DAMIEN MERIT & JEAN RIONDET
INSTALLER un premier rucher
Pratiquer une apiculture respectueuse du bien-être des abeilles avec la ruche basse consommation d’énergie
U NERÉVOLUTION
Remerciements des auteurs :
Merci à Fabienne Chesnais pour sa relecture critique
SOMMAIRE
DÉCOUVRIR L’ABEILLE et son mode de vie
Apis mellifera, notre abeille domestique, serait apparue il y a plusieurs dizaines de millions d’années, probablement en Afrique. Extrêmement robuste, elle a survécu à bien des bouleversements climatiques, mais elle se trouve aujourd’hui fragilisée.
Pour garder ses abeilles en bonne santé, l’apiculteur doit conduire ses colonies en s’appuyant sur une bonne connaissance de l’abeille, et intervenir de façon ciblée pour compenser les fluctuations météorologiques et les désordres environnementaux.
LE CYCLE DE VIE DE L’ABEILLE
On distingue l’abeille (l’insecte) du groupe (la colonie), appelé également peuple ou population. À la différence de presque toutes les autres espèces d’abeilles dites solitaires, notre abeille domestique Apis mellifera ne peut vivre seule : sa survie tient au groupe avec lequel elle est en interaction constante.
Un œuf, trois possibilités
Dans la ruche, les œufs sont tous pondus par la reine. Mais un même œuf peut donner trois individus différents : une ouvrière, un fauxbourdon ou une reine. On parle de « castes » à propos de ces trois catégories d’abeilles.
• Un œuf non fécondé donnera toujours un mâle appelé faux-bourdon.
• Un œuf fécondé donnera une femelle, tantôt :
- une reine, si la larve est nourrie à la gelée royale exclusivement, qui est une femelle féconde
- une ouvrière, si la larve est nourrie avec des gelées riches en miel et en pollen, mais pauvres en gelée royale ; l’ouvrière est donc une femelle stérile.
À SAVOIR
La qualité et la variété des protéines apportées au stade larvaire déterminent la qualité des abeilles à venir : capacité à être de bonnes nourrices, à bénéficier d’une longue vie, à résister aux maladies. Certaines de ces protéines jouent un rôle central dans les mécanismes de reproduction et d’organisation sociale de la colonie. Elles sont apportées par les innombrables pollens collectés par les butineuses dans la variété florale qu’offre l’environnement. Une bonne situation se reconnaît à au moins quatre couleurs différentes de pollens dans les rayons. Moins de variété peut conduire à un état de carence en protéines.
Cette particularité permet à n’importe quelle colonie dont la reine aurait disparu d’en produire une nouvelle à partir d’un œuf, assurant par là même la survie du groupe.
De l’œuf à l’adulte
1. L’œuf est pondu verticalement. Durant 3 jours, il évolue de manière imperceptible et se couche (voir p. 20).
2. L’enveloppe de l’œuf se dissout et une larve apparaît. Dans les heures et jours qui suivent, les abeilles lui apportent de la nourriture en abondance.
3. Au bout de 8 jours (pour une reine) et de 9 jours (pour une ouvrière), la cellule où se trouve l'œuf est « operculée » : les abeilles la ferment d’un opercule, mélange de cire et de propolis.
4. La nymphose peut alors démarrer, c’est-à-dire la transformation de la larve en abeille. Elle nécessite beaucoup de chaleur (35 °C environ). Ce sont les jeunes abeilles et les faux-bourdons qui la produisent : ils tétanisent les muscles de leur thorax et font monter la température de leur plaque ventrale à 40 °C, qu’ils plaquent alors sur le couvain fermé.
5. De l'œuf à l'adulte, il faut : - 16 jours pour une reine - 21 jours pour une ouvrière - 24 jours pour un faux-bourdon. Ces durées sont variables notamment pour la gestation des reines (plus ou moins 1 jour en fonction des races et de la température). La stabilité de la température est un facteur déterminant sur la durée de la gestation. On observe jusqu’à 5 jours d’allongement de la durée chez les ouvrières lorsque la température est inférieure à 35 °C.
faux-bourdons
miel operculé
Le couvain est l’ensemble des œufs, larves et nymphes, et par extension l’endroit de la ruche où pond la reine appelé également nid à couvain ou nid.
