Extrait 100 Styles de jardins - Éditions ULMER

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Land Art concepteur  Kim

Wilkie

achevé en  2009

LOCAlisaTION  Northamptonshire,

UK

les artistes du land art se distinguent des paysagistes par des œuvres qui s’inscrivent avec ampleur dans le paysage. Leurs travaux peuvent renvoyer à des réalités qui n’ont rien à voir avec le paysage lui-même, même s’ils en utilisent des éléments naturels : fond rocheux, pierres, sol et eau. Souvent, ces œuvres d’art ne sont entièrement comprises que vues du ciel.

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10 LAND ART

À Boughton House, le paysagisme fait partie de l’Histoire. Dès le xviie siècle, on y creusa des canaux rectangulaires parfaits pour constituer un réseau de beaux cours d’eau formels. Plus tard, un « Mont Olympe » au sommet aplati fut élevé, en référence à la demeure des douze dieux grecs. Lorsque l’actuel propriétaire, le 10e duc de Buccleuch, lança en 2006 la restauration du parc, il confia au designer Kim Wilkie la tâche de réaliser quelque chose de grand en face de ce Mont. Wilkie proposa de creuser, pour créer un jumeau inversé, un enfer s’opposant au paradis olympien. Il fut baptisé Projet Orphée, du nom du musicien de la mythologie grecque qui descendit dans les entrailles de la Terre pour convaincre le dieu Hadès de libérer sa défunte femme, avant de la perdre à nouveau en se retournant pour vérifier qu’elle le suivait. Le mont original mesurait 7 m de haut et 50 m de côté, et la pyramide inversée respecta les mêmes proportions. La fosse fut entourée de pelouse et un bassin d’eau noire, immobile et réfléchissante, fut créée au fond pour représenter l’effrayante entrée de cet enfer métaphorique. Intervention réussie dans un paysage anglais historique, cette intelligente inversion d’une création artificielle trouve son sens en dehors d’elle-même. Elle renouvelle la dimension dramatique et l’intérêt d’un paysage formel qui, en raison d’un manque de fonds, avait échappé fortuitement à une reconversion naturaliste au xviiie siècle.

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[3] PYRAMIDe inversée  Sa réalisation réclama des calculs complexes, effectués par ordinateur et reportés par visée laser afin de guider parfaitement la pelle mécanique. Pour pouvoir poser le gazon sur ses pentes abruptes, celui-ci fut déroulé comme une moquette d’escalier et épinglé à intervalles réguliers avec des cannes en bambou jusqu’à son enracinement. Toute une batterie de tondeuses, y compris radiocommandées, est employée pour conserver un gazon parfait ; en été, la tâche occupe chaque semaine deux jours complets.

les Ingrédients [2]

[1]

· Réinterprétation historique · Symétrie · Vides et pleins

[3]

· Géométrie · Allégorie

[4]

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12 LAND ART

[1] Terre et eau Les canaux du xviie siècle divisent le paysage en rectangles de terre formels qui donnent l’apparence de flotter sur une très grande étendue d’eau. Remplis à ras bord, ils représentent autant de surfaces planes et réfléchissantes où semblent se rejoindre ciel et terre. S’en dégage globalement une impression de simplicité, avec une dimension dramatique et dynamique amenée par les reflets des nuages en mouvement et des ombres qui allongent les reliefs, conférant à l’ensemble une valeur sensuelle et sculpturale.

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[2] Mont olympien  Cette réalisation paysagère est attribuée à Charles Bridgeman, connu avant tout pour avoir participé au parc de Stowe (Buckinghamshire) ; on pense qu’elle fut édifiée en 1724. La popularité des monts en paysagisme remonte au Moyen Âge. Souvent circulaires, leurs plateformes surélevées offraient une vision panoramique sur la maison, les jardins alentours et le paysage en contrebas. Quant à son nom de Mont Olympe, elle s’explique par la mode au xviiie siècle des motifs classiques dans les plans de jardin.

