Rosita Warlock & Mr. Djub, Les mondes promis

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Les Mondes Promis



Mr. Djub

Rosita Warlock

Les Mondes Promis

RACKHAM


En regardant son jeu


L

« e monde veut définir deux catégories, le masculin et le féminin. Mais je regarde ce mélange qui est le mien et ma tuyauterie déglinguée me file la chair de poule, quand ce que je ressens fait passer le ventre d’une termitière pour une promenade hygiénique. Et de ce fatras d’arrière-cour, il me faut bien tenir à jour la topographie… Rôdeur et séductrice, casse-cou et prudence même, ordonnatrice et lâche, bâtisseur et génitrice, je suis tout d’occasion, je suis un terrain vague dont le jardinage n’invite qu’au vagabondage. Oubliant l’embrouille assez considérable, je suis entrée dans la vie, pour m’y situer, m’y découvrir, malgré cette première donne frisant au carré l’interdiction de séjour. Je ne veux plus loucher sur ma double nature mais révéler ce qui peut la fédérer, enfin descendre de mon balcon d’où la vue qui est belle reste toujours incertaine. Je saute ! Car, par cette envolée de naïveté me trouvant à cette époque bénie où les jours ne comptent que les heures, n’ayant pas encore vécu à l’ombre de deux décennies, je veux la vie de château et son ravitaillement. Je veux comprendre mieux, même avec en fardeau la quête nécessaire d’un repas et d’un lit.»



jour i

Celui qui broie du noir « Un paquet de temps que je traîne, et ce cafard encore. Je suis si différent, comment oublier ça ? Maudites larmes qui ne peuvent plus couler. Saletés de lettres qui ne me répondent pas. Au diable ce ventre que je ne peux pas remplir et ce corps qui voudrait m’asservir. Et foutue société qui veut que je me range à ses damnées saisons, que je m’arrange en sourdine avec mes convictions. Je chiffonne ces mots, beaucoup trop grands pour moi, qui comptent sur mon passage les bornes à se taper. Ce monde est intérieur et je n’y comprends rien. Mais c’est le seul au moins que je ne jette pas aux chiens. Quel « autre part » a la taille qu’il me faut ? ».



La petite chose

D

ans cette maisonnée de piaillements bien remplie vivait une famille de douce renommée. Un pourvoyait tout effort dehors à son sens dur et fort des responsabilités. Une gérait tout ce qui lui avait été donné de marmaille. Les petiots bien heureux n’y voyaient que du feu, mais entre le duo, cette jolie confiture allait changer de pot. Le clash fut un crash, dès lors que naquit le petit dernier. De figure en venant, le bébé n’eut point. Ou plutôt d’une tournure si vilaine que c’en était pitié. Le père se révolta, refusa cette lignée. La mère désespérée essaya d’oublier la chose qu’elle avait fabriquée. Malgré tout, chacun s’évertua à faire bonne figure auprès de ceux à qui la naissance avait été fanfaronnée. Décontenancés devant ce petit être aux membres fraîchement formés, les bonnes gens tout juste entrés voulaient si tôt partir, bredouillant sur mille tonalités des « Ah, je me sens mal ! », quand les méchants y allaient de leur « Oh la petite chose ! » et autres habiletés.



O

r tous, au sortir de la chambrée, étaient pris d’un furieux appétit de massacre. Et y mettaient du zèle. De mémoire, jamais le quartier ne connu autant d’hospitalisés ! Les parents entrèrent alors dans leur plus noire période. Le couple, si uni à l’accoutumée, vit s’étioler son foyer et les déménagements n’y purent rien changer. Partout, le drame semblait être programmé. La peur du jugement d’autrui rongea dans l’œuf la tendresse naturelle qu’attache normalement le géniteur à son fruit. Bien entendu, le bébé fut abandonné en quelque coin reclus. Tout petit qu’il était, le marmot n’en percevait pas moins le vacarme angoissant autour de son berceau. Mais innocent d’être en vie, se promettant merveille de cet événement-là, il grandissait déjà, dans le brouhaha, la rancune, le mal d’amour. On a coutume de dire que les petits pâtissent des grands. Mais c’est considérer le monde en plus étroit qu’il n’est et rabougrir la chose en grossiers raccourcis. Quand la réalité n’est pas celle espérée, elle est quoiqu’on en dise terre à retournement. De la boue peuvent naître les plus jolis présages, quel qu’en soit au départ le fameux équipage.



jour lxxx

Celle qui refuse la noyade « Ma naissance n’est pas qu’une marque au fer rouge après tout. La légèreté du gain est à considérer. Je sens pourtant que cette humeur tient de l’épisode et qu’elle peut faire la bascule d’une poésie manuscrite au coupe-gorge tragique, me recracher malade, pompée, morte. Quel abruti m’a dit un jour d’accepter ce foutu jeu ? À cette pensée fragile, une fenêtre s’entrouvre. Je fais le mur. Je le peux, à cette seule pensée… »



Le lapin voyageur

D

e cette ville s’échappe une rare quiétude. Ainsi fut attiré Lapin. La paisible cité augurait du plus réparateur des repos. Une aubaine car les ans cumulant les kilomètres, le compteur tournait pour cet insatiable bourlingueur plus vite que chez le voisin. Et sa lourde besace lui pesait décidément. Rapidement, Lapin chercha à gîter. Proposant le plus beau des poèmes contre un lit, il était toujours et partout fort bien accueilli. Grande fut sa déconvenue quand il réalisa que ses mots – ses plus précieux trésors – n’avaient dans cette contrée de valeur que pour lui. Pour les gens d’ici, tout service ou commerce réclamait son pesant de célopodes, garniture favorite d’une table qu’ils vénéraient, celle d’une protectrice dont l’estomac ne peinait jamais à se remplir. L’étranger s’étonna, protesta, il finit hors des murs.


