invitation à la prière (N°189)

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Claude Flipo, s.j.

Claude Flipo, s.j.

Invitation à la prière La qualité de la vie, c’est la qualité de nos relations. Comment en serait-il autrement pour la vie chrétienne, et pour la relation qui la fonde : la prière ? De même que les conditions de travail, de logement, de transport, au lieu de nous isoler, doivent promouvoir les relations humaines, notre manière de vivre doit nous aider à trouver Dieu. Une vie sans prière devient vite inhumaine. Les chrétiens le savent bien, qui aspirent aujourd’hui à la retrouver comme une dimension essentielle de leur vie. Mais notre désir se heurte à de nombreuses diffi cultés, et le découragement nous guette. Retrouver les conditions de la prière, découvrir notre démarche propre et notre manière de prier : telle est la visée de ces pages. Elles ne cherchent pas l’originalité, mais la simplicité et la clarté. La maison du Père a beaucoup de demeures et le monde de la prière a plusieurs entrées. Aussi bien peut-on commencer la lecture de ce livret par ici ou par là, indifféremment.

Invitation à la prière

Invitation à la prière

Claude Flipo, s.j.

Ecole de prière

Invitation à la prière, invitation au travail — comme le suggère le chapiteau de Vézelay, appelé le « moulin mystique », qui orne la couverture. Car notre cœur est comme un moulin, qui broie ce qu’on y verse : du froment ou de l’ivraie. Seul l’Esprit de Jésus peut nous apprendre à prier. Nous ne pouvons rien sans son inspiration. Mais il ne peut rien sans notre effort. « Il faut vous mettre à l’œuvre, dit Jésus, pour obtenir non pas une nourriture périssable, mais la nourriture qui demeure en vie éternelle » (Jean 6, 27).

viechretienne.fr

fidelite.be

ISBN 978-2-918975-17-5

ISBN 978-2-87356-627-2

9 782918 975175

9 782873 566272

10,00 € © Éditions Vie chrétienne, 2014 47 rue de la Roquette 75011 Paris, France Publié pour la première fois en 1975 comme supplément à la revue Vie chrétienne no 189. Photo de couverture : Le moulin mystique, basilique de Vézelay © Thierry Brésillon / GODONG

Vie chrétienne 189

Claude Flipo est jésuite. Il a été rédacteur en chef de la revue Christus et aumônier de prison.

Éditions Vie chrétienne



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Invitation à la prière


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ISBN 978-2-918975-17-2 Code article 189 © Éditions Vie chrétienne, 2014 47 rue de la Roquette 75011 Paris, France viechretienne.fr

ISBN 978-2-87356-627-2 Dépôt légal belge : D.2014, 4323-26 © Éditions Fidélité, 2014 7 rue Blondeau 5000 Namur, Belgique fidelite.be

Publié pour la première fois en 1975 comme supplément à la revue Vie chrétienne no 189. Photo de couverture : Le moulin mystique, basilique de Vézelay © Thierry Brésillon / GODONG


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Claude Flipo, s.j.

Invitation à la prière

Vie chrétienne | Fidélité 47 rue de la Roquette 75011 Paris | 7 rue Blondeau 5000 Namur


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SOMMAIRE 1. Les conditions de la prière ..........................................................5 Le désir ............................................................................................5 Le lieu ..............................................................................................7 La relation ........................................................................................9 Le cœur ..........................................................................................11 Le corps ..........................................................................................13 Le temps ........................................................................................15 La parole ........................................................................................17 Le silence........................................................................................19 La liberté ........................................................................................21 La foi ..............................................................................................23 2. Les démarches de la prière ......................................................27 Un courant contemplatif................................................................28 Un courant militant........................................................................28 La parole et l’Esprit ......................................................................29 La dimension historique ................................................................30 La dimension de profondeur..........................................................32 3. Les formes de la prière ............................................................35 Une manière simple ......................................................................35 Le déroulement de la prière ..........................................................37 La nourriture de la prière..............................................................40 Les transformations de la prière ..................................................42 Autre manière : sur les Béatitudes ..............................................44 L’examen de conscience................................................................46 La méditation ................................................................................49 La pratique de la méditation ..........................................................51 La vigilance ....................................................................................54 La contemplation ..........................................................................56