- Quand les cellules qui abritent les œufs puis les larves sont ouvertes, on parle de « couvain ouvert ».
- Quand elles sont operculées, on parle de « couvain fermé ».
ouvrières
ouvert (larves)
fermé
ci-dessus : Les trois castes d’individus dans la colonie. en bas à droite : Ce rayon possède tout ce que l’on peut trouver sur les rayons d’une colonie. en bas à gauche : Miel operculé et pollen.
Le couvain fermé est reconnaissable à l’opercule bombé et de couleur brune qui ferme chacune des cellules. À ne pas confondre avec la pellicule fine, plate et translucide de l’opercule du miel ou les couleurs blanche, orangée, jaune ou noire du pollen stocké dans des cellules ouvertes placées autour du couvain ou sur les rayons adjacents.
L’ouvrière : une durée de vie variable
La durée de vie de l’abeille varie énormément suivant la période de l’année mais aussi selon les besoins de la colonie :
- en été, l’abeille vit en moyenne 6 semaines : 3 semaines enfermée dans la ruche puis 3 semaines à l'extérieur comme butineuse ; toutefois, si les conditions environnementales l’exigent, ces durées fluctuent - à la morte-saison , elle peut vivre jusqu’à 160 jours, la colonie vivant au ralenti dans la ruche.
À SAVOIR
La température durant la nymphose et le niveau de l’hygrométrie sont des paramètres qui doivent être constants, on parle de l’homéostasie du couvain. Cette régulation très précise nécessite beaucoup d’énergie de la part des abeilles. Une très bonne isolation des ruches améliore fortement les conditions de l’homéostasie pour une nymphose optimale, c’est une des conditions pour disposer de jeunes abeilles en bonne santé.
LE DÉVELOPPEMENT DE L’OUVRIÈRE
Une
faculté d’adaptation hors pair
La capacité d’adaptation biologique et sociale de l’abeille est étonnante ! La succession des fonctions liée au strict vieillissement biologique n’est en effet que théorique : elle résulte en réalité d’une interaction constante entre les besoins des larves, les ressources offertes par l’environnement floral et la météo.
Plusieurs
fonctions au cours de sa vie
- Jours 1 à 4 : l’abeille vit sur le cadre où elle est née. Durant 4 jours, elle est nettoyeuse, son corps évolue, se durcit. Elle consomme de la gelée nourricière en quantité et renforce ainsi ses corps gras, protéines sources de sa vitalité.
- Jours 4 à 9 : ses glandes hypopharyngiennes se développent, elle produit de la gelée royale, des gelées nourricières pour les larves et les faux-bourdons. Puis ces glandes s’atrophient peu à peu.
- Jours 10 à 17 : ses glandes cirières arrivent à maturité, elles produisent de la cire si la surabondance de nourriture est au rendez-vous. L’abeille chauffe le couvain, participe à la concentration du nectar.
Ceci n’est qu’un schéma très simplifié d’une réalité biologique bien plus complexe. La plasticité de la colonie, qui est semblable à un organisme vivant où chaque organe réagit selon les besoins de l’ensemble, lui permet de s’adapter aux contraintes variables de l’environnement. Ce schéma ne peut être la base d’une stratégie pour une pratique apicole.
- Jours 17 à 20 : ses glandes cirières s’atrophient et elle remplit le rôle de gardienne, filtrant les entrées dans la ruche, rejetant les intrus, les abeilles malades et les faux-bourdons (si la nourriture vient à manquer). Elle prend ainsi ses repères avec le soleil.
- Jours 21 jusqu'à sa mort : la voilà butineuse, porteuse d’eau. L’abeille conserve aussi une fonction de gardienne.
La reine, mère des abeilles
Issue d’un œuf fécondé dont la larve est élevée exclusivement à la gelée royale, la reine a une durée de vie qui peut atteindre 6 ans, mais dans les faits dépasse rarement 3 ans. Plus grosse et plus allongée que l’ouvrière, elle est reconnaissable par un œil exercé.
