Extrait Le jardin et sa maison, la modernité des années 50 - Éditions Ulmer

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LE JARDIN & SA MAISON

LA MODERNITE DES ANNEES 50

ETHNE CLARKE


« LE DESIGN EST LA TENTATIVE CONSCIENTE   DE DÉFINIR UN ORDRE QUI AIT DU SENS » victor papanek


Habiter un monde nouveau 8

INTRODUCTION

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FRANK LLOYD WRIGHT ET LA DÉFINITION D’UN LANGAGE POUR L’ARCHITECTURE ET LE PAYSAGISME MODERNES

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LE BAUHAUS TIRE SA RÉVÉRENCE

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PAYSAGE ET IMPORTANCE DES PLANTES EN ANGLETERRE ET EN EUROPE

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MODERNISME DE LA CÔTE OUEST ET VIE AU GRAND AIR

LE STYLE MID- CENTURY EN PRATIQUE

Page 2 : textile « Aralia » conçu par Josef Frank pour Svenskt Tenn, Suède, vers 1928.

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INTRODUCTION

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DES DESIGNS CONTRASTÉS

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APPROCHES AUDACIEUSES

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S’APPROPRIER L’ESPRIT MID-CENTURY MODERN

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S’ABRITER : ÉCRAN ET OMBRE

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DÉFINIR LES ESPACES

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LE PLAN PAR LES PLANTES

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BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE INDEX CRÉDITS PHOTOGRAPHIQUES



Habiter un monde nouveau



Nous vivons une époque de grandes avancées scientifiques, médicales et technologiques. Chaque jour semble renouveler la promesse d’une vie plus longue, d’une meilleure santé et d’appareils qui, nous assure-t-on, nous simplifieront la vie. Face aux pressions mondiales, aux économies vacillantes, à la guerre, aux bouleversements et aux actes d’une cruauté peu commune qui, de jour en jour, se banalisent et se durcissent, combien d’entre nous se sont lancés dans une quête personnelle en vue d’atténuer le stress de la vie courante ? Nous aspirons à enrichir notre quotidien en vivant plus simplement, à nous recentrer sur les aspects essentiels de notre existence : la famille, le foyer et le bien-être spirituel, qui découle d’une vie équilibrée, axée sur plus de durabilité et moins de gaspillage. Une vie menée avec plus de sagesse. Un tel scénario n’aurait pas détonné voilà 60 ans. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la reconstruction mettait à l’honneur la famille et les perspectives sociales ouvertes par la paix universelle. Les soldats rentraient chez eux, se mariaient et reprenaient leur carrière laissée en suspens (se muant en « guerriers de la route » des trajets quotidiens). On encourageait les femmes à troquer les postes qu’elles avaient occupés dans les usines durant la guerre contre la promesse d’une nouvelle vie domestique plus efficace et plus paisible, grâce à des équipements destinés à réduire leur labeur de tous les jours. L’économie redémarrait. Priorité était donnée à la création d’emplois et à la relance de la consommation. Le secteur de la construction florissait ; de nouvelles résidences et des villages

entiers sortaient de terre, spécialement conçus pour accueillir les familles de jeunes travailleurs aux revenus moyens. Les tendances architecturales tournées vers l’avenir et l’utilisation innovante des matériaux de construction, qui avaient déjà évolué après la Première Guerre mondiale avant d’être réorientées, au moment du réarmement des forces alliées à la fin des années 1930, vers un usage militaire, retrouvaient leurs applications civiles en temps de paix : béton armé, barres d’armatures en acier, verre, matières plastiques et fibres synthétiques prirent de l’importance à mesure que s’étendait la trame de la nouvelle architecture « moderne ». Caractéristique marquante, les habitations modestes des banlieues nouvelles arboraient des pelouses plantées de fleurs et de massifs d’arbustes. Sous les climats doux, la piscine et le patio devenaient des éléments incontournables du paysage. L’éclairage prolongeait le jour et l’électricité alimentait les nouveaux équipements du foyer, ménageant plus de temps pour les distractions. Tout cela, associé à un plan libre et au brouillage des espaces extérieurs et intérieurs, façonna un nouveau mode d’existence. La vie au grand air était née. Park Forest, dans l’Illinois, où j’ai grandi, est un lieu unique en ce qu’il fut le premier des villages construits dans les années 1940 et 1950 dans le but précis d’accueillir les militaires de retour au pays ; des jeunes hommes qui, comme mon père, venaient de décrocher leur diplôme et s’apprêtaient à entrer dans la vie active quand ils avaient été mobilisés. Le village fut édifié sur un terrain de golf à l’abandon. Bordées de maisons mitoyennes et d’habitations individuelles à

