Les jardins secs de James Basson

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LES JAMES BASSON SECS DE JARDINS

ÉTUDE DU PAYSAGE

BOIS & FORETS

Les arbres dominent

Entre 400 m et 800 m, d’altitude, je traverse un paysage boisé. Les arbres ne sont généralement pas très vieux, souvent moins de cent ans, car il n’y a pas si longtemps, l’espace était utilisé pour le pâturage, et les oliviers pour le bois de chauffage ; le paysage était une mosaïque d’arbres fruitiers, de taillis et de forêts aménagées pour le combustible et la cueillette, de potagers pour les légumes et de pâturages. Le feu y est passé plusieurs fois, régénérant les arbres. L’homme a façonné et profondément transformé ces paysages durant plus de deux mille ans, un labs de temps assez court comparé aux centaines de milliers d’années de sa construction géologique… Les terrasses construites au cours des dernières centaines d’années offrent de profondes poches de sol. Les fantômes des oliviers apparaissent encore à travers les voiles verts de Smilax.

Le chêne blanc prédomine, même si le climat qui s’assèche et se réchauffe peu à peu commence à se faire sentir à l’extrémité des branches : mortes et blanchies comme des bois de cerf, elles restent suspendues dans les airs au-dessus des verts printaniers plus brillants. Les populations de chênes sont parsemées de frênes à fleurs (Fraxinus ornus), d’érables champêtres (Acer campestre) et d’érables à feuilles d’aubier (Acer opalus). Le charme-houblon (Ostrya carpinifolia) les accompagne également souvent, et l’ensemble est entrecoupé de chênes verts (Quercus ilex). À mesure que la terre se tourne vers l’est, des poches de sol légèrement plus acide cèdent la place aux arbousiers (Arbutus unedo) et à la bruyère arborescente (Erica arborea).

Le cyprès de Provence (Cupressus sempervirens) si typique pointe à travers la canopée environnante, indiquant une ancienne habitation ou la présence d’eau. Le pin d’Alep court également sur ces collines, devenant plus dense là où les chênes s’amincissent, parfois énorme et majestueux où le feu n’est pas passé depuis de nombreuses années. Le sousétage est garni du fustet naturalisé (Cotinus coggygria) et de nombreux buissons résilients, comme l’alaterne (Rhamnus alaternus), le laurier-tin (Viburnum tinus), les pistachiers

( Pistacia terebentinus et P. lentiscus ) et l’épineux genévrier-cade (Juniperus oxycedrus), qui marquent la mémoire des jours passés et sont souvent beaucoup plus vieux que les plus grands arbres voisins. Utilisés autrefois comme arôme alimentaire, comme matériau de construction et pour leurs propriétés diurétiques et antiseptiques, ils parsèment les oliveraies et rappellent la vie passée. Maintenant éclipsés par leurs voisins plus hauts, ils deviennent plus frêles et leur stature se fragilise, mais ils survivent en s’adaptant progressivement à l’ombre.

On trouve aussi un étage de buissons souvent épineux et défensifs, constitué de prunelliers (Prunus spinosa) et d’églantiers (Rosa canina), au milieu desquels naissent la plupart des grands arbres. Plus bas, c’est l’étage du ciste, du daphné et des genêts : genêt épineux (Calycatome spinosa), genêt argenté (Genista cinerea) et genêt d’Espagne (Spartium junceum). C’est l’ombre sèche, où la végétation doit gérer à la fois le manque d’eau et l’énorme concurrence. Cela crée un paysage très structuré et fortement rythmé par les saisons. Le manque de lumière pendant les mois d’été créée un paysage presque dépourvu de fleurs et la canopée qui se ferme offre une ombre salutaire à toutes les plantes qui vient au-dessous.

Au début du printemps, les premiers hérauts de ces collines sont les Crocus versicolor. Ils parsèment les gris ternes des longues feuilles mortes des graminées qui prédominent les dernières couches de végétation. Aplatis par la neige et la pluie de l’hiver, les crocus trouvent de l’espace et un moment pour fleurir avant qu’aucun vert n’apparaisse dans le paysage, à l’exception des verts chartreuse brillants de l’hellébore fétide, Helleborus foetidus, qui s’épanouit seul dans les forêts — en particulier dans les forêts rabougries au sommet des collines car ici, il y a plus de lumière et les arbres ne deviennent jamais très denses. Ces hellébores illuminent une promenade hivernale en animant la colline pendant le moment où les arbres se reposent. L’euphorbe des bois, Euphorbia amygdaloides, lui succède de peu. Plus brillantes et plus frêles, ses fleurs s’épanouissent d’un vert acide plus

LA STRATE SUPÉRIEURE

Érable de Montpellier

Acer monspessulanum

Ce petit érable remplace dans le Sud l’érable champêtre (Acer campestre) qui préfère les climats du Nord. Il colonise les friches mais se trouve aussi au cœur de la forêt méditerranéenne qu’il illumine de ses brillantes couleurs automnales. Doté de petites feuilles, il donne de la hauteur à la végétation sans causer trop d’ombre ni dominer l’espace. Nous les plantons souvent en grands sujets pour donner instantanément une certaine présence dans les jardins que nous créons.

