Vie chrétienne Nouvelle revue
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M o n d e
B I M E S T R I E L D E L A C O M M U N A U T É D E V I E C H R É T I E N N E E T D E S E S A M I S – N º 5 5 – S E P T E M B R E / O C TO B R E 2 018
Les jeunes au défi de la vie
Prier en couple Visages de Dieu à l’hôpital
l’air du temps L’entreprise au défi de la transition écologique Emmanuel Paul chercher et trouver dieu
Tous les deux mois, pour vivre la spiritualité ignatienne seul ou en groupe à l’écoute de la vie de l’Église et du monde.
NOUVELLE REVUE VIE CHRÉTIENNE Directrice de la publication : Brigitte Jeanjean Rédactrice en chef : Véronique Westerloppe Secrétaire générale de rédaction : Éléonore Veillas Comité de rédaction : Jean-Luc Fabre s.j. Marie-Thérèse Michel Geneviève Roux Éléonore Veillas Véronique Westerloppe Comité d'orientation : Claire Maillard Étienne Taburet Martine Ranson Fabrication : SER – 14, rue d’Assas – 75006 Paris www.ser-sa.com Photo de couverture : © AlexBrylov / iStock
Prochain dossier : Européens, agir ensemble Sortie Novembre 2018 Impression : Corlet Imprimeur, Condé-sur-Noireau
ISSN : 2104-550X 47, rue de la Roquette – 75011 Paris
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le dossier
Sommaire
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Les jeunes au défi de la vie
Témoignages 8 Des visages d’adulte qui se dessinent 12 Gonzague Lalanne-Berdouticq s.j. Quitte et va vers la promesse 14 Minette Remaury L’accompagnement des jeunes à la lumière du synode 2018 16 Nathalie Becquart se former Contempler une œuvre d’art : 19 Port-Rhu d'Isabelle Massin École de prière : Prier en couple : et si on demandait la grâce ? 20 Dorothée et Dominique Lagabrielle Expérience de Dieu : Visages de Dieu à l’hôpital 22 Isabelle Le Bouteiller Lire la Bible : Le combat spirituel de Jacob 24 Geneviève Perret Spiritualité ignatienne : Être « disciples-missionnaires » 27 Giuseppe Riggio s.j. Question de communauté locale : 30 Un cadeau à partager en CL ensemble faire communauté Une parole à méditer La joie de servir La spiritualité ignatienne au service des paroisses Université d’été 2019 : les migrants et nous Une communauté discernante Sur les pas du pape François babillard billet Nouvelle vague Denis Corpet prier dans l’instant Une douce communion Aude
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Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 55
Éditorial
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Au mois d’octobre, les pères synodaux se réuniront autour du pape François à Rome sur le thème : « Les jeunes, la foi et le discernement vocationnel ». Si ce synode s’intéresse aux 16-29 ans, toute l’Église est concernée car le grand défi est le « prendre soin » et l’accompagnement de cette tranche d’âge. C’est le thème de notre dossier : comment accompagner les jeunes au défi de la vie et de la foi ? Nathalie Becquart, alors directrice du Service national pour l’évangélisation des jeunes et pour les vocations, a été actrice et témoin de la préparation de cette marche synodale. Elle nous en partage les enjeux essentiels et témoigne de la place donnée à la parole des jeunes.
© Seb_ra / iStock
rentrée : vers un nouvel horizon
Dans ce numéro de rentrée, vous pourrez également découvrir le désir et le projet que porte notre nouvelle équipe service de la Communauté nationale pour les années à venir à partir de ce qu’elle a commencé à contempler et percevoir de la CVX, mais aussi à la lumière des orientations définies lors de l’Assemblée Mondiale du mois de juillet à Buenos Aires. La rubrique CVX Monde se fait l’écho de ce qu’ont vécu les délégués des soixante nationalités réunies pour l’Assemblée Mondiale et relate aussi le voyage des quarante pèlerins sur les pas du pape François en Argentine.
»
Enfin, à noter sur vos agendas dès à présent : l’ Université d’été 2019 qui sera délocalisée dans toute la France sur les enjeux des migrations. Chaque Communauté régionale est invitée à se mettre en marche pour l’organiser si elle le souhaite. Bonne rentrée, pleine de nouveaux défis !
Véronique Westerloppe
redaction@viechretienne.fr
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L'air du temps
l’entreprise au défi de la transition écologique La transition écologique porte en elle l’idée d’un passage. Il s’agit de sortir des déséquilibres mortels causés par l’exploitation de l’homme et de la nature, pour arriver à une situation où ces contradictions sont apaisées. Emmanuel Paul a fondé Kèpos pour, à l’échelle de l’entreprise, maillon clé de la collectivité, contribuer à la réussite de cette transition.
L Emmanuel Paul, professionnel du développement territorial et de l’entrepreneuriat, est porteur du projet Kèpos et auteur du blog www. transition-ecologique.org
La transition écologique n’est pas seulement affaire de politiques publiques ou de modes de vie, mais concerne aussi une communauté clé de notre organisation collective : l’entreprise. Et c’est là où se situe, entre autres, un enjeu central de la transition : retrouver le sens du collectif pour créer de nouveaux modes d’action sur le monde, efficaces, conscients de leurs effets et tempérants dans leurs ambitions.
Professionnel de l’entrepreneuriat, j’étais frappé de l’impact marginal des initiatives prises en matière de transition écologique par certaines entreprises. Certes, il m’était donné de rencontrer de jeunes entrepreneurs qui avaient intégré la transition dans leurs modèles économiques, mais il y avait comme une distorsion entre la force de leur engagement, total et sincère, et la modestie de leurs réalisations. De là est né Kèpos, « jardin » en grec ancien, qui propose à ces entreprises de se regrouper pour bénéficier d’un accompagnement de long 4
terme, et construire un cadre de coopération et de mutualisation qui leur permette de franchir des caps, afin que demain, ces activités intégrant les aspects écologiques puissent sortir de la marginalité et avoir des impacts sur leur territoire.
En coopérant La construction de ce collectif d’entrepreneurs engagés dans la transition écologique est d’abord partie d’une vision que nous avons travaillée ensemble. De ce travail est ressortie d’abord l’idée de notre responsabilité individuelle et collective en matière de sauvegarde de la nature et de la vie. Ce qui nous fait avancer est le désir de transmission à nos enfants de modes d’agir sobres, en lien avec les écosystèmes, et résilients. À cette fin, nous faisons le choix de partager nos connaissances, compétences et ressources, car nous pensons que c’est par la coopération que nous pourrons collectivement faire face aux enjeux qui se posent aujourd’hui aux sociétés humaines. Nous avons également
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défini ce que nous entendions par transition écologique, et avons précisé quelles étaient nos lignes rouges. Ainsi a commençé à se construire un chemin pour les diverses entreprises parties prenantes. Les entreprises que j’ai pris l’initiative de réunir sont des TPE (Très Petites Entreprises) déjà engagées dans la transition. Il y a là un traiteur qui ne travaille qu’avec des produits bio et locaux, une menuiserie qui propose des solutions d’hébergement ou d’ameublement dans une logique de frugalité, une jeune entreprise qui commercialise une presse à injection manuelle fonctionnant exclusivement avec des déchets plastiques, un berger qui construit une filière régionale de valorisation de la laine… Les marchés sont donc très divers, mais l’intuition est que de la rencontre naissent des fertilisations croisées et des projets de coopérations. Comme dans un potager en permaculture, les activités entrent en synergie et se renforcent les unes les autres.
© Wavebreakmedia / iStock
Accompagner la transition Outre la coopération, une autre dimension du projet vise à offrir à chacun un accompagnement dans le développement de son activité. Chaque membre se sent d’abord responsable de l’autre et le soutient. Nous organisons régulièrement des groupes miroirs qui permettent à chacun de bénéficier du regard de l’autre, quand le quotidien empêche de prendre de la hauteur. Le coordinateur de la démarche que je suis rencontre chaque entreprise individuellement une fois par mois. C’est l’occasion pour le jeune entrepreneur de questionner son activité à la lueur de ses derniers développements, d’envisager des réorientations, de prendre des décisions… Cela lui permet de
reprendre la mesure des choix qu’il a posés, de leur origine et de leurs fruits. Mais l’accompagnement, c’est aussi pouvoir apporter à chaque entreprise une expertise technique pour aller chercher un financement, monter un projet complexe, négocier un contrat important. Les possibilités d’intervention sont multiples. L’enjeu derrière tout cela est de donner à ces jeunes entreprises en transition des ressources auxquelles seules elles auraient eu du mal à accéder. D’où l’idée de pouvoir mutualiser des locaux, des ressources matérielles ou humaines. L’étape finale sera d’être capables de monter des offres communes, de répondre de manière coordonnée à un panel de besoins grâce à la conjugaison des compétences de chacun.
Par exemple, le traiteur bio et local construira avec l’agence de voyage durable et un distributeur de produits éthiques, un mariage durable : repas bio, voyage de noces respectueux de l’environnement, et liste de mariage responsable. Ce qui ressort de cette expérience encore fragile c’est que la transition écologique n’est pour une entreprise pas seulement un problème de gestion, mais aussi un choix fondamental qui repose sur la conscience éthique et spirituelle que ses membres ont de leur place dans le monde. Il ne s’agit plus, dès lors, d’être le s e u l p o u r ex p lo i t e r s a ns contrainte, mais d’être ensemble, pour prendre part de manière responsable à l’écosystème dont nous faisons partie. Emmanuel Paul septembre 2018
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Chercher et trouver Dieu
les jeunes au défi de la vie Du 3 au 28 octobre prochain, le synode réuni à Rome sur « Les jeunes, la foi et le discernement vocationnel » s’interrogera sur l’accompagnement des 16-29 ans au défi de la vie et de la foi dans un monde qui change. La rubrique Repères ecclésiaux (pp. 16-17) met en lumière l’enjeu de cette marche synodale. Mathilde (p. 10), invitée à prendre la parole comme jeune au pré-synode du mois de mars dernier, témoigne d’une Église à l’écoute des jeunes. Florence (p. 8), jeune sage-femme questionnée par les évolutions législatives de sa profession, raconte les fruits de l’accompagnement cueillis dans une session « Magis Santé ». Et des accompagnateurs donnent des clés pour soutenir et faire grandir les étudiants dont ils ont la charge (p. 11 et pp. 12-13). Enfin, l’Éclairage biblique (p. 14) reprend l’appel à « sortir » à la manière d’Abram que le pape François lance aux jeunes.
TÉMOIGNAGES Unifier vie de foi et vie professionnelle. . . . . . . 8 Jeune en CVX. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9 À l’écoute des jeunes. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10 La force du Non. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11
© Laityfamilylife
CONTRECHAMP Des visages d’adulte qui se dessinent. . . . . . . . .12
ÉCLAIRAGE BIBLIQUE Quitte et va vers la promesse . . . . . . . . . . . . . .14 REPÈRES ECCLÉSIAUX L’accompagnement des jeunes à la lumière du synode 2018 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .16
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POUR ALLER PLUS LOIN . . . . . . . . . . . . .19
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Chercher et trouver Dieu
Témoignages
unifier vie de foi et vie professionnelle Florence, jeune sage-femme, a découvert la spiritualité ignatienne lors d’une une session « Magis Santé »1 au centre Saint-Hugues de Biviers. Elle témoigne des nombreux fruits reçus grâce à l’écoute de la Parole de Dieu et à l’apprentissage de la relecture et du discernement.