introduction

Plan directeur de la banlieue nouvelle de Park Forest signé par le cabinet Loebel, Schlossman and Bennett, dont le nom s’imposa lors de la reconstruction après la Seconde Guerre mondiale. L’ancien président du cabinet, Don Hackl (Fellow of the American Institute of Architects), décrivait le village comme une « banlieue-prototype destinée aux militaires de retour au pays. » Mais Park Forest, loin d’être un projet de sous-division parmi tant d’autres comme le fut Levittown à New York, était une petite ville à part entière, pourvue

de tous les services : commerces, espaces extérieurs, écoles, églises et logements de tous types.

Page précédente : Émergeant des cendres de deux guerres mondiales, les gens découvraient avec bonheur les nouvelles expressions du foyer et de la prospérité, notamment dans la gaieté accueillante du design mid-century modern, comme dans cette maison Eichler dotée d’un atrium ensoleillé.

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Introduction


Vues aériennes de Park Forest : ci-dessus, le centre commercial constituait le point de rencontre du village, et la grande Clock Tower ou « tour de l’horloge » dressée en son cœur (démolie voilà quelques années), le pivot des célébrations locales. L’architecte paysagiste Elbert Peets n’eut pas recours au quadrillage pourtant fort répandu dans les agglomérations américaines, auquel il préféra un paysage de courbes larges, à droite ; il voyait dans ces « quartiers », comme celui imaginé dans l’ébauche ci-contre, la clé du succès de toute tentative de planification.

Dans une lettre de 1948 à l’éditeur du Journal of Housing, Peets expliquait que « [...] le quartier – sous certaines formes et dans une certaine mesure – est un motif de planification très utile » en ce qu’il satisfait, pour des fonctions spécifiques, « le premier principe de l’urbanisme moderne. » Et crée, par « simple logique », un centre de services autour duquel se déploient, sans toutefois s’en éloigner au point d’en être hors de portée, les axes résidentiels.

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louer, les rues sinuaient à travers les vestiges du parcours paysagé ; en bordure de la forêt nationale protégée par l’État se côtoyaient des zones boisées et des prairies où les familles, le week-end, allaient se promener et « manger dehors ». Le plan directeur de Park Forest fut conçu de telle sorte que les écoles et le centre commercial (l’un des premiers aux ÉtatsUnis, inspiré de la Place Saint-Marc à Venise) étaient facilement accessibles à pied pour les mères et leurs enfants. Les hommes prenaient la voiture familiale pour leurs allers-retours quotidiens jusqu’à la gare (Illinois Central station), où ils prenaient le train pour Chicago. Déposés sur Michigan Avenue, ils n’étaient plus qu’à deux pas des sièges des grands groupes industriels comme Shell Oil, des agences de publicité et autres entreprises du même type. Un univers bien ordonné dans un monde de nouveau en paix. Comment était-ce de grandir dans un environnement si soigneusement planifié, voire, comme certains pourraient le dire, contrôlé ? Aux yeux d’un enfant, étonnamment libérateur. Chaque court, comme on appelait les pâtés de maisons mitoyennes à louer, s’alignait le long d’une zone de stationnement sur laquelle donnaient les cuisines et les coins repas, tandis que les pièces situées à l’avant avaient vue sur des espaces communs de gazon plantés d’arbres adultes, entretenus par les jardiniers d’American Community Builders, qui veillaient également sur le bâti. On circulait dans l’espace partagé en empruntant des trottoirs (parfaits pour les tricycles, les patins à roulettes et les marelles