S

i bien que dans la forêt voisine, pragmatique, il se rendit au verdict : « Allons, chassons le fameux papillon ». C’était oublier la fatigue. Vaincu, il s’allongea, retirant comme la tradition l’exige chez lui, sa tête, qu’il installa confortablement sur son flanc. Alors seulement, il passa sa vie en revue – rassurant défilé ! Tout petit déjà, il attrapait les mots. Un exercice périlleux, qui si l’on persévère, fait jaillir une à une les épines dorsales. Quel meilleur piège à mots ? Aucun, on le sait bien. Les mots ainsi capturés se laissaient manipuler, prêts à enluminer n’importe quel récit. Certains trouvaient vite et bien leur place. Les autres étaient stockés dans la fameuse besace. Émérite conteur dans sa région de naissance, Lapin s’était piqué de chasser les mots hors de sa portée. Cette audace l’avait jeté sur les routes.

A

insi sa besace contenait-elle, au fil du voyage, un tas de mots dont sa plume se montrait réfractaire (c’était à désespérer de la vider un jour). Il s’endormit, rêvant à la fortune qu’il n’avait pas dans ses filets. Au réveil, il fut incommodé de voir, à la place de sa tête posée plus tôt, un champignon. On ne va jamais très loin sans sa tête, on le sait bien. Sans plus de discussion que ce bon sens-là, il vissa la chose à son cou. L’incident égailla l’animal qui sitôt déclama une fort jolie tirade, délestant son bagage de presque toute sa charge.

G

ardez-vous bien de dormir n’importe où si vous n’êtes pas outillés pour la fantaisie. L’aventure préfère celui qui se la raconte bien, quand les rêves aménagent l’imagination qu’il faut pour la mener.




jour cx

Celui qui veut s’amuser « Entrelacs corsés, jardinets passagers, salle commune privée du sordide convenu, liquides et miel : la flânerie du débutant. Maintenant, j’aime ça, je m’y enlise mais à la belle étoile, je fais tapisserie et c’est bien. Ça beugle tout au fond, ça s’exclame : je m’en vais battre la campagne, je mets les voiles. C’est ma levée d’écrou. Voyons si elle tient ses promesses, car si l’envie de baguenauder est sacrément bien ancrée, la peur de chavirer me fait encore faire la fine bouche ».



Princesse paratonnerre

D

ans cette ville, on naît et meurt sans avoir jamais franchi les portes du dehors. S’accommodant fort mal de cet état de fait, ses habitants se divisent en deux catégories. La première s’agite dès sortie du berceau, ourdissant sans malice autant de stratégies que la vie compte de jours. Les uns dressent des tours, d’autres creusent des puits, construisent des machines, coupent les cheveux en quatre, se perdent en conjectures. L’évasion les obsède, exaspère tous leurs sens, leurs imaginations dérangées les poussent à des extrémités. La raison ne demeure qu’un temps chez les gens séquestrés. L’autre partie de la ville n’a pas les mêmes manières, et exprime son culte en lui dressant des temples. En or et en vermeille, de ce matériau si précieux qu’aucune fleur rare ne peut rivaliser, de ces mailles tressées si serrées que pas une particule ne peut les traverser. Sur l’autel, dressée, leur idole arbore le plus gracieux des visages, et commande d’un cil à des paratonnerres.


L

a beauté ravie l’œil et fait passer le temps, quand les paratonnerres contrarient les colères (car il en a fallu, dit-on, pour en arriver là). Aux pieds de la statue, dans le marbre, gravés, sont comptabilisés les délices interdits du plus beau des voyages, de ses berges lointaines, de ses étrangetés. Bref, la somme des merveilles dont la population se sent hypothéquée. Prier une divinité et croire en sa bonté fait de bonne grâce accepter l’immobilité. La superstition contraint la patience du croyant, quand l’exaspération du désespéré engloutit les vertus d’un plan bien réalisé. Ces deux moitiés de peuple nourrissent de bien vaines chimères.

O

n peut porter la vie avec fatalité et prendre ses contours pour ceux d’une prison. Or, ses dimensions n’ont de réduites que celles de notre esprit. Ses couloirs sont si vastes, ses vergers si dotés, que pour qui sait y faire, bousculer l’ordinaire et réformer son train, c’est fortune qui est faite (encore faut-il s’entendre, outre la valeur des biens, sur le futur des gains).


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