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1 LES CONDITIONS DE LA PRIÈRE Le désir « Dieu, c’est toi, mon Dieu, que je désire dès l’aube. Mon âme a soif de toi (Psaume 62, 2). Le premier pas vers la prière, c’est le désir. Désir confus, multiforme, qui ne connaît pas encore celui qui peut le combler, mais seulement son manque. Sentiment d’un vide intérieur, de la vanité d’une existence superficielle, de l’inutilité d’une vie agitée et encombrée. Pressentiment, pourtant, que cette vie n’est pas sans objet : « Tu nous as faits pour toi, Seigneur, et notre cœur est sans repos tant qu’il ne se repose en toi 1. » Désir ténu comme un fil d’araignée, faible comme une mèche qui fume encore. Ou puissant comme un cri, fort comme une vague qui vient baigner la plage entière de ta vie. Peu importe, si ce désir est en toi, tu pries déjà. Ou plutôt, l’Esprit Saint prie en toi. Car par nous-mêmes, nous ne savons pas prier. « Si tu savais le don de Dieu », dit Jésus à la Samaritaine (Jean 4, 10). Nous ne savons pas, mais l’Esprit, lui, sait. Et il intercède pour nous, du plus intime de notre être, poussant vers Dieu des gémissements (Romains 8, 23). Si tu désires Dieu, c’est que l’Esprit Saint désire en toi. Depuis ton baptême, il demeure en toi, comme un souffle qui attend que tu dresses la voile, comme un feu qui veut rendre ardent le buisson de ta vie. Sans doute l’as-tu déjà entendu souffler ? Ou senti brûler ? Ou bien gémit-il encore, oublié, au fond de ton cœur encombré d’idoles, attendant sa délivrance. Au fond, prier, ce n’est pas autre chose que de nous rendre attentifs au gémissement de l’Esprit qui nous a été donné, de nous disposer à sa vie et de nous prêter à son action. Jusqu’à ce que sa présence pénètre peu à peu les zones profondes de notre être et, comme un nouveau levain, fasse monter toute la pâte. Jusqu’à ce que nos facultés plus conscientes, 1.

Saint Augustin, Confessions, I, I, 1, 1. 5


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Invitation à la prière

mémoire, intelligence, volonté, notre sensibilité, et finalement notre corps lui-même, passent de la tristesse à la joie, du découragement à l’espérance, du repli sur soi à l’amour, et deviennent tout entiers réordonnés au service et à la louange de notre Créateur et Seigneur. Comment faire ? Aller à la rencontre de ce désir. Peut-être certains jours t’apparaîtra-t-il comme mort et enseveli à jamais. Puis surgissant à nouveau, comme ces rivières souterraines que l’on croyait perdues et qui refont surface. Suivre le fil, en remontant patiemment jusqu’à la source. À travers ses pleins, à travers ses creux. Dieu ne nous creuserait pas s’il ne voulait nous combler. Refuser de s’arrêter aux eaux dormantes et fangeuses. Nous avons beau vouloir étancher notre soif aux citernes lézardées creusées de nos mains (Jérémie 2, 13), celle-ci renaît sous une autre forme, déception, lassitude, angoisse : « Vous, les hommes, jusques à quand ces cœurs fermés, ce goût du néant, cette course au mensonge ? » Nos affections humaines les plus nobles et les plus sacrées exigent elles-mêmes une force et un accomplissement qui nous dépassent : « Les gens disent : Qui nous fera voir le bonheur ? Seigneur, tu as mis en mon cœur plus de joie qu’aux jours où leur froment, leur vin nouveau débordent » (Psaume 4, 7-8). Pour aller vers Dieu, il ne sert de rien d’être fort, équilibré, sans reproche. Mais il sert beaucoup d’être pauvre, démuni, boiteux. Ou, plus précisément, de le reconnaître, et de crier vers lui. Telle est, pourrait-on dire, la seule difficulté de la prière : l’humilité du cœur. Les enfants entrent dans le Royaume comme naturellement. Les grandes personnes, elles, doivent se faire violence. Car il n’est pas spontané à l’homme adulte et fait de reconnaître que son centre, et sa source, ne lui appartiennent pas. Pour aller vers la source, les méthodes peuvent aider. Elles peuvent aussi gêner. Jésus n’enseigne pas de méthodes, il éveille le cœur. Il n’impose pas de conditions préalables, mais il urge : le Royaume est à vos portes, tournez-vous vers lui. La seule condition, c’est le désir. Se peut-il que nous soyons sans désir ? Et pourtant, nous avons commencé de feuilleter ces pages. Écoutons saint Grégoire le Grand : « Les biens matériels, quand on ne les possède pas, semblent les plus précieux de tous ; les biens spirituels, au contraire, tant qu’on ne les goûte pas, paraissent sans réalité. Mais les jouissances matérielles, une fois expérimentées, conduisent peu à peu au dégoût ; tandis que les réalités spirituelles, une fois goûtées, se manifestent inépuisables. » Il faut seulement s’y mettre, voilà tout. Aujourd’hui, je commence… ou recommence !