tracées à la craie), d’où partaient des chemins desservant l’entrée de chaque unité d’habitation ; outre les modestes pelouses qui encadraient chaque entrée, jardinières et parterres fleuris étaient permis, de sorte que chaque locataire disposait d’un « lopin » dont il pouvait s’occuper à sa guise. Aucune clôture ne séparait les propriétés ; les seules dont je me souvienne encadraient le petit terrain de jeux de chaque unité d’habitation, afin de garantir la sécurité des bambins. Les plus grands, libres de courir sur les chemins ou à travers bois, n’étaient rappelés de leurs jeux de cachecache qu’à l’heure où les lucioles commençaient à briller. L’espace commun constituait le lieu de rassemblement des habitants à l’occasion des fêtes de voisinage, des barbecues et des apéritifs (une autre caractéristique de l’époque). Park Forest, comme mentionné plus haut, fut érigé sur le site d’un ancien village de golf dont le projet, conçu dans les années 1920, ne s’était jamais entièrement concrétisé, et qui avait fait l’objet de plusieurs autres initiatives aussi peu concluantes, visant pour l’une d’elles à en faire une localité destinée à accueillir des résidents afroaméricains. Puis, en 1947, Philip M. Klutznick acheta le terrain en même temps que quelques terres arables antérieures à la création du parcours de golf et, lors d’une conférence de presse au Palmer House, à Chicago, il proposa la création d’un village auto-géré implanté au sud de la ville, permettant l’accueil de cinq mille familles et offrant différents types de logements. Son entreprise, American Community

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Introduction


Builders, en fit la publicité dans le Chicago Tribune, laquelle incita mes parents à déposer une demande pour y devenir locataires ; comme pour tous les candidats, on s’assura que leur dossier comportait bien un statut de vétéran, et on vérifia leur niveau d’études et de revenus. Notre famille fut l’une des premières à s’installer ; dès 1950, 3 000 résidents y vivaient, dont la plupart n’avaient pas encore 30 ans. Instruits et débordants d’optimisme face au potentiel de ce tout nouveau monde, « partant de zéro », mes parents et leurs voisins assurèrent avec brio l’autogestion de leur village. Dès le départ ou presque, ACB avait laissé l’administration de Park Forest à un conseil citoyen, qui supervisa ensuite la planification et la construction des nouvelles infrastructures du village (lequel fut aussi l’un des premiers à être équipés du gaz naturel et à bénéficier de l’enfouissement de tous les réseaux). Klutznick choisit Loebl, Schlossman & Bennett, un cabinet d’architectes ayant pignon sur rue à Chicago, pour imaginer le plan directeur de Park Forest et concevoir les logements, les églises, les centres commerciaux et les équipements du village. Leur méthode de construction rationnalisée, innovante, assura une exécution des travaux rapide et sans heurts. Quand je regarde le plan des rues de Park Forest, je me rappelle l’aventure qui consistait chaque jour à suivre les tours et détours des nombreuses allées sinuant entre les creux et les reliefs pour rejoindre l’école, l’église ou les rassemblements de mon groupe de filles scouts ; et je n’ai aucun mal à comprendre l’un des associés plus tardifs du cabinet lorsqu’il décrivait l’approche conceptuelle de Richard Bennet comme une somme d’angles et de recoins destinés à

