La Pipe de Marcos
Aux habitants de La Realidad, aux communeautés indigènes du Chiapas, avec reconnaissance.
Titre : La Pipe de Marcos. Titre original : La Pipa de Marcos. Textes et dessins : Javier de Isusi. Traduction : Alejandra Carrasco. Lettrage : Eve Deluze et Gurvan Friderich. ISBN : 2-87827-089-4 Dépôt légal : quatrième trimestre 2005. © 2005 Astiberri Ediciones et l’auteur. Tous droits réservés. © 2005 Rackham pour l’édition française. info@editions-rackham.com www.editions-rackham.com Achévé d’imprimer en septembre 2005 sur les presses de Grafiche Milani à Segrate (Italie).
LA PIPE DE MARCOS
JAVIER DE ISUSI
Les Voyages de Juan Sans Terre I
Traduit de l’espagnol par Alejandra Carrasco
RACKHAM
Emiliano Zapata cria : “ Je veux de la Terre et de la Liberté !” Et le Gouvernement riait quand on allait l’enterrer. Víctor Jara, Corrido de Juan Sin Tierra
Zapata est vivant, la lutte continue ! Slogan populaire
QUELLE SALOPERIE ! JE COMPRENDS QUE JUAN AIT ARRÊTÉ.
BONJOUR. VEUILLEZ DESCENDRE ET ME MONTRER VOS PAPIERS.
OUI, BIEN SÛR.
MSZNRS… RSZNDS… AHA !
OK. LALO, PRENEZ NOTE.
OÙ ALLEZVOUS ?
ÀLALAGUNE MIRAMAR.
BON. VOUS N’ESSAYEZ PAS D’ALLER À LA REALIDAD, PAR HASARD ?
BEN NON, POURQUOI ?
LA PLUPART DES ÉTRANGERS NOUS DISENT ALLER À LA LAGUNE MIRAMAR… ET ENSUITE ON LES RETROUVE À LA REALIDAD.
ET ILS VONT À LA REALIDAD POUR METTRE LA PAGAILLE ? BEN DITES DONC… DRÔLE D’IDÉE !
ET ALORS ? OÙ EST LE PROBLÈME ?
ILS ESSAIENT DE NOUS BERNER EN SE FAISANT PASSER POUR DES TOURISTES...
VOYONS… VOUS AVEZ SANS DOUTE ENTENDU PARLER DES ZAPATISTES…
… ALORS QUE CE NE SONT QUE DES FAUTEURS DE TROUBLE QUI VIENNENT FAIRE AU MEXIQUE CE QU’ILS NE PEUVENT PAS FAIRE CHEZ EUX !
HMMM… VOUS VOULEZ DIRE LES ENFANTS QUI CIRENT LES CHAUSSURES ?
...VOUS VOYEZ OÙ JE VEUX EN VENIR ? à VRAI DIRE, NON.
COMMENT ÇA ? DES FAUTEURS DE TROUBLE, DES TERRORISTES… NE ME DITES PAS QU’IL Y A UN CONFLIT ARMÉ, AUSSI !
FAITES PAS LE MALIN ! JE VEUX PARLER DES TERRORISTES.
SIMPLEMENT, NE VOUS ARRÊTEZ PAS À LA REALIDAD ET VOUS N’AUREZ AUCUN PROBLÈME… COMPRIS ?
BIEN SÛR. MERCI POUR TOUT, SERGENT.
OUI ! MAIS AU RETOUR, ILS DOIVENT REPASSER PAR ICI…
NON, NON… RASSUREZ-VOUS, JE VOUS EN PRIE… NOUS SOMMES LÀ POUR VOUS PROTÉGER…
DE RIEN, MAIS JE NE SUIS PAS SERGENT. VOUS N’AVEZ PAS VU MES ÉTOILES ?
VOS ÉTOILES ! C’EST VRAI, EH BIEN, MERCI POUR TOUT, MA… LUMIÈRE…
ET FERNANDO ?
BONJOUR,L’AMI. OÙALLEZ-VOUS COMME ÇA ?
JE VIENS ICI, À LA REALIDAD. J’AMÈNE LA VOITURE DE LIAISON.
IL N’A PAS PU VENIR. IL M’A DEMANDÉ DE LE REMPLACER. J’AI ICI UN LAISSEZPASSER.
ATTENDEZ ICI, D’ACCORD ?
EH, L’AMI ! OÙ EST FERNANDO ? ILS’ESTFAITUNEENTORSE, IL N’A PAS PU VENIR.
COMMENT T’APPELLES-TU? VASCO.
