Abrume

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ABRUME

Sur les traces des cabanes libres

Gauthier Delvert Raphaël Guillemette

PRIMAIRE VIVANT

LOINTAIN SOLITAIRE SAUVAGE

ABRUME : cabane qui se dévoile dans une brume épaisse après une journée de marche, quand le ventre se creuse, que les jambes sont lourdes et les vêtements trempés. Une fine fumée s’élève derrière un talus, une odeur de feu de bois se répand doucement dans l’air, l’abri se dessine peu à peu.

L’AVENTURE ABRUME

Nous nous sommes rencontrés sur les bancs d’une école d’architecture où nous avons bien vite découvert notre passion commune pour les grands espaces et la randonnée, et notre vision partagée : celle d’une architecture raisonnée, ancrée dans son histoire et son paysage, nous invitant à repenser notre manière d’habiter le monde.

Rapidement, nous avons pris l’habitude de sauter dès que possible dans le premier train menant vers de vastes horizons. Nous avons arpenté ensemble les étendues des Highlands d’Écosse et des ballons des Vosges, des pâturages vallonnés du Massif central et des causses des Cévennes... Partout, des cabanes non gardées jalonnent le paysage et abritent les randonneurs et randonneuses de passage. À force d’y trouver refuge, elles ont éveillé notre curiosité et nous avons commencé à nous interroger sur leur nombre, leur histoire, leurs fonctions originelles, et plus encore sur ce que ces microarchitectures vernaculaires perdues à l’écart des routes et des villes ont à nous enseigner. Ainsi est née l’idée un peu folle de les recenser. Alors, nous les avons observées, cartographiées, dessinées, disséquées, classifiées, étudiées... Ce qui ne devait être qu’un bref projet s’est étiré sur plus de deux ans... et se poursuit aujourd’hui. Cet ouvrage est la concrétisation de ce long et passionnant travail, et de toutes nos réflexions menées sur les sentiers à travers des paysages époustouflants, au coin des poêles des abrumes ou dans les couloirs de l’école.

DES ABRIS DANS LA BRUME

Les cabanes sauvages, appelées aussi cabanes non gardées ou cabanes libres, sont des abris accessibles à tous et toutes le temps d’une pause, d’un repas ou d’une nuit. Elles ne peuvent pas être réservées. Leur forme varie d’une région à l’autre, voire selon les vallées. En revanche, la fonction de ces phares terrestres reste la même : protéger les personnes naufragées des éléments naturels.

D’où le nom que nous avons choisi pour les désigner : « abrume », mot-valise formé par la fusion d’« abri » et de « brume », à la croisée de l’architecture et des éléments naturels. Ce terme évoque l’instant où le randonneur ou la randonneuse distingue, au terme d’une longue marche, la silhouette encore imprécise d’une toiture, la forme nébuleuse d’une colonne de fumée au-dessus des arbres, une fenêtre éclairée.

Les abrumes rythment les paysages au sein desquels ils se camouflent, dans des environnements intimement liés à leurs usages initiaux. Majoritairement en altitude, dans des reliefs accidentés, ils ont pour caractéristique géographique commune de s’inscrire dans des déserts urbains, loin des agglomérations et des axes de communication. Quelles que soient leurs fonctions et leurs origines, ils s’inscrivent dans une logique de mouvement de celles et ceux qui s’y abritent. Ils sont associés non pas au nomadisme, qui implique de transporter et démonter l’habitat, mais à l’itinérance. Ils ont été pensés pour durer, malgré leur utilisation temporaire.

Tels des archéologues, nous sommes partis pendant près de deux ans à la découverte des empreintes laissées par l’être humain dans des territoires reculés. Nous avons relevé et révélé des traces architecturales dans le paysage pour mettre en valeur ce petit patrimoine rural. Notre démarche s’inscrit dans une logique mémorielle de témoignage par le dessin de ces architectures vertueuses, réalisées pour la plupart sans architecte.

