dire ce qu’avait écrit le vieil homme sur son écorce endurcie.
L’écureuil chaussa ses lunettes et, après avoir observé attentivement, il dit : A… Afri… Afrique !
L’arbre qui parlait en fut surpris car, bien qu’il connût des mots tels que terre, singe ou eau…
… il n’avait jamais entendu auparavant le mot Afrique.
Pendant des mois, il ne cessa de demander aux lièvres, aux cerfs, aux papillons et autres amis qui passaient…
… le sens de ce mot.
… Mais personne de lui répondre…
… jusqu’au jour…
… où un oiseau au plumage étrange, qui semblait avoir parcouru un long chemin, se posa sur ses branches.
L’arbre qui parlait lui demanda s’il connaissait le sens du mot Afrique.
Alors l’oiseau lui répondit que l’Afrique était un endroit très, très lointain dont il lui décrivit les coutumes et les merveilles.
Depuis ce jour-là, l’arbre ne rêvait que de visiter cet endroit, l’Afrique, mais ses racines l’en empêchaient.
Alors il commença à oublier le sens du mot joie…
… il commençait à perdre ses feuilles quand le mot tristesse s’assit à son ombre… … Fermant les yeux, l’arbre découvrit un nouveau mot, le plus sinistre : le mot mort. Alors le mot vent arracha l’arbre.
Un jour apparut dans le lointain un petit point qui approchait et ce petit point se transforma en l’oiseau qui avait jadis expliqué à l’arbre le sens du mot Afrique.
L’oiseau arracha à l’arbre qui parlait une des rares brindilles où s’accrochait encore le mot vie et … … s’envola…