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Les conditions de la prière

« Fais-moi connaître, Seigneur, la route qu’il faut prendre quand mon désir se porte vers toi » (Psaume 24, 4).

Le lieu « Quand tu veux prier, entre dans ta chambre la plus retirée, verrouille ta porte, et adresse ta prière à ton Père qui est là dans le secret. Et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra » (Matthieu 6, 6). Le lieu de la prière n’est pas celui où l’on est vu des hommes, cherchant sa récompense dans l’approbation des autres. Nous pensons facilement que ce danger ne nous menace plus aujourd’hui, la valeur de la prière n’étant guère cotée en bourse ! Mais le risque demeure d’aller prier dans le seul souci d’être en règle. Il faut prier ! Il convient de faire une retraite annuelle !… Le besoin d’être quitte vis-à-vis d’une prescription un peu vague et culpabilisante recouvre alors complètement le désir d’exister devant le Père. Il ne s’agit plus d’une rencontre, d’une exposition aventureuse à la présence de celui qui est là dans le secret, mais d’une démarche de sécurisation où nous risquons bien de nous mettre à l’abri de toute rencontre. Ainsi le frère aîné du prodigue, s’appuyant sur l’observation exacte des commandements pour éviter subtilement la présence questionnante de son père. L’accomplissement du devoir de prier devient alors un alibi. Au lieu de me tenir là, devant le Seigneur, je me tiens ailleurs, tout occupé à observer le précepte. Vivre sous la loi, c’est, depuis Adam, une manière de se cacher parmi les arbres du jardin. Comment donc trouver le lieu de la rencontre ? Une rencontre n’est vraie que dans la mesure où les deux personnes sont vraies. Si Jésus m’invite à entrer, pour trouver le Père, dans ma chambre la plus retirée, c’est parce que c’est l’endroit où je suis moi-même. Car il y a, en chacun de nous, une multitude de personnages sociaux, de rôles que nous jouons devant les autres, de masques dont nous nous protégeons, « afin de nous faire voir aux hommes ». Peut-être n’en avons-nous plus conscience : derrière ces attitudes conventionnelles réside notre vraie personnalité, celle que nous avons peut-être tant de mal à accepter avec ses limites et ses misères. Que le Seigneur pourtant connaît, accepte et aime. De là vient souvent notre désarroi dans la prière : nous avons perdu la conscience de notre être véritable. Nous voilà distraits, c’est-à-dire tirés hors de nous-mêmes par les désirs multiples qui nous divisent. Nous