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© Oceandigital / iStock
1. Magis Santé est une proposition des jésuites pour accompagner les étudiants et jeunes professionnels de santé. 2. Après le droit de prescription de la contraception et du dépistage prénatal, les sages-femmes peuvent également réaliser des interruptions volontaires de grossesse par voie médicamenteuse (décret publié le 5 juin 2016 au Journal Officiel).
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Cette semaine de réflexion et de prière a été précieuse pour retrouver l’essence de ma profession qui est d’accompagner la grossesse et la naissance. Avec les évolutions législatives récentes2 qui concernent la profession de sage-femme, de nouvelles questions se posent et exercer en conscience devient un véritable défi qui nécessite d’être à l’écoute de l’enseignement de l’Église pour agir au service de la vie en accord avec sa foi. Par ailleurs, avec la judiciarisation actuelle, lorsque l’activité est intense en
salle de naissance, avec le temps passé pour effectuer toutes les démarches administratives, se concentrer sur la « technique » peut faire passer au second plan l’instauration d’une véritable relation avec la patiente, mais l’écoute et la disponibilité doivent être au cœur de notre profession, elles permettent de vivre l’alliance thérapeutique : la confiance est exigeante mais nécessaire. L’accompagnement au cours de cette session fut l’occasion de découvrir la spiritualité ignatienne, avec ses prières guidées pour goûter la Parole de Dieu. L’apprentissage des temps de relecture fut également précieux pour revoir ma pratique en étant à l’écoute de Dieu, seul maître de la vie. Après avoir fait face à des situations d’urgence, de réanimation, où la
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vie et la mort se côtoient, où le temps de réflexion avant d’agir est court, il est important de se poser et de se demander si l’on a agi de manière ajustée en prenant en considération les circonstances et les moyens disponibles. J’ai également réalisé l’importance dans ces situations critiques de l’accompagnement humain et spirituel de mes patients. La relecture porte aussi à une prière d’action de grâce pour le don de la vie, et tous ces premiers cris entendus comme une première louange envers Dieu. J’ai vécu cette session avec une belle intensité. Entrer dans la spiritualité ignatienne m’a permis de descendre en moi-même et de m’interroger sur ma pratique quelque peu « routinière » pour y retrouver l’Auteur de la vie, prendre conscience de l’importance de la prière et de la nécessité du discernement pour être une sage-femme selon le cœur de Dieu. Florence
jeune en cvx
Au seuil de l'âge adulte, Véronique a expérimenté l'accompagnement en CVX pour ses choix de vie professionnelle et affective.
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Sur le conseil de ma sœur Armelle, membre de la CVX depuis plusieurs années avec son mari, j’ai rejoint une équipe Open CVX 1 en 2016. Après avoir fait l’expérience des parcours Even2 et Zachée3, je souhaitais pouvoir continuer à faire grandir ma foi, à mieux comprendre la Parole de Dieu et à rencontrer d’autres jeunes pour partager des expériences de vie.
Je n’ai jamais vraiment appris à prier alors que j’ai eu une éducation catholique. En relisant, je prie régulièrement et je prends conscience aujourd’hui que je suis en relation avec Dieu.
© John Howard / DigitalVision
Ma plus grande découverte a été l’exercice de la relecture. Relire mes journées m’aide de façon très concrète à faire ressortir le positif dans mon quotidien quand il serait plus tentant de ne retenir que le négatif. En ce moment, je rencontre des difficultés au travail (pression, relations difficiles) et la relecture m’aide beaucoup à prendre du recul et à regarder ce qui est vraiment important.
Dans ma communauté locale, nous sommes une dizaine de filles, à la fois toutes très différentes et en même temps unies par une même volonté de trouver Dieu dans nos vies. Grâce à nos réunions, j’apprends à écouter, à porter un regard bienveillant sur chaque membre et à recevoir les témoignages donnés comme des manifestations de Dieu dans nos vies. Les réunions en communauté locale et les Exercices spirituels sont aussi une grande aide pour prendre des décisions. Du plus petit au plus grand choix, je découvre au fil de nos réunions que le discernement spirituel est une
clé pour faire des choix en toute liberté, tournés vers le bonheur sur le long terme. Il y a quelques mois, discerner m’a aidée à accepter de devenir responsable de ma communauté locale. Autre engagement, cette fois de vie, je vais me marier en fin d’année. C’est un grand bouleversement dans ma vie que la CVX me permet d’aborder sereinement. J’avance dans la vie avec confiance et la CVX est mon compagnon de route. Véronique
1. Une équipe découverte CVX pour les 25-35 ans. 2. Créé il y a douze ans dans le diocèse de Paris, le parcours Even propose aux jeunes adultes (18-30 ans) de grandir dans leur foi au Christ par une initiation à la Parole de Dieu 3. Le parcours Zachée a été fondé par la Communauté de l’Emmanuel pour se former à la doctrine sociale de l’Église et la mettre en pratique.
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Chercher et trouver Dieu
Témoignages
à l’écoute des jeunes Mathilde a été invitée à participer, pour la Communauté du Chemin Neuf, au présynode organisé en mars dernier en préparation du synode des évêques sur les jeunes. Elle témoigne, au nom de tous les jeunes appelés, d’un accompagnement de l’Église consistant en une grande écoute de leurs aspirations.
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Retrouvez l’intégralité du témoignage de Mathilde sur : viechretienne.fr
Le pré-synode des jeunes a été un événement important et singulier dans l’histoire de l’Église. Nous étions 300 jeunes à avoir été invités à nous rassembler p o u r p r é p a re r e ns e m b le c e synode qui se tiendra cette année au mois d’octobre sur le thème « Les jeunes, la foi et le discernement vocationnel ». Nous venions du monde entier, représentant les différents continents, différentes communautés
religieuses, conférences épiscopales. La plupart des jeunes appelés étaient de jeunes chrétiens engagés. Mais certains non-croyants ont également été invités ou des jeunes d'autres religions (bouddhisme, sikhisme, islam), ou encore en situation particulière (migrants, porteurs de handicap). Cette rencontre a placé les jeunes au cœur de l’Église et leur a permis de témoigner de leurs vies, leurs quotidiens. Le pape les a invités à « oser parler sans fards ».
© Laityfamilylife
Les responsables o nt v ra i me nt e u à cœur d'écouter nos demandes, nos questions, nos difficultés, pour pouvoir mieux cerner nos attentes.
▲ Lundi 19 mars 2018 – Le pape François préside l’ouverture du pré-synode des jeunes, à Rome.
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De nombreux thèmes ont été abordés durant la rencontre : les
questions de migrations, de justice sociale, de nouvelles technologies, d’affectivité, de famille, d’accompagnement spirituel, de vie dans l’Église, d’intergénérationnel… Les échanges ont été très riches, marqués par une grande diversité et profondeur. À la fin de cette rencontre pré-synodale, un document a été remis au pape comportant toutes les synthèses des groupes de travail de la semaine. Cela a été un des fruits importants de cette rencontre, en plus de la fraternité qui s’est créée entre jeunes de différents milieux et continents. Ce document a largement été repris dans l’Instrumentum laboris ou document de travail qui servira pour le synode du mois d’octobre. Nous avons tous été touchés par cet événement, pour avoir goûté à quelque chose de l’universalité de l’Église. Cela a aussi permis à certains de débuter un chemin de conversion ou encore de se sentir appelés à se donner, à s’engager dans la vie de l’Église, pour les autres. Mathilde
la force du non Dans l’accompagnement des jeunes, la capacité de leur dire « oui » et « non » en donnant les raisons d’un refus éventuel est d’un grand prix. C’est ce dont témoigne Nadine, chargée, dans une école d’ingénieurs, de valider la qualité du stage envisagé par l’étudiant.
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Comme accompagnateur, un acte me sollicite très rarement mais intensément : le refus d’autoriser la Première Mission en Entreprise.
J ’ e s s a i e a lo rs de re nouer très vite dans la foulée le dialogue en m’ancrant sur la per-
© Goodshoot / Goodshoot
Quand la situation envisagée ne présente pas les conditions suffisantes permettant de vivre une vraie expérience (entreprise familiale, avec un copain de promo, sans encadrement approprié, sans enjeu véritable), je dis « non ». Une parole de conviction, jamais facile à poser et à tenir face aux réactions de colère, de supplication ou d’abattement de l’étudiant. Souvent le doute m’envahit en entendant ces plaintes car je suis embarquée dans l’inconnu d’histoires de vie, de vécus personnels à dénouer. J’éprouve la limite de ce que je peux faire dans l’instant pour a me ne r l ’ é t ud i a nt à considérer autrement la situation et à sortir de son enfermement.
sonne de l’étudiant reprenant son parcours, « réussi » ou non, essayant de toucher ce qui est vivant en lui, d’enrichir l’image qu’il a de lui-même. Puis, je remets en perspective l’attente que l’école a à son égard depuis le début, à quoi elle l’appelle. Aujourd’hui, je lui montre où il en est dans son parcours de professionnalisation, combien
ce stage est important pour la suite et combien je crois en lui : « Tu vaux bien plus que cette mission étriquée ». Là je lui montre qu’il a été précédé, lui donne des exemples d’aînés. Je reviens au présent, je ré-envisage avec lui les possibles en lui donnant des adresses ou en lui montrant des offres. Quand il commence à me poser des questions, c’est gagné ! Je l’ai remis en projet. C’est le moment de le renvoyer à lui-même, en reprenant rendez-vous.
Retrouver l’article de Nadine détaillant les modalités de cet accompagnement dans toutes les situations : viechretienne.fr
C e t t e t e ns i o n t e nu e entre le « oui » à l’étudiant et le « non » à la situation insatisfaisante n’est pas sans peine, mais ce jeu de posture est essentiel pour augmenter la liberté intérieure de l’étudiant afin de l’amener à un choix ajusté. Cette expérience renforce en moi la conscience de la valeur profondément éducative de cette modalité spécifique d’accompagnement. Nadine septembre 2018 11
Chercher et trouver Dieu
Contrechamp
des visages d’adulte qui se dessinent Qu’est-ce qu’accompagner des jeunes ? Gonzague Lalanne-Berdouticq s.j. nous livre ici le fruit de sa pratique d’accompagnateur d’étudiants en médecine au Centre Laennec de Lyon. Il s’agit de leur permettre d’exister par la découverte de leur désir profond mais aussi de les aider à faire de l’expérience de leurs limites une bonne nouvelle pour s’engager dans la vie adulte. Gonzague LalanneBerdouticq s.j., étudiant au Centre Sèvres et aumônier des prépas au lycée Saint-Louis de Gonzague à Paris.
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1. Jean Gouvernaire s.j. Lettre à un père spirituel, Christus - HS n° 153 1992, p 73-82.
Au risque d’en surprendre quelquesuns, le débat autour de l’accompagnement des jeunes ne me semble pas d’abord être celui des moyens. Certes, il faut être conscient qu’ils vivent avec d’autres références, d’autres images et qu’ils utilisent des outils, que nous pouvons apprendre à utiliser, mais que nous n’utiliserons probablement jamais à leur manière. Alors permettezmoi, comme jésuite en formation et praticien bien plus que théoricien de l’accompagnement, de tirer de ma besace de l’ancien et du neuf, en déclinant les trois verbes qui caractérisent l’accompagnement pour le père Gouvernaire 1 et, tournant mon regard vers les visages de ceux que j’accompagne, de décliner la signification de ces trois verbes dans ma pratique.
