Lukas Jüliger, Vacuum

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Lundi


Pour Maman et ma sœur.


Ce matin-là,   ma mère m’avait préparé des sandwiches à emporter.

Bizarre. Ça aurait peut-être dû me faire réfléchir.

Elle ne l’avait plus fait depuis mes dix ans.


Mais ça ne m’a pas fait réfléchir.

Pas plus que d’apercevoir Ben Fimming.

Il avait un an de moins que moi et, au lycée, son grand frère avait été dans la même classe que moi. Je n’en savais pas plus sur lui.

Ce que je savais, c’est que, ce lundi matin, il emportait un matelas dans la forêt. Si on peut dire que ça le caractérisait.


C’était peut-être la fatigue, mais en tout cas, je n’y ai plus repensé de la journée.

En cours de gym, on a fait un ballon prisonnier avec plein de balles.

J'ai été éliminé tout de suite.

Le sport représentait une « contrainte psychique trop lourde ». Sho, mon meilleur ami, n’était pas obligé de jouer à ce jeu débile.

Depuis peu, il avait une dispense médicale permanente.


Tie l a vns. Tu eux ?

Ta lampe de chevet  ? J’en ai déjà une, Sho.

Mmm.

Merci.

Elle, je fis sa connaissance pendant mon heure de pause. Je m’étais allongé derrière la salle de bio et j’essayais     de réfléchir.

Bientôt, ce serait les vacances. Puis viendraient les examens. Ensuite, on en aurait fini ici.


Elle était dans la même classe que Ben Fimming et jusqu’à il   y a trois mois, je ne l’avais pas remarquée.

Si un jour tu avais osé me parler, tu m’aurais dit quoi ?

Je ne connaissais pas cette voix.

Mais je savais à qui elle était.

Et puis je l’avais revue au bahut.

Pendant les pauses.

C’était le lendemain du jour où Sho avait disjoncté et j’avais zoné toute la journée dans les environs. Elle faisait à peu près la même chose que ce jour-là.

Elle était seule. Fumait. Me regardait.


Quoi qu’on fasse, quand on a le soleil dans les yeux, on a l’air crétin.

Salut.

C’est original. Et si on se voyait ?

Ça a l’air…    cool.

Tu aurais envie qu’on se voie ?

Je trouve aussi. On fait les présentations officielles maintenant ?

Oui. Disons ce soir chez moi à dix heures ? Voilà mon adresse.


Son nom évoquait l’été. Je ne comprenais pas comment j’avais réussi à décrocher ce rencard en moins de trente secondes.

Mais sur le chemin du retour, j’ai remarqué pour la première fois comme il faisait chaud d’un coup.

Un truc qui avait déclenché l’été. On le sentait partout : il s’était passé un truc.


Mm

m.

C’est bon signe qu’il se sépare d’un objet, ça veut dire qu’il est prêt pour un nouveau départ. Je lui dis que je fais quoi ? Que je zone ? Je n’ai aucun hobby.

l Qu’est-ce qu’i y a ? Tu es bien agité.

Euh…

C’est faux. Sho et toi vous avez toujours… … Bon

Ou alors, si… non, ça aussi vous le faisiez ensemble.

Laiss réfléce-moi hir !

Non, ç’éatait aussi ecux. àd

Elle ne t’interrogera pas sur tes hobbies. Tu ne lui écris pas un poème  !


Je suis le mec le plus nul du monde !

Ce n’est pas vrai.

La palme revient à ton père.

Oh ! Bonjour, Sho.

Mais il savait  donner le   change.

Euh…

Il… Vous voulez mes plantes ?

Je n’en ai plus besoin.

… Il les a toutes apportées ici ?


Salut.

Une plante ! Comme c’est gentil.


Par ici.

Mets-toi à l’aise. Tu aimes le vin rouge ?

O de ui, ou pro i, pas blèm e.


Tu      joues au   théâtre   de marionnettes ?

Ma mère est en train de ranger le grenier, elle l’a retrouvé.

J’y jouais quand j’étais petite. Je le trouve mignon. Et tu peins ? C’est toi qui les as faits ?

Ce sont…

… c’est quoi ?

, Tiensvin. ton

Mon Dieu, John ! Comment un seul t être peut-il avoirlui tan ? de haine en e Toute landhea…in du mo

Allez, viens, Trish…


On a regardé un film. Ça parlait d’un type qui se venge d’un autre. Je n’ai presque rien capté.