La reine ne sort jamais de la ruche, sauf pour le vol nuptial qu'elle effectue une fois dans sa vie, ou lorsqu’elle essaime (voir p. 145). On peut la marquer d'un point de couleur pour la repérer facilement. Pensez à le faire au printemps, les populations sont encore peu nombreuses.
Le faux-bourdon
Les faux-bourdons sont présents du printemps à l’été. Leur durée de vie (90 jours environ) est
ci-contre : La reine entourée de ses ouvrières.
à droite : Contrairement à ce que l’on croit parfois, le bourdon n’est pas le mâle de l’abeille, mais une espèce différente. Le mâle de l’abeille est le faux-bourdon.
régulée par les ouvrières, qui les nourrissent, les mâles étant incapables de trouver seuls leur alimentation. En cas de disette, elles les chassent et ils meurent de faim. Les faux-bourdons sont acceptés dans toutes les colonies ; ils vont ainsi de rucher en rucher assurant un brassage génétique qui évite les effets néfastes d’une consanguinité élevée. A contrario, ils sont aussi les vecteurs de maladies et de parasites. Un mâle a peu d’occasions pour féconder une reine, chacune étant fécondée lors du vol nuptial par dix à trente mâles au plus, qui meurent après l’accouplement.
À SAVOIR
Les corps gras sont des sacs de protéines situés dans l’abdomen et constitués en particulier de vitellogénine. Cette protéine est déterminante pour la qualité de vie de l’abeille, sa longévité, sa résistance aux maladies, sa productivité en gelées nourricières, ses qualités cirières. Elle favorise ses capacités cognitives pour trouver de nouveaux lieux de butinage et les communiquer à ses collègues. C’est malheureusement le plat préféré de l’acarien Varroa qui consomme les corps gras de l’abeille dont il annihile les qualités, ce qui fragilise puissamment les colonies.
LA COLONIE, MOIS PAR MOIS
Apis mellifera est un insecte social, la vie du groupe prime sur celle de l’individu. En conséquence, l’apiculteur ne gère pas des abeilles individuellement mais bien une colonie, à l’intérieur d’une ruche. Or, la colonie vit au rythme de la nature et possède son calendrier propre. Vous devrez en tenir compte pour programmer vos interventions.
MI-FIN JANVIER
Dès l’allongement significatif des jours, la ponte de la reine reprend. Les abeilles s’activent pour nourrir les larves avec des gelées nourricières de leur fabrication, et démarrer un nouveau couvain. Pour ce faire, elles consomment en quantité ce qu’il reste des réserves de miel et de pollen stockées à l’automne. Elles utilisent aussi leurs corps gras constitués en fin d’été, d’où l’importance de la qualité de la mise en hivernage des colonies.
EN FÉVRIER-MARS
Les abeilles développent largement le couvain car le pollen des premières fleurs apparaît. Bien que de piètre qualité, le pollen de noisetier offre la première des grandes ressources pollinifères. Puis viendra le saule Marsault, très riche en nectar et en pollen.
D’AVRIL À JUIN
Les floraisons explosent. La ponte de la reine s’intensifie, le couvain se développe rapidement. Les butineuses approvisionnent la colonie en pollen et en nectar. Les abeilles d’intérieur transforment le nectar en miel.
À SAVOIR
Une forte miellée sur le saule Marsault annonce une année d’essaimage.
Les rentrées de nectar excèdent les besoins immédiats de la colonie. C’est cet « excédent » que prélève le moment venu l’apiculteur, le reste constituant les réserves de la colonie pour la mauvaise saison.
page de gauche : Abeilles sur cellules royales et couvain operculé. en haut et au centre : Cette abeille butine un chaton de noisetier. C’est l’un des premiers à fleurir mais son pollen est médiocre à droite : Chatons mâles de saule Marsault. Avec son excellent pollen, il signe le vrai début de la saison apicole.
LES FLORAISONS ET LA VIE DE LA COLONIE
Les floraisons déterminent la qualité des colonies. Chaque année, prenez l’habitude de noter les dates du début des grandes floraisons (bruyère, colza, tilleul, lavande…), qui donneront des miels typés, mais aussi celles de la multitude des fleurs indigènes, « banales » en apparence, qui les précèdent et les annoncent. Elles participent également à la diversité des protéines et des nectars indispensables à la bonne santé des abeilles. Selon la latitude, l’altitude, la proximité des mers et océans, ce calendrier floral est en avance ou en retard de plusieurs semaines par rapport aux indications fournies par les manuels des plantes mellifères, auxquels vous vous reporterez avec intérêt (Les plantes mellifères mois par mois, Jacques Piquée, éditions Ulmer).
