Savoir & Faire
Sommaire
Introduction
le moule à beurre - Faire son beurre
le bouquet de moisson - Tresser la paille
le vinaigrier - Faire son vinaigre
la chandelle - Faire ses cierges en cire d’abeille
le panier en osier - Vannerie
le banneton - Faire son pain au levain
les ciseaux de broderie - Raccommoder
le fuseau de lavande - Fabriquer son fuseau de lavande
la ruche en paille - Fabriquer une ruche de biodiversité
le fuseau et la quenouille - Filer la laine
Collection d’objets d’aujourd’hui
Artisanes, artisans et artistes qui ont contribué à ce livre
Bibliographie
Table des matières
Remerciements
Introduction
Le geste, la main, l’outil et l’objet participent du même élan créatif et quand ils ne font qu’un, il faut se ravir de cet enchantement soudain à voir l’humanité se ranger du côté de l’accomplissement. Les objets dits de l’art populaire témoignent de cette humanité-là. Et pourtant ils demeurent bien silencieux sur nos étals de brocantes, orphelins du geste qui les a accompagnés. Cet ouvrage se propose de les remettre en mouvement en redéployant leur précieuse technicité, mais aussi en décomposant le geste de la main qui les utilise, les façonne ou les décore.
À partir d’une documentation détaillée d’archives, ces objets de toujours ont été redessinés à la manière d’une collection contemporaine et la renaissance de leur mouvement est aussi celle d’une envie : les voir habiter de nouveau notre quotidien.
SAVOIR-FAIRE RURAUX ET DOMESTIQUES
Ces outils et ustensiles anciens sont tellement remplis de poésie que, lorsqu’on les observe bien, ils nous enseignent des leçons. La qualité des détails et la justesse qui s’en dégage ne peuvent laisser indifférent. L’élan de la faux, courbée et patinée, qui a accompagné le paysan toute sa vie, émeut tout autant que le moule à beurre gravé dans la poésie d’un paysage. On imagine l’infinie patience nécessaire pour confectionner un bonnet en dentelle d’enfant, si précieux qu’il ne sera porté que pour de rares occasions, soigneusement conservé puis transmis à chaque nouvelle naissance. L’émotion nous gagne devant tant d’heures passées à confectionner ces chefs-d’œuvre familiaux — la culture, l’art, la sensibilité au cœur des foyers les plus modestes. Au-delà de leurs fonctions, chaque pièce était ornée comme pour ramener de la beauté dans la vie quotidienne. Ces décorations apportaient ainsi poésie et légèreté à des outils indispensables.
Dans chaque village, on savait tresser la paille, filer la laine, coudre ses vêtements, faire son pain et son beurre. Ce n’était pas nécessairement des métiers, mais des savoir-faire que l’on se transmettait de génération en génération avec l’amour du bel ouvrage. Avec l’arrivée de la révolution industrielle et de la division du travail, la fabrication des objets du quotidien a pris un tournant radical. Dans cette nouvelle chaîne de production, celui qui conçoit l’objet n’est désormais plus celui qui le fabrique et il fallait quelqu’un pour imaginer que l’objet industriel puisse être à la fois beau et fonctionnel. C’est ainsi que naît un nouveau métier : celui de designer. La fabrication devait être optimisée en produisant à bas coût et en grande quantité. Ce mode de conception moderne marque une rupture entre l’artisanat et la création.
Aujourd’hui, on peut justement constater que la création est trop souvent déconnectée de la fabrication. Dans ce contexte, l’artisanat et les métiers d’art ouvrent une nouvelle voie possible pour répondre aux enjeux de notre époque. Loin d’être seulement porteurs de patrimoine, ils sont aussi une source de création infinie. Ces gestes précieux sont vivants, c’est-à-dire qu’ils doivent sans cesse s’adapter, se renouveler, s’inventer. Ils offrent des réponses contemporaines à la fois économiques, écologiques et culturelles. Il est donc essentiel d’éviter le déclin de ces métiers traditionnels en repensant le design afin qu’il soit au service l’artisanat plutôt que l’inverse.
Les gestes sont l’âme des outils comme la musique est celle des instruments. Ils sont faits pour accompagner les mains et ne trouvent de sens que si on les utilise. Une mémoire à la fois si belle et si fragile qu’il peut suffire d’une seule génération pour qu’un savoir-faire disparaisse s’il n’est pas transmis. Dans le parcours classique d’un métier d’art ou d’artisanat, on apprend d’un maître, on poursuit son apprentissage en apportant de nouvelles expérimentations puis l’on transmet à nouveau.
D’ailleurs,l’une des devises apprises par les Compagnons du devoir est « Toute parole reçue que tu n’as pas transmise est une parole volée ».