Permettre d’exister Quoi de plus mignon qu’un visage d’enfant, mais quoi de plus indéfini ? Tout semble possible, sur ces
traits encore grossiers où bien des choses peuvent s’inscrire. Depuis au moins une vingtaine d’années (je ne saurais dire avant), il me semble que les jeunes aspirent à conserver un visage enfantin en se refusant à poser des choix engageants. Combien de fois n’ai-je pas entendu, chez des étudiants en médecine ou des élèves ingénieurs, cette maxime un peu vide de sens : « Je ne veux me fermer aucune porte » ; comme si la vie résidait dans la possibilité de revenir toujours en arrière et que ces longues années d’étude ne les avaient pas déjà profondément marqués. Face à une telle demande, une première possibilité est d’entrer avec eux dans un jeu d’optimisation prenant en compte des critères de réussite stéréotypés et de chercher là où ils seront le moins affectés, restant ainsi sans affectation, sans histoire et sans existence personnelle. Une autre possibilité est de
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se tenir avec espérance du côté de leurs désirs, de leurs rêves et de la joie qui peut surgir quand ils y répondent. Il s’agit alors de les appeler paisiblement à entrer dans le concret de l’existence, dans l’expérience de ce qui leur donne de la joie ; non pas du bonheur, non pas une joie euphorique, mais de cette douce joie qui sonne juste, qui dure dans le cœur et qui leur donne un visage paisible, posé et vrai.
Être vrai Ce visage qui prend forme et se révèle à celui qui écoute n’est alors à nul autre pareil. Et je me permets parfois de le nommer, de le qualifier, de dire la paix et la joie dont ce jeune rayonne alors. Bien souvent chez des étudiants en médecine, ce visage qui s’anime réfère à un autre visage, celui d’un patient, rencontré, écouté, aidé, soigné et parfois guéri. Il fait bon se tenir là dans ces lieux où la vie a été donnée.
Mais parfois la découverte de ces blessures nous conduit au seuil du tombeau. Le masque de ce jeune, qui me semblait être celui d’un nourrisson, cachait une blessure très profonde qui ne lui permet pas d'avancer plus avant. Il devient alors clair que tout n’est alors plus possible et qu’un rêve est en train de mourir. Comment être vrai sans enfermer, sans piétiner, quand ce peu de vie semble reposer sur ce rêve qui s’éteint ? Il est parfois possible de les aider à accepter ce qu’ils sont, comment ils sont, pour construire à partir de là un chemin de vie. Mais il a été parfois nécessaire de s’en remettre à d’autres et d’expliquer que si l’accompagnement spirituel porte sur le sens de la marche, sur son rythme et sur le souffle qui l’anime, les jambes font parfois trop mal pour marcher et qu’il peut être bon de se faire aider psychologiquement pour avancer.
Se laisser affecter Face à ces visages qui se dévoilent, se révèlent et se des-
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Ce chemin qui se dessine passe aussi par la découverte de limites, de blessures, mais c’est avec cellesci qu’un jeune est invité à se tenir face à la vie et à choisir le chemin qui sera le sien. Combien de fois, citant saint Paul 2 à des croyants comme à des non-croyants, ai-je pu m’exclamer face à un étudiant qui faisait l’expérience de sa fragilité : « Bonne nouvelle ! » ; leur expliquant combien il est précieux d’avoir fait l’expérience de sa limite pour être en empathie avec les blessés de la vie.
sinent, le visage de l’accompagnateur ne saurait rester de marbre. « Alors Jésus fixa son regard sur lui et l’aima. » (Marc 10,23) En termes plus ignatiens, nous parlerons de bienveillance, mais je crois que la joie que nous invitons les jeunes à découvrir, il faut nous aussi la découvrir à leur contact. Ainsi, s’ils nous enseignent, parfois contre notre gré, flexibilité et disponibilité, si leur générosité, leur énergie et leur enthousiasme nous font parfois aller au-delà de ce qui est raisonnable, ils nous invitent constamment à une conversion,
celle de l’Esprit qui travaille audelà de nos schémas bien établis. Accompagner des jeunes, c’est donc un peu le rester, mais c’est en même temps accepter que nous ne le sommes plus et que la vie patiemment dessine les rides qui permettent à leurs visages de devenir eux-mêmes adultes. Désirer voir ces jeunes grandir et prendre leur place, c’est bien accepter de les laisser prendre la nôtre et d’avancer nous-mêmes vers le Père, source de toute vie.
2. « C’est donc très volontiers que je mettrai plutôt ma fierté dans mes faiblesses, afin que la puissance du Christ fasse en moi sa demeure. » 2e lettre de Saint Paul Apôtre aux Corinthiens (12,9b).
Gonzague Lalanne-Berdouticq s.j. septembre 2018 13
Chercher et trouver Dieu
Éclairage biblique
quitte et va vers la promesse 01 Le Seigneur dit à Abram :
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« Quitte ton pays, ta parenté et la maison de ton père, et va vers le pays que je te montrerai. 02 Je ferai de toi une grande
nation, je te bénirai, je rendrai grand ton nom, et tu deviendras une bénédiction. 03 Je bénirai ceux qui te béniront ; celui qui te maudira, je le réprouverai. En
toi seront bénies toutes les familles de la terre. ». 04 Abram s’en alla, comme le Seigneur le lui avait dit, et Loth s’en alla avec lui.
Abram avait soixante-quinze ans lorsqu’il sortit de Harane. 05 Il prit sa femme Saraï, son neveu Loth, tous les biens qu’ils avaient acquis,
et les personnes dont ils s’étaient entourés à Harane ; ils se mirent en route pour Canaan et ils arrivèrent dans ce pays. GENÈSE 12,1-5 Traduction liturgique
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« Quitte » c’est par cette injonction que commence l’aventure d’Abram, la rencontre de Dieu et de l’homme. « Quitte ta famille, ton pays, la maison de ton père ». Si ce que Dieu dit à Abram de quitter est clair, ce qu’il met devant lui est très incertain : « Le pays que je te montrerai ». « Abraham est parti sans savoir où il allait » (Hébreux 11,8). Dieu appelle Abram à lui faire confiance, il n’a pour cela que la parole du Seigneur. Une parole qui lui enjoint de quitter et de se mettre en route. Parole qui ouvre un futur pour lequel Dieu s’engage avec lui : « Je te montrerai », je serai avec toi. Parole qui l’invite à passer de la sécurité acquise à l’inattendu porteur de fruits ; de l’inertie d’un passé replié sur soi au dynamisme d’un avenir ouvert à tous ; d’une stérilité à une fécondité ; de la mort à la vie. En effet les versets qui précèdent (Genèse 11,26-32) esquissent le portrait de sa famille comme celui d’une famille au passif lourd : le père impose son pouvoir, la mort frappe, la femme d’Abram, Saraï, est stérile, la vie semble prisonnière de la mort, tous adorent les idoles. L’arrachement d’Abram à sa famille, à sa terre natale, n’est pas un reniement de son identité, un ordre d’abandonner les siens, la preuve : « Abram prit sa femme SaraÏ, son neveu Loth, tous les biens qu’ils avaient amassés » (Genèse 12,5), et partit. L’arrachement d’Abram est un appel à quitter ce qui est mortifère pour lui, sans autre garantie que la parole de Dieu. Si, sur l’ordre du Seigneur, Abram obéit et met sa foi dans Celui qui le rejoint, Dieu pourra réaliser, pour lui et avec lui, son projet de bénédiction : « Le pays que je te montrerai », promesse d’une terre ; « Je ferai de toi un grand peuple », promesse d’une descendance ; « Je bénirai ceux qui te béniront » ; « Je rendrai grand ton nom », promesse d’une renommée exceptionnelle. Mais bien plus encore, la bénédiction qu’Abram recevra du Seigneur n’est pas pour lui seul, mais pour « tous les clans de la terre ». Dieu associe Abram à son projet de bénédiction pour toute l’humanité. Ce projet que Dieu avait déjà à la création, Il a dû, à cause de l’humanité pécheresse, le renouveler après le
déluge. L’épisode de Babel montre, une fois encore, qu’il est impossible aux hommes livrés à eux-mêmes d’être en bénédiction, d’atteindre le ciel, c’est-à-dire d’entrer en relation avec Dieu. Impossible ? Non car « tout est possible à Dieu » (Marc 10,27). Dieu va choisir un homme, Abram, l’appeler à le suivre, dans la foi, vers l’inconnu, le bénir et l’investir d’une mission : être au service de la bénédiction de tous. Le pape, dans une lettre, invite les jeunes à « sortir », à la manière d'Abram pour se « lancer dans un futur non connu mais porteur de réalisations certaines. » Qui d’entre nous, jeune ou moins jeune, peut s’exclure de cet appel pressant du Christ qui le met en garde : « Celui qui veut sauver sa vie la perdra, mais celui qui perd sa vie à cause de moi la sauvera. » (Matthieu 16,25) et lui dit : « Suis-moi » (Matthieu 9,9) ? « Vous serez alors mes témoins… [dans vos lieux de vie] et jusqu’aux extrémités de la terre. » (Actes 1,8) Minette Remaury
points pour prier + Me mettre en présence du Seigneur et
lui demander ce que je désire : entendre sa parole ? Avoir confiance dans cette parole ? Accepter de sortir, de me mettre ou de me remettre en route ? Avoir un cœur reconnaissant… ? + Je regarde mon histoire et je fais l’état des lieux. Où en suis-je ? + J’entends le Seigneur qui m’appelle à “quitter”… Quoi ? Pour “aller vers”… Vers où ? + Je me laisse provoquer par cette parole et je me rends disponible pour accueillir l’inconnu, l’inattendu que Dieu me montrera au jour le jour. + J’entends la promesse, bénédiction pour moi et l’humanité qui culmine dans l’Incarnation. + Je rends grâce et termine par un colloque, un cœur à cœur avec le Christ. septembre 2018 15
Chercher et trouver Dieu
Repères ecclésiaux
l'accompagnement des jeunes à la lumière du synode 2018 Nathalie Becquart, Xavière
1. Voir le premier paragraphe de l’Instrument de travail qui présente ainsi l’objectif du synode : « “Prendre soin” des jeunes n’est pas une tâche facultative pour l’Église, c’est une part substantielle de sa vocation et de sa mission dans l’histoire. C’est cela qui est à la racine de l’enjeu spécifique du prochain synode : comme le Seigneur a marché avec les disciples d’Emmaüs (Luc 24, 13-35), l’Église est invitée à accompagner tous les jeunes, sans exception, vers la joie de l’amour. » 2. Document Préparatoire pour la XV e Assemblée Générale Ordinaire sur « Les jeunes, la foi et le discernement vocationnel ».
Le synode d’octobre 2018 sur « Les jeunes, la foi et le discernement vocationnel » invite l’Église à s’interroger sur l’accompagnement des 16-29 ans. Nathalie Becquart a été actrice et témoin de la préparation de ce synode en tant que directrice du Service national pour l’évangélisation des jeunes et pour les vocations. Elle nous partage les orientations et les enjeux de cette marche synodale.
