Luc DEVAUX
Faire ses graines potagères Gagner en autonomie & préserver les variétés
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Sommaire Préface de Philippe Desbrosses.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11 Graine d’abondance. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15 1 L’art de faire ses graines. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19 Une histoire de légumes & de domestication.. . . . . . . . . . . . . . . . . 20 Les variétés anciennes, un potentiel d’avenir ?. . . . . . . . . . . . . . . . . 24 Les variétés d’une même espèce se croisent. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28 La reproduction des légumes. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31 Les isolements.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39 La sélection. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43
2 De la graine aux graines. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51 Orchestrer vos cultures de graines. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52 Les semenceaux.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57 Les porte-graines. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 63 Récolte des porte-graines.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69 Extraction & tri des graines. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 77 Séchage, stockage & germination.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 85
3 20 cultures semencières. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91 Commencer sereinement.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 92 Les légumes faciles.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 94 Les légumes moins faciles. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 114
4 S’organiser entre jardiniers-semenciers.. . . . . . . . . . . . 134 Glossaire. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 136 Notes.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 137 Références et adresses pratiques. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 139
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Préface de Philippe Desbrosses Président fondateur d’Intelligence verte et du conservatoire de la ferme de Sainte-Marthe
Bien qu’ayant travaillé cinq ans avec Luc, venu rejoindre le conservatoire de la ferme-école à Sainte-Marthe, à Millançay, dans le Loir-et-Cher, je ne m’étais pas rendu compte que ses talents d’agronome et de chercheur se conjuguaient magistralement avec les qualités d’écrivain et de pédagogue qu’il manifeste dans ses travaux. En relisant la synthèse de cet essai, une phrase s’impose, « la graine est le premier maillon de la chaîne alimentaire », dont l’importance va bien au-delà des enjeux de notre subsistance quotidienne. Elle rappelle une phrase, visionnaire, de Camille Flammarion, « Toute vie sur terre repose sur la plante verte », qui n’est autre que de l’énergie solaire condensée, cristallisée, ajoutait-il. Merveilleuse inspiration qui nous suggère, en quelques mots, que nous sommes nourris et constitués de lumière, la lumière solaire par la transsubstantiation, issue du miracle permanent de la photosynthèse… Et tous les règnes, Le premier mandala de France créé en 2007 à Sainte Marthe en Sologne.
végétal, animal, humain, sont dépendants de ce phénomène que seule l’humble plante verte, terrestre ou (algue) marine, a le privilège de produire pour le maintien de la vie sur terre et la prospérité du monde dans lequel nous vivons ! – Il n’y a pas de sols fertiles s’il n’y a pas de plantes vertes. – S’il n’y a pas de plantes vertes, il n’y aura pas d’oiseaux, pas d’insectes, pas de mammifères animaux et humains, etc. La faune et la flore que nous côtoyons ici-bas n’existeraient pas… Tous les mystères de l’écosystème se traduisent dans cette poésie vivante que nous ne savons plus voir ni admirer. Plus de 300 sortes de légumes et 1 000 variétés de pommes figuraient, autrefois, sur les tables de France, et les centaines de variétés de céréales cultivées ont aussi, en partie, disparu au cours du xx e siècle. L’agriculture industrielle, uniformisée, réduite à quelques hybrides standards pour simplifier les productions de masse, a modifié irrémédiablement nos terroirs traditionnels. De ce fait, les agriculteurs font davantage
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appel aux artifices coûteux et délétères de la pétrochimie plutôt qu’aux fonctions naturelles et gratuites des écosystèmes comme le faisaient leurs prédécesseurs des agricultures vivrières… Contrairement aux idées reçues, la création de variétés nouvelles, à partir de la génétique, est dans bien des cas une coupable mystification pour un profit douteux et illégitime. En effet le « progrès » génétique procède, par brevets d’obtention, à l’appropriation du bien commun que constitue la biodiversité cultivée, patiemment élaborée depuis des siècles par des générations de paysans. La célèbre maxime de François Rabelais, « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme… », pourrait bien s’appliquer aujourd’hui aux promoteurs de ce progrès trompeur. Pourquoi ? La copie des qualités et des vertus d’une espèce est forcément approximative et aléatoire, car il serait bien trop coûteux, trop complexe et pour tout dire irréalisable de recréer une entité végétale identique à celles que la nature produit. Il faudrait prendre en compte les myriades de composants dont on n’a pas le temps de faire l’inventaire et dont on ne cherche pas à comprendre l’intérêt ni le rôle subtil dans l’environnement (cas des endophytes ou microbiotes des plantes et des sols). Voir davantage d’explications pp. 24-25.