VASCO ! ENCORE UN* ! IL NE VIENT QUE DES BASQUES ET DES ITALIENS !
ET TOI, COMMENT TU T’APPELLES ?
NON, MAIS MOI… JE N’AI PAS DIT QUE J’ÉTAIS BASQUE… ENFIN… BON… PAS GRAVE…
SOLÍN ?
EH BEN… EN VOILÀ UN PRÉNOM, TOI AUSSI.
ALLEZ, L’AMI ! VAS-Y !
*
VASCO, EN ESPAGNOL, VEUT DIRE BASQUE.
SOLÍN.
à BIENTÔT, SOLÍN.
T’EN FAIS PAS POUR LA BAGNOLE, ON S’OCCUPE DE DÉCHARGER.
ATTENDS ICI JUSQU’À CE QUE LE RESPONSABLE DU CAMPEMENT POUR LA PAIX T’EXPLIQUE LA MARCHE À SUIVRE, D’ACCORD ?
TRÈS BIEN.
MAIS... C’EST QUOI CE DÉLIRE ?
?
LES MILITAIRES !?
MAIS C’EST QUE…
C’EST TOI QUI AS AMENÉ LA VOITURE DE L’AGENT DE LIAISON ?
AH ! ET PUIS UNE LETTRE POUR «SILVIA».
CECI… DU RIZ, DES HARICOTS, DES LÉGUMES, DES JOURNAUX…
EUH… OUI.
GÉNIAL ! ENFIN DESNOUVELLES!
C’EST MOI, SILVIA. SILVIA RODRÍGUEZ.
ET QUE NOUS AS-TU APPORTÉ ?
SALUT !
MAIS NON ! JE PAR LAIS DE TA PLAISANTERIE. EN EFFET, ELLE ÉTAIT FACILE.
SILVIA RODRÍGUEZ ? DÉSOLÉ POUR LA PLAISAN-TERIE FACILE : TU CHANTES, TOI
HI… AH, OUI. DIS DONC ET… QUE FAIT UNE CHANTEUSE SI LOIN DE LA SCÈNE ?
AH… TU NE SERAIS PAS LA RESPONSABLE DU CAMPEMENT, PAR HASARD ?
NON ! C’EST NOTRE CHER
MOI, AU MIEUX, JE CHANTE DES CHANSONS POUR APPRENDRE À COMPTER, TOUT ÇA…
JE NE SUIS PAS CHANTEUSE, JE SUIS INSTITUTRICE.
TU VAS VITE COMPRENDRE POURQUOI ON LE SURNOMME AINSI. EN FAIT, IL S’APPELLE ERNESTO.
ET À PROPOS… OUI, MOI JE SUIS VASCO… JE VEUX DIRE QUE JE M’APPELLE VASCO…
COMME VASCO DE GAMA, OUI. QUI ÇA ?
*SILVIOALLUSION AU CÉLÉBRISSIME RODRÍGUEZ.
CHANTEUR CUBAIN
COMME VASCO DE GAMA, HEIN? ENCORE UNE PLAISANTERIE FACILE. TU NAVIGUES, TOI AUSSI ?
HMM ! BEN OUI.
ET QUE FAIT UN MARIN SI LOIN DE LA MER ?
ÇA ALORS !
SALUT, LETI.
POUR UNE SURPRISE, C’EN EST UNE ! VASCO À SAN CRISTÓBAL DE LAS CASAS !
ALLEZ VIENS, ENTRE. QUE FAIT UN GARS COMME TOI SI LOIN DE LA MER ?
ÇA FAIT COMBIEN DE TEMPS, VASCO ? HUIT ANS, AU MOINS… T’AS L’AIR PLUS MAIGRE ET PLUS RIDÉ.
OH, MERCI ! TOI, EN REVANCHE, TU N’AS PAS PRIS UNE RIDE.
MMM… C’EST UN COMPLIMENT ?
PLUS MAIGRE ET PLUS RIDÉ, MAIS TU N’AS PAS DU TOUT CHANGÉ.
à TOI DE VOIR.
MENS-MOI UN PEU ET DIS-MOI QUE TU N’ES VENU QUE POUR ME VOIR.
JE NE SUIS VENU QUE POUR TE VOIR.
POURQUOI AS-TU TANT TARDÉ, VASCO ? JE T’AI ATTENDU.
POUR ÇA, JUSTEMENT. ET PUIS T’ÉTAIS AVEC JUAN.
AH, JUAN… JE NE PENSAIS PLUS À JUAN.
OH-EH ! LETI ! à D’AUTRES !