[4] Spirale de Fibonacci Creusée derrière le Projet Orphée, une rigole alimente en eau de source le bassin de la pyramide. Son tracé suit celui d’une spirale de Fibonacci, une figure logarithmique qui s’élargit (ou s’éloigne de son point de départ) selon un certain facteur, tous les quarts de tour qu’elle effectue. Cette formule, qui se retrouve dans la nature (elle régit notamment la répartition des différents éléments du visage humain), incarne la proportion esthétique idéale, sous-tend non seulement la composition de nombreuses grandes peintures de la Renaissance, mais est aussi à la base de toute architecture classique ou néoclassique, après avoir été celle du Parthénon d’Athènes et de la pyramide de Khéops, à laquelle fait écho celle de Boughton.

SCULPTer le paysage Ces formes s’inscrivent dans une longue tradition britannique, qui remonte aux tertres et aux tumulus préhistoriques. Après avoir été délaissées un temps, elles ont été remises au goût du jour dans les années 1930 par le style Art déco. Aujourd’hui, le design organique, comme le tracé sinueux d’Alan Gardener dans le jardin de Wrekin (Shropshire ; ci-dessus) et l’extraordinaire Garden of Cosmic Speculation de Charles Jencks à Dumfries (Écosse), témoignent de cette tradition perpétuée.


Rouge piquant concepteur  Hassell

studio

achevé en  2013

LOCAlisaTION  Melbourne,

Australie

les traditionnels couples de couleurs complémentaires, associant couleurs primaires et secondaires, étaient au moins déjà décrits au début du xviiie siècle : rouge-vert, jaune-violet et bleuorange. Dans le contexte d’un jardin, où le vert prédomine naturellement, on retrouvera logiquement le rouge dans ses éléments en dur, à la fois en raison de leur fonction complémentaire et de leur capacité à attirer l’attention, tant qu’elle n’est pas excessive. couleur

302 rouge piquant

Ce jardin, une partie d’un réseau de toits végétaux du Burnley Campus de l’université de Melbourne, fut créé pour fournir aux étudiants une démonstration à grande échelle des possibilités offertes par les jardins de toit. Mais ce qui était inattendu, c’était qu’il devienne en même temps un espace plaisant et à la pointe du paysagisme. L’équipe de Hassell Studio y adopta un concept rouge audacieux, estimant que plus le jardin se remarquerait, plus il contribuerait à diffuser l’éco-message de l’université. L’université de Melbourne lança ses recherches sur les toits « verts » en 2006. En effet, jusqu’alors la majorité des travaux dans le domaine avaient été conduits dans les régions tempérées d’Europe et des États-Unis plutôt qu’en Australie, où une problématique spécifique est celle du stockage de l’eau. Les bénéfices des toits verts, particulièrement en environnements urbains, sont multiples. Le plus pertinent est leur efficacité à ralentir le ruissellement sur les bâtiments, prévenant ainsi les saturations brutales des systèmes d’évacuation. Leurs propriétés isolantes améliorent aussi la performance environnementale des bâtiments en réduisant leur consommation d’énergie. Enfin, chaque toit crée un nouvel habitat. Ce jardin de toit témoin est également un espace de recherche sur les plantes, les substrats et leurs besoins en eau. Ses visiteurs peuvent y juger des performances des plantes en situation.

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les Ingrédients · Unité · Couleur

[3]

· Symbolisme · Niveaux multiples

[1]

· Expérience sensorielle

[5]

[2] [4]

couleur

[1] plantation rapprochée Les jardinières, aux formes aléatoires, délimitées par des bordures plaquées d’acier peint en rouge, semblent flotter au-dessus des autres plantations du jardin. Leur rouge répond aux bandes de même couleur qui sillonnent l’espace. Hassell Studio conçut ce lieu pour être interactif, en offrant de nombreuses possibilités d’intéresser le visiteur aux plantations et aux concepts écologiques qu’elles représentent. L’îlot central décuple cela en rapprochant la plantation du regard, comme placée sous microscope.