Érable à feuilles d’aubier

Acer opalus

Cet érable plus imposant se trouve un peu plus haut dans les collines des Alpes maritimes. C’est un intermédiaire entre les plus grands arbres forestiers et le sous-étage, peu utilisé jusqu’à présent. Mais sa belle écorce gris clair et ses larges feuilles nous le font rechercher pour créer une ombre attrayante dans les jardins.

Charme-houblon

Ostrya carpinifolia

L’ostrya est un grand arbre souvent élancé, avec de petites feuilles et une floraison en chatons qui évoquent celle des charmes et dont les fruits ressemblent à ceux du houblon (d’où son surnom de « charme-houblon »). Il donne de la hauteur et beaucoup d’élégance à la forêt.

Pin

Ce pin est pionnier en région méditerranéenne. Il est l’un des premiers arbres à germer et disparaît rapidement pour laisser place à d’autres arbres. On trouve parfois des sujets d’exception un peu âgés, mais en général, beaucoup

disparaissent au-delà de cinquante ans. Avec lui, le jardin ne semble plus aussi sec car il pousse pendant les mois les plus chauds. Lorsqu’une grande partie de la verdure s’est un peu « fatiguée », les pins s’illuminent d’un vert palpitant.

Pin pignon

Pinus pinea

Favori de nombreux jardiniers, ce pin a été abondamment planté dans le Sud de la France, dans les zones aux sols acides. Cet arbre charismatique crée un paysage type avec une canopée ondulante. L’ombre de ce pin est plutôt froide, mais durant les jours les plus chauds de l’été, les cigales s’y rassemblent pour célébrer la chaleur et la sieste.

Chêne vert

Quercus ilex

Cet arbre peut assurer l’avenir proche de nos forêts locales. Là où les chênes blancs et l’ostrya commencent à péricliter, ces chênes à feuilles persistantes les remplacent progressivement en compagnie des pins. Ces forêts sont beaucoup moins lumineuses. Certains des arbres les plus anciens de la région sont des chênes à feuilles persistantes, parfaitement bien intégrés au paysage. C’est une très bonne plante de haie, méconnue et sous-estimée : brise-vent, elle demande un peu d’entretien pour rester sous contrôle.

Chêne pubescent

Quercus pubescens

C’est le chêne blanc typique des régions méridionales, poumons des collines qui oxygène l’air de la nuit, et garde la terre fraîche tout au long de la journée. C’est aussi le chêne qui montre le plus de signes de stress. Les nombreuses branches mortes témoignent de l’assèchement du climat. Comme c’est un arbre aux racines profondes, il faut l’implanter très jeune afin de lui permettre de s’adapter au climat et au sol local et lui permettre d’atteindre ses dimensions optimales.

d’Alep
Pinus halepensis

Chêne-liège

Quercus suber Le chêne-liège témoigne lui aussi de la relation de l’Homme avec la terre. Cette espèce acidophile pousse dans l’Estérel et à l’ouest en direction de Saint-Tropez. Sa souche peut survivre et regénérer un arbre

et certaines peuvent être très âgées. Cet arbre a beaucoup de caractère et c’est une véritable merveille atteignant de magnifiques proportions. Il a toujours du mal à pousser droit, ce qui est très utile pour créer un sentiment de nature.

LA STRATE MOYENNE

Les arbustes et arbrisseaux de cette strate moyenne sont décrits dans les milieux suivant « Maquis & garrigues ».

ET AUSSI

Fraxinus angustifolia

Fraxinus ornus

Olea europaea

Pinus halepensis

Pistacia terebentinus

Sorbus acuparia

Sorbus aria

ET AUSSI

Amelanchier ovalis

Arbutus unedo

Cotinus coggyria

Daphne gnidium

Ligustrum lusitanicum

Olea europaea

Phillyrea angustifolia

Pistacia lentiscus

Pistacia terebentinus

Prunus mahaleb

Prunus spinosa

Rhamnus alaternus

Rosa canina

Viburnum tinus

LES JARDINS MÉDITERRANÉENS

SECS DE JAMES BASSON

VILLEFRANCHE

Situé sur les hauteurs de Villefranche, ce jardin était typique de la Côte d’Azur : une grande maison avec une piscine bleue et une vaste pelouse parsemée de palmiers pour un paysage parfait du Sud de la France. Les clients voulaient en faire un jardin sec, séduits par l’idée de profiter d’un jardin plein de plantes en constante évolution célébrant l’esprit méditerranéen. Adossé aux hautes falaises des Alpes maritimes, a l’endroit ou les montagnes rencontrent la mer, le jardin situé a 220 m d’altitude bénéficie d’un climat maritime tres favorable et la végétation naturelle dans les espaces entre les maisons est presque subtropicale. La caroube et l’euphorbe arboricole décrivent un paysage longtemps peuplé et modifié par l’Homme pendant des siecles.

