Celui-ci aussi est pour Isabel.
Textes et deSsins : Álvaro Ortiz Traduit de l’espagnol par Alejandra Carrasco Rahal Révision : Sarah Détré Lettrage : Matthieu Rougé ISBN : 978-2-87827-187-4 Dépôt légal : deuxième trimestre 2015 © 2014, Álvaro Ortiz Published by agreement with Astiberri ediciones © 2015 Rackham, pour l’édition française contact@editions-rackham.com www.editions-rackham.com le blog de Álvaro Ortiz: www.veranomuerto.blogspot.com
Achevé d’imprimer en mars 2015 sur les presses de Graficart à Resana (Italie)
Je vais dans ma chambre écrire un peu, ok ?
Ok.
Ne fume pas. Ton père déteste que tu fumes à l’intérieur.
Je vais pas fumer, je vais écrire, ok ?
Putain, ça caille !
Bon…
Je ferme la porte pour être plus tranquille.
… mais fume pas.
Chéri…
Ton oncle Antonio… On vient de le retrouver mort.
Merde, maman ! Si je ferme, y a une raison !
Ton père vient d’appeler…
Et alors ?
Tonton Antonio ? Mince…
Ben non… Je t’ai envoyé un message.
Tu viens boire une bière ?
Ah zut… J’avais plus de batterie.
Bon, alors ?
L’autre jour il m’a raconté qu’il avait fait une rencontre sur Internet.
Mais de là à se tirer, je pensais pas.
Tu changes pas, toi…
Avec sa tronche ?
Ah bon ?
John est parti hier.
S’il a chopé sur internet, normal qu’il se précipite, putain.
Je vais ramer pour trouver quelqu’un qui accepte de bosser ici.
Me regarde pas. Hors de question que je bosse avec toi. Merci, trop cool… Bon, ça va. Tant que tu n’auras trouvé personne, je te filerai un coup de main.
Non, t’inquiète… C’est calme en ce moment. Je peux me débrouiller toute seule.
Sûr ?
Oui, va te soûler la gueule pendant que je dépéris ici.
T’en fais trop, là…
T’as rancard avec Trevor ?
Oui, vu que tu veux pas te le taper…
… Faut bien que je me dévoue !!
Va chier.
Je te raconterai demain.
Ok. Te mets pas minable.
Tchaooo !!
C’est qui ? Z’avez vu l’heure ?! Je t’ai prévenu hier.
Oui, mais tu m’as pas dit que tu viendrais si tôt…
Y en a un là…
Où sont les chats ?
Et l’autre, ici. Au fait…
J’aurai de quoi te rembourser tout à mon retour. Ce sera quand ?
Demain. Je viens donc après-demain te rembourser.
J’en sais foutre rien ! Ils doivent être par là… Cherche.
La semaine dernière j’ai dû racheter de la pâtée, alors tu me dois ça plus ce que je t’ai prêté et que tu m’as toujours pas rendu, ok ?
Vous pesez une tonne !
Miaou !
Soyez bien sages, hein !
Ils s’appellent ?
Ils ont pas de nom.
Si tu veux pas me le dire, c’est pas grave.
C’était vrai, les chats n’avaient pas de nom.
Tu as quoi, là ? Des chats ?
Mmh…
Ils vont faire tout le trajet là-dedans ? Les pauvres !
Pas la peine d’être désagréable.
Mon oncle Antonio était mort deux mois plus tôt à l’âge de 55 ans.
C’étaient les chats de feu mon oncle et je ne l’avais jamais entendu les appeler par leur nom.
C’était un gars costaud, il aurait parfaitement pu survivre à son infarctus.
J’en ai ras le cul de nettoyer les saletés de ces PUTAINS DE CHATS.
Mais il l’a eu en montant l’escalier.
On a retrouvé son corps longtemps après, car … il parlait presque il vivait seul, en dehors de la ville… plus à mon père depuis
quelques années.
