Ben Katchor, Le juif de New York

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LE JUIF DE NEW YORK

TEXTES ET DESSINS DE BEN KATCHOR TRADUIT DE L’ANGLAIS (AMÉRICAIN) PAR ALEXANDRE SUERTE ET EMMA SUDOUR RÉVISÉ PAR LE PROFESSEUR A

RÉFÉRENCÉ À LA BIBLIOTHÈQUE NATIONALE DE FRANCE SOUS LE NUMÉRO 2-87827-107 Dépôt légal : Quatrième trimestre 2007 Copyright : Ben Katchor, 1998 Édition origittnale : Pantheon Books, 1999 Première édition française : Amok, 2001 Copyright : Rackham/le Signe Noir, 2007 pour la présente édition le Professeur A appears by Kurtezy of FRMK Graphisme : Studio Alzebra

Achevé d’imprimé au mois d’octobre 2007 sur les presses de Grafiche Milani à Segrate (Italie) pour le Signe Noir des éditions Rackham ÉDITIONS RACKHAM 26 RUE BRÛLEFER 93100 MONTREUIL-SOUS-BOIS FRANCE info@editions-rackham.com www.editions-rackham.com


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JUIF DE NEW YORK



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Nota bene : Les présentes notes ont été trouvées dans les archives du Professeur A (1871-2007).tt Elles sont ici reproduites avec l’aimable autorisation de l’Ink Intitut FRMK. Parvenues avec certaines lacunes, elles ont été authentifiées et reconstituées par nos services. Nous ne saurions être tenu comptables de leur corruption. Nous avons tenu à respecter sur cette double page l’interdit biblique de figuration de la création divine. Sous le signe noir la Direction

CONSEIL DE LECTURE

À L’INTENTION DES JEUNES DEMOISELLES GENTILLES, DE LEURS COMPARSES ET AUTRES NONCHALANTS LECTEURS Mesdemoiselles, J’entends dire que certaines d’entre vous, au prétexte que Monsieur Katchor est l’un des plus grands tailleurs de costumes pour hommes, se laissent penser que les pages lavées d’encre, qu’il compose à ses heures perdues, ne sont pas pour vos blanches mains. Soucieux comme je le suis de votre éducation, je ne saurais admettre de vous voir privées de la science de ce grand savant. Aussi me suis-je permis de rassembler à votre intention quelques notes. Ces préliminaires, vous les partagerez avec vos comparses lorsque, en tout bien tout honneur, vous ferez comme je vous le conseille, la lecture de ce remarquable ouvrage. Je ne tenterai pas l’analyse d’une caractéristique que l’on a souvent attribuée au Juif, à savoir l’humour ayant trait à la tragique et dérisoire condition humaine, en particulier la sienne. Et je ne m’attarderai pas plus que nécessaire aux questions religieuses qui sont loin de vos innocentes préoccupations quotidiennes. Les discussions pour savoir si l’Éternel, appelons-le Théo pour ne fâcher personne, a créé le monde en sept jours ou en six, n’ont pas lieu d’être ici. Je tiens aussi pour acquis que vous savez devoir au péché de la première femme les désagréments qui accompagnent la mission que la Nature vous a confiée l’heure venue : donner la vie. La multiplication est la plus ardente et la plus périlleuse tâche humaine. Vous n’ignorez pas qu’il y a très longtemps, après avoir peuplé le monde de bonnes gens et de bonnes choses, Théo vit que les fautes commises par les créatures étaient si nombreuses qu’il crut bon d’en venir à des moyens extrêmes. Lors du fameux déluge, il résolut donc d’emporter la race humaine dans les flots de sa colère, mais en sauva une portion : Noé et sa femme, ainsi qu’un certain nombre de couples d’animés, à qui il prodigua quelques secourables conseils nautiques. L’épisode a connu une certaine postérité. Rien à voir avec la sélection naturelle : il s’agit de sélection théologique. Car, depuis Abraham, qui par fidélité aurait été jusqu’à sacrifier son fils, le Très Haut a promis de sauver et multiplier les siens. Une promesse est une promesse. Un jour, Il entrepris donc, grâce à Moïse, de tirer les Hébreux hors d’Égypte et de l’esclavage où ils étaient tenus pour leur donner une Terre. Pourquoi pas plus un jour. Le sauvetage donna lieu à un nouveau déluge, la mer Rouge ouverte par le nouveau Noé se refermant sur les armées de Pharaon. Les anciens Égyptiens eurent manifestement du mal à se remettre de ce traumatisme, la chute de leur idolâtrie en atteste. Cet Exode, célébré jusqu’à nos jours, allait sceller l’affaire une fois pour toutes. On coucha l’accord par écrit. La tradition mosaïque donnait aux Hébreux leur Loi, la Torah. Du contrat résultaient bien entendu une fidélité sans faille et un certain nombre d’obligations minutieuses. Les punitions n’ont pas manqué quand, sous l’influence de païens divers, bien ou mal intentionnés, des entorses malvenues ont pu être pratiquées. Si David a bien vaincu Goliath, sa descendance parfois indigne a dû être, à l’occasion, sévèrement punie pour ses manquements ; que ce soit par les exils à Babylone ou par la destruction du premier temple du légendaire roi bâtisseur Salomon. Tous les prophètes n’y ont pas suffi.