En règle générale, on s’est simplement limité à modifier quelques aspects du génome pour rendre la plante différente en ciblant des propriétés et des performances immédiatement exploitables. Le principe de l’obtention végétale permet à son tour de légitimer une rétribution sous forme de licence, ce qui, d’une certaine manière, équivaut à breveter la plante et devient finalement le but principal de l’entreprise. Mais l’écosystème n’y retrouve pas son compte et, petit à petit, il se désagrège, entraînant toutes les conséquences funestes que nous observons dans l’infertilité et la désertification de contrées entières… J’ai donc commencé à retrouver et à collectionner, dès les années 1970, ces joyaux qu’on appelle « blé rouge inversable de Bordeaux » et « potiron doux », baptisé « potironmarron, ou pain du pauvre » dans le livre séculaire de Désiré Bois, le Potager d’un curieux (1899). Cette cucurbitacée exceptionnelle, aujourd’hui baptisée « potimarron » par contraction des termes « potiron » et « marron » pour souligner ses saveurs sucrées et son goût de châtaigne, est une vraie mine d’or de vitamines originaire de l’Amérique précolombienne. C’est sur ce constat qu’a commencé notre aventure semencière, nous avons créé progressivement, à partir de 1974, notre conservatoire de
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variétés anciennes de Sologne. Aujourd’hui, nos collections se sont enrichies de 1 800 spécimens traditionnels, plus ou moins rares, que nous diffusons à un large public de jardiniers.
succès. C’est aujourd’hui un arbuste de plusieurs mètres, préservé comme un trésor en Israël… Il y a d’autres exemples, comme cette gousse datée de 3 000 ans qui a laissé l’une de ses graines germer… Mais les records se trouvent dans la plus ancienne et la plus répandue des protéagineuses au monde, le lupin. Le record absolu, c’est un lupin arctique de 10 000 ans (cf. le livre de Claude Gudin Une histoire naturelle de la vie et de la mort).
HISTOIRE SURPRENANTE… Il arrive que des graines stockées dans un tiroir, un grenier, une cave se réveillent après des années de dormance, voire, dans certaines conditions de stratification au sein de la terre, après des siècles ou même des millénaires. C’est le cas de graines retrouvées dans les pyramides d’Égypte…
Nous voyons qu’il y a encore beaucoup de mystères à élucider dans l’histoire du règne végétal, mais nous resterons modestement sur notre expérience de conservation de graines de plantes contemporaines. Il y a cependant une terrible inconnue : que va-t-il se passer avec le dérèglement climatique ? Nos plantes actuelles vont-elles sans dommage s’adapter à la nouvelle situation et garder leurs aptitudes à nourrir le monde ? À mon avis, elles sont les mieux armées pour résister à tous les aléas climatiques et géobiologiques si nous les accompagnons dans cette performance avec suffisamment de soins, et j’oserai dire d’intuition et de lucidité pour les sélectionner et les croiser… Pour poursuivre cette aventure, nous restons à l’écoute de toutes les (re)découvertes pour parfaire les méthodes de reproduction proposées dans cet ouvrage.
Nous voyons réapparaître au grand jour ces trésors de notre patrimoine commun qui viennent éclairer notre vie par leur beauté, leur parfum, leur saveur. Ils sont comme un cadeau de l’univers dont nous rêvons tous, nous, les collectionneurs d’espèces rares, jardiniers et jardinières, cuisiniers et cuisinières, gastronomes, herboristes, phytothérapeutes et botanistes… Nous pouvons mesurer la conservation exceptionnelle des aptitudes germinatives de ces graines venues du fond des âges. Sachons par exemple qu’une graine de palmier dattier, retrouvée sur le site de Massada près de la mer Morte et dont l’âge a été estimé à 2 000 ans par datation au carbone 14, a été plantée en 2008 avec
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Graine d’abondance Si tu sèmes de bonnes graines dans une bonne terre, les fruits seront très abondants. Proverbe mandchou
Commençons cette histoire par nous émerveiller devant l’abondance que nous procure la nature ! Prenez une laitue : à maturité, elle nous offre au moins 5 000 graines. Chaque graine est capable, dans les bonnes conditions de vie, de redonner une laitue ! Si on ensemençait tous les 30 cm en laitue l’ensemble des terres émergées de notre planète, par sa puissance de multiplication, elle nous amènerait à envahir la terre en seulement quatre ans ! À chaque récolte, je suis toujours impressionné par le nombre de graines produites, même lorsque la culture a été difficile. Pour des carottes, il faudra compter cinq ans avec un surplus de 25 %. Quant aux tomates plantées tous les 60 cm, elles nous envahiraient en quatre ans, avec un surplus de 66 % de graines… Ça peut paraître absurde comme calcul, mais on ressent la surabondance Un porte-graine de poireau nous procure environ 2 300 graines ! Cela signifie que vous pourrez ressemer plus de 2 000 poireaux dans votre potager…
dont nous gratifie la nature. Elle est tellement généreuse si l’on prend soin d’elle !