De nos jours, les mœurs sont différentes, les paysages ont changé mais il y a certains gestes qu’on pourrait ramener dans notre quotidien et se les réapproprier pour les faire vivre en cohérence avec le monde contemporain. C’est d’ailleurs la seule manière d’en conserver la mémoire. On peut mettre les vieux outils dans des vitrines de musée et regarder des vidéos d’archives, mais le geste reste un patrimoine vivant qu’il est impossible de conserver sans la transmission.
J’aimerais, par ce livre, transmettre à mon tour et à mon échelle quelques gestes au travers d’objets redessinés. Pas forcément dans le but de devenir un artisan hors pair, mais pour déclencher une curiosité, donner une impulsion, montrer ce premier geste qui inspirera les prochains. Car si la transmission est essentielle, elle est aussi promesse d’avenir.
ANTHOLOGIE D’OBJETS CHOISIS
Vous trouverez dans ce livre des photos d’objets d’archives anciens, mais aussi une collection d’objets réinterprétés, produite en petite série et réalisée à la main. J’ai sélectionné dix objets typiques de l’art populaire, des objets qu’on a tous dans notre imaginaire commun. On les a parfois observés dans des greniers ou des brocantes, mais on n’en connaît pas forcément la fonction ni même la manière de s’en servir. C’est entre poésie et nécessité que ce livre se propose de redessiner les contours de ces gestes et permettre à chacun de réanimer ces objets de grenier. Et pourquoi pas aussi, comme je me propose de le faire, de donner naissance à d’autres objets. J’ai voulu repenser chacun d’eux, les redessiner comme mes objets rêvés.
Tout en respectant leur usage et leur esprit d’autrefois, j’en ai modelé les lignes pour une esthétique et une utilisation plus contemporaine. Je les ai imaginés comme une petite collection d’objets qui seraient à la fois des outils fonctionnels et de petites œuvres d’art chargées d’histoire. Comme un nouveau regard pour les amener vers un nouveau public et des usages actuels. Ces dix objets permettent ainsi de renouer avec les savoir-faire qui leur sont intimement associés.
Faire son beurre, raccommoder ses vêtements, filer la laine… une multitude de techniques qui, à mon sens, ont encore leur place dans notre société. Pour comprendre ces techniques et les faire perdurer, il faut revenir à l’essence même de chacun des gestes de base, parfois d’une simplicité enfantine. L’industrie s’est tant complexifiée et perfectionnée qu’on a parfois du mal à comprendre comment on passe d’une matière première à un objet fini. Alors que si l’on épure ces techniques au maximum, elles deviennent beaucoup plus accessibles. Cette simplification du geste ramène à la source : la plante, l’animal, la main, l’outil. Elle est une méthode d’apprentissage et de compréhension : un savoir et faire.
Les dix objets de la collection ont été fabriqués en collaboration avec des artisans partout en France : forgeron, vannière, ébéniste, céramiste, artiste. Les autres pièces, en paille et en lavande, ont été fabriquées au sein de mon atelier.
Conçus initialement pour renouer avec le geste, ces objets d’humilité contribuent à changer notre rapport aux choses, mais aussi à nous-même. Quand on crée soi-même, une émotion toute particulière passe au travers de nos créations, ce qui rend chaque pièce unique. Apprendre à faire les choses soi-même est aussi un moyen de rendre accessible des objets de qualité. En effet, au vu de leur rareté et du temps passé pour les fabriquer, ils sont devenus un luxe alors même que nous vivons dans un monde qui n’a jamais été autant rempli d’objets. Ils peuplent nos vies et débordent de nos maisons. Mais ils sont pour la plupart jetables, remplaçables et renouvelables à l’infini. Nous aurions tout à gagner à prêter plus d’attention aux choses qui nous entourent. En prendre soin, les bricoler, les réparer pour les garder toute une vie et les transmettre. Leur valeur sentimentale et symbolique serait bien plus forte.
Les objets disent beaucoup de nous, ils témoignent de notre humanité et nous survivent pour raconter une société. Que voulons-nous laisser comme trace ? Inspirons-nous des objets anciens et créons-en de nouveaux qui peuvent, à leur tour, raconter les heures, les mains, l’amour et la patience : des objets témoins de nos vies.
Le moule à beurre
Autrefois, dans chaque village on filait la laine, tressait la paille et l’osier, raccommodait les vêtements, battait son beurre... Des savoir-faire domestiques transmis de génération en génération, avec l’amour du bel ouvrage. Artisane et designeuse, honorée du prix 19M des métiers d’art de Chanel en 2020, Emma Bruschi nous fait redécouvrir ces techniques oubliées. Elle donne à voir une petite collection de dix objets ruraux emblématiques de l’art populaire pour apprendre leur histoire, renouer avec les gestes et susciter l’envie de faire. Un retour à la source : la matière, la main et l’outil. Un savoir et un faire.