D
Dans un contexte de mutations rapides, de changement de monde qui plonge les jeunes dans une nouvelle culture « post-moderne numérique », l’Église est invitée à vivre une démarche d’inculturation audacieuse pour poursuivre à frais nouveaux sa mission centrale d’éducation et de transmission conçue comme un « prendre soin » des jeunes 1. Telle est la perspective ouverte par la préparation du prochain synode des évêques d’octobre 2018 sur « les jeunes, la foi et le discernement des vocations ». Cette marche synodale avec les jeunes voulue par le pape François met un focus sur les 16 à 29 ans pour « s’interroger sur la façon d’accompagner les jeunes à reconnaître et à accueillir l’appel à l’amour et à la vie en plénitude » mais aussi à « demander aux jeunes eux-mêmes de l’aider à définir les modalités les plus efficaces pour annoncer la Bonne Nouvelle » 2.
Le désir des jeunes d’être accompagnés À travers les documents jalonnant les différentes étapes de préparation du synode, la question de l’accompagnement apparaît comme fondamentale. Cela est particulièrement bien exprimé par les jeunes eux-mêmes 3 : « Les jeunes cherchent des compagnons sur leur chemin de vie, pour marcher avec eux, des hommes de foi et des femmes qui expriment la vérité et permettent aux jeunes d’exprimer leur compréhension de la foi et de leur vocation. Ces personnes n’ont pas besoin d’être des modèles de foi à imiter, mais plutôt des témoins. De telles personnes devraient évangéliser par leur vie. (…) Les accompagnateurs ne doivent pas conduire les jeunes comme s’ils étaient des sujets passifs mais ils doivent marcher avec eux en leur donnant d’être acteurs
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de leur cheminement. Ils doivent respecter la liberté des jeunes qu’ils rencontrent, dans leurs chemins de discernement et aussi les équiper avec des outils précieux pour ce discernement. Un accompagnateur doit profondément croire dans la capacité du jeune à participer à la vie de l’Église. » Dans la continuité des deux synodes sur la famille qui avaient déjà mis en lumière des thèmes liés aux jeunes 4, ce synode donne donc de percevoir encore plus fortement combien le discernement et l’accompagnement sont aujourd’hui deux postures clés pour la vie chrétienne dans un monde complexe en pleine transformation. Car nos sociétés contemporaines confrontent au défi majeur du « vertige du choix » devant la multiplicité des possibles comme le dit très bien un jeune : « J’ai trop de choix, je n’y arrive plus. » Mais cette jeunesse – génération
charnière en tension entre deux mondes – est riche de potentialités. Si elle est bien accompagnée et soutenue par des aînés qui accueillent sa vitalité, sa créativité et son immense désir d’agir pour transformer le monde en lui transmettant sagesse et confiance, elle détient les réponses à inventer pour sortir de la crise et des impasses du monde actuel.
Par ce synode, l’Église à l’école du pape François souhaite rejoindre et accompagner tous les jeunes dans leur discernement vocationnel. Ici le terme de « vocation » est à entendre dans un sens très large comme une invitation à regarder la vie sous l’horizon vocationnel car « seule une anthropologie vocationnelle peut me permettre de comprendre l’humain dans toute sa vérité et sa plénitude »5. Cet accompagnement peut prendre bien des formes. Il est avant tout service de la liberté du jeune pour lui permettre de découvrir et incarner cette commune vocation humaine à l’amour en discernant personnellement comment s’engager concrètement dans son quotidien pour aimer et servir les autres en réponse à l’appel singulier que Dieu lui adresse. Toute vie est vocation, chaque baptisé, à partir d’une unique et primordiale vocation à la sainteté, est ainsi appelé à inventer avec Dieu en Église un chemin de vie et de liberté. C’est-à-dire trouver sa place dans
© Laityfamilylife
Le discernement vocationnel
▲ Les 300 participants du pré-synode des jeunes réunis à Rome.
la société et dans l’Église afin de porter du fruit en se donnant soi-même jusqu’au bout dans un choix et un style de vie qui rend heureux en rendant les autres heureux. Expérimenter des engagements bien concrets jusqu’à oser poser un choix de vie définitif demande toujours un processus de discernement qui se déploie dans le temps pour apprendre à reconnaître et nommer les mouvements intérieurs et repérer comment Dieu conduit à travers la consolation. Parce que l’Église reconnaît avoir de nombreuses ressources éducatives et spirituelles pour aider les jeunes à avancer sur un chemin de maturation, elle entend avec force dans un contexte de fragmentation l’appel à leur partager ses trésors et repères pour leur permettre d’avancer en s’unifiant.
Dans cette perspective, nul doute que les ignatiens se laisseront particulièrement interpeller par cette affirmation très claire et forte : « Tous les jeunes, sans aucune exclusion, ont le droit d’être accompagnés dans leur itinéraire » (Document Préparatoire III, 2). L’accompagnement vocationnel est un processus en mesure de libérer la liberté, la capacité de don et d’intégration des différentes dimensions de la vie dans un horizon de sens. »6
3. Dans le Document final du pré-synode écrit fin mars à Rome par 300 jeunes du monde entier, au n°10 « les jeunes et l’accompagnement ». 4. Cf. notamment le chapitre 7 d’Amoris Laetitia sur l’éducation.
5. Instrumentum Laboris 88.
6. Instrumentum Les jeunes ont de grandes soifs spirituelles et nous attendent. Prendrons-nous le risque de les accompagner en nous laissant bousculer par l’Esprit qui à travers eux nous invite à « sortir » pour porter la joie de l’Évangile en nous ouvrant à la nouveauté ?
Laboris 121.
Nathalie Becquart septembre 2018 17
Chercher et trouver Dieu
pour aller plus loin Des pistes pour un partage : • Quand je contemple les jeunes que je connais, qu’est-ce que je perçois de leur réalité ? Quels sont les défis auxquels ils sont confrontés ? Quelles sont leurs joies et leurs difficultés ? Quels sont les désirs profonds qu’ils expriment ? • Si j’ai une expérience d’accompagnement de jeunes, quelles sont mes postures d’éducateur pour leur permettre de se réaliser ? Comment suis-je au service de leur liberté et de leur chemin de discernement personnel ? Comment j’accueille leur désir d’être pleinement acteurs de la transformation du monde et de la vie de l’Église ? • Le synode « Les jeunes, la foi et le discernement vocationnel » invite l’Église à prendre soin de tous les jeunes et à les mener vers la joie de l’amour. Comment puis-je accompagner leur soif spirituelle ? Dans quelle mesure suis-je pour eux un authentique témoin de l’Évangile avec mes forces et mes fragilités ?
À lire : • Dieu est jeune Pape François, Coédition Robert Laffont/Presses de la Renaissance, mars 2018, 16 euros. Dans ce livre d'entretiens avec le journaliste italien Thomas Leoncini, le pape François délivre une véritable ode à la jeunesse dont il décrit les espérances mais aussi les déceptions. « Un jeune a quelque chose d’un prophète, écrit-il, et il faut qu’il en prenne conscience ». Le pape propose des pistes pour les comprendre et les accompagner, comme le dialogue avec les anciens : « Les vieux rêveurs et les jeunes prophètes sont la voie du salut pour notre société déracinée ». • Accompagner les jeunes adultes : sept jésuites témoignent Sous la direction de Sylvain Cariou-Charton s.j., Lessius, août 2017, 13 euros. Quelles sont les attentes des jeunes adultes ? Comment les accompagner ? Sept jésuites, eux-mêmes accompagnateurs, témoignent dans ce court ouvrage de leurs pratiques auprès de ces jeunes adultes. Se dessine une manière de faire ignatienne : présence et attention à l’autre. • Les jeunes, la foi et le discernement vocationnel. Textes de référence du synode – Conférence des Évêques de France, Bayard, Cerf, Mame, juillet 2018, 16 euros. Cet ouvrage présente les textes importants élaborés au Vatican et en France au cours de ces deux ans de préparation du synode sur le thème « Les jeunes, la foi et le discernement vocationnel » qui aura lieu en octobre. Il constitue un véritable « manuel » pour l’évangélisation des jeunes et la pastorale des vocations.
À voir : • A voix haute – De Stéphane de Freitas, 2017. Chaque année à l’Université de Saint-Denis se déroule le concours Eloquentia, qui vise à élire « le meilleur orateur du 93 ». Leïla, Elhadj, Eddy et d’autres vont s’y préparer grâce à des professionnels (avocats, slameurs, metteurs en scène…), qui vont leur enseigner le difficile exercice de la prise de parole en public. Au fil des semaines, ils vont apprendre les ressorts subtils de la rhétorique, et vont s’affirmer, se révéler aux autres, et surtout à eux-mêmes. 18 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 55
contempler une œuvre d'art
Port-Rhu, de la série Cartes mémoire. Techniques mixtes. Isabelle Massin, 2017. www.isabelle-massin.odavia.com Une invitation au voyage, au rêve, à un au-delà. Contempler les bleus, bleu de la mer, bleu-douceur, bleu-immensité, bleu-profondeur. Se laisser entraîner, flotter, naviguer. Voir les lignes, lignes sinueuses, lignes souples, lignes de profondeur, lignes de vie ? Considérer les empreintes de cartes, la photo ancienne, un passé donnant sens au présent et ouvrant sur le ciel. Entendre le ressac, avoir le goût du sel sur la langue, sentir le vent sur la peau. Rendre grâce pour la nature si belle, si forte et si fragile. Entrer dans un imaginaire poétique qui dit la vie. septembre 2018 19
Se former
École de prière
prier en couple : et si l’on demandait la grâce ?
Prier en couple n’est pas forcément facile mais quelle grâce ! Sous le regard de Dieu, les époux goûtent ensemble et en vérité la présence et l’action de Dieu dans leur vie commune. Voici une invitation et une proposition pour inventer cette prière conjugale à la manière ignatienne. Tobie sortit du lit et dit à Sarra : « Lève-toi, ma sœur. Prions, et demandons à notre Seigneur de nous combler de sa miséricorde et de son salut. » Elle se leva, et ils se mirent à prier et à demander que leur soit accordé le salut. Tobie commença ainsi : « Béni sois-tu, Dieu de nos pères ; béni soit ton nom dans toutes les générations, à jamais. Que les cieux te bénissent et toute ta création, dans tous les siècles. C’est toi qui as fait Adam ; tu lui as fait une aide et un appui : Ève, sa femme. Et de tous deux est né le genre humain. C’est toi qui as dit : “Il n’est pas bon que l’homme soit seul. Je vais lui faire une aide qui lui soit semblable.” Ce n’est donc pas pour une union illégitime que je prends ma sœur que voici, mais dans la vérité de la Loi. Daigne me faire miséricorde, ainsi qu’à elle, et nous mener ensemble à un âge avancé. » Puis ils dirent d’une seule voix : « Amen ! Amen ! » Livre de Tobie chapitre 8, 4-8
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Ce texte, souvent choisi par les futurs époux pour leur mariage, exprime le fondement de l’histoire du couple croyant. Dieu se donne à chacun au travers de l’amour qui unit chaque membre du couple. L’histoire de chacun est une histoire sainte et l’histoire à deux devient elle aussi une histoire sainte. Croyants, nous savons qu’il est vital de nourrir notre relation personnelle au Père, au Fils et à l’Esprit par la prière. Au cœur de chaque vie de couple, le Seigneur est présent et s’engage pour la vie. Ensemble, le couple peut donc l’inviter à faire route
avec lui de différentes manières : la prière en couple en est une. Or, ce n’est pas forcément simple car chacun, selon son histoire personnelle, n’en est peut-être pas au même stade. Pourquoi ne pas essayer, si chacun nourrit sa propre relation à la prière et que l’intimité partagée dans la vie de couple peut se prolonger par un temps de prière vécu ensemble ? Chaque couple peut alors inventer sa propre liturgie domestique : un chant que chacun apprécie, la lecture du texte du jour ou encore la liturgie des heures. La prière en couple devient alors cet espace où, s’ouvrant ensemble
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au souffle de l’Esprit, chacun demande à être en vérité et en clarté l’un vis-à-vis de l’autre, sous le regard aimant du Père. Lorsque le pardon est nécessaire, ce qui fait partie intégrante de la vie de tout couple, la prière est aussi le lieu où il peut être vécu. Dans ces moments-là, la prière à deux invite le Seigneur qui espère ce couple comme le Père attend son enfant qui s’est égaré. Une grâce peut alors être demandée : celle de se mettre sous le regard du Seigneur et recevoir de Lui la force et la joie du pardon… non sans avoir pris le temps de se dire ce qui sépare.