304 rouge piquant

[2] bandes rouges Le réseau de lignes rouge vif suit son tracé fantasque à travers le jardin, reliant parfois certaines expériences, mettant d’autres fois en vedette une expérimentation particulière. Les motifs formés par les îlots centraux et par ces bandes rouges, en acier revêtu de peinture poudre et faites sur-mesure, sont inspirés de ceux que l’on peut découvrir dans la vue en coupe d’une cellule végétale. Le tracé imprévisible de ces bandes se combine aux méandres du chemin de bois pour ralentir l’exploration visuelle et physique et inviter à une observation attentive.

[3] possibilités Horticoles On se charge ici d’explorer le potentiel des plantations de toit dans le contexte australien. Un jardin de toit se doit d’ajuster non seulement une couche de substrat mais aussi le nécessaire pour l’arrosage et le drainage. Différents niveaux permettent ici de modifier l’épaisseur du substrat par paliers de 5 cm. Le succès d’une espèce donnée selon l’épaisseur de substrat peut alors être mesuré, avec prise en compte du facteur de conditions fréquemment chaudes et sèches.

[4] allée en grillage Une allée à clairevoie, faite d’un treillis en acier, fournit une surface résistante et perméable pour la marche, tout en laissant la lumière atteindre les succulentes basses et autres plantes tapissantes qui se trouvent dessous. Ce matériau renforce le caractère industriel du jardin, tout en en étant un composant fonctionnel. De même que les éléments rouges contrastent ici avec le vert de la végétation, les bandes créent un effet certain, juxtaposées au treillis argenté.

[5] chemins ondulants  Les parties surélevées de l’allée offrent différentes possibilités pour des cours impromptus sur l’écologie du jardin. Les variations de largeur, de profondeur et les revêtements en bois sont autant de sièges intégrés pour les étudiants, face aux endroits susceptibles d’être commentés. Mais si l’espace est fonctionnel, il n’est pas prévisible : une portion de marches d’un côté du jardin, aux reliefs marqués de rouge, répond à des rampes en pente douce de l’autre côté. L’effet esthétique général est celui d’une œuvre d’art abstraite.

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à l’épreuve de la sécheresse concepteurs  Ruth

Bancroft et Lester Hawkins achevé  dans les années 1970 LOCAlisaTION  Walnut Creek, Californie, USA

environnement

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à l’épreuve de la sécheresse

les terrains secs pourraient bien représenter le défi ultime pour un jardinier. Si à certains endroits, l’eau peut être amenée, de plus en plus – face aux restrictions d’arrosage et avec la montée de la conscience écologique – on recherche des plantes qui prospèrent naturellement dans les milieux secs, sans la perfusion de l’irrigation. Cultiver des plantes adaptées ne signifie pas pour autant que l’on s’arrêtera à un fade assemblage de gris et de bruns. Une collection de succulentes peut vraiment offrir des combinaisons de couleurs et de textures aptes à rivaliser avec toute autre.

La vénérable collectionneuse de plantes qu’est Ruth Bancroft est bien connue dans les cercles horticoles pour avoir démontré au monde les opportunités du jardinage en terrain sec. Les débuts de sa collection de succulentes datent des années 1950. Dans les années 1970, cette collection avait déjà acquis une certaine importance mais était entièrement confinée dans des pots. La famille gérant des vergers de noyers, elle décida d’utiliser une partie de ce terrain, pour mettre en pleine terre sa collection. Un jardin résistant à la sécheresse était à l’époque un projet radical, mais la Californie subissait déjà

des restrictions d’eau et Bancroft suspecta que le problème pourrait s’aggraver. La suite lui donna raison. La région connaît les pires sécheresses de son histoire, et aujourd’hui plus que jamais, son jardin fait figure de démonstration éclatante de ce qui peut être cultivé dans ces conditions. Le paysagiste local Lester Hawkins dessina la trame originale de ce réseau de chemins sinueux contournant des massifs en relief. Il ajouta aussi quelques plantes d’ombrage architecturales pour protéger certains spécimens de l’impitoyable soleil estival.