Mais un jour, tout irait pour le mieux grâce à l’arrivée d’un Messie, un roi sacré. Les candidats au poste, nouveaux David, nouvels Adam ou Noé, nouveaux Moïse, voire Osiris en Horus renaissant, causèrent de grands désordres et mésententes. Sans compter les Magiciens. La ferveur israélite face à la domination romaine amena la seconde destruction du temple et la dispersion du royaume de Judée. Ce fut l’occasion, soyons brefs, vous n’y tenez plus, d’inscrire le Juif dans la malédiction et l’errance. Il allait bien devoir finir par faire avec. Ce serait pratique courante désormais, pour ceux qui n’ont pas de terre, d’avoir un pays dans le cœur ou l’âme, dans les airs ou dans le temps. Certains affirmèrent que c’était là le châtiment des Juifs pour n’avoir point vu venir le fils de Théo, c’est à dire Théo lui-même, appelons-le James pour simplifer. Dieu sait pourtant si on en a fait des images. Et les Indiens dans tout ça ? S’ils avaient lu qu’ils habitaient le Nouveau Monde, une terre promise, le Paradis terrestre, ils ne l’auraient sans doute pas perdu. Ces différents exemples, ô combien édifiants, démontrent qu’il est préférable, pour ne pas s’attirer d’ennuis, d’écouter ce qu’on vous dit. Puisque c’est écrit. N’allez surtout pas vous mettre en tête de faire des folies. Toutefois à vos âges, jeunes filles, où le gond sonore de la maternité n’est pas encore à l’heure de résonner dans les entrailles, vos pulsions créatrices, vos humeurs badines sont souvent employées avec profit et délice à la broderie. Aussi votre esprit enjoué s’éveillera sans doute si je lui dis qu’à la vérité Monsieur Ben Katchor est un intense, un délicat, un fieffé brodeur. Oui. Et d’ailleurs, parce qu’il ne se fie point au-delà du raisonnable aux textes, il les ajoure d’images (auxquelles il ne se fie point non plus). Elles lui permettent de donner la parole aux passants qui peuplent les avenues de sa fantaisie. Au fil de ses commentaires brodés, l’aiguille de sa voix court le papier mais elle coud également le temps pour assembler les pièces. C’est ça l’histoire. Aujourd’hui, les machines peuvent composer en silence des opéras de dentelle et on se prend à regretter le temps où on les entendait turbiner. Mais que sont ces miracles de la technologie par rapport à l’œuvre de la main humaine ? Vos phalanges graciles, qui donc les a entendu courir ? Votre âme amusée, qui donc l’entend tisser ? Qui voit les pensées malicieuses se changer en cathédrales textiles ? Moi, votre compagnon de jeu et précepteur aimable, je ne peux que les imaginer. Mais je les entends chez ce fameux juif de New York, Monsieur Ben Katchor. Penchez-vous, je vous prie, vous reconnaîtrez bien des points que dessine votre œil vif et pensent vos doigts agiles. Point callé, point décalé, point concasse, point michetonne, arcade sourcilleuse, pirouettes glissées sur motif historique... Le tout en coutures de virgules. Aussi, pour vous le recommander, je ne puis que modestement vous avouer que Le Juif de New York, en chair d’encre et os de papier, est la plus fine, la plus drôle, authentique et insensée des dentelles que j’ai jamais lue.


PETIT LEXIQUE

À L’USAGE DES PERSONNES OUBLIEUSES DES NOTIONS ET OBSERVATIONS RITUELLES LES PLUS RUDIMENTAIRES Chabbat : période de repos hebdomadaire débutant vendredi soir commémorant le repos de Dieu après la création du Monde.

métaphores, jeux de mots, permutation des voyelles ou utilisation de la valeur numérique des lettres de l’alphabet hébreu.

Chivah : période de deuil de sept jours que doivent observer les proches d’un disparu, et durant laquelle ils doivent respecter un ensemble de recommandations.

Minyan : assemblée de prières de dix hommes. Elle est nécessaire pour toute prière communautaire.

Chohet : personne habilitée à réaliser l’abattage rituel des bêtes.

Mohel : rabbin-chirurgien pratiquant la circoncision.

Haggadah : terme désignant le texte qui doit être lu pour la célébration domestique de Pessah, la Paque juive, qui commémore l’Exode des Israélites et la fin de l’esclavage en Égypte.

Phylactères ou tefillin : paire de petites boîtes quadrangulaires en cuir, contenant quatre passages bibliques sur de petits parchemins, que les hommes, à partir de treize ans, portent à la main gauche et sur la tête pendant l’office du matin.