LES CABANES SAUVAGES

FACE AUX MUTATIONS DU MONDE

La plupart des abrumes sont liés à l’histoire de l’exploitation forestière et du pastoralisme. À l’origine, ces habitats précaires étaient le plus souvent destinés à un usage saisonnier, pendant le bûcheronnage (automne-hiver) et l’estive (printemps-été), durant laquelle les bergers et bergères partaient dans les montagnes avec leurs troupeaux pour fuir la chaleur et profiter des pâturages d’altitude,

comme ils le font encore aujourd’hui. Toutefois, les abrumes trouvent aussi leur place dans d’autres histoires, à commencer par celle de la quête des hauteurs. Au Moyen Âge, pour des raisons d’ordre spirituel, associées à une recherche d’isolement, des ermites ont donné naissance à des lieux sacrés perchés sur des rochers. Puis à partir du xixe siècle, avec le développement de l’alpinisme, des hommes et des femmes ont voulu se hisser toujours plus haut pour conquérir les sommets. Dans les Alpes, tout au long du siècle dernier, le Club alpin français a joué un rôle fondamental dans l’édification et la conservation des refuges et des chalets. Plus largement, l’intérêt et le goût pour les paysages alpins se sont fortement accrus dans la seconde moitié du xxe siècle avec l’avènement des stations d’altitude. Le tourisme estival s’est développé parallèlement aux sports d’hiver. La randonnée dans les alpages est entrée dans les mœurs, et les marcheurs et marcheuses y sont aujourd’hui plus nombreux que les bergers et bergères accompagnés de leurs troupeaux.

Les abrumes sont aussi le témoignage architectural d’un pan presque révolu de l’histoire agricole. Jusqu’au début du xxe siècle, quand la population française était majoritairement rurale, les constructions liées au monde de la paysannerie étaient florissantes. Quand les villes ont aspiré les hommes et les femmes à la recherche d’une vie meilleure, et que les campagnes ont été désertées, ces cabanes sont retournées à l’état sauvage. Mais tout ne s’est pas arrêté là. D’autres occupants et occupantes en ont pris possession, ne serait-ce que pour un temps, à l’instar des maquisards et maquisardes qui ont trouvé refuge dans le Vercors pendant la Seconde Guerre mondiale. Choisies pour leur isolement et leur accès périlleux, de nombreuses architectures d’alpage ont été réquisitionnées par la Résistance. Le principe de cabane non gardée reste solidement ancré dans le massif du Vercors, certainement en mémoire de ce passé.

Plus récemment, des amoureux et amoureuses des grands espaces de tous horizons, diverses associations et des clubs de chasse se sont intéressés aux abris, ouvrant la voie à la rénovation et à la préservation des cabanes

anciennes, et à la construction d’autres types de refuges. Ce mouvement a entraîné le découpage de certaines microarchitectures en plusieurs zones, réservées à un usage professionnel ou destinées aux randonneurs et randonneuses, ou plus largement aux loisirs.

La maintenance et l’appartenance juridique de ces cabanes peuvent donner lieu à des montages singuliers. Il n’est pas rare par exemple qu’un refuge appartienne à l’Office national des forêts, soit géré par une association locale et soit accessible par une parcelle privée. Certains ont été construits officieusement, avant d’être acceptés par les pouvoirs publics.

DES MODÈLES POUR CONSTRUIRE ET HABITER LE MONDE AUTREMENT

Modestes par leurs dimensions, les abrumes sont pourtant les vecteurs de grandes leçons architecturales. Remarquables par leur pérennité, ils se distinguent par leur rapport au paysage et à l’environnement, marqué par l’humilité. Ce livre est une invitation à les observer, à les comprendre et à s’en inspirer.

La construction des abrumes repose sur l’optimisation et la rationalisation. À toutes les époques, les chantiers ont été réalisés avec des budgets limités, pour beaucoup à partir de ressources locales, voire extraites sur le site : granit pour les burons, bois pour les cabanes forestières...… Cette caractéristique est une garantie de résilience. Dans le temps, ces microarchitectures peuvent être plus facilement restaurées ou reconstruites que la plupart des édifices contemporains, bâtis à partir de matériaux provenant des quatre coins du monde. Certains abrumes sont également issus de la récupération, de la réutilisation ou du réemploi, au niveau de la structure (anciens bus ou containeur...) ou de l’aménagement (châssis vitré, porte en bois, poêle en fonte...). Le manque de moyens financiers ouvre la voie à l’inventivité.

De nombreuses cabanes sauvages offrent d’excellents exemples de mise en œuvre de savoir-faire

traditionnels impliquant le recours à des matériaux biosourcés ou géosourcés : murs en bois cordé, façades et toitures en tavaillons, couvertures en chaume ou en lauzes, encorbellements en pierre sèche...…L’emploi de ces méthodes vertueuses présente un double intérêt, esthétique et pratique. La pierre sèche, qui ancre harmonieusement les microarchitectures dans le paysage, permet aussi de protéger efficacement de la chaleur.