Les pelouses et la terre végétale ont donc été enlevées. Les murets ont été reconstruits pour aménager les pentes et recréer la structure du paysage vernaculaire car autrefois, cette terre était utilisée pour la culture de fleurs coupées et de légumes primeurs. Ce jardin fut l’un de mes premiers chantiers et je n’ai à l’époque montré aucune retenue dans mon choix d’espèces et de variétés. S’il devait y avoir des lavandes, pourquoi ne pas toutes les planter ? Une de chaque de toutes celles que j’ai pu trouver dans les pépinières ! Le ciste et la sauge ont également été très largement plantés sans que rien ne domine vraiment. Si je devais reprendre ce jardin aujourd’hui, je travaillerais plutôt avec une trame de feuillages gris ou argentés, plantés en bandes comme autant de communautés stables de plantes de hauteur similaire balayant le paysage. Je n’ai à l’époque pas tenu compte de plusieurs facteurs importants, comme la vitesse de croissance : si la lavande (Lavandula angustifolia) et la catananche (Catananche caerulea) atteignent toutes les deux une hauteur de 30 à 40 cm, et semblent donc, à priori, de bonnes partenaires dans le même massif dans ce sol riche et l’humidité maritime, la catananche a poussé à une vitesse incroyable et éliminé rapidement ses voisins plus lents.

Ce jardin est rapidement devenu un champ de bataille pour les plantes les plus aptes et une course contre la montre pour sauver les plus faibles ou les plus lentes à mesure de leur évolution. J’y ai beaucoup appris sur la manière de travailler avec la flore méditerranéenne. Avec l’aide d’une équipe de jardiniers passionnés, les plantes ont été taillées pour conserver leur volume et leur espace. Le sol a été soigneusement bêché pour maintenir un sentiment d’ordre, mais en 6 ans, au moins un tiers des plantes sont mortes. Ce résultat décevant a heureusement été bien perçu par mes clients qui étaient aussi intéressés et désireux d’apprendre de mes erreurs que moi. Nous avons dressé de nouvelles listes de plantes et entrepris une nouvelle plantation d’envergure. Après avoir soigneusement répertorié les survivantes, de nouvelles plantes ont été introduites pour créer un ensemble plus harmonieux.

Avec le recul, je pense que ce qui a véritablement tué beaucoup de plantes a été l’effet combiné de la vitesse de croissance, l’absence de désherbage sélectif et surtout ma négligence envers le classement des plantes d’Olivier Philippi selon leur tolérance à la sécheresse. J’ai seulement considéré les combinaisons de plantes en restant trop laxiste sur leur tolérance à la sécheresse qui peut être limitée, par exemple à 2 mois pour les thyms, T. serpyllum, T.  ciliatus, T.  hirsutus. Lorsque nous désirons vraiment quelque chose, nous ignorons facilement les mises en garde et les informations les plus évidentes.

page 86-87 : La vue sur la mer au coucher du soleil est simplement magique.

Les derniers rayons mettent en relief les différentes silhouettes des plantes : élancées et échevelées pour les conifères, plus arrondies pour les santolines ou pour les romarins, plus diffuses pour les rosiers ou les grimpantes laissées à demi-sauvages. Peu à peu, les couleurs des fleurs vont s’estomper, mais les formes et les textures perdurent tout l’été.

page de gauche : Le Jardin en terrasse fait face à la mer et à la baie de Villefranche.

Exposées au soleil et au vent, les plantes très résistantes ont des feuilles argentées ou petites et vernissées. Les formes moutonnantes font écho à celles du paysage.

à droite : Les interstices entre les buissons ou les dalles sont comblés par des plantes couvrantes comme le thym (Thymus serpyllum) et les campanules (Campanula portenschlagiana), mais on ne laisse que des plantes à courte vie comme les valérianes rouges (Centranthus ruber) s’y ressemer ponctuellement.

La Méditerranée, son climat et ses paysages fascinent et inspirent le paysagiste James Basson qui transpose ses observations naturalistes dans les jardins qu’il crée. Spécialiste des jardins secs, il nous invite a oublier les plantations exotiques ostentatoires et le béton vert, et propose de fondre le jardin dans son environnement avec sobriété. Décrypter et peindre les différents milieux méditerranéens, entrer en résonance avec les rythmes climatiques pour mieux penser ses jardins, telle est la démarche de cet amoureux de la végétation des paysages naturels du Sud. Une approche unique qu’il nous détaille a travers quelques-uns de ses jardins iconiques. Pour une nouvelle esthétique des jardins du xxie siecle.

Le paysagiste anglais James Basson milite depuis longtemps contre les jardins artificiellement verts en région méditerranéenne. Il a passé les vingt-cinq dernières années à arpenter les paysages, à peindre et à concevoir des jardins dans le Sud de la France dans une esthétique et une approche qui célèbrent « le moins c’est mieux ». Lauréat de nombreux prix pour ses jardins éphémères à travers le monde, il a également reçu plusieurs prix pour les jardins durables qu’il a imaginés avec l’équipe de son agence Scape Design.

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