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Invitation à la prière

sommes préoccupés, immergés d’avance dans les soucis du lendemain. Nous sommes coupables, cherchant par quelles actions vertueuses nous pourrions retrouver, à nos propres yeux, la respectabilité. Tout cela, les païens le recherchent, dit l’Évangile. Mais votre Père céleste sait que vous en avez besoin. Notre foi en l’attention de Dieu devrait nous libérer de ces alibis : « Jette ton souci dans le Seigneur et lui te portera » (Psaume 54, 23). Mais il y a aussi la vérité de celui devant qui nous nous tenons. Saint Grégoire de Nazianze disait que lorsque nous pensons que l’image de Dieu que nous portons en nous est Dieu lui-même, nous remplaçons le Dieu vivant par une idole. Nous disons que Dieu est Père, ou Seigneur, ou Créateur. Et nous avons, certes, raison. À condition que ces mots soient évangélisés. Autrement nous risquerions, là aussi, de nous tenir devant un être imaginaire qui n’est que la projection de nos besoins, de nos malaises ou de nos remords. Dieu est plus grand que notre cœur, au-delà de nos images. Seul Jésus, dans ses gestes et ses paroles, peut nous le révéler : « Qui me voit, voit le Père » (Jean 14, 9). Cela fait si longtemps que nous sommes avec lui, et nous n’avons pas compris encore. Le vrai lieu de la prière, c’est de se tenir avec le Christ : « Si  vous demeurez en moi et que mes paroles demeurent en vous, demandez ce que vous voudrez, et vous l’aurez » (Jean 15, 7). Trouver ce lieu spirituel suppose une démarche de foi, de patience et de vérité. La découverte d’un lieu physique approprié est secondaire. « L’heure vient, elle est là, où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité » (Jean 4, 23) et n’auront plus besoin de monter à Jérusalem ou sur quelque mont Garizim. Aussi bien, si l’heure est venue, pour moi, de prier dans les grands magasins, à la cuisine, ou dans les embouteillages, je rendrai grâces au Seigneur. Mais il arrivera sans doute que ma tiédeur, ou quelque échec cuisant, m’amène à plus de modestie, à reconnaître que l’heure n’est pas encore venue pour moi : « Ôte tes sandales de tes pieds, car le lieu que tu foules est une terre sainte » (Exode 3, 5). Il nous faut trouver notre petite terre sainte : coin de chambre, tapis de prière, chapelle où nous laisserons à la porte les gros sabots de nos apparences et de nos prétentions, et pourrons vivre quotidiennement la rupture nécessaire. « Le matin, bien avant le jour, Jésus se leva, sortit, et s’en alla dans un lieu solitaire. Et là, il priait » (Marc 1, 35).

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Les conditions de la prière

La relation Une rencontre n’est vraie que dans la mesure où les personnes sont vraies, disions-nous. Ajoutons maintenant : et dans la mesure où elles se rendent présentes l’une à l’autre. Notre langage le dit bien. On ouvre son cœur, on le ferme. Or nous n’avons pas deux « cœurs » : l’un pour l’homme, l’autre pour Dieu. Mais c’est le même qui s’ouvre à l’un et à l’autre. « Qui aime, connaît Dieu », dit saint Jean (1 Jn 4, 16). Il connaît Dieu parce qu’en aimant, il fait l’expérience d’une relation vraie. Et que celui qui met en relation, qui est la Relation même, c’est l’Esprit du Père et du Fils. Si bien que l’homme qui fait une expérience authentique de la relation fait, par là même, l’expérience de l’Esprit de Dieu. Ne mettons pas le « spirituel » où il n’est pas. L’expérience spirituelle se joue en toute relation, à commencer par nos relations humaines. Ainsi nous nous disposons d’autant mieux à prier que nous augmentons notre ouverture aux autres. « Nos blocages » devant la prière viennent, pour une grande part, de nos difficultés relationnelles, et devraient nous alerter sur ce point. Éprouver la joie d’aimer ou de se sentir aimé, de donner ou de recevoir, d’être rendu à soi-même par la grâce d’un autre ou de le confirmer par un regard ; de savoir dépasser la faille d’un soupçon par la confiance, et d’une rupture par le pardon ; pleurer de se trouver séparés et rire de se retrouver ; risquer son avenir sur la parole d’autrui et engager la sienne dans une fidélité… Ce sont des expériences de relation qui nous disposent à la prière. Notre époque a multiplié les obstacles à la communication. Ce n’est pas le lieu de les analyser, mais seulement de relever que la présence des hommes les uns aux autres, dans les domaines de la sexualité, du travail ou du pouvoir, est devenue plus superficielle, à fleur de peau. Plus agressive et violente aussi. Et chacun de protéger sa fragilité. Le rythme de la vie professionnelle, le logement, les transports isolent plus qu’ils ne rassemblent. Et les rencontres se vivent de plus en plus par les corps intermédiaires et par groupes de pression, dans un monde durci par la compétition. Cette atmosphère ne favorise guère le dialogue et la confiance, et par suite la prière. Lorsqu’on sait mieux que l’autre ce qu’il veut dire ou ce qu’il doit penser, sa parole n’éveille le plus souvent que l’irritation ou le jugement. Les réactions affectives et les procès d’intention détruisent la relation. Alors la parole de l’autre n’est plus qu’une occasion d’affirmer notre opinion, notre savoir, et de continuer un discours solitaire qui 9