EN JUILLET
La période des grandes floraisons s’achève.
C’est le temps des fruits et de la maturation des graines, le temps est chaud, voire caniculaire. Les abeilles trouvent moins de ressources alimentaires, elles produisent moins de gelée royale et la ponte de la reine se ralentit.
EN AOÛT-SEPTEMBRE
Courant ou fin août, les pluies reviennent et relancent les floraisons de fin d’été. Cela donne aux abeilles l’opportunité de compléter en miel et en pollen leurs réserves hivernales, et de produire de la gelée royale. La reine reprend sa ponte. Les jeunes abeilles qui naîtront suite à cette reprise seront celles qui passeront l’hiver dans la ruche. Ces abeilles, qui n’auront pas de fonction de collecte et de stockage de miel, seront dotées de corps gras importants, ce qui leur assure de fortes
capacités d’élevage du nouveau couvain qui apparaîtra en janvier/février.
EN OCTOBRE-NOVEMBRE
La reine pond de moins en moins. La population d’abeilles dans la ruche régresse. Les réserves pour l’hiver sont toutes rentrées.
LES INTERACTIONS ENTRE LES MEMBRES D’UNE MÊME COLONIE
Les interactions sont constantes et passent par des échanges de nourriture, des attouchements d’antennes, des danses, quelques sons (vibrations) spécifiques. Les abeilles élèvent également leur progéniture en commun, assurent la défense collective de leur ruche, contribuent à approvisionner la colonie et partagent les ressources alimentaires avant de les stocker.
au printemps, les floraisons explosent et les butineuses approvisionnent la colonie. En hiver, en dessous de 10 °C, les abeilles ne sortent plus de la ruche.
EN DÉCEMBRE ET DÉBUT JANVIER
Sauf dans les régions particulièrement douces, la ponte de la reine cesse complètement, la population dans la ruche est au minimum de son volume (10 000 à 20 000 abeilles). Avec le froid, dans une ruche classique, les abeilles restent calfeutrées dans la ruche, elles se regroupent et « font la grappe ». Lorsque la ruche est correctement isolée, selon les modalités de la ruche RBC, la grappe n’a pas de
raison d’être, la chaleur dégagée par le métabolisme des abeilles suffit grâce au maintien des calories dans la chambre 1 (CH1) où elles vivent avec leur reine. Les abeilles vivent sous l’écharpe (voir p. 49), sur les rayons, consommant peu de miel pour se chauffer. Cependant, les jours sans vent, quand la température dépasse 10 °C et que le soleil chauffe, elles peuvent sortir faire leurs besoins.
Produire du miel en contribuant au bien-être des abeilles, c’est ce que vous propose Jean Riondet, apiculteur reconnu, et Damien Merit, biologiste spécialiste de l’isolation des ruches, dans ce guide qui donne toutes les clés pour installer son premier rucher dans le respect des abeilles. Avec une approche inspirée de la nature, ils nous présentent la ruche basse consommation d’énergie, une méthode révolutionnaire permettant de protéger le couvain, d’économiser l’énergie déployée par les abeilles et de garantir ainsi leur durée de vie. Résultat : une colonie en bonne santé et une production de miel abondante.
• Le monde fabuleux des abeilles. Le cycle de vie de l’abeille, son mode de vie, la colonie, où installer un rucher, nourrir les abeilles, soigner et protéger ses colonies… tout ce qu’il faut savoir pour démarrer son premier rucher.
• La ruche basse consommation d’énergie. Une approche intuitive et adaptée aux apiculteurs débutants, qui exploite la dynamique naturelle des colonies et favorise leur résilience face aux stress environnementaux.
• Récolter du miel sans risque pour la survie de la colonie. Des conseils et des pas à pas pour entretenir un rucher, connaître les gestes de base, choisir le meilleur jour de récolte et produire son miel.