Ensuite nous avons dû C’est le facteur qui s’est d’abord étonné de son absence. Il a fallu faire venir aller mettre de l’ordre Il a trouvé bizarre qu’il n’ouvre pas pendant plusieurs une entreprise de net- à l’intérieur. jours. toyage car le cadavre Ça pue Et puis il y avait commencé à se encore avait une drôle décomposer, la maison … d’odeur… était une vraie porcherie. Ça EMPESTE, oui…
La fourrière ? Oui, enfin, un refuge pour chats ou un truc dans le genre…
Quand j’ai demandé à mon père où étaient passés les chats de tonton, il m’a dit que les gens de l’entreprise de nettoyage les avaient amenés à la fourrière. Ah bon…
J’aimais bien ces chats, moi.
Pardonnez mon manque d’éducation. Je parle de chats alors que je ne me suis même pas présenté.
Pouvez-vous m’ouvrir la soute, s’il vous plaît ?
Je m’appelle Malmö. Malmö Rodríguez.
Avant de monter dans ce bus, ma vie était plutôt banale et monotone.
Pause de quinze minutes !
Alors, les minous ?
J’aimerais voir si les chats se portent bien.
J’avais vingt-trois ans. J’avais fini mes études et j’étais sans travail.
Je vivais encore chez mes parents. Je leur disais que je cherchais du boulot, mais c’était du pipeau intégral.
Fin de la pause ! Tout le monde à bord !
Je voulais déjà devenir Mais pour être franc, je n’écrivais pas des écrivain à cette époque. masses non plus.
J’avais un blog…
Cela dit, c’était déjà passé de mode, n’importe quel blaireau en tenait un.
Excusez-moi, le bus qui part pour… Au guichet !
Le bus qui part pour ?
Quai 20. Dépêchez-vous, il va partir !
Miaaaouuu ! Le voyage fut vraiment galère.
Ce que je voulais, c’était écrire. Écrire un roman, un recueil de nouvelles, quelque chose de ce genre.
Mais revenons à nos moutons…
Un truc sérieux.
Chez moi, la dispersion régnait…
Je voulais trouver un travail pour gagner un peu J’étais convaincu que d’argent et pouvoir me tirer de chez moi. si j’avais mon propre appart, serait-ce un boui-boui, je pourrais m’asseoir tranquillement et mon satané roman s’écrirait tout seul.
… le trip de l’écrivain maudit écrivant dans des bars mal famés ne m’a jamais vraiment branché.
Terminus !
Mais à ce moment-là j’avais rien.
On est arrivés.
Arrêtez de faire la tête…
Miaouuu !
Enfin si…
J’avais eu une idée folle.
… qui allaient enfin me rapporter un peu de fric.
Et j’avais deux chats…
Bien que la porte fût Mais au bout d’un moment, comme personne … je suis entré légèrement entrouverte, ne venait ouvrir… j’ai sonné. Allô ?
Miaouu ! Ooééh !
Allô ??
Y a quelqu’un ?
On dirait que non…
Boonjouuuur !!!
Ne fais plus un pas…
…ou je t’explose la tête !
Qui es-tu et que fais-tu chez moi ?
Hep, hep, hep ! C’est moi, Malmö Rodríguez !
Malmö Rodríguez ?
Oui, putain ! Le mec aux chats !
Je vous apporte les chats !!
Mollo !
Regardez-les ! Il était prévu que je vienne aujourd’hui !!
Les chats…
Coucou, minous ! Vous avez fait bon voyage ?
C’est vrai…
Les chats…
Je peux les faire sortir ?
Si tout est fermé, à priori… ils ne devraient pas s’échapper…
Euh… oui…
Regarde comme ils sont beaux ! Tout noirs…
Coucou, minous !
On m’avait jamais braqué avec une arme.
Tu restes dîner ?
Et coucher, non ?
J’aurais plutôt dû prendre mes jambes à mon cou, mais j’avais demandé à passer la nuit là parce qu’il n’y avait pas de bus de retour avant le lendemain.
On dirait qu’ils m’apprécient.
Il m’a donc fallu un long moment avant de me détendre… Gouzi, Gouzi !
Oui, c’est vrai, on avait dit ça.
Le lit n’est pas fameux. J’ai rarement de la visite… mais pour une nuit…
Je vais te montrer ta chambre.
Pour une nuit, ça ira, merci…
Si tu veux te reposer un peu, te gêne pas.
Descends quand tu veux, on préparera quelque chose à manger, ok ?