© Yolaine Schmeltz – http://yolaineschmeltz.weebly.com
Dans ces moments de tension, paradoxalement, la prière en couple devient plus difficile voire impossible : il faut un temps de maturation nécessaire au cheminement de chacun. Si l’Esprit ne travaillait qu’au cœur des couples qui prient à deux, ce serait bien contraire à ce que proclame notre foi ! Il est donc des moments où il peut être bon de respecter l’autre jusqu’à le laisser vivre sa relation au Christ sans vouloir prier à deux. La femme et l’homme sont ainsi faits que ce lieu d’intimité qu’est la prière ne peut être forcé… même lorsque l’on s’aime et surtout si l’on s’aime. Chaque couple trouve sa manière de faire dans le temps, selon le rythme propre à chacun. Fragile comme un souffle mais puissante comme l’amour, la prière en couple restera toujours une grâce à recevoir si l’on sait la demander.
▲ « Allez vous reposer », une œuvre de Yolaine Schmeltz, 2015.
Le Trilogue : une proposition pour s’essayer à la prière en couple. Certains ont l’habitude de prier en couple et ont déjà trouvé une manière de faire qui leur est propre. Pour d’autres, c’est une difficulté et ils n’ont jamais essayé. Voici une proposition pour un temps… à trois : - Choisissez un texte que vous aimez particulièrement et qui a du sens dans votre histoire de couple… Puis mettez-vous en présence du Seigneur par un signe de croix ou une phrase introductive : « Seigneur nous voici ensemble devant Toi… » - Demandez, chacun, ce que vous désirez pour vous deux (non pas une grâce pour l’autre mais bien une grâce pour votre vie de couple ici et maintenant). C’est une invitation à croire que le Seigneur est déjà là et qu’il vous entend. Ensemble, vous êtes sous son regard aimant et les paroles qui vont être dites sont une prière vers le Père. - Vous pouvez lire le texte ensemble à voix haute, prendre un temps de silence et partager chacun la phrase qui vous touche, le geste qui vous parle… Ce n’est pas une discussion mais une écoute en profondeur : Dieu nous parle par sa Parole, il nous parle aussi les uns par les autres. Après avoir repris un temps de silence, vous pouvez aussi partager ce qui s’est déplacé en vous, en vous écoutant mutuellement et sur la manière dont votre conjoint a entendu cette Parole. Puis, vous terminez en vous adressant directement à Dieu à haute voix en prenant le temps de dire un Notre Père, un Je vous salue Marie… ou toute autre prière qui vous est chère.
Dorothée et Dominique Lagabrielle septembre 2018 21
Se former
Expérience de Dieu…
visages de dieu à l’hôpital Dans sa mission d’aumônier à l’hôpital, Isabelle témoigne des chemins nouveaux qui se sont ouverts à elle : chemin de confiance en la présence de Dieu dans les rencontres avec les personnes malades et d’action de grâce devant leur force ou leur foi face à la souffrance.
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Toc-toc-toc… après onze ans de visites des personnes malades à l’hôpital, c’est toujours sur la pointe des pieds que je frappe à la porte de la chambre. « Bonjour ! Je suis Isabelle, de l’aumônerie catholique. Puis-je vous faire une petite visite ? » Souvent la confiance s’établit facilement. Mais elle est à travailler aussi en moi, pour reconnaître en cette personne un frère en humanité, au-delà des apparences qui à l’hôpital peuvent être déroutantes.
Il a le visage rond, une boucle d’oreille, il me sourit. « La religion c’est pas mon truc… J’ai cru, mais je n’y crois plus… Est-ce que vous auriez quelque chose à me dire pour me faire revenir à la foi ?... » En fait, il était assoiffé, il attendait… de s'entendre dire que Dieu l'attendait… J’aurais été responsable de nonassistance à personne assoiffée si je n’étais pas venue à lui.
© Monkeybusinessimages / iStock
Comme ce jour où je l’ai aperçu de dos, assis sur son lit, bardé d’un grand pansement. Torse nu,
un bras entièrement tatoué, un colosse… non sans hésitation, j’avance et le salue.
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Rencontrer J’ai appris… à écouter. Écouter c’est se présenter nu devant l’autre, offrir à l’autre son cœur vidé de soi pour lui faire place. C’est croire que ce qui l’habite a de la valeur, croire que de sa parole peut jaillir une vérité, celle qui vient de l’image de Dieu qu’il porte, qu’il le sache ou non. Cette conviction reçue lors d’une formation ne m’a jamais quittée : « Je n’écoute pas l’autre parce qu’il parle, mais il parle parce que je l’écoute ». Avec quelle simplicité et quelle générosité beaucoup m’ont partagé ce qu’ils ont découvert au travers de l’épreuve ! Ils ont éclairé mon propre chemin, par leurs questionnements, par la force qu’ils trouvent au fond d’eux-mêmes ou dans leur foi en Dieu, par leur capacité à garder confiance. C’est avec un étonnement émerveillé que j’ai reçu, au seuil du dernier chemin, des confessions très intimes, des regards en arrière qui embrassent
toute la vie pour l’offrir, comme un bouquet de fleurs multiples et colorées… Les uns les remettent à Dieu avec gratitude, quelques-uns nomment leur « bonne étoile », d’autres disent seulement : « J’ai eu beaucoup de chance ». Alors l'action de grâce jaillit de mon cœur, en voyant la main bienveillante de Celui qui s'est ainsi fait présent et ne demande qu'à être reconnu… Oui, je ne peux qu’« ôter mes sandales devant la terre sacrée de l'autre » (pape François, Evangelii Gaudium §169) ; devant ce vieil homme algérien, pétri d’humanité et de foi musulmane, qui m’a fait cadeau de son humble sagesse : « Quand on est petit, on est petit ; quand on est grand, on est petit. »
Visage de l’Église Une équipe d’aumônerie en hôpital, c’est un ministère. Pour les personnes hospitalisées, pour leur famille, pour le personnel soignant croisé dans les couloirs ou auprès d’un malade, nous sommes le visage de l’Église qui vient à leur rencontre. Mais c’est ensemble qu’on vit l’Église « hôpital de campagne », dans la pauvreté d’une chambre d’hôpital,
La Pastorale de la santé est une présence d’Église auprès des personnes touchées par la maladie, le handicap ou le grand âge et auprès des professionnels du monde de la santé. C’est un service diocésain, animé par un délégué diocésain. Il rassemble l’aumônerie catholique dans les établissements de santé (actuellement trente-et-un aumôniers dans le diocèse des Yvelines : prêtres, diacres ou laïcs, agréés par l’hôpital), le Service évangélique des malades qui visite les personnes à domicile dans les paroisses ou dans les maisons de retraite, la Pastorale des personnes handicapées, et accompagne aussi les professionnels de santé dans leur réflexion sur les questions éthiques. où le Christ se révèle au malade comme au visiteur au cœur de la rencontre avec l’autre.
délicatement un baume sur la douleur, dire la présence de Dieu au plus profond de la souffrance.
Avec la mission et ma Lettre de mission, j’ai reçu aussi ce qu'on peut appeler « une grâce d'état ». Une force intérieure qui m'a accompagnée dans les moments difficiles, lorsqu'il fallait réconforter celle qui pressentait la victoire prochaine de la maladie de son mari, ou accompagner de jeunes parents tenant dans leurs bras leur bébé mort-né… Dans ces situations de détresse, je n'étais pas seule. Les mots des psaumes, qui puisent dans toute l'expérience de la douleur humaine, sont venus tant de fois entourer, déposer
Je me suis longtemps demandé comment comprendre cette parole de Jésus : « Ce que vous avez fait à l’un de ces petits, c’est à moi que vous l’avez fait ». (Matthieu 25,40) De toutes ces rencontres avec les personnes malades, j’ai tant reçu et d’une manière qui a dépassé toutes mes attentes, qu’il me semble qu’à travers elles c'est Jésus lui-même qui m'a laissée le rencontrer, l'honorer, et être comblée par Lui. Isabelle Le Bouteiller
Une théologienne relit cette expérience L’Église est missionnaire, puisqu’elle tire son origine de la mission du Fils et de la mission du Saint Esprit. Prêtres, prophètes et rois du fait de leur baptême, les laïcs en responsabilité ecclésiale participent au renouvellement missionnaire de l’Église dans un monde assoiffé d’espérance : c’est une compréhension inédite des ministères qui s’élabore là où le Christ est attendu. Dans l’Église, la pratique précède bien souvent la théologie.
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Se former
Lire la Bible
le combat spirituel de jacob Le récit de la lutte de Jacob avec l’Ange est celui de la force et de la douceur du combat spirituel qui aboutit à la rencontre vraie avec Dieu et à la réconciliation avec son frère Esaü. Sœur Geneviève Perret nous raconte, à la manière ignatienne, en s’appuyant sur une peinture d’Eugène Delacroix, ce qui meut Jacob jusqu’à l’ouverture de son cœur.
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L’épisode de la lutte de Jacob avec l’Ange (Genèse 32,23-32) s’inscrit au cœur de son aventure. Après la triste histoire du droit d’aînesse usurpé et sa fuite chez son oncle Laban, il a épousé
successivement ses deux cousines Léa et Rachel. Mais il a encore fraudé, cette fois avec son oncle et beau-père. Il a dû fuir pour ne pas subir la colère de Laban et de ses cousins dont il a usurpé l’héri-
© Gloumouth1 / CC
Geneviève Perret, sœur de MarieAuxiliatrice et accompagnatrice CVX à Douala.
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tage et qui sont furieux contre lui. Il va finir par se réconcilier avec Laban. Jacob s’en revient à présent au pays de son père. Il lui faut donc préparer sa rencontre avec Esaü.
