Cuisiner les plantes sauvages des chemins

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Cuisiner les plantes sauvages des chemins

Sommaire

Introduction

« Le vivant ne met pas l’accent sur la performance mais sur la robustesse », écrit Olivier Hamant 1 , biologiste et chercheur dans un laboratoire dédié à la reproduction et au développement des plantes. Il poursuit en précisant que la robustesse du vivant inclut « de la variabilité, de l’hétérogénéité, de la lenteur, des détails, des erreurs, de l’aléatoire, des redondances, des incohérences (…). Les apparentes contre-performances du vivant ouvrent de grandes marges de manœuvre qui, elles-mêmes, alimentent une très grande adaptabilité. Pensez par exemple à la capacité des forêts à se régénérer après un incendie » (ibid.). Même si nous n’avons pas d’incendie sous les yeux au quotidien, nous vivons une période chargée de tensions et fluctuations en matière de politique et de climat. Il me semble alors que dans mon quotidien, les pratiques de cueillette et de cuisine participent à une recherche de robustesse et que c’est ainsi que je veux les transmettre.

Dans ces pages, je vous invite donc à sortir, marcher, cueillir puis cuisiner, des pratiques toutes empreintes d’une part d’aléatoire vivant. Cueillir incite à avoir les yeux grands ouverts, un fil d’attention tendu entre soi et le paysage dans lequel on marche. Tout comme les pieds voyagent au sol et ressentent son relief, les yeux entrent en conversation avec les alentours, détaillant chaque touffe d’herbe, chaque talus et chaque haie à l’affût d’une trouvaille.

APPRENDRE À CUEILLIR

On m’a très souvent demandé comment j’avais appris à cueillir, moi qui ai grandi dans un environnement majoritairement urbain. Dans l’ouvrage précédent celui-ci (Cuisiner les plantes sauvages du jardin, dans la même collection), je raconte ma découverte déterminante de la cueillette lors d’un stage avec Moutsie Claisse, ethnobotaniste, autrice et formatrice au sein de l’Association l’Ortie (Aude). Mon apprentissage a été ensuite fait de beaucoup de lectures, de

cueillettes en compagnie de botanistes et d’expérimentations collectives en cuisine. J’ai ensuite énormément lu, cueilli, testé des recettes avec bon nombre d’acolytes en chemin et marché avec des botanistes pour apprendre à « herboriser ». Au bout de quelque temps, j’ai commencé à accompagner à mon tour des marches cueillettes en milieu rural et en milieu urbain. Comme pour beaucoup de disciplines, c’est aussi au moment de transmettre que j’ai pu approfondir mes connaissances car il me fallait répondre aux questions, notamment sur les bienfaits médicinaux des plantes ; j’ai alors suivi une formation en herboristeriephytothérapie pour compléter ma compréhension de leurs qualités nutritives et médicinales.

Cela dit, chacun et chacune trouvera sa manière d’aborder la cueillette et la transformation des plantes qui l’entourent. La cueillette en tant que pratique quotidienne et intime a été largement effacée par l’avènement des industries pharmaceutiques et agricoles. Peu d’entre nous considèrent donc possible d’entrer en contact avec la source même de nos aliments et nos médicaments. Et pourtant, c’est parmi les plantes sauvages présentes tout autour de nous que l’on retrouve les ancêtres des plantes cultivées, progressivement sélectionnées pour en faire aujourd’hui nos légumes, céréales ou légumineuses.

Quant à certains médicaments de pharmacie, ils sont élaborés autour de principes actifs extraits ou dérivés de ces plantes sauvages. Il est encore possible d’apprendre à les reconnaître pour les cueillir à même nos chemins.

Les sorties botaniques et ateliers d’initiation à la cueillette sont une porte d’entrée idéale pour appréhender et goûter quelques premières plantes. Cette transmission orale et par les gestes permet aussi de s’affranchir de l’éventuelle peur de cueillir par erreur des plantes toxiques voire mortelles. Il faut savoir qu’elles sont en nombre très limité dans les régions tempérées et que l’on peut les retrouver bien détaillées dans des ouvrages pour les avoir en tête lors de la cueillette et éviter tout risque de confusion dangereuse2. Au-delà de la toxicité de la plante elle-même, il faudra prêter attention à la toxicité potentielle du sol et ne pas cueillir dans des sols chargés en métaux lourds ou en pollutions chimiques importantes.

22 PLANTES

DES CHEMINS

Parmi les très nombreuses plantes que l’on peut cueillir et cuisiner dans les zones tempérées, je présente ici 22 plantes particulièrement intéressantes au goût, versatiles selon les saisons, facilement reconnaissables et relativement communes dans bon nombre de

régions tempérées. Certaines de ces plantes sont caractéristiques de sols riches et humides en lisière de forêt ou à proximité de l’eau tandis que d’autres le sont de sols appauvris, en friche, des plantes que l’on retrouve en bord de route, dans les décombres, les fossés ou en milieu urbain.

