Pour bien faire les choses, il nous aurait fallu un plan à l’échelle 1:5e, très détaillé, avec tous les assemblages décortiqués. Pour être tout à fait honnête, Pierre-Éloi a realisé ces plans une fois le fauteuil terminé, parce que le temps nous a manqué. On s’est lancé dans la fabrication sans avoir décidé exactement tous les détails. Les plans détaillés du fauteuil sont accessibles sur nos sites internet (votre moteur de recherche saura nous trouver). Libre à tous de les utiliser, ils sont là pour être partagés et réappropriés. Ce livre servira d’instruction d’assemblage !
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À Lacabarède se trouve l’atelier de menuiserie de Frank, lui-même du métier. Maxence et moi allons lui emprunter ses machines pour réaliser ce fauteuil qui a été conçu. 82
J’ai rencontré Maxence chez Pierre-Éloi, à la crémaillère de leur maison. C’était il y a quelques années déjà, mais je me rappelle que, quasi instantanément, nous nous étions mis à parler de plaisir à toucher le bois, de gestes manuels et d’outils bien utilisés. Il est ébéniste et charpentier et se déplace de chantier en chantier. Comme il est toujours de bonne humeur et qu’il a des amis partout, il a des chantiers partout. Un jour, il se trouvera un atelier quelque part, mais pour le moment ça lui convient d’avoir tous ses outils dans son camion. Il est libre de choisir d’accomplir des projets plus ou moins farfelus à droite et à gauche, fabriquer un fauteuil pour 8 fesses, par exemple.
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Le bois, nous, tout le monde est arrivé à l’atelier de Frank. La fabrication commence ! 84
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1. Échauffure : altération de la couleur et de la structure du bois par des champignons se développant dans la sève qui fermente, cf p. 54 86
En forêt, l’arbre a été choisi entre différentes morphologies et multiples essences.
Une fois à terre, on a trié le bois qui allait être sciable et ce qui serait destiné à du bois de chauffage.
Le tronc scié et sec, on a choisi des planches parmi d’autres selon leurs défauts, leurs positions dans le tronc, leurs épaisseurs.
Enfin, au sein d’une seule planche, on extrait le bois qui correspond à ce que l’on veut en faire.
solides). Maxence me rassure en me disant qu’il y a inévitablement un petit quelque chose qui fait que jamais le bois n’est parfait. Cependant, non, effectivement, nous ne sommes pas les plus économes dans notre débit. Et là, c’est moi qui lui rappelle qu’au moins, ce bois n’est pas fendu en bûches déjà brûlées.
Courbure, échauffure, vers, cœur excentré, nœuds… Elles ont beaucoup de défauts, les planches de ce hêtre et il y a pas mal de matière que l’on n'utilise pas (par exemple, on met de côté les parties échauffées qui peuvent comporter de jolis motifs, que l’on pourrait valoriser pour des objets à qui on ne demande pas d’être 87
Quand on observe cette chute vraiment pas utilisable, on voit le cœur de l’arbre et le départ de jeunes branches tombées au fil des années passées. Quel âge avait-il alors ? 15 ans, 30 ans ?
Pour répondre à ma question, j’ai pris la pièce de bois et j’ai regardé le bout de plus près…
Surprise ! Car ce dessin n’exagère pas le contraste entre les 23 premiers cernes1, extrêmement serrés autour du cœur de l’arbre et les accroissements immenses qui ont suivi. Cela confirme ce que j’avais déduit p. 16 et me permet d’imaginer plus précisément les grandes étapes de la vie de notre bonhomme. 1. Cernes : Les cernes sont les accroissements produits chaque année par un arbre. Les différences de couleur entre les cellules produites en début de printemps et celles de la fin de l’été permettent facilement de les compter. Notons que plus les cernes sont larges, plus l’arbre a crû rapidement en diamètre. 88
Les hêtres sont capables de rester de longues années sans avoir accès à la lumière directe. Ils attendent patiemment leur heure, à l’ombre.
Cette heure arriva pour notre arbre le jour où des humains rasèrent le taillis. Je sais que la position de la pièce de bois dans l’arbre n’était pas au ras du sol mais à 1 ou 2 mètres (hauteur de la souche + purge de la partie échauffée), donc je pars du principe que les cernes que je compte p. 88 furent formées à partir de cette année où l’arbre entama réellement sa pousse en hauteur. Il avait donc entre 2 et 20 ans à ce moment. Le taillis rasé, la course à la lumière fut lancée et notre hêtre s’est maintenu en vie au milieu des châtaigniers dont la repousse est très rapide (ce sont les maîtres du taillis). Il poussa peu en diamètre pour privilégier sa hauteur et son accès à la lumière — ce sont les 23 années que j’ai pu identifer en page précédente. Je suis persuadé que s’il n’avait pas déjà eu un système racinaire au moment de la coupe du taillis (étape n° 2), il n’aurait pas pu tenir la concurrence avec des arbres issus d’une souche, c’est ce qui me permet de penser qu’il avait déjà vécu plusieurs années sous l’ombrage du peuplement précédent. À nouveau, les prédécésseurs de mon père rasèrent le taillis, c’était mon hypothèse p. 17 et laissèrent isolé le hêtre. Nous étions 55 ans avant 2017, je le sais parce que j’ai compté les cernes des châtaigniers.
Depuis, grâce à l’abondance de lumière, notre rescapé crût à toute vitesse pour devenir le balèze que nous connaissons. Je refais mes calculs : 55 + 23 + entre 2 et 20 Notre arbre avait vraisemblablement entre 80 et 100 ans !
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Dans ce livre, Mathias Bonneau retrace, par l’image et le texte, l’histoire d’un arbre — un hêtre — de sa vie dans une forêt du Tarn jusqu’à sa transformation en fauteuil, à 5 km de l’endroit où il a poussé. Mais cet ouvrage, entre carnet de bord et reportage dessiné, raconte avant tout l’histoire de quatre amis, amoureux du bois, qui se sont rassemblés autour de ce projet : un bûcheron, un scieur, un designer et un ébéniste. Utilisant le texte et le dessin, Mathias Bonneau nous fait vivre de l’intérieur les secrets de chacun de leurs métiers, le processus créatif à l’œuvre à toutes les étapes, les contraintes et les moyens utilisés pour concrétiser leurs idées, les imprévus également… Et l’auteur clôture avec l’intense satisfaction d’avoir réalisé un bel objet qui rend hommage à l’arbre et lui donne une seconde vie !
ISBN : 978-2-37922-089-0
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€