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Invitation à la prière

intègre cette parole à notre propre logique. Le dialogue n’est plus sortie de soi, effort de sympathie pour coïncider à l’expérience d’autrui et se laisser interroger par elle. Il se trouve réduit au monologue, au discours intérieur où, enfermés dans un monde clos, nous faisons les questions et les réponses. Comment prétendre alors vivre avec le Tout Autre, celui dont les pensées ne sont pas nos pensées, ce que nous ne pouvons vivre avec nos frères humains ? Comment consentir à ses questions, à cet amour qui dérange ? Ce Dieu risque bien de n’être que la projection de nos frustrations et de nos susceptibilités, et notre prière la suite de notre monologue intérieur. C’est pourquoi Jésus nous en avertit : « Quand donc tu vas présenter ton offrande à l’autel, si là tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse là ton offrande, devant l’autel, et va d’abord te ré concilier avec ton frère ; viens alors présenter ton offrande » (Matthieu 5, 23). Si, par ma faute, quelque chose écarte mon frère, je ne pourrai prier. On ne peut se présenter devant Dieu avec la rancune au cœur, ou en acceptant délibérément de vivre ou de profiter de situations injustes. Les deux commandements, d’aimer Dieu et son prochain, sont si liés qu’il est impossible de vouloir mener une vie de prière sans travailler du même coup à la réconciliation. Et la démarche dont Jésus parle ici : va te réconcilier avec ton frère, ne concerne pas seulement ce frère que je vois, qui est le voisin, l’époux ou le compagnon de travail, mais aussi ce frère que je ne vois pas, mais avec qui j’entretiens des relations à travers les institutions et les structures sociales. Car nos relations « longues » n’échappent pas davantage à la parole de Jésus que nos relations « courtes ». À preuve tous les conflits sociaux qui nourrissent l’actualité et empoisonnent la vie sociale. Le domaine du « collectif » s’ouvre aujourd’hui à la relation, parce que les hommes s’aperçoivent qu’ils ont pouvoir de le modifier. Les négociations, les conventions et les accords, ce monde complexe de droits et de devoirs sociaux s’offre aux hommes de bonne volonté comme un champ nouveau où la parole de Dieu est semée, où les ouvriers sont embauchés pour la moisson, où la réconciliation passe par la faim et la soif de la justice. Et le cri des prophètes retrouve toute sa vigueur : « Je m’approcherai de vous pour le jugement et je serai un témoin prompt contre les devins, les adultères et les parjures ; contre ceux qui oppriment le salarié, la veuve et l’orphelin,

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Les conditions de la prière

et qui violent le droit de l’étranger, sans me craindre, dit le Seigneur » (Malachie 3, 5). Ainsi la prière ne peut, sous peine de se pervertir, s’abstraire du monde de nos relations. C’est là où le Père voit dans le secret qu’elles s’enracinent toutes. « Là » où l’on s’ouvre ou se ferme à son frère est le lieu même de notre présence à Dieu.

Le cœur Le véritable lieu de la prière, c’est donc le cœur, au sens biblique de ce mot. Au cours de son histoire, Israël a découvert peu à peu, à travers son expérience de foi et d’infidélité, que Dieu avait un cœur, sensible à la situation tragique de son peuple, vulnérable à ses refus, miséricordieux et fidèle. Pour le décrire, les prophètes se sont servis de nos images humaines : c’est comme le sein maternel, comme les entrailles d’un père, comme la tendresse d’un époux. Notre mot miséricorde n’exprime qu’imparfaitement cette attitude d’un cœur bouleversé, retourné par la détresse ou dilaté par la joie du fils prodigue. La libération d’Égypte est décrite comme un acte inspiré par une sorte de souffrance intime : « J’ai vu la misère de mon peuple. Je connais ses angoisses. Je suis résolu à le délivrer » (Exode 3, 7). Par alliance, il fait de lui un être de sa race. Plus tard, au temps où les prophètes annoncent les plus graves châtiments, ils savent la tendresse invincible de ce cœur : « Ephraïm est-il donc pour moi un fils si cher, un enfant tellement préféré, pour qu’après chacune de mes menaces je doive toujours penser à lui, que mes entrailles s’émeuvent pour lui, que pour lui déborde ma tendresse ? » (Jérémie 31, 20). Enfin, l’expérience unanime d’Israël va étendre, sans aucun particularisme, l’amour de Dieu à tous les hommes : « Le Seigneur est tendresse et grâce, lent à la colère, abondant en miséricorde. Il ne dispute pas à perpétuité, il ne garde pas sa rancune à jamais. Il ne nous traite pas selon nos fautes… comme est la tendresse d’un père pour son fils, tendre est le Seigneur pour qui le craint. Il sait de quoi nous sommes pétris, il se souvient que poussière nous sommes » (Psaume 103). Tel est le visage de Dieu que Jésus rend sensible à nos yeux, lorsqu’il signe sa vie de son cœur ouvert, répandant le sang et l’eau. L’homme, lui aussi, a un « cœur ». Créé à l’image de Dieu, il a reçu le pouvoir d’aimer, de sentir, de souffrir, d’être compatissant, miséricordieux, tendre et fidèle. Le premier commandement n’estil pas d’aimer