Matsah (pluriel : matzos) : pain non levé. Consommé pendant Pessah, il rappelle l’esclavage et la délivrance puisque lors de l’Exode, les Israélites durent partir avant que leur pain fut levé.

Tichah Be-Av : jour de jeûne qui commémore la destruction du premier temple par les Babyloniens en 586 av. J.-C. et la destruction du second temple par les légions romaines en 70 ap. J.-C.

Mezouzah (pluriel : mezouzot) : petit rouleau de parchemin contenant certains passages de la Bible, traditionnellement fixé sur les montants des portes d’une habitation juive.

Tribus perdues, dix : la division des Israélites en douze tribus remonte aux douze fils de Jacob. Les dix tribus du royaume d’Israël, séparées du royaume de Juda après la mort du roi Salomon, furent en grande partie déportées par les Assyriens en 722 av. J.-C. La croyance selon laquelle, aux temps messianiques, Dieu regroupera les Juifs dispersés aux quatre coins de la Terre, a nourri les spéculations sur l’identité de ces tribus perdues. De nombreuses communautés d’Éthiopie, d’Inde ou du Kurdistan, se sont voulues ou ont été vues comme les descendantes des dix tribus perdues. Des Israélites britanniques ont même prétendu que le mot «british» dérivait de l’hébreu «Berit-ich» (homme de l’Alliance).

Michna : ensemble de soixante-trois traités de la littérature rabbinique qui recueillent la tradition orale de la Torah, composé sous l’impulsion de Rav Juda le Prince pour qu’elle ne tombe pas dans l’oubli par le manque de connaissances des Juifs et les persécutions. Accompagné de son commentaire, la Michna forme le Talmud. Midrach : étude rabbinique de la Bible ayant pour but d’expliciter divers points et de prodiguer un enseignement moral en recourant à divers genres littéraires, allégories,

Tsitsit : sous-vêtement garni de franges aux quatre coins et porté par les pratiquants.

PENSE-BÊTE

À DESTINATION DES RATS DE BIBLIOTHÈQUES AFIN D’ÉVITER DE DÉVORER DES LIVRES NON CONSACRÉS OUVRAGES CITÉS PAR BEN KATCHOR DANS LE JUIF DE NEW YORK Page 3, vignette 5 : Francisco Lopez de Gomara, Historia de las Indias, 1553. Page 6, vignette 8 : M. M. Noah, The National Advocal, 1821. Pages 7, 8 et 97 : Mrs Simon, The Ten Tribes of Israel Historically Identified with the Aborigines of the Western Hemisphere, 1836. Page 11, vignette 6 : M. M. Noah, Proclamation to the Jews, 15 septembre 1825. Page 19, vignette 6 : Berakhot, 9: 1. (Michna) Page 23, vignette 8 : M. Valtinau, Jerusalem in the New World, 1828. Page 24, vignette 6 : Dr. C. Leannox, Communing with the Brutes, 1829. Page 27, vignette 5 et page 28, vignette 3 : Joseph Priestley, Experiments and Observations on Different Kinds of Air, 1790. Page 32 : Abraham Abdulafia, The Book of Eternal Life, 1280. Page 36, vignette 4 : Rabbi J. Ollveys, On Public Nakeness, 1927. Page 36, vignette 6 : Anonyme, sermon inédit, 1830. Page 43, vignette 9 : Niles’ Register, 28 novembre 1829. Page 47 : Châteaubriand, L’Itinéraire de Paris à Jérusalem et de Jérusalem à Paris, 1811. Page 72, vignette 4 : Deutéronome, 4: 25. (Bible) Page 89, vignette 8 : Christophe Marlowe, Machiavel dans The Jew of Malta, 1633. Page 92, vignette 8 : The Evening Star, 5 octobre 1833.

OUVRAGES ENTRANT DANS LA COMPOSITION D’UN ANCIEN TESTAMENT L’ouvrage couramment désigné sous le nom de Bible est une véritable bibliothèque de livres saints hébreux auxquels les Chrétiens ont ajoutés les livres du Nouveau Testament (c’est-à -dire Nouvelle Alliance). La Bible hébraïque est devenue ainsi à leur yeux l’Ancien Testament. Quelques textes placés sous cette appellation n’entrent cependant que dans les canons protestant et catholique ** ou uniquement catholique* Pentateuque (ou Torah ) Genèse Exode Lévitique Nombres Deutéronome Livres historiques Josué Juges Samuel I et II Rois I et II

Chroniques I et II Esdras Néhémie Maccabée I et II* Livres prophétiques Isaïe Jérémie Lamentations ** Baruch* Ezéchiel Daniel**

Osée Joël Amos Abdias Jonas Michée Nahum Habacuc Sophonie Aggée Zacharie Malachie

Livres sapientaux Psaumes Proverbes Job Cantique des Cantiques Ecclesaiste Sagesse* Ecclésiastique* Tobie* Judith* Esther Ruth

























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