Un présent pour Esaü Tout le chapitre 32 de la Genèse décrit cette préparation. Jacob envoie des messagers annoncer son arrivée à son frère, en prenant le soin de préciser qu’il est devenu très riche : il ne vient donc pas en mendiant. Les messagers reviennent et annoncent à Jacob qu’Esaü vient à sa rencontre avec 400 hommes. « Jacob eut grand peur et se sentit angoissé » (v.8). Il commence par appliquer une autre stratégie, celle de séparer en deux le petit et le gros bétail ainsi que les chameaux, dans l’espoir d’en sauver une partie. Et il se tourne quand même vers Dieu… et lui rappelle tous ses bienfaits à son égard. « Veuille me sauver de la main de mon frère Esaü, car j’ai peur de lui, qu’il ne vienne et ne nous frappe, la mère avec les enfants » (v.12). Là-dessus, il envoie des serviteurs avec un cadeau royal pour amadouer son frère.
Regardons cette lutte avec les yeux du peintre Eugène Delacroix, dans l’église Saint Sulpice de Paris. Ce chef-d’œuvre s’était noirci avec le temps, il a retrouvé ses couleurs après une restauration. La dimension du tableau évoque la majesté du lieu que d’immenses arbres rendent plus secret. Le torrent coule sur la gauche. À droite, toute la smala de Jacob est déjà partie avec brebis, chevaux et chameaux, dans un nuage de poussière rouge. Au centre, au premier plan, les affaires de Jacob. Et c’est le corps à corps : Jacob se lance impétueusement, de toute la vigueur de ses muscles robustes, sur un adversaire qui semble le maintenir sans l’agresser. Ce quelqu’un qui lui a barré la route et lutte avec lui, cet Ange, c’est l’Ange de Dieu, c’est Dieu. L’homme a été créé à ce point libre qu’il peut s’opposer à Dieu, mais aussi qu’il peut avoir avec Dieu comme un corps à corps dans sa prière, comme le disent Origène, saint Jérôme et beaucoup d’auteurs spirituels. Que s’est-il donc passé pour que Jacob se soit ainsi trouvé en situation de confrontation avec
© R. Camus
« Le présent [pour son frère] passa en avant et lui-même demeura cette nuit-là au camp. Cette nuitmême, il fit passer le gué du Yabboq à toute sa famille ainsi que tout ce qu’il possédait. Et Jacob resta seul. Et quelqu’un lutta avec lui jusqu’au lever de l’aurore » (v. 22-25).
son Seigneur, quels étaient les mouvements intérieurs qui l’agitaient, ces motions propres au combat spirituel ?
« Les diverses motions qui se produisent dans l’âme » de Jacob Jacob a peur. Il a eu peur du beau-père, il a peur de son frère, de leur vengeance. Mais c’est aussi sa conscience qui le mord. Avant de régler ses problèmes avec sa parenté, Jacob se trouve face à ses péchés et donc face à sa relation brisée avec Dieu. Il n’a que la force de fuir, fuite en avant pour échapper aux représailles, mais aussi au regard de Dieu. Il a trouvé une stratégie pour affronter son frère, celle de le faire crouler sous les cadeaux. Il n’est même pas
certain qu’elle sera efficace. Mais pour sa relation avec Dieu, que lui reste-t-il ? La foi seule peut le sauver. Cette foi vive qui vient contrer la peur et qui fait suffisamment confiance à Dieu pour oser avancer où il veut nous conduire. Mais dans sa désolation dont il n’a même pas conscience, Jacob est incapable de raviver sa foi. Il lui faudra l’intervention de Dieu. Jacob reste seul. Il a fait partir les siens pour les mettre à l’abri. Il est seul comme celui qui part au désert pour prier, pour affronter le tentateur. Jacob a fait partir les siens, il les a quittés, s’en est détaché. Il ne lui reste plus que la nuit. C’est l’heure de l’épreuve. Comme Jésus à Gethsémani, seul avec le Père.
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Se former
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Lire la Bible C’est alors que le tableau nous indique un élément qui n’est pas explicite dans le texte biblique. Pour affronter son adversaire, Jacob s’est dépouillé de ses armes, comme avait fait David que le lourd équipement de Saül ne faisait qu’encombrer face au géant Goliath. Javelot, bouclier, flèches dans le carquois et l’arc tombé à ses pieds, tout est déposé, comme on fait une offrande au pied de l’autel. Jacob s’est désarmé pour lutter avec Dieu.
Le désarmement spirituel consiste à s’abandonner à Dieu, à Lui faire toute confiance. Pour mener le combat avec Dieu, il faut renoncer à l’usage de la force et se présenter « les mains vides », comme disait Thérèse de Lisieux. Il faut donc renoncer à « mériter » la grâce du Seigneur, renoncer à soi-même après avoir renoncé à vouloir tout posséder. Renoncer à tout avoir « bien en mains ». Ce n’est que désarmé que Jacob pourra franchir le gué du Yabboq pour se réconcilier avec Esaü. Jacob lutte dans la nuit. Comme souvent dans la Bible, la nuit opposée au jour revêt une signification symbolique. Jésus dira que la nuit, nul ne peut marcher (Jean 11,10). Et c’est de nuit que Judas quitte la Cène pour trahir son maître. Jacob se bat donc dans la nuit, loin de la certitude que donne la lumière de la présence tan-
gible de Dieu. Il lutte, sans comprendre où tout cela va le mener. Nul ne sait quand s’achève un combat que le Seigneur nous donne d’entreprendre. Pourtant Jacob tient bon, jusqu’au matin. C’est Dieu qui donnera le signal de la fin de la partie. Le combat aboutit à une bénédiction. Celle-ci est le fruit d’une blessure (Jacob est atteint à la hanche) et donc la trace ineffaçable, la marque au fer rouge laissée par cette expérience d’empoignade avec Dieu. C’est une consolation douloureuse qui va le faire aller de l’avant. Il reçoit un nom nouveau : Israël. Dans la peinture, il y a une évocation de la force et de la tendresse de Dieu sur le visage de l’Ange. Et de l’abandon à son Seigneur sur celui de Jacob qui se réfugie sur sa poitrine : oui, il fonce bien tête baissée, mais il laisse son profil se recueillir sur ce mystérieux personnage. Il y a quelque chose du fils prodigue du tableau de Rembrandt sur ce profil, et ce n’est pas un hasard. Alors que le combat fait rage, les visages disent déjà quelle en sera l’issue, au fond du cœur de Dieu.
La rencontre avec Esaü On ne sort jamais indemne du combat avec Dieu ! Rien ne sera plus comme avant. Un gué a été franchi, une nouvelle étape commence, avec la force de Dieu.
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Désormais, Jacob est prêt pour la rencontre avec son frère Esaü. Il va pouvoir le considérer non plus comme un adversaire, mais comme un frère. Le combat de Jacob se situe au centre de l’histoire de cette rencontre : Jacob la prépare avec des cadeaux, il lutte avec Dieu et il retrouve alors son frère, non plus caché derrière ses cadeaux, mais dans la lumière de son dépouillement intérieur. Son frère lui est à nouveau donné, au sortir de la réalité dramatique du conflit avec lui. La rencontre vraie avec Dieu conduit toujours à celle du prochain, de l’étranger, du frère,… « J’ai affronté ta présence comme on affronte celle de Dieu » (Genèse 33,10). Dans son Message pour le Carême 2017, François nous invitait à « ouvrir la porte de notre cœur à l’autre, car toute personne est un don… et mérite accueil, respect, amour ». Quand se profile la désolation, particulièrement dans la relation difficile avec notre prochain, Dieu nous propose de vivre le combat spirituel pour « ouvrir la porte de notre cœur ». Il nous fera goûter en son temps la consolation d’un oui dans l’abandon. Seule l’expérience renouvelée du face-à-face avec « Jésus Christ, visage de la miséricorde du Père », peut nous permettre une telle rencontre avec l’autre. Sœur Geneviève Perret
Spiritualité ignatienne
être « disciples-missionnaires » Dans Evangelii Gaudium, le pape François invite les croyants à être des « disciples-missionnaires » et il propose le modèle du polyèdre qui intègre à la fois la diversité et l’unité pour se situer dans un monde complexe et entrer en dialogue avec nos contemporains. Second volet d’une série de deux articles sur le « style » du pape François par Giuseppe Riggio s.j.
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Dans l’exhortation apostolique Evangelii Gaudium, une conviction revient sans cesse : la mission « est le paradigme de toute tâche de l’Église » (EG, n°15). Dans cette perspective, la fécondité et la vitalité de toute activité ecclésiale sont liées à l’élan missionnaire. La formule « Une Église en sortie » est utilisée par le pape François pour décrire cette dimension missionnaire. Il s’agit d’un écho des nombreux appels à sortir de soi-même qui parcourent toute la Bible, à partir du récit d’Abraham qui part vers une terre nouvelle (Genèse 12) jusqu’à Jésus qui envoie ses disciples annoncer la Bonne Nouvelle « dans toutes les villes et les localités » (Luc 10,1).
L’appel missionnaire est adressé à toute l’Église, comme le montre bien la mention des destinataires d’Evangelii Gaudium : les évêques, les prêtres et les diacres, les personnes consacrées et tous les fidèles laïcs. « Chaque baptisé, quels que soient sa fonction dans l’Église et le niveau d’instruction de sa foi, est un sujet actif de l’évangélisation. […] Tout chrétien est missionnaire dans la mesure où il a rencontré l’amour de Dieu en Jésus Christ » (EG, n°120). Pour Evangelii Gaudium, la vie de foi personnelle et l’appel à témoigner de l’Évangile sont indissociables. Et le pape qualifie les croyants de « disciples-missionnaires ».
La mission dans le monde d’aujourd’hui Être envoyés dans le monde pour l’annonce évangélique se révèle une tâche à la fois importante et délicate… C’est un vrai défi si on veut donner un témoignage authentique. La mission nous interroge sur notre style de dialogue au niveau personnel et communautaire : sommes-nous vraiment capables d’aller à la rencontre de l’autre d’une manière bienveillante, prêts à l’écouter, à nous remettre en question et à parler avec profondeur de notre foi ? De plus, cela nous demande de réfléchir à la manière dont l’Église peut se situer dans le contexte social d’aujourd’hui. Nous vivons dans un monde marqué par une grande complexité et pluralité. Acceptons-nous d’y être confrontés ? En tenons-nous compte dans nos propos ? Il s’agit d’assumer cette pluralité en évitant l’écueil de la fragmentation. C’est pourquoi Evangelii Gaudium suggère de quitter le modèle de la sphère, souvent associée à la perfection dans l’imaginaire occidental, pour se
Giuseppe Riggio s.j., rédacteur en chef adjoint de la revue Aggiornamenti Sociali des jésuites de la Province EuroMéditerranéenne.
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Spiritualité ignatienne
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tourner vers celui du polyèdre, solide composé de plusieurs faces, qui peut avoir une grande variété de formes régulières ou non. La complexité de notre réalité est bien loin de la simplicité et de l’harmonie évoquées par la sphère, où « il n’y a pas de différence entre un point et l’autre ». Au contraire, l’image du polyèdre nous offre une voie pour saisir d’une manière unitaire la pluralité des facettes de la société sans les appauvrir, car il « reflète la confluence de tous les éléments partiels qui, en lui, conservent leur originalité » (EG, n° 236). En cet aspect réside sa force : il souligne l’importance de l’unité, tout en valorisant l’originalité et la richesse représentées par les parties qui composent le tout. Il s’agit d’une intuition extrêmement heureuse pour l’action pastorale de l’Église en sortie.