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Invitation à la prière

Dieu de tout son cœur ? Lorsque le Seigneur emmène son peuple au désert, c’est pour le lui rappeler, « parler à son cœur » (Osée 2, 16). C’est avec ce cœur que l’on prie. On ne prie pas avec sa mémoire, ni avec son intelligence, ni avec sa sensibilité, bien que nos facultés doivent nous y aider. Car l’intime de l’homme, « l’homme intérieur » comme l’appelle saint Paul, est plus profond que ses facultés. Il est la racine de notre être, le siège de notre liberté, la source de nos relations. Dans la vie quotidienne, notre cœur reste d’ordinaire caché. Non seulement caché, mais endormi. Nous vivons le plus souvent à la périphérie de notre être, dans la zone de nos sens extérieurs, et notre conscience est tout occupée à nos impressions, à nos raisonnements et à nos actions. Jamais peut-être ne sommes-nous descendus au-delà d’une mince couche superficielle. « La grande misère de notre époque, a-t-on dit, c’est d’attacher du prix seulement et surtout aux découvertes qui se situent dans l’espace géométrique et cosmographique… Hélas, combien de gens visitent leurs propres abîmes ? Soucieux seulement de faire le tour de la terre, de descendre au fond des mers, de gravir la plus abrupte aiguille de la plus haute montagne, voire d’atteindre la stratosphère, on meurt sans se connaître soi-même 2. » Jésus nous l’a souvent reproché : notre cœur est fermé. Faute d’usage, il devient dur, impénétrable. À force de se répandre dans le sensible, et de s’encombrer de souci, il s’alourdit, devient sclérosé et ténébreux. Prier, c’est retrouver le chemin de son cœur. Dieu, lui, le sonde et le connaît. C’est là qu’il nous attend, dans le secret, au-delà de nos raisonnements, de nos culpabilités et de nos agitations. La route peut sembler longue, difficile ou même impossible ! Il est des jours où l’exil paraît insurmontable. Nous avons beau réfléchir, méditer, nous restons à l’extérieur. La porte est fermée et la clé perdue. Nous voudrions bien la forcer, cette porte secrète derrière laquelle nous pressentons confusément la poussée de l’Esprit. Mais c’est oublier que cela n’est pas en notre pouvoir. Ce qui nous est demandé seulement, c’est d’accueillir. L’Esprit, de l’intérieur, et la Parole, de l’extérieur, cherchent à se rejoindre en nous, à creuser le lieu de la Présence, comme les deux mains de Dieu façonnant un cœur de chair où il pourra demeurer.

2. Marcel Jouhandeau, Éléments pour une éthique, Grasset, 1967. 12


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Éditions Vie chrétienne

MISSION DANS LE MONDE ET L’ÉGLISE 200 222 314 331 342 406 409 436 457 458 478 501 532 559

Promouvoir la justice Pedro Arrupe, s.j. Des hommes disponibles Vie chrétienne Laïcs et prêtres : perspectives d’avenir J-P Deloupy, s.j. Quand incroyance et indifférence parlent à la foi J-M. Glé, s.j. La Justice et la Foi, la loi et l’Évangile J. Guillet, s.j. Un message de salut pour tous Y. Raguin, s.j. Serviteurs de la mission du Christ Vie chrétienne Accompagner un groupe de jeunes H. Herbreteau Foisonnement religieux Vie chrétienne La traversée de l’impossible X. Lacroix Le Dieu partagé, sur la route de F. Xavier B. Vermander, s.j. Christianisme et nature F. Euvé, s.j. Guetteurs d’humanité : guetteurs de Dieu M. Cl. Berthelin Résister et oser l’espérance M. Rondet, s.j. et Y. de Gentil Baichis

