Mount St John Tom Stuart-Smith
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lus que chez n’importe quel paysagiste actuel, le style de Tom Stuart-Smith est un amalgame de deux influences majeures. La première n’est autre que la tradition des bordures à l’anglaise plutôt « décoratives » avec ses thèmes de couleurs et ses « tapisseries » de plantes, ses éléments empruntés au jardin de cottage ainsi que de nombreux autres clichés dérivés des écrits de Gertrude Jekyll et de William Robinson au début du xxe siècle. La seconde reflète les idées nouvelles comme les plantations naturalistes venues des Pays-Bas et d’Allemagne depuis le milieu des années 1990 (globalement connues dans le milieu du paysagisme comme le mouvement des New Perennials) caractérisé par des massifs dominés par des graminées et conçus pour être aussi beaux en automne et en hiver qu’à leur paroxysme de la fin de l’été. En réponse, Stuart-Smith propose une idée de continuité sur la surface jardinée : un jardin qui va et vient avec les saisons, sans attraction particulière ni moment idéal. Cette approche s’oppose aux thèmes colorés traditionnels qui étaient soigneusement organisés afin de pouvoir sentir l’esprit de la bordure ou du jardin changer résolument au fil de la visite. Pour Stuart-Smith, un passionné de Beethoven, une analogie musicale est plus appropriée : les thèmes peuvent être repris sur une grande surface au moyen de plantations répétées d’un petit nombre de plantes clés qui serpentent dans l’espace entier, créant des rubans de couleurs vives et de rythmes à l’intérieur d’un ensemble cohérent. Une analogie empruntée aux arts visuels est tout aussi suggestive, la bordure traditionnelle serait alors qualifiée de « figurative » et la nouvelle bordure serait alors plutôt « abstraite ». « Je ne pense jamais à ces espaces comme à des pièces car j’aime que tout soit interconnecté », explique-t-il. « Une histoire globale avec une série d’intrigues secondaires, pas une succession d’épisodes. Je veux que le jardin entier soit une entité malléable. »
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La maison palladienne de Mount St John offre de belles vues sur le Val d’York. ci - dessus Le jardin en terrasses et divisé en deux parties : la première, montrée ici, est un espace plus conventionnel associé à la maison historique. page de gauche
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Packwood House Mick Evans
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es jardiniers des plus célèbres jardins de topiaires doivent parfois se sentir agacés. À moins que leur idée de cette fabuleuse pratique horticole se limite à garder les haies en vie et si possible impeccables, alors le fait que leurs jardins soient reconnus presque uniquement pour leurs haies doit être un peu lassant. Les meilleurs jardiniers surmontent ce problème en pratiquant, quand ils le peuvent, une horticulture superlative dans d’autres parties du jardin. C’est le cas depuis des années à Levens Hall, dans le nord de l’Angleterre, et bien sûr à Great Dixter (on oublie facilement que c’est le réseau de haies créé par Nathaniel Lloyd qui a fait la renommée de ce jardin). Maintenant, c’est Mick Evans, jardinier-chef du National Trust à Packmore House près de Birmingham, qui démontre que les nouvelles plantations d’un jardin peuvent rivaliser avec ses pièces historiques pour attirer les visiteurs. Les bordures de couleurs chaudes qu’il a créées sont largement admirées pour leur verve et leur originalité, même si elles ne sont pas le signe d’influences extérieures mais qu’elles s’intègrent au contraire dans le prolongement des traditions horticulturales du jardin. Il faut porter au crédit du National Trust d’avoir su faire confiance à son jardinier-chef pour mener de telles expérimentations dans les parties les plus en vue du jardin. Packwood est internationalement connu pour son étonnant jardin d’ifs taillés, « le Sermon sur la Montagne », qui occupe le terrain en pente face au sud de la maison du xvie siècle, puis « la Montagne d’où le sermon est délivré aux Apôtres », qui domine la « Multitude ». Nous pouvons être à peu près certains que lorsque ce jardin a été planté entre 1650 et 1670 par l’avocat John Fetherston, il n’imaginait pas que celuici pouvait représenter une scène biblique. Cet endroit a probablement d’abord été un jardin modeste destiné à rajeunir une motte féodale, que Fetherston, comme beaucoup de propriétaires avant et après lui, était réticent à déplacer malgré son aspect démodé (une motte était un élément ancien qui
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attestait que la famille était d’un lignage ancien), mais aussi pour des raisons pratiques (qui veut déplacer une montagne ?). Les ifs de Packwood ont fini par atteindre une taille imposante et vénérable, « peuplant » l’espace au point qu’un esprit fertile a pu imaginer qu’ils étaient réunis au pied de la Montagne, comme pour écouter un certain sermon. Il n’est pas difficile de deviner à quelle époque ce vernis religieux fallacieux a été ajouté. Non seulement les victoriens ont rebaptisé ce jardin « Sermon sur la Montagne », mais ils ont en plus ajouté d’autres ifs pour former la « Multitude ». Aujourd’hui, chacun de ces exemplaires magnifiques a son propre caractère, certains mesurant jusqu’à 15 mètres de hauteur et s’inclinant ou s’épaississant comme il est normal chez les personnes d’un certain âge. ci - dessus
La vue sur le magnifique trio de pignons depuis l’autre côté de la pelouse est maintenant égayée par l’ajout d’une double bordure resplendissante de verbascums. page de droite Les ifs taillés de Packwood, probablement plantés au milieu du xviie siècle, ont atteint des tailles considérables et sont maintenant appelés « Le Sermon sur la Montagne ».