éveiller la curiosité, à susciter ce besoin humain d’explorer, d’aller voir ce qui se trouve derrière. Dans la planification paysagère, cet axe du caché/révélé est une façon d’accentuer l’impression d’espace ; or Park Forest, à la différence du quartier de Levittown à New York, était non pas l’immense sous-division d’une agglomération plus vaste encore mais un petit village, pourvu d’un centre spacieux tirant le meilleur parti de la topographie (les terres vallonnées d’anciennes fermes) et des arbres existants. Dans l’un de mes plus beaux souvenirs, je suis assise sous les branches festonnées de fleurs d’un vieux pommier au beau milieu d’un champ encore cultivé derrière la maison de ma meilleure amie, non loin du centre commercial, qui constituait le cœur de Park Forest. Aujourd’hui encore, le parfum des pommiers en fleurs m’inspire un sentiment de bonheur et de sécurité. Pour cette réminiscence, je peux remercier l’architecte paysagiste du projet, Elbert Peets. Né dans l’Ohio en 1886, Peets, après des études à la Western Reserve University, obtint en 1915 un Master of Landscape Architecture à Harvard. En 1922, il publia The American Vitruvius : An Architect’s Handbook of Civic Art, ouvrage qui fait encore référence aujourd’hui. Il signa également un certain nombre d’articles bien reçus par la critique, parmi lesquels « Restraint and Order in Planning Outdoor Rooms » (Your Garden, 1927) et « Site Planning for Livability » (The American City, 1941). Six années durant, jusqu’en 1944, la US Housing Authority (l’agence américaine pour le logement) employa Peets au poste de responsable de la planification du site. Puis, à partir de 1946-1947, il joignit ses forces à celles de Klutznick, d’ACB et de Richard Bennett en qualité de site planner de Park Forest,

À gauche, tract publicitaire pour la ville nouvelle de Greendale, construite en 1935 dans le cadre du New Deal, au lendemain de la Grande Dépression. Cet aménagement visait à fournir des emplois ainsi que des logements à loyers raisonnables, dont l’État fédéral restait propriétaire. Implantée sur près de 1 400 hectares de terres agricoles au sudest de Milwaukee, Greendale était une cité-jardin. Au sein de l’équipe qui mit l’innovation au service de sa création, Elbert Peets comptait parmi les principaux site planners ; à cet égard, ce projet annonçait son travail ultérieur à Park Forest.

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Ci-contre en haut, la proposition de Peets pour une extension de Greendale, datant de 1948, rappelle son plan de Park Forest : on y voit des zones résidentielles reliées entre elles par des rues de service et des chemins piétons rejoignant les artères principales, où chaque élément reçoit un traitement paysager spécifique. En témoigne son croquis en coupe transversale, ci-contre en bas à gauche, où il recommande des catégories d’arbres en fonction de chaque type de rue. Ci-contre en bas à droite, l’esquisse de Peets pour le centre commercial de Park Forest. Depuis bien longtemps, la place commerçante est vue comme le point de rencontre d’un village.


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Le mouvement Mid-Century Modern a marqué le design et l’architecture des années 1950, de l’immédiat après-guerre jusqu’au début des années 1970. Il est à l’origine d’une véritable révolution dans l’habitat, qui nous apparaît encore aujourd’hui d’une extrême modernité. Laissant largement entrer la lumière dans les maisons, brouillant les limites entre intérieur et extérieur, privilégiant les utilisations familiales du jardin pensé comme une véritable pièce à vivre au grand air, le style Mid-Century Modern reste plus que jamais d’actualité. Ce livre présente les liens entre le jardin et la maison dans le cadre de ce mouvement et les enseignements qu’on peut en tirer aujourd’hui. La première partie du livre, historique, retrace les origines du mouvement, de la fin du Bauhaus à l’émergence du modernisme. La seconde partie, plus pratique, nous indique comment créer un jardin de style Mid-Century Modern, à travers des exemples actuels ou d’époque. Abondamment illustré de photos et dessins d’archive peu connus, retraçant l’œuvre des designers et des architectes qui furent à la pointe du mouvement, ainsi que par des photos de réalisations contemporaines, ce livre est une mine d’informations aussi bien esthétiques que pratiques sur ce style « années 50 » en pleine renaissance.

,!7IC8E1-dijcaj! ISBN : 978-2-84138-920-9


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