ÉCOLE DE PRIÈRE 189 230 380 431 454 553

Invitation à la prière Veillez et priez Jalons pour prier Les Psaumes. « Poèmes de Dieu, prières des hommes » Jour après jour. Psaumes Prier dans l’instant

155 348 350 442

Qui es tu Ignace de Loyola ? Ignace de Loyola (BD) Ignace de Loyola par lui-même Résistance et Pardon

473 495 502 531 540 554 561

Pèlerin ! Marcher vers Compostelle Naître sous X… et inventer sa vie Le corps mal entendu Quand l’œil écoute Au fil des jours blessés Les Couleurs de Dieu Lumière au cœur de la nuit

Cl. Flipo, s.j. Cl. Flipo, s.j. Bethy Oudot D. Rimaud, s.j. D. Rimaud, s.j. M. Cl. Berthelin

RÉCITS ET TÉMOIGNAGES J-C. Dhôtel, s.j. E. Vandermeersch Illustré par Ch. Hénin M. Girtanner et M. Farin, s.j. M. Bureau, s.j. M.F. Bergerault M-H Boucand E. de Rosny, s.j. P.M. Hoog, s.j. Arcabas et M. Rondet, s.j. Alfred Delp, s.j.

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ÉDITIONS VIE CHRÉTIENNE PUBLIE ÉGALEMENT :

Nouvelle revue

Vie chrétienne

La spiritualité d’Ignace de Loyola pour tous, au fil des jours

La revue n’est pas vendue.

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Tous les 2 mois, 40 pages en couleurs pour Trouver Dieu en toute chose et lire les signes des temps : un dossier avec témoignages, analyse psychologique, contrepoint biblique et repères ignatiens Se former, approfondir la spiritualité ignatienne : bible, école de prière, aide à la décision… Découvrir la vie de la Communauté Vie Chrétienne en France et dans le monde 63


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Claude Flipo, s.j.

Claude Flipo, s.j.

Invitation à la prière La qualité de la vie, c’est la qualité de nos relations. Comment en serait-il autrement pour la vie chrétienne, et pour la relation qui la fonde : la prière ? De même que les conditions de travail, de logement, de transport, au lieu de nous isoler, doivent promouvoir les relations humaines, notre manière de vivre doit nous aider à trouver Dieu. Une vie sans prière devient vite inhumaine. Les chrétiens le savent bien, qui aspirent aujourd’hui à la retrouver comme une dimension essentielle de leur vie. Mais notre désir se heurte à de nombreuses diffi cultés, et le découragement nous guette. Retrouver les conditions de la prière, découvrir notre démarche propre et notre manière de prier : telle est la visée de ces pages. Elles ne cherchent pas l’originalité, mais la simplicité et la clarté. La maison du Père a beaucoup de demeures et le monde de la prière a plusieurs entrées. Aussi bien peut-on commencer la lecture de ce livret par ici ou par là, indifféremment.

Invitation à la prière

Invitation à la prière

Claude Flipo, s.j.

Ecole de prière

Invitation à la prière, invitation au travail — comme le suggère le chapiteau de Vézelay, appelé le « moulin mystique », qui orne la couverture. Car notre cœur est comme un moulin, qui broie ce qu’on y verse : du froment ou de l’ivraie. Seul l’Esprit de Jésus peut nous apprendre à prier. Nous ne pouvons rien sans son inspiration. Mais il ne peut rien sans notre effort. « Il faut vous mettre à l’œuvre, dit Jésus, pour obtenir non pas une nourriture périssable, mais la nourriture qui demeure en vie éternelle » (Jean 6, 27).

viechretienne.fr

fidelite.be

ISBN 978-2-918975-17-5

ISBN 978-2-87356-627-2

9 782918 975175

9 782873 566272

10,00 € © Éditions Vie chrétienne, 2014 47 rue de la Roquette 75011 Paris, France Publié pour la première fois en 1975 comme supplément à la revue Vie chrétienne no 189. Photo de couverture : Le moulin mystique, basilique de Vézelay © Thierry Brésillon / GODONG

Vie chrétienne 189

Claude Flipo est jésuite. Il a été rédacteur en chef de la revue Christus et aumônier de prison.

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