Vivre comme « disciplesmissionnaires » Face à un monde qui peut dérouter à cause de sa complexité, nous risquons d’être dépourvus d’instruments pour nous orienter et de nous égarer dans une vision générale de la réalité. Le modèle du polyèdre, avec son unité composée de parties différentes, évoque ce que le Pape écrit : « Le tout est plus que la partie, et plus aussi que la simple somme de cellesci. Par conséquent, on ne doit pas être trop obsédés par des questions limitées et particulières. Il faut toujours élargir le regard pour reconnaître un bien plus grand qui sera bénéfique à tous. Mais il convient de le faire sans s’évader, sans se déraciner » (EG, n° 235). Dans ce passage, Evangelii Gaudium pointe une tension féconde et difficile à vivre : l’engagement concret de chacun de nous dans sa réalité et la capacité de garder une perspective plus large. D’une manière paradoxale, nos actions individuelles sont plus incisives si nous gardons une vision large. La recherche de ce bien plus grand, à son tour, a son fondement dans la prise de conscience de la solidarité et de la responsabilité qui nous lient aux autres. En même temps, le polyèdre nous rend attentifs au fait que notre point de vue est toujours incomplet et partiel. Nous ne pouvons pas affirmer avoir une vision juste de la réalité en nous appuyant uniquement sur nous-mêmes, mais nous avons besoin des apports des autres pour
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élargir nos horizons. Assumer jusqu’au bout cette perspective nous aidera à nous soustraire à une fausse image de puissance et d’autosuffisance. Pour apprendre à vivre cette tension entre le bien de tous et le particulier, il faut du temps, des connaissances et de la réflexion. Mais le rythme de vie est toujours très rapide dans nos sociétés occidentales. Nous passons d’une tâche à une autre sans interruption et les frontières sont poreuses entre les différents registres de la vie : relations familiales et amicales, travail, temps personnel de ressourcement et détente. Mais ce rythme n’est pas naturel : « Bien que le changement fasse partie de la dynamique des systèmes complexes, la rapidité que les actions humaines lui [notre maison commune] imposent aujourd’hui contraste avec la lenteur naturelle de l’évolution biologique » (Laudato Si’, n° 18). Pour en parler le pape François utilise le terme de rapidación qui lui permet de mettre en exergue la vélocité folle et inhumaine qui caractérise nos vies. Redécouvrir une certaine lenteur – et la vivre dans le quotidien – peut vraiment être une action à contre-courant !
Chacun joue un rôle Prendre tout le temps nécessaire permet aussi que chacun soit écouté comme il le mérite. Tous peuvent contribuer à la réalisation du bien commun à travers leurs actions et leurs paroles. Cela vaut
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aussi pour ceux qui sont traditionnellement considérés comme les petits, les vulnérables, ceux qui se trouvent en marge de la société. Evangelii Gaudium souligne avec force ce point : « Même les personnes qui peuvent être critiquées pour leurs erreurs ont quelque chose à apporter qui ne doit pas être perdu » (EG n° 236). Derrière cette vision, on retrouve une conviction simple : dans un réseau large, chaque élément – y compris le plus petit – influence l’ensemble et peut faire basculer l’équilibre, chaque élément peut faire la différence pour le meilleur et pour le pire. Pour cela, l’apport de chaque partie est précieux. Assumer cette approche dans l’action pastorale (mais aussi dans notre vie) implique de reconnaître et de valoriser la dignité de chaque
personne ; il s’agit d’un petit geste révolutionnaire, qui peut déclencher une vague de changement en s’opposant aux dynamiques d’exclusion présentes dans la société. Une dernière suggestion donnée par le modèle du polyèdre concerne la manière de concevoir l’unité pour éviter de la réduire à l’uniformité. Encore une fois, nous sommes pris dans une tension. La valorisation de la diversité mène à la fragmentation s’il n’y a pas une référence communautaire partagée. Il faut reconnaître la contribution de chacun dans un horizon spirituel : « Les différences entre les personnes et les communautés sont parfois inconfortables, mais l’Esprit saint, qui suscite cette diversité, peut tirer de tout quelque chose de bon, et le transformer en
un dynamisme évangélisateur qui agit par attraction. La diversité doit toujours être réconciliée avec l’aide de l’Esprit saint ; lui seul peut susciter la diversité, la pluralité, la multiplicité et, en même temps, réaliser l’unité » (EG n° 131). Comme nous pouvons le constater, l’appel à être « disciples-missionnaires » est exigeant et engage un certain nombre de défis pour les croyants, mais il s’agit aussi d’une chance pour nourrir notre foi et la vivre d’une manière concrète et incarnée, en plus d’être une graine d’espérance dans le monde. Au fond, nous avons reçu un don à partager, en sachant que « tout ce qui n’est pas donné est perdu. » (Pierre Ceyrac s.j.) Giuseppe Riggio s.j. septembre 2018 29
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Question de communauté locale
un cadeau à partager en cl Dorothée a proposé à sa CL de découvrir le texte « Dynamique de croissance »1 qui l’avait personnellement touchée. Quelles pistes de préparation pour recevoir ce texte en CL ?
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Dès la première lecture de Dynamique de croissance vers une Communauté apostolique, j’ai été habitée par une joie profonde et un élan nouveau m’invitant à un davantage. J’ai eu le désir d’approfondir les richesses de ce document avec mes compagnons. Mes compagnons ont accepté. À trois, nous avons préparé une réunion.
1. Le texte Dynamique de croissance a été présenté en juillet 2017 à Beauvais lors de la rencontre nationale des responsables et accompagnateurs de communautés locales.
Comment s’y prendre ? Tout d’abord, nous nous disons l’écho de ce texte dans notre vie de foi. Un point de vigilance s’impose alors : aider nos compagnons à une appropriation spirituelle de la dynamique de croissance pour éviter d’en faire une lecture intellectuelle. Nous voulons vivre une vraie réunion CVX autour de ce texte, une invitation à goûter et à être attentifs à ce qu’il produit en nous. Les pistes de la préparation viennent alors tout naturellement : - Lire le texte entièrement une première fois : comment je le reçois ? Quels mouvements intérieurs m’habitent ? - Relire le texte une seconde fois en m’arrêtant là où j’ai du goût (pas d’obligation d’aller jusqu’au bout). Laisser résonner les mots, les expressions, les images. - Qu’est-ce qui me touche, rejoint
mon expérience, me pose question, qu’est-ce que je découvre que je ne connaissais pas ? Qu’estce qui me rebute ? - Qu’est-ce que cela me fait découvrir de notre communauté ? Est-ce que j’y retrouve mon chemin spirituel ? - À la fin de la préparation, qu’est-ce qui a bougé en moi ? Qu’est-ce que je garde de ce texte pour poursuivre mon chemin en CVX à la suite du Christ ? Pour le partage du 1er tour, choisir une phrase, un paragraphe, une expression qui me rejoint particulièrement. Partager comment cela résonne dans ma vie de chrétien et de membre de la CVX. Partager les mouvements intérieurs vécus au cours de la préparation. L’invitation à se laisser toucher n’a pas été facile pour tous. Certains se sont heurtés à l’écueil de vouloir tout comprendre ou du vocabulaire. Mais finalement, que de richesses partagées : certains ont exprimé combien ils sont en accord avec le charisme de la Communauté. Les uns ont redécouvert que les trois attitudes « disciple, compagnon, serviteur » sont un chemin pour eux. D’autres, qu’à travers les compagnons, c’est le Seigneur qui les rejoint. Nous pointons
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comment notre CL est appelée à devenir corps apostolique. Si certains retrouvent l’intuition de leur engagement, d’autres se questionnent sur ce même sujet. Nous nous éclairons les uns les autres : telle expression est résistance pour l’un et lumière pour l’autre. Chacun reçoit ce texte à sa manière, mais il nous invite tous à un davantage au cœur même parfois de notre résistance. Un sillon se creuse, une ouverture se crée. Nous avons pris le temps de nous demander ce que nous avions envie de vivre avec le Seigneur au sein de la Communauté et comment le projet de la Communauté rejoint notre désir. Lors de l’évaluation, nous avons senti l’Esprit au travail dans ce temps d’intelligence et de résonnance. Il y avait de la paix. Nous étions au cœur de notre vocation. Nous étions habités par la joie d’avoir pris ce temps pour découvrir et nous approprier ensemble les mots de la Dynamique de croissance et nous sommes agréablement surpris du travail en profondeur que cela a permis. Dorothée Boinot Hincelin Sud Ouest Gironde
Ensemble faire Communauté
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Une parole à méditer
« Nous sommes tous appelés à être des saints en vivant avec amour et en offrant un témoignage personnel dans nos occupations quotidiennes, là où chacun se trouve. Es-tu une consacrée ou un consacré ? Sois saint en vivant avec joie ton engagement. Es-tu marié ? Sois saint en aimant et en prenant soin de ton époux ou de ton épouse, comme le Christ l’a fait avec l’Église. Es-tu un travailleur ? Sois saint en accomplissant honnêtement et avec compétence ton travail au service de tes frères. Es-tu père, mère, grand-père ou grand-mère ? Sois saint en enseignant avec patience aux enfants à suivre Jésus. As-tu de l’autorité ? Sois saint en luttant pour le bien commun et en renonçant à tes intérêts personnels. » Exhortation apostolique Gaudete et Exsultate du pape François sur l’appel à la sainteté dans le monde actuel, N°14
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Ensemble faire Communauté Brigitte Jeanjean, 66 ans « Après une réponse inconditionnelle à un appel improbable il y a quelques mois, ma mission se révèle chaque jour davantage. Découverte d’une Communauté diverse et vivante aux multiples ramifications : sa vie communautaire, ses équipes services, ses instances, ses œuvres, son secrétariat, sa vie spirituelle, son ouverture à l’Eglise et au monde. Et surtout, découverte de vos visages, de vos désirs et de vos attentes. J’élargis mon regard de mon enracinement dans la communauté locale jusqu’à la Communauté mondiale. C’est dans la prière et portée par le Seigneur et son Esprit que notre équipe se met à votre service. »
En France
La joie de servir De retour de l’Assemblée Mondiale en Argentine, la nouvelle équipe service de la Communauté nationale, élue cette année, partage ses premières impressions sur sa mission, les appels qu’elle perçoit pour la Communauté et donne des pistes de mise en œuvre pour les cinq ans à venir.
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Jean-Luc Fabre, s.j.
« Depuis 2012 en mission d’Assistant national, vivant le renouvellement de ma mission avec une nouvelle ESCN, à l’écoute de la croissance de la Communauté. Le grand effort de formation depuis 2012, la mise en place des nouvelles Communautés régionales depuis 2011 m’apparaissent comme les étapes préparatoires de l’ouverture de la Communauté vers le monde et vers l’Eglise. Je suis heureux de participer au début de cette nouvelle aventure du don d’elle-même à laquelle la CVX est appelée. » Emmanuel Grassin d’Alphonse, 59 ans « Désir de servir la Communauté. Des obstacles qui s’écartent. Confiance de la Communauté manifestée par l’élection. Appelé à suivre pour la Communauté les centres spirituels du Hautmont et de Saint-Hugues, à contribuer à la formation et aux Universités d’été. Je suis témoin des initiatives prises par les Communautés régionales, par de nombreux membres. Je devine le désir de chacun de vivre sa foi au Christ, concrètement, comme il est, pour être plus présent au monde réel, en compagnonnage, avec l’Eglise. Oui la Communauté est belle ! »
« Combien de pains avez-vous ? Allez voir. » (Marc 6,38) Cette parole de mise en route vers l’Assemblée mondiale a guidé notre jeune équipe service de la Communauté nationale (ESCN), constituée progressivement de janvier à avril 2018.