JUAN A DISPARU IL Y A ENVIRON SIX ANS SANS LAISSER LA MOINDRE TRACE.
BON… J’AURAIS DÛ M’EN DOUTER. TU ES À SA RECHERCHE.
CROIS-MOI, TU ES LA SEULE PERSONNE QUI PUISSE M’AIDER.
QU’EST-CE QUE TU RACONTES, ENFIN… JE SUIS VENU POUR TE VOIR.
BIEN SÛR, VASCO. AUTREMENT, TU NE SERAIS JAMAIS REVENU.
D’ACCORD. JUAN A DISPARU DE MA VIE COMME DE CELLE DE TOUT LE MONDE. POURQUOI DEVRAIS-JE EN SAVOIR PLUS SUR LUI ?
MMM… JE NE SAIS PAS. PEUTÊTRE PARCE QU’À L’ÉPOQUE VOUS ÉTIEZ ENSEMBLE.
ENSEMBLE ! TU PARLES ! JUAN ÉTAIT AVEC SES IDÉAUX ET SES MAROTTES !
PFF ! QUAND ON EST JEUNE, ON SE LANCE DANS UN TAS DE TRUCS !
QUAND JE T’AI RENCONTRÉE, TU LES PARTAGEAIS, SES MAROTTES.
APPELLE ÇA COMME TU VEUX. CE QUI EST SÛR, C’EST QU’IL FAUT BIEN VIVRE.
ET ENSUITE, QUOI ? ON VIEILLIT ?
éCOUTE, JUAN LANAIT À DIX MILLE. IL A INSISTÉ POUR QU’ON AILLE DANS UNE COMMUNAUTÉ INDIGÈNE «VIVRE SIMPLEMENT».
VIVRE SIMPLEMENT ! ÇA VEUT DIRE QUOI ? TIENS ! JUAN DISAIT LA MÊME CHOSE.
EH ! NE M’ENGUEULE PAS, JE NE SUIS PAS JUAN. QU’EST-CE QUI S’EST PASSÉ DANS CETTE COMMUNAUTÉ ?
ON ÉTAIT EN 94 ET IL Y A EU LE SOULÈVEMENT ZAPATISTE. AU DÉBUT, TOUT ÉTAIT SUPER, TU SAIS BIEN : UNE GRANDE sOLIDARITÉ ET TOUT LE TRALALA.
MAIS PENDANT QUE JUAN PASSAIT SON TEMPS À ASSISTER À DES ASSEMBLÉES, J’ÉTAIS LA SEULE À «VIVRE SIMPLEMENT».
VIVRE, C’EST TRAVAILLER, MANGER, PAYER DES FACTURES. TOUT CE QU’IL REFUSAIT D’ACCEPTER !!!
ET ÇA NE T’A PAS PLU.
À VRAI DIRE, NON.
ATTENDS, JE NE TE SUIS PAS… TU NE T’ES MÊME PAS INQUIÉTÉE ?
JE SUIS UNE FILLE DU BITUME, ET NON PAS DE LA BOUE ET DES MOUSTIQUES, MAIS JUAN NE LE VOYAIT PAS.
LE JOUR OÙ J’AI COMPRIS QUE JUAN AVAIT ÉPOUSÉ LA RÉVOLUTION, JE SUIS PARTIE…
NON. J’IMAGINE QUE S’IL LUI ÉTAIT ARRIVÉ MALHEUR, JE SERAIS AU COURANT. … ET JE N’AI PLUS JAMAIS EU DE SES NOUVELLES.
BON, ET COMMENT JE POURRAIS LE VÉRIFIER ? TUNEPEUX PAS LE VÉRIFIER.
TU NE POURRAS PAS ENTRER EN CONTACT AVEC L’EZLN*, ET À SUPPOSER QUE T’Y ARRIVES, JAMAIS TU NE POURRAS FAIRE PARLER UN ZAPATISTE, MÊME SOUS LA TORTURE.
J’AI ENTENDU DES BRUITS COMME QUOI IL S’ÉTAIT ENGAGÉ DANS L’ARMÉE ZAPATISTE DE LIBÉRATION NATIONALE. MAIS SI C’EST VRAI, ÇA N’A PAS DÛ DURER LONGTEMPS. NON, BIEN SÛR… JE NE VAIS PAS CHERCHER LE SOUS-COMMANDANT MARCOS, MAIS IL DOIT Y AVOIR UN MOYEN… PEUTÊTRE DANS LA COMMUNAUTÉ OÙ VOUS AVEZ VÉCU…
OUBLIE ÇA. ELLE EST CERNÉE PAR LES MILITAIRES. TU NE POURRAS PAS T’Y RENDRE ET ENCORE MOINS Y DEMANDER DES NOUVELLES DE JUAN. VOUS ÊTES IRRÉCUPÉRABLES.