Je suis resté un moment assis là. Et je me suis quand même dit que j’étais peut-être allé trop loin.
Il était clair qu’une personne prête à dépenser autant d’argent pour ça…
Tu m’excuseras, mais je ne suis pas un cordonbleu. Pareil pour moi.
Mmmm… Je préfère ne pas te le dire.
… ne pouvait pas tourner très rond…
Les minous vont dîner aussi. Hier, au supermarché, je leur acheté de la pâtée.
Bon, bon, c’est pas grave. Je peux t’appeler par ton pseudo Internet… Collectionneur…
Oui.
Ça te dirait, un bon tournedos, hein ? Parfait.
Au fait…
Ha, ha… Je sais que ça paraît bizarre, mais pour une nuit, ça change rien, non ?
J’arrive, merci.
Je peux aussi faire un peu de salade, et puis j’ai du fromage.
Je ne connais toujours pas ton nom.
À toi de voir. Ça m’est égal.
Tiens, avant que j’oublie…
Voilà le rapport d’autopsie.
J’ai préparé ton argent…
Avec ça on est quittes.
Oh, merci beaucoup. Fallait pas… Fallait pas…
Tout quoi ?
Là ? En dînant ?
On ne m’a donné que des grosses coupures, j’espère que ça ne te dérange pas.
Génial. T’es parfait.
Même si je te l’ai déjà envoyé par mail, j’ai pensé que t’aimerais avoir l’original.
Non, pas du tout, parfait.
Tiens !
J’en ai mis un peu plus pour tes frais de voyage.
Allez, viens au salon, le dîner est prêt et j’aimerais que…
À ton avis, bon sang ! Sur les chats !
Bon, si tu veux…
… tu me racontes tout.
Ah oui, les chats.
Et n’omets aucun détail, ok ?
Comme il me l’avait demandé, je lui ai tout racon- Je vous ai parlé tout à l’heure de mon oncle, son infarctus et ses chats, mais pas de l’aspect le plus té par le menu. scabreux de l’histoire.
Quand il est mort, toutes ses fenêtres étaient J’ai toujours trouvé Si bien que, le moment n’était pas très venu, ils n’ont pas fermées, les chats n’avaient presque plus rien qu’il sympa avec eux. hésité à le MANGER. à manger…
Ils ont commencé par les parties saillantes, je ne sais pas comment on dit…
Quand la police l’a trouvé, il paraît qu’il Mais ça, c’est pas n’avait plus de visage. le pire.
Les oreilles et le nez, qui sont molles et faciles à mordiller.
L’escalier avait une Légère, mais suffisante D’après le policier, c’était… marche abîmée et, en pour qu’après avoir tombant, mon oncle dévoré son visage… s’y est fait une légère entaille sur le ventre.
… les chats se mettent à grattouiller sa plaie.
Grat grat
C’était abominable, une vraie boucherie…
Ils ont commencé par trifouiller la blessure et ont fini par lui arracher les boyaux et les éparpiller dans tout le salon.
Le policier a dit que pile au moment où il entrait…
On avait presque l’impres- Que, sous prétexte sion que ça les avait de mourir de faim, amusés.
ils en avaient profité pour se venger de ce type qui depuis des années leur filait des coups de savate.
… un des chats avait littéralement plongé la tête à l’intérieur du cadavre. Eh ben ! Ha ha !
Berk…
Quel tableau !
Pourvu qu’ils ne m’étripent pas durant mon sommeil.
Ils ont l’air si mignons…
Le hasard fit le reste : peu après, je suis tombé sur un site où on achetait et vendait des objets en rapport avec des tueurs en série et autres charmantes atrocités.
Tu pouvais aussi bien trouver un pack de photos prises à la soirée de la Famille Manson chez Sharon Tate que des pièces originales de la vaisselle dans laquelle ils dînaient ce soir-là.
Et je me suis dit qu’il y avait peut-être un J’ai donc passé plusieurs semaines à tenter de malade mental prêt à payer pour des chats retrouver aussi bien le refuge qui travaillait habituellement avec la police… qui avaient dévoré et étripé un cadavre.