De la naissance des projets à leur gestion, les chantiers de rénovation ou de construction des abrumes apparaissent plus que jamais aujourd’hui comme des lieux d’échanges, dans lesquels tous et toutes peuvent apporter leur pierre à l’édifice, agir, acquérir et transmettre des connaissances. Les générations se mélangent, les milieux sociaux aussi. L’association Tous à Poêle, implantée dans les Baronnies provençales, œuvre dans la France entière pour rénover, réhabiliter ou reconstruire des habitations dites vernaculaires. Ses chantiers sont ouverts à celles et ceux qui veulent participer à un projet collectif au cœur de la nature.

Le fonctionnement singulier des abrumes nourrit également la réflexion sur l’habitat partagé, une tendance qui gagne doucement du terrain et intéresse de plus en plus de maîtrises d’ouvrage. Ces microarchitectures font cohabiter dans une même temporalité des usagers multiples qui sont chargés de les entretenir et de les faire perdurer. La bienséance, omniprésente, guide les règles tacites en vigueur : nettoyer, ramener du bois et préparer le feu pour les futures personnes de passage.

Architectures locales respectueuses des paysages, témoins d’un patrimoine historique faisant appel aux savoir-faire traditionnels et au bon sens, les modestes abrumes constituent une formidable source d’inspiration pour le monde de demain. Face à un milieu du bâtiment et de la construction en mal de rationalité écologique, délocalisé et énergivore, ces abrumes emplis d’intelligence constructive et d’humanité offrent de formidables occasions de repenser notre manière de bâtir, d’habiter, de vivre ensemble et d’explorer le monde.

SUR LES TRACES DES ABRUMES

Pour Abrume, nous avons sélectionné vingt cabanes sauvages, anciennes ou nouvelles, présentant des singularités au niveau des savoir-faire utilisés, des matériaux employés ou de leur contexte. Nous les avons regroupées en six thématiques :

PRIMAIRE : abrumes aux murs timides, caractérisés par une toiture magistrale

VIVANT : cabanes invitant à prolonger la halte autour du foyer

COLLECTIF : autant d’incarnations du vivre ensemble

LOINTAIN  : des invitations au voyage renouvelant le paysage architectural montagnard

SOLITAIRE : quand le désir d’exploration cède la place au besoin de contemplation

SAUVAGE : pour pérenniser l’exil loin de la civilisation

Cette classification, dans laquelle les catégories sont nécessairement perméables, découle de notre ressenti lorsque nous avons découvert et étudié les abrumes. Chaque chapitre est construit comme une randonnée au sein de la thématique.

Afin de protéger ce patrimoine fragile et de préserver sa part de mystère, nous avons choisi de ne pas dévoiler l’emplacement des cabanes et avons pris soin de les renommer. Pour comprendre leurs origines, nous sommes allés aux quatre coins de la France métropolitaine à la rencontre de celles et ceux qui les habitent, les ont construites, les gèrent... Nous avons recueilli des témoignages oraux, collecté et épluché de nombreuses archives (cadastres, photographies anciennes...). Libre à vous d’enquêter à votre tour pour retrouver leurs traces. Nous ne vous en dirons pas plus... Ce livre n’est pas un guide touristique. C’est à un tout autre voyage que nous vous convions. Pour découvrir à votre tour la beauté des abrumes, à vous de pénétrer dans des forêts féeriques, de franchir des rivières turquoise et de traverser des plateaux glaciaux où vous ne croiserez d’autres âmes qui vivent que des bouquetins...

PRIMAIRE

Se protéger des éléments naturels

Dans une nature sauvage, l’être humain cherche à se protéger de la pluie, du vent, du froid... Quand la température chute au coucher du soleil, quand la fine bruine se transforme en trombes d’eau, il est temps de trouver un refuge. Alors, il faut observer le terrain, chercher les failles, les anomalies. S’abriter constitue le besoin le plus essentiel à notre survie. Avant même de s’entourer de murs, il est nécessaire d’avoir un toit, qu’il soit naturel ou construit. Aussi simple soit-il, il permet de se protéger des menaces qui émanent du ciel. Les abrumes primaires représentent les architectures aux murs timides, voire absents, caractérisées par une toiture magistrale.