PUTAIN DE VASCO… T’ES BIEN COMME JUAN.
*
EJERCITO ZAPATISTA DE LIBERACÍON NACIONAL (ARMÉE ZAPATISTE DE LIBÉRATION NATIONALE).
PRÉSENTE-TOI AU BUREAU DE LIAISON CIVILE AVEC ÇA, ON TE DONNERA UN LAISSEZ-PASSER. ON A BESOIN D’UNE PERSONNE DE CONFIANCE POUR TRANSPORTER QUELQUES VICTUAILLES À LA REALIDAD.
LA COMMUNAUTÉ OÙ ON A VÉCU. FERNANDO DEVAIT Y ALLER, MAIS IL S’EST FAIT UNE ENTORSE HIER.
QUI EST FERNANDO ?
ETLAREALIDAD EST… ?
MON COMPAGNON.
JE VOIS. TU M’AS SERVI TOUT TON BLABLA ALORS QUE TU FAIS TOUJOURS PARTIE DU SÉRAIL.
DIS-MOI UNE CHOSE, LETI… QUE CHERCHAIT JUAN, D’APRÈS TOI ?
FAIS ATTENTION, VASCO. ÇA NE RIGOLE PAS, LÀ-BAS. ÉVITE DE POSER TROP DE QUESTIONS.
JUAN SANS TERRE… LE ROYAUME SANS ROYAUME…
AU FAIT, SI TU LE RETROUVES…
J’EN SAIS RIEN ! IL PARLAIT DE SA PLACE DANS LE MONDE.
IL AIMAIT SE DONNER DES AIRS TRAGIQUES ET SE SURNOMMER LUIMÊME «JUAN SANS TERRE».
RAPPORTE-LUI CES AFFAIRES…
LE CHAPEAU QU’IL NE PORTAIT JAMAIS ET LA PIPE QU’IL NE FUMAIT JAMAIS.
… JE DIS QUEL JOLI CHAPEAU.
HEIN ? EUH… EN FAIT, IL N’EST PAS À MOI.
AH, AU FAIT…
SILVIA !
OH ! LE
NE FAIS PAS TROP ATTENTION À CE QU’IL RACONTE.
ENFIN, JE T’ABANDONNE À TES PENSÉES, TU AVAIS L’AIR DE BIEN T’AMUSER.
BONSOIR, JE SUIS ERNESTO, LE RESPONSABLE DU CAMPEMENT POUR LA PAIX DE LA REALIDAD.
ON POURRAIT CAUSER UN MOMENT ?
OUI, BIEN SÛR.
DONC, SI J’AI BIEN COMPRIS, VOUS DITES QUE JE NE DOIS PARLER À PERSONNE ET QUE JE DOIS PARTIR DÈS DEMAIN MATIN…
CE SONT DES CONSIGNES QUI VIENNENT DE TRÈS HAUT… J’ESPÈRE QUE VOUS COMPRENEZ.
OUI, BIEN SÛR… JE SUIS JUSTE TRISTE DE NE PAS POUVOIR RENCONTRER JUAN.
JUAN. UN AMI À MOI. IL EST ARRIVÉ À LA REALIDAD IL Y A ENVIRON HUIT ANS ET JE CROIS QU’IL EST ENCORE DANS LES PARAGES…
… QUI ÇA ?
UN CONSEIL, MON AMI : NE POSEZ PAS DE QUESTIONS.
BEN DIS DONC…
AU REVOIR.
PEUT-ÊTRE QUE JUAN EST EN TRAIN DE TE REGARDER, LUI AUSSI.
QU’EN PENSES-TU, TOI ?
FAIS COMME SI TU ÉTAIS UN MIROIR ET DIS-LUI QUE JE LE CHERCHE.
VASCO ! QU’EST-CE QUE TU FOUS LÀ ?
QUI… ? … JUAN ?
VIENS ! DÉPÊCHETOI !!
JUAN ? OÙ ES-TU ?
?
MAIS… QU’ESTCE QUE VOUS FICHEZ ICI ? VOUS M’AVEZFAITUNE PEUR BLEUE.
TU PEUX PARLER PLUS BAS !!!
! CHUUUTT T ! R PAS SI FO
SI LES PARAMILITAIRES T’AVAIENT TROUVÉ LÀ, TU L’AURAIS EUE, TA PEUR BLEUE !