Les succulentes, comme les agaves, les aloès, les Aeonium et les sédums ont évolué en stockant l’eau dans leurs feuilles et leurs tiges charnus. Les botanistes dissocient souvent les cactées, même si la plupart d’entre elles remplissent les mêmes critères. Le jardin de Bancroft, le premier projet de l’US Garden Conservancy, contient actuellement environ 2 000 espèces différentes. Là, ses importantes collections d’aloès, d’agaves, de yuccas et d’Echeveria, venues d’Afrique, d’Australie, de Californie, du Chili et du Mexique, sont arrangées dans un style informel, abritées si nécessaires de pins et d’acacias.


les Ingrédients

[3]

· Équilibre · Textures

[1]

· Contrastes colorés

[2] [4] [5]

environnement

360 à l’épreuve de la sécheresse

[1] agave géante Par sa taille imposante et sa forme intimidante, Agave salmiana attire indéniablement les regards dans cette partie du jardin. Cette espèce peut ateindre 3 m de haut et fleurit autour des 15 ans. Elle projette alors vers le ciel une hampe florale de plus de 6 m, qui produira un candélabre de fleurs jaunes ; après quoi, la plante meurt. Sa descendance est assurée par la germination des graines mais aussi par ses rejets. Au Mexique, la sève fermentée de cette espèce est utilisée pour préparer le pulque, un boisson laiteuse et visqueuse, au goût aigrelet de levure.

[2] arbre d’ombrage On aurait pu penser qu’il n’y avait pas de place pour un arbre caduc dans cet environnement exigeant, mais Parkinsonia aculeata (palo verde) remplit ce rôle admirablement. Originaire du Sud-Ouest des ÉtatsUnis et du Nord du Mexique, ce membre de la famille des pois forme une canopée peu dense qui filtre le soleil pour les espèces vulnérables plantées à son pied. Sur le plan esthétique, son port gracieux et étalé, ses feuilles de fougères, fournissent une jolie toile de fond pour les feuilles dentelées et épaisses des succulentes. Son allure aérée pourrait le faire croire inoffensif mais il est couvert d’épines.

· Hauteur et profondeur · Points focaux

[3] Couronnes de yucca Au-dessus des énormes agaves, s’élèvent les lances sans épines des Yucca gigantea. Leur couleur et leur forme en brosse ronde font ressortir un peu plus la silhouette carac- téristique de leurs voisines. Cette espèce, la plus grande, peut atteindre 9 m. Ses têtes gagnent en effet architectural lorsqu’elles se ramifient avec l’âge. Il serait facile de penser que rien ne se ressemble plus que deux succulentes épineuses mais leur multiplicité de formes, de couleurs et de silhouettes fournit une foule de textures contrastées.

[4] couleur des aloès Étant donnée la floraison très limitée d’Agave salmiana, il est heureux que l’on puisse se fier aux touffes d’aloès pour illuminer les coins ombragés de la bordure. Une fois qu’elles ont atteint leur maturité, habituellement à 4-5 ans, elles fleurissent chaque année. Leurs inflorescences tendent à s’ouvrir progressivement, donnant ainsi de la couleur sur la durée. Ici, c’est un rouge électrique, mais d’autres espèces fleuriront en jaune, orange et rose. Leur feuillage varie aussi : du gris au vert vif, parfois rayé ou moucheté.

[5] tapis succulent  Équilibrant la taille des spécimens architecturaux du jardin, des succulentes rampantes forment un tapis sur le sol, s’égarent sur les chemins et fuient les délimitations de la bordure. Ces plantes ont beau être petites, elles n’ont pas moins une forme étonnante. Les feuilles glauques d’Euphorbia myrsinites se regroupent en périphérie d’un amas de tiges aux allures de serpents, lui donnant une apparence d’un autre monde, plus animale que végétale. Originaire de Turquie, un pays des températures extrêmes, elle est assez robuste pour affronter les conditions de ce jardin.

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