Ce que nous avons commencé à découvrir, sentir, toucher La Communauté est belle et d’une grande maturité au terme de ses cinquante premières années ! Les quatre frontières identifiées il y a cinq ans résonnent pleinement avec les appels de l’Église universelle et demeurent notre horizon de mission : réalités familiales, jeunes, mondialisation et pauvreté, écologie. La Communauté n’a pas autre chose à faire que vivre son appel avec courage et ouverture. Confortés dans notre capacité à sentir avec l’Église, nous pouvons contempler avec joie ce qui croît en France et dans le monde et l’offrir davantage dans un double mouvement : comme Abraham vers un pays inconnu, dans la confiance en Dieu seul ; comme les Apôtres du Cénacle
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vers ce monde assoiffé, étant rendus capables de parler au cœur de chacun et de l’accompagner par notre expérience enracinée dans une communauté locale.
Ce à quoi nous nous sentons appelés Avec l’Assemblée mondiale et l’expérience de quarante membres vers cette Église-source d’Amérique latine, nous avons approfondi la grâce de notre histoire et discerné trois attitudes fondamentales comme disciples, compagnons, serviteurs : approfondir, partager, sortir ! Approfondir : nous sommes appelés à cultiver la gratitude pour les dons reçus, à approfondir notre charisme, à demander pardon pour nos paralysies. La formation, la Dynamique de croissance, les parcours Emmaüs seront des axes importants dans les prochaines années. Partager : nous sommes appelés à cultiver la liberté spirituelle en coopérant pour vivre et diffuser une culture du discernement collectif dans l’Église. La démarche DESE (Discerner, Envoyer, Soutenir, Evaluer) est appelée à croître,
Pierre GUY, 39 ans
de nouvelles initiatives sont déjà en cours. Sortir : nous sommes appelés à vivre la compassion de Dieu pour ce monde, à nous laisser toucher par l’expérience spirituelle des plus pauvres, à l’accompagner dans une joie partagée, à en témoigner dans une parole d’espérance. Cela nous appelle aussi à renforcer le soin concret de chacun dans la Communauté, selon la diversité des personnes, des âges et des parcours de vie.
Comment cela va-t-il se faire, vers plus de joie ? La circulation de la parole. De nombreuses initiatives jaillissent dans les Communautés régionales, grâce aux processus de discernements collectifs qui se vivent d’abord à ce niveau. Nous nous attacherons à les faire connaître, à capitaliser… La Communauté vit de la circulation de la parole ! Cette parole circulera aussi lors de plusieurs temps forts qui vont jalonner les années qui viennent, comme autant de pains à offrir au Seigneur pour qu’il en multiplie les fruits : la prochaine Assemblée de Communauté (Ascension 2019), puis l’Université d’été multi-sites sur le thème des migrations (été 2019), et le prochain Congrès de Marseille (Toussaint 2020), événements qui seront largement ouverts sur l’Eglise et le monde. Une organisation à conforter. Au service de cette circulation de la parole, notre organisation
a besoin d’être confortée. Une gestion financière plus adaptée au dynamisme et aux nouveaux besoins de la Communauté est nécessaire. L’évolution du site Internet et l’introduction d’outils de travail partagés pour les différents membres au service permettront de mutualiser des moyens et d’accroître la communication externe et interne. Dans cet élan, nous avons la joie d’accueillir une nouvelle secrétaire exécutive, Thérèse Dubreil. Notre Communauté est singulière dans sa gouvernance, qui n’est organisée ni par le haut ni par le bas, mais par des processus communautaires de discernement présents en premier lieu dans les Communautés régionales… L’élection des prochaines ESCR sera un moment fort en ce sens, et en soi un signe du trésor que porte la Communauté. Au sein de l’ESCN, avec l’appui du Conseil de Communauté, des équipes services à vocation nationale et des ESGR, nous avons à cœur de permettre l’émergence d’initiatives discernées à ce niveau, puis d’accompagner et d’encourager les mises en œuvre ainsi que la délégation : chaque membre du corps compte ! Dans la joie de servir,
L’équipe service de la Communauté nationale : Brigitte JEANJEAN (responsable), Jean-Luc FABRE (assistant), Christine BEAUDE, Emmanuel GRASSIN D’ALPHONSE, Pierre GUY, Eric WEISMAN-MOREL.
« Appelé à discerner puis élu pour appeler ! Appelé à garder un cœur de disciple dans un corps de compagnon tout tendu vers le service… Appelé pour suivre les projets des jeunes, des réalités familiales, lancer les premiers appels pour le Congrès, vivre et faire partager les fruits de l’Assemblée Mondiale… Toute cette vitalité communautaire est une invitation à grandir dans la joie de l’Evangile ! J’ai confiance que cela portera aussi du fruit pour ma famille, avec mon épouse Sophie et mes trois jeunes enfants. » Eric WeismanMorel, 48 ans « Se rendre disponible, faire confiance et finalement dire oui ! C’est mon expérience des appels de la Communauté. De la responsabilité en communauté locale au désir de servir la Communauté nationale : comment saisir ce qui nous habite et découvrir davantage Celui qui nous écoute et nous parle par sa Parole et dans nos vies, pour contempler et accompagner la croissance de la Communauté ? Et en même temps, comment se laisser transformer par la mission pour être mieux ajusté aux désirs de la Communauté ? Mes missions dans l’équipe service : les finances, la préparation des Universités d’été et la dimension internationale de la Communauté. » Christine Beaude, 55 ans « Écouter mon désir, laisser grandir la joie : depuis ce discernement inattendu en février et ma réponse à l’appel, voici ce que j’ai à goûter. Préparation de l’Assemblée mondiale, lancement du Congrès 2020 sont des lieux et liens qui me réjouissent. En même temps, ce service m’appelle à vivre au présent chaque instant de ma vie bien remplie (3 grands enfants, 2 petites-filles, un travail intense), à concilier mon apport organisationnel et mon désir de croissance spirituelle, et à lâcher prise en acceptant que tout ne soit pas parfait… J’ai confiance que Dieu me donnera de grandir dans ce service, dans la joie. »
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En France
la spiritualité ignatienne au service des paroisses Quatre-vingts laïcs de la paroisse Frédéric Ozanam de Creil dans l’Oise ont fait pour la première fois l’expérience d’une « Retraite dans la vie » en novembre 2017. Une expérience de découverte, d’écoute de la Parole de Dieu qui a profondément marqué cette paroisse multiculturelle.
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Une « Retraite dans la vie » propose la prière personnelle chaque jour avec un texte, deux ou trois rencontres avec un(e) accompagnateur (trice), six soirées pour prier, partager et recevoir des enseignements.
La paroisse Frédéric Ozanam de Creil, pleine des couleurs du monde, à l’image des habitants de la ville dont une grande part a fui les conflits en Afrique, veut garder et faire grandir l’espérance et la foi malgré les difficultés et souffrances. Quelle audace ! Oser croire que l’expérience d’Ignace peut faire grandir la vie fraternelle dans une ville marquée par les préjugés de tous bords. C’est le pari que le curé a fait en répondant favorablement à la proposition faite par le Service Vie spirituelle de son diocèse auquel appartiennent quelques membres de la CVX. L’équipe de Conduite pastorale s’est mobilisée et tous ont interpellé leurs voisins. À l’ambon nous sommes venus dire : « Une “Retraite dans la vie“ c’est comme si un centre spirituel venait s’ins-
taller chez vous pour vous aider dans la prière et la méditation des Écritures. »
trer l’accompagnateur(trice) : nous veillons, nous appelons, nous rassurons, nous nous faisons proches.
Cela a suscité un formidable élan communautaire : quatre-vingts laïcs se sont inscrits ainsi que le curé, les vicaires et des religieuses. Et trente personnes extérieures à la paroisse dont quelques membres de la CVX ont répondu à l’appel pour le service d’accompagnement de la retraite.
Beaucoup ont découvert à travers les prières guidées et les commentaires des textes une façon de « parler » avec les Écritures, d’entendre la Parole de Dieu pour lui, ici et maintenant. Personne n’est sorti de cette retraite comme il était entré. La paroisse a tiré profit de ces expériences quand dans les fraternités de quartier il faut apprendre à se parler « comme dans les carrefours des soirées du jeudi ». Certains paroissiens savent maintenant qu’ils sont aussi capables de « faire parler » les Écritures. Des regards ont changé.
Les accompagnateurs ont été bouleversés par les retraitants qui mènent parfois plusieurs vies dans la même journée, prenant soin de la famille élargie, ont des logements petits et des familles nombreuses et malgré cela ont trouvé le temps et les lieux pour prier. Avec leur carnet de la semaine, ils s’essayent à méditer les textes. Ignorant souvent leurs propres souffrances, ils sont fidèles à la soirée hebdomadaire et prennent soin des absents afin de leur remettre le livret de la semaine. Plus de trente bibles seront offertes. Parfois, ils ne savent pas retrouver les textes dans ce grand livre, nous leur montrons. Peur de rencon-
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Plusieurs membres de la CVX ont vécu une mission commune. Notre spiritualité, grâce à sa pédagogie, aide chacun à grandir dans la foi. Elle offre un cadre sécurisant et formateur. Cette expérience est une invitation pour nos communautés locales à oser cette proposition dans leur paroisse. Claude Bauer CVX – Animateur Service Vie spirituelle de l’Église catholique dans l’Oise
université d’été 2019 : les migrants et nous Après une Université d’été en 2016 sur le thème « Entendre le cri de la terre, le cri des pauvres, agir ensemble ». Celle de 2019 portera sur notre position personnelle quant aux migrants et sera plurielle : organisée dans une dizaine de lieux et avec un grand nombre de partenaires.
La Communauté de Vie Chrétienne a engagé depuis plusieurs années une démarche d’Université d’été. Moment convivial, rendez-vous spirituel, temps de rencontre, elles sont aussi l’occasion de nous mettre dans la contemplation des signes des temps, pour discerner les appels à accueillir et les actions possibles. Pour cette 4e édition,
la Communauté invite les compagnons à mesurer les enjeux des migrations. En 2019, la CVX proposera une université « plurielle ». Plurielle car nous désirons la vivre avec des migrants et en invitant des Communautés d’Europe. Plurielle car nous avons décidé de l’organiser avec des associations proches avec lesquelles nous sommes nombreux à collaborer : JRS France, le Secours Catholique, la CIMADE, le CCFD-Terre Solidaire, le CISED, le CERAS… Mais aussi toutes celles avec lesquelles les compagnons sont en lien dans leurs Communautés régionales. Plurielle car nous souhaitons laisser à tous ceux qui le désirent la possibilité d’organiser « leur » université d’été à partir du thème commun. Concrètement, il suffit qu’une
petite équipe de membres de la Communauté se mette en marche pour l’organiser dans sa région. Idéalement, elle pourrait se dérouler entre juin et septembre, sur une durée de trois jours. Un site Internet permettra aux équipes de préparation de trouver les ressources nécessaires pour préparer un déroulement, trouver des intervenants, réaliser la communication… Les participants pourront s’inscrire en ligne à partir de novembre. Cette diversité permettra au plus grand nombre de participer, et à la CVX « d’élargir