L’ORIGINEL

« Le bruit des fermetures éclair et des sangles resserrées sonne le départ de notre randonnée. L’aventure commence. Très vite, les sapins se raréfient et un nouveau décor se dévoile : deux lignes de crête se dessinent de part et d’autre. Plus bas, au loin, le pelage blanc des montagnes finit par se tacheter de gris, de noir, jusqu’à se changer en vert boisé. Ces courbes naturelles viennent s’échouer au bord d’un grand lac cristallin. Plongés dans ce paysage idyllique, nous traversons un champ de rochers. Au milieu, l’un se détache par son allure élancée. Nous y sommes. »

L’Originel incarne, avec sa robuste pierre en guise de toit, la genèse de l’architecture à peine sortie du flanc de la montagne. Égaré dans les hauteurs d’une des nombreuses vallées d’Occitanie, ce rocher parmi tant d’autres se distingue par son allure à la fois massive et élancée. Entre lui et le sol a été érigé un mur de pierre qui clôt le vide et le transforme en espace de protection. Cet accident naturel métamorphosé en ouvrage architectural forme la première ligne de notre ode aux cabanes sauvages.

longueur/largeur int  : 246/286 cm

hauteur int max : 169 cm

hauteur int min : 83 cm

altitude : 1 563 m

surface : 6,4 m2

matériaux utilisés : pierre et bois

technique de construction remarquable : pierre sèche

LE TOUE, HABITER LE CREUX

Cet abrume est un « toue », un terme ancien qui désigne les abris pastoraux dans les Pyrénées. Architecture vernaculaire emblématique du massif, le toue se compose d’une petite cavité sous une robuste roche, encerclée par un mur de pierre qui ferme l’espace. Par le passé, les bergers et les bergères ont ainsi profité des accidents du terrain pour se mettre à l’abri. Tous les matériaux nécessaires à la construction de ce type de microarchitecture sont disponibles sur place. L’intérieur des toues est sommaire : un sol en terre battue et, parfois, des banquettes de pierre. Le toit naturel donne à celui qui s’y réfugie une sensation d’écrasement. Un sentiment exacerbé lorsque l’on songe au jeu d’équilibriste auquel se livre le rocher, posé sur un mur bien plus fragile que lui.

Au cours de l’histoire, les toues ont changé d’usage. Au départ intimement liés au pastoralisme, ils accueillirent au xixe siècle les alpinistes assoiffés de hauts reliefs, puis les randonneurs et randonneuses désireux de s’aventurer dans les grands espaces. Aujourd’hui encore, quand la montagne gronde et que le vent se lève, les portes de ces abris sont toujours ouvertes. L’Originel s’est modestement inséré dans le paysage, sans le perturber, en occupant une cavité géologique. Ce type de creux naturel investi par les humains rappelle les dents creuses, des endroits non construits entre des parcelles bâties. Architectes et urbanistes ont pour mission d’investir avec précaution ces accidents artificiels, témoins directs de la tectonique des villes.

QUAND LE MUR

FAIT ARCHITECTURE

Ce roc est posé à la lisière d’une forêt, à la confluence des multiples cours d’eau qui descendent la montagne par ses failles, là où la pente s’aplanit légèrement et s’ouvre sur la vallée. Il a dû parcourir un long chemin depuis les sommets pour arriver jusqu’ici. De l’érosion est né un creux. Alors, l’homme a ceinturé ce vide en dressant un mur. Soudain, le rocher n’était plus seulement rocher. Il est devenu un toit, un élément architectural d’un abri nouvellement créé. Le cloisonnement est une notion phare en architecture. À l’aide d’un crayon, d’un feutre ou d’une souris d’ordinateur, l’architecte délimite des espaces sur ses planches graphiques. Il les divise, les sépare ou les réunit. L’épaisseur de son trait deviendra plus tard celle d’un mur.

Mais ceinturer l’espace n’est pas suffisant. Il faut pouvoir entrer et sortir, amener de la lumière et de l’air. Les constructeurs de cet abri ont donc créé une ouverture, autrement appelée baie. Sur la partie haute de celle-ci, ils ont placé un linteau pour soutenir le pan de mur conservé au-dessus. Enfin, ils ont ajouté une porte.

Cet abrume est l’incarnation de cette pièce en trois actes. Son mur, monté à l’aide de pierres trouvées sur place, épouse les reliefs de la dent creuse naturelle. Ses variations de hauteur reflètent les irrégularités du terrain. Son concepteur a adapté l’architecture aux contraintes existantes pour créer un volume inhabituel, très éloigné des standards des habitats modernes.