Je me suis inscrit sur le site, j’en ai parlé dans un des forums, j’ai vu que cela suscitait un certain intérêt, à condition de fournir des preuves.
Au refuge, je suis tombé sur un gars qui n’était pas au courant de l’affaire et qui a trouvé formidable que je récupère les chats.
Tu fais une très bonne action, tu sais ?
Je sais, je sais…
… que le rapport d’autopsie attestant que, une fois décédé, M. Antonio Rodríguez Sterling avait été “ partiellement ” mangé par ses deux chats.
Mon oncle aurait apprécié…
Je ne pouvais pas emmener les chats chez mes parents, alors je les ai laissés chez un pote. Enfin, pas vraiment un pote. C’était le gars chez qui je chopais des bédos. Je ne lui avais rien raconté. Juste quelques jours. Ils sont… très… sages.
Quel con, l’autre gars…
En attendant, je négociais avec deux acheteurs qui se sont tiré la bourre pendant des jours et des jours, jusqu’à ce que l’un se retire.
Pas mal, oui.
Et ça fait longtemps que tu collectionnes… ce genre de trucs ?
J’ai déjà eu affaire Comment dire… à lui dans des Le type était comenchères… plètement barje, mais l’épisode du Je finis toujours flingue mis à part, par les emporter. il n’avait pas l’air dangereux. Je parle pendant presque tout le dîner, mais à la fin il se met à inventorier avec émotion certaines de ses pièces.
grounch grounch
Il mentionne un coupepapier dont une femme s’est servie pour poignarder son mari au début du XXe siècle.
Un paquet de cigarettes ayant appartenu à Henry Lee Lucas.
À un moment, il y a un blanc dans la conversation. Je me dis que c’est bon comme ça, le sommeil a raison de ma curiosité.
Une édition de “ L’Attrape-cœur ” récupérée parmi les restes d’un avion scratché.
En tout cas, merci d’avoir pris la peine de venir jusqu’ici.
Bien. Je suis fatigué, je vais me coucher. Oui, je suppose que tu as fait un long voyage.
Miiiiaaaaouuuu !
Tu dormiras bien là-haut, et n’aie crainte, personne n’est mort dans cette chambre.
Mais il n’approfondit pas trop. Il ne m’explique pas ce qui pousse quelqu’un à dépenser autant d’argent dans une telle collection.
Une marchandise d’une si grande valeur ne pouvait pas être expédiée n’importe comment.
Quoi ?
Ha, ha ! Je pensais qu’un garçon dégourdi comme toi se serait renseigné avant de venir…
La maison !!
Août 2009… Dans cette salle à manger !
C’est-à-dire ?
Oui, voyons ! La maison est la PIÈCE MAÎTRESSE DE MA COLlECTION !!
La maison ?
Comme toutes Après un bon moment à boire et disles semaines, cuter allègrement, John s’éclipse un John Dennings instant aux toilettes ou pour aller invite ses amis à dîner. chercher de la bière.
Mais il revient en brandissant un fusil et se met à canarder ses invités. D’abord au fusil, puis au revolver.
Certains meurent sur le coup. Les autres…
Il les achève à coups de hache… Un à un.
Tu me fais marcher ?
Pas du tout, hi hi. Quand tu rentreras chez toi, tu vérifieras. Plusieurs journaux en ont parlé.
Non. Juste après sa besogne, il s’est fait sauter le caisson.
Il n’a laissé aucun mot, personne n’a jamais su pourquoi il avait fait ça.
Bang !
Pas encore ! Hahaha !
Et qu’est-il arrivé à ce Dennings ?
On l’a arrêté ?
Toujours est-il qu’il les a tous tués dans ce salon.
Et depuis le temps que j’habite ici, je n’ai jamais rencontré le moindre fantôme.
En gravissant l’escalier, je l’entendais encore parler avec les chats et rire aux éclats. ha ha ha
À l’époque, j’avais des problèmes de sommeil. Cette nuit-là, je me souviens, quand je me suis mis au lit, avec toutes ces images dans la tête du type en train de massacrer ses amis…
… je suis tombé comme une masse.
Tu m’apportes de la moutarde, ma jolie !
T’as pas du gel pour les cheveux, ma belle ?
Et du ketchup ?