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Lynn Garden, Ascott Jacques et Peter Wirtz
Le nouveau jardin est une combinaison abstraite de monticules enherbés, de bassins et de bosquets d’arbres stylisés.
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scott est la demeure de Sir Evelyn et Lady de Rothschild, membres de la grande famille de banquiers qui possédait autrefois cinq grandes maisons (Waddesdon, Mentmore, Tring, Aston Clinton et Halton) dans une propriété d’un seul tenant de 16 000 hectares, dans une bande du comté de Buckingham. Aujourd’hui, Ascott est la seule maison Rothschild de la vallée d’Aylesbury encore habitée par des descendants directs des premiers propriétaires. Les collections de tableaux, de meubles et de porcelaines de la maison ont l’importance de celles d’un musée international, mais malgré cette richesse, l’ambiance générale reste celle d’une résidence familiale habitée, grâce aux termes particuliers du legs fait par la famille au National Trust en 1949. On peut la visiter certains jours de la semaine en été.
Au milieu du xixe siècle, Ascott était une modeste ferme qui servait aux Rothschild de petit pavillon de chasse, avec au sud, une vue imprenable sur une campagne verte et vallonnée. Dans les années 1880, elle a été élevée au rang de grande résidence de style cottage par George Devey, un architecte Arts and Crafts. Elle a encore été agrandie ultérieurement et a maintenant l’aspect d’une grande ferme à colombage. De nombreux arbres ont été plantés dans le parc à la fin du xixe siècle, et des jardins formels clos ont été créés sur la pente douce inclinée vers le sud-est. Ce domaine a été entretenu et complété avec soin par les générations successives, et de nos jours la propriété entière présente cette touche de perfection associée à tous les domaines Rothschild. La majeure partie des jardins d’Ascott est située au sud de la maison, qui offre des vues lointaines vers les collines
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d’Invinghoe et le zoo de Whipsnade. Mais Lynn Garden (nommé en l’honneur de Lady de Rothschild) est bien caché au nord-est de la propriété. On y accède par une ouverture dans une grande haie de hêtres qui borde la Promenade Serpentine (Serpentine Walk), à mi-chemin de cette perspective qui s’étend en ligne droite depuis la porte d’entrée de la maison. C’est un monde fermé d’environ 0,6 hectare de surface, fait de formes abstraites, de textures contrastées et de nuances de vert, conçu en 2006 par le duo belge père-fils : Jacques et Peter Wirtz. C’est à la fois une grande surprise et un vrai délice. Les Wirtz ont une réputation internationale grâce à leurs jardins très structurés plutôt contemplatifs, généralement constitués de canaux rectilignes et de longues haies strictes. Les jardins de Lynn illustrent parfaitement leur évolution plus récente, dans un dessin qui comporte de nombreuses courbes sur la plus large échelle possible. La scène est dominée par quatre monticules engazonnés mais d’aspects différents, environnés de plusieurs monticules satellites plus petits, comme si chacun représentait une sensibilité ou une personnalité différentes. Le premier monticule qui se présente au visiteur est un simple dôme entouré par un anneau épais de pennisetums et d’une haie de hêtres. L’herbe est normalement tondue rase dans tout le jardin, mais cet été-là on l’avait laissée pousser, ce qui lui donnait un air plus sauvage. De l’autre côté vers la gauche se trouve une île parfaitement circulaire entourée d’une douve et plantée de Prunus dessinant un autre cercle, rappelant quelque peu le célèbre tombeau insulaire de Rousseau à Ermenonville. Au-delà, le troisième monticule est une spirale de haies d’ifs entourée de charmes parfaitement palissés. Et plus loin sur la droite se trouve le quatrième et dernier monticule, le plus grand de tous, avec au centre un cercle de Malus (pommiers d’ornement) entouré d’un talus circulaire engazonné (que, dans un mouvement d’audace, on est en train de replanter de lavande ‘Hidcote’ pour donner un peu de couleur).
Le jardin comprend quatre épisodes principaux, dont un simple monticule engazonné entouré d’un ruban de graminées pennisetum (ci-dessus, et au premier plan à gauche) et une spirale d’ifs encerclée par des charmes palissés (à gauche).
lynn garden, ascott
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