Certaines des plantes présentées ici sont classées comme « espèces invasives », c’est-à-dire des espèces qui « déplacées de leur milieu d’origine vers un endroit nouveau pour elles, y trouvent des conditions idéales pour proliférer, aux dépens des espèces locales et éventuellement des activités humaines » 3 .

La renouée du Japon par exemple fut importée d’Asie au xixe siècle comme une plante ornementale et fourragère. S’étant répandue de façon extensive et prenant le dessus sur les autres espèces en un lieu, elle est aujourd’hui classée comme « espèce invasive » en France. François Couplan, ethnobotaniste et auteur de référence au sujet de la cueillette et de la cuisine, suggère dans le titre de l’un de ses ouvrages, Aimez vos plantes invasives, mangez-les ! (Quae, 2015), et c’est aussi ce que je vous propose ici.

GLANER DES RECETTES

Cuisiner à l’heure des livraisons de repas à domicile, c’est choisir

de dédier un temps à transformer soi-même de la matière brute plutôt que de réchauffer un plat en un clin d’œil. C’est décider que le temps accordé à la cuisine a une valeur en soi.

Cueillir avant de cuisiner élargit la pratique de la cuisine au paysage dans lequel on se situe, à ses reliefs, sa végétation, elle-même largement influencée par l’histoire des interventions humaines dans ce paysage. Avec Anna Lena Hahn, paysagiste et géographe, nous créons depuis plusieurs années des moments de dégustation à partir d’un paysage et avec celles et ceux qui l’habitent : apprentis cuisiniers en Aubrac, artistes comédiens en tournée dans les Cévennes ou encore familles du Moyen-Orient réfugiées en Lozère. La cueillette et la cuisine partagées deviennent alors des moments de rencontre, la table s’élargit bien au-delà de la famille et des amis, et les recettes que l’on déguste sont alors des hybrides entre les recettes héritées et la cueillette du jour.

Les recettes que je propose ici sont donc inspirées par des moments de cueillette et de cuisine partagés. Ce sont des recettes glanées, adaptées et nourries par celles et ceux avec qui j’ai cuisiné ces dernières années. Les suggestions de préparations pour chaque plante sont un point de départ pour que chacun et chacune puisse s’inspirer,

interpréter et expérimenter de nouvelles associations avec son historique de recettes personnel.

SOUVENIRS

ÉMERVEILLÉS

DES PREMIÈRES FOIS

Après avoir moi-même appris la cueillette au sein d’un stage, j’ai accompagné à mon tour d’innombrables « premières fois » pour amis, amies, voisins, voisines et participants à des ateliers ou des stages, désireux d’apprendre à cueillir. J’ai recueilli certains de leurs souvenirs de ces premières cueillettes et j’observe que ceuxci sont faits d’émerveillement, de points d’exclamations et du sentiment de toucher à une forme de magie ordinaire.

« Cueillir au sortir du lit le matin, mettre des pétales sur les plats, cueillir de nouveau le soir à la tombée du jour — c’est comme si mon cœur était chaque fois imprégné de poésie ».

« Tout d’un coup, je vois les parfums, les goûts et les vertus de plantes que j’aurais foulées sans même les regarder ».

« Et là, on s’est dit : on marche sur un garde-manger ! C’est un festin ce qu’on a sous les yeux !4 »

Au-delà des chemins que vous allez parcourir pour cueillir, l’apprentissage en lui-même est un chemin d’observation, d’expérimentation et de surprises. C’est à vous ! Bonne cueillette !

Marcher dans un sous-bois, ouvrir l’œil, cueillir des plantes. Été comme hiver, printemps comme automne, il y a souvent quelque chose de bon à glaner en chemin : une plante acidulée comme l’oxalis, épicée comme le genévrier ou encore sucrée comme le cynorrhodon de l’églantier. Titiane Haton nous emmène en lisière de forêts, à travers champs, en bord de rivière pour apprendre à observer, à toucher, à identifier et à cuisiner 22 plantes sauvages : tortilla à l’ail des ours, cottage cheese à l’huile de carotte, financiers à la chicorée… Un éloge de la nature et du partage.

Urbaniste-cueilleuse, Titiane Haton navigue entre villes et campagnes et participe à des projets de territoire qui mêlent recherche, création artistique et écologie. Avec les photographies de Flavia Sistiaga, elle nous invite à connaître la beauté et les saveurs des plantes au plus près de nous. Titiane est l’autrice aux éditions Ulmer de Cuisiner les plantes sauvages du jardin.

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