REVENIR À LA BASE DE CE QUI NOURRIT C’est à la fin de mes études d’ingénieur en agriculture que des circonstances providentielles m’ont mené à ce à quoi j’aspirais : toucher la terre et m’occuper des graines, c’est-à-dire revenir aux fondamentaux de l’agriculture. Dès 2017, je me suis retrouvé plongé au cœur d’un territoire où l’agriculture s’est échappée, laissant place à des friches exploitées pour la chasse. J’ai atterri au conservatoire des Mille Variétés Anciennes de Sainte-Marthe, en Sologne, sur des terres considérées comme les plus pauvres de France. Au milieu de cette plaine, dans un jardin d’abondance, je produisais manuellement des semences potagères diversifiées. En cinq ans, nous avons réorganisé la conservation, la vente, et surtout inventorié 1 800 variétés…
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J’étais pleinement confiant dans ce choix de vie, car je savais alors que je ne mourrais jamais de faim !
Nous sommes plusieurs acteurs en Normandie à nous structurer en collectif. L’idée est d’encourager les maraîchers et les jardiniers normands à multiplier collectivement des variétés d’intérêt commun et à les valoriser en révélant des filières locales.
DEVENIR JARDINIERSEMENCIER Dans ce cadre idyllique, des questions me taraudaient. Pourquoi conserver autant de variétés potagères oubliées, provenant parfois de lieux très éloignés de Sologne ? Comment cette diversité s’étaitelle maintenue avant que l’on décide de la collectionner ? La réponse : ce sont les travailleurs de la terre qui maintenaient cette diversité dans leur territoire, par nécessité alimentaire et, qui plus est, de façon artistique. Nous sommes des artistes, nous recherchons le beau et le vrai. À mon avis, l’une des premières œuvres d’art des êtres humains est la domestication des plantes ! Par la domestication, l’être humain s’élève-t-il avec les plantes, ou bien les plantes s’élèvent-elles avec nous ? J’ai quitté la Sologne des étangs pour le pays d’Ouche. Je m’intègre dans un projet régional de semences potagères, en tant que jardinier-semencier.
UN GUIDE POUR DE BELLES CULTURES SEMENCIÈRES Ce guide est destiné à tous les jardiniers qui désirent avancer vers plus d’autonomie semencière. Cette lecture éveillera vos intuitions. Vous gagnerez en confiance pour être en mesure d’orchestrer vous-même vos cultures semencières en fonction de vos besoins et selon votre contexte. N’oubliez pas que faire ses graines relève du bon sens accessible à tous, même aux enfants. Produire de bonnes graines adaptées à notre alimentation peut paraître technique : c’est ce qui est détaillé simplement dans ce guide. Faites-vous confiance et ne craignez pas de ne pas respecter tout ce qui est écrit… Trois parties sont exposées. La première partie fera germer en vous l’aspiration de faire ses graines. Vous percevrez ce qui est essentiel à appréhender, de l’histoire de nos légumes à l’art de les sélectionner de façon résiliente.
Produire ses graines, c’est revenir au rythme des saisons de la terre. 16
De beaux joyaux ou des grains de maïs multicolores ? La deuxième partie vous immergera dans une année de culture. Vous suivrez les étapes de production, du semis de la graine à la récolte des graines. La troisième partie détaille les vingt cultures de graines les plus courantes dans nos jardins. De nombreux légumes sont faciles : commencez par récolter les graines de tomate, de laitue ou de haricot. Les graines d’autres légumes moins faciles à cultiver, comme les choux ou les oignons, seront pour les plus hardis. En produisant correctement les graines de ces légumes, votre instinct vous mènera à multiplier de nombreuses autres plantes potagères.
PRENDRE LE TEMPS DE CONTEMPLER Avant tout, laissez monter à graine des légumes que vous ne mangerez pas. Observez-les resplendir sans agir : vous vous rendrez compte de la diversité des formes qu’ils prennent avec le temps. Vous comprendrez la façon dont ils fleurissent, la période où leurs graines sont matures et comment extraire celles-ci. Prenez le temps de contempler : soyez fier de vous, car un potager est une œuvre d’art éphémère qui se métamorphose au cours du temps et par la main de celui qui jardine. Produire ses graines, c’est revenir au rythme des saisons de la terre.
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1 L’art de faire ses graines
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avec une préface de philippe desbrosses Faire ses graines, c’est devenir artiste de la biodiversité cultivée, gagner en autonomie, faire des économies et, surtout, cultiver des variétés prodigieusement adaptées au potager. Les semences portent en elles la mémoire du sol, du climat, ainsi que la sagesse du jardinier qui les a élevées. Découvrez 20 fiches de cultures semencières classées par niveau de difficulté pour des légumes bien sélectionnés et un potager d’abondance résilient face aux aléas climatiques et aux maladies. Faire ses graines relève du bon sens… et permet d’enraciner la souveraineté alimentaire ! Luc DEVAUX est artisan-semencier au sein de l’association 1001 Légumes à Beaumesnil en Normandie. Ingénieur en agriculture, Luc n’a pas suivi le cursus classique mais s’est concentré sur ce qui l’inspirait depuis son enfance : devenir artiste de l’agriculture et co-créateur de notre alimentation. Il a travaillé au conservatoire de Sainte Marthe en Sologne pour y inventorier, produire et expérimenter les 1 800 variétés collectionnées.
ISBN : 978-237922-228-3
Vivre avec une seule planète
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