« Nous sortons nos affaires pour la nuit. L’un s’installe sur la banquette en pierre tandis que l’autre, moins à l’aise dans les espaces exigus, opte pour le côté opposé. Une fois allongés, nous partageons nos premières impressions : l’écrasement, la massivité, l’inhospitalité. Notre discussion se transforme en un jeu des possibles. Comment ce rocher s’est-il retrouvé ici ? Ses cicatrices nous inspirent plusieurs scénarios. Naviguant entre hypothèses et reconstitutions historiques, nous nous endormons, bercés par le silence et le calme qui enveloppent la vallée. »

MONOLITHE ET ÉCRASEMENT

De loin, cet abrume est semblable à un rocher. Il se hisse comme sur une ligne de crête, surplombe ceux qui l’entourent, bien visible et pourtant camouflé dans ce monde de pierre. Les rayons du soleil révèlent ses fêlures, apportent des nuances à son gris naturel. Ils nous rappellent que, sous son apparente homogénéité, l’Originel est formé d’un agrégat de minéraux. Dans sa partie basse, une ligne brisée, matérialisée par des traits saillants, raconte une rupture : ce grand rocher s’est un jour fendu. C’est sous cette ligne que se trouve le mur. Il a été bâti avec des pierres de taille modeste. Ordonnées, structurées, elles fonctionnent ensemble à la recherche d’une unité globale. La continuité dans les matériaux donne un aspect monolithique à l’abrume.

En pénétrant dans l’Originel, on a le sentiment d’entrer à l’intérieur d’un rocher. Il n’y a rien de superflu, aucun apparat. Rien que des pierres, du sol au plafond. L’une d’entre elles, plus grosse que les autres, fait office de banquette. C’est là que nous posons nos affaires. L’ensemble est assez froid, inhospitalier. Il est impossible de se tenir debout. Plus on s’enfonce, plus la hauteur diminue. Alors, doucement, naît en nous un sentiment d’écrasement. Nous ressentons pleinement la masse, la dureté de la paroi rocheuse. Nous ne pouvons pas nous empêcher de nous imaginer broyés sous son poids. Nous devons avoir une confiance aveugle en ces murs de pierre qui nous encerclent et nous protègent tels de puissants remparts.

LA NOMADE

« Nous commençons la randonnée juste avant les premières lueurs du jour. Le dénivelé est doux. Une lune bleue s’estompe peu à peu dans un ciel sans nuage. Nous serpentons entre les coteaux en suivant le chemin de terre, dans le fracas de notre paquetage accroché à nos lourds sacs, avec pour seule compagnie les premiers oiseaux du matin. La rosée qui a envahi les champs mouille nos chaussures. Une heure plus tard, nous atteignons le sommet de la colline. L’abrume est là, ses tuiles de bois scintillant sous les premiers rayons du soleil. »

LA NOMADE

La Nomade est une microarchitecture aux allures de tente traditionnelle canadienne, perdue entre plaines de Champagne et paysages vallonnés de Bourgogne. Cet abrume est caché au milieu d’une zone couverte d’aubépines d’où émergent quelques chênes, sur une ligne de crête délimitant deux parcelles agricoles. Malgré sa petite taille, il nous conduit à nous interroger sur nos modes de vie.

longueur/largeur int : 170/220 cm

hauteur int max : 175 cm

hauteur int min : 0 cm

altitude : 440 m surface : 3,8 m2

matériaux utilisés : bois, terre et sable techniques de construction remarquables : tavaillon et torchis

ABRUME : cabane qui se dévoile dans une brume épaisse après une journée de marche, quand le ventre se creuse, que les jambes sont lourdes et les vêtements trempés. Une fine fumée s’élève derrière un talus, une odeur de feu de bois se répand doucement dans l’air, l’abri se dessine peu à peu.

UN MONDE SAUVAGE

AU CŒUR DE LA NATURE

Partis plus d’un an et demi sur les traces des cabanes sauvages, des abris sans gardien, ouverts à tout le monde toute l’année, deux jeunes architectes, Raphaël Guillemette et Gauthier Delvert, rendent hommage à ce patrimoine fragile et méconnu qui forme un monde à la lisière de la civilisation, là où les traits des cadastres ont été gommés par le temps. Perdues dans les forêts de Champagne, isolées sur le plateau du Vercors, accrochées à une montagne des Pyrénées, camouflées dans les vallées d’Occitanie, ces cabanes libres, qu’ils ont rebaptisées pour mieux les protéger, rythment nos paysages. Elles sont autant de possibles pour repenser notre manière d’explorer et d’habiter le monde, de bâtir et de vivre ensemble.

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