Elle sentait si bon…

No laissen-, m oi !

Le film durait quatre-vingt dix minutes et la seule chose qui m’est restée, c’est son odeur à elle.

On n’a pas échangé un seul mot, mais c’était cool. Ce n’était pas un silence pénible.

On a juste bu du vin

et regardé le film.


Au moment du générique, elle a commencé à s’agiter.

i ? Quo ça ? Où

Écoute, c’est super con, mais il faut que je ressorte.

Dehors. Il faut que je sorte.

Ah …

Tu dois y aller.

Désolée, ce n’est pas à cause de ce soir ou quoi, c’est juste…

… que je dois…

…  Ok.

Oui. On aura plus de temps la prochaine fois. Promis.

aine La pro.chOk. fois La prochaine fois.

Voilà ce que fut ma journée. Et mon rendez-vous. Il ne s’était rien passé. On avait fait connaissance.


Mardi


Le lendemain, en arrivant au bahut, j’ai tout de suite senti qu’il s’était passé quelque chose.

C’était dans l’air.

Sho ?

Il s’est passé un truc ? Ils sont tous drôlement excités…

Ben Fimming a forcé Léa Shavano à lui faire une pipe et il s’est tué.


Il faut savoir que Léa Shavano était la fille que tout le monde connaissait ici.

Elle avait un corps parfait.

Un copain super musclé.

Quasiment tous les garçons étaient amoureux d’elle.

Elle était déléguée  de classe, elle s’impliquait.

Et toutes les filles, ou presque, voulaient lui ressembler.

Elle souriait aux gens.

Elle donnait chez elle des cours d’allemand   à ceux qui étaient  mauvais.

C’était ce genre de fille.


Ben Fimming était l’un de ceux-là. Et son grand frère, Jano…

… était dingue de Léa.

Suite à un incident dans les toilettes des filles, Jano fut viré du lycée.

Et on le surnomma très finement « Janola-pisse ».


Mais Léa avait bon cœur. Elle continua d’aider Ben.

C’était un gar çon ordinaire, timide,  discret. Elle l’aimait bien.

Il n’y était pour rien si son frère l’avait filmée en train de pisser.

Elle ne pouvait imaginer que, pour Ben, le lycée était devenu un enfer à cause de ce qu’avait fait son frère.

veux ? Tu m’en

Non. Non, pas du tout. Hein ?

Ok.

Tu m’en veux pour hier ?

Tant x. mieu

Salut.

Alors, à plus. À plus. Je ne lui en voulais vraiment pas. Et après sa question, un sourire plana longtemps sur mon visage.


Alors que ça avait eu lieu seulement la veille, les gens en savaient déjà long.

Chacun y allait de son détail et, à la fin de la journée, toute l’histoire avait été reconstituée.

À peu près à la même heure, Ben mourait dehors.

M. Shavano retrouva sa fille    déshydratée en rentrant du travail, vers dixneuf heures.

D’une overdose des tranquillisants qu’il avait mélangés à la  boisson de Léa. Dans son «costume des grandes occasions, genre mariages »…

…  que sa mère venait de lui acheter la semaine d’avant.


Mais, c’est affreux !

Vous vous connaissiez ?

Jano-la-pisse.

Non. Mais son frère était dans la même classe que moi.

Celui qui s’était fait virer. Le garçon des toilettes ? Je plains sa mère.

Quoi ?

Tu as l’air malade.

Tu as pris froid ?

Hein ? Non. Il ne fait pas froid, on est presque en été.

Tu sais quoi ? Je vais nous mijoter un petit dîner.


En tout cas, c’était la pire chose qui soit jamais arrivée ici.

Mais ça ne me perturbait pas.

Peut-être parce que je    n’avais jamais entendu le son de la voix de Ben Fimming.

Je ne sais pas pourquoi.

Je ne pouvais penser qu’à une seule chose : l’odeur de cette fille.





q Sho, u’est  tu fo-ce que us ?

Comment tu m’as trouvé ?

Tout est calme en ville. On t’entend de loin.

Tu veux essayer ? Sinon, j'y mets le feu. J’ai déjà versé l’essence.

Pourquoi tu bousilles toutes tes affaires ? Ta mère se fait du souci.

Non, merci.

Pourquoi tu brûles tout ça ici ?

Je ne peux  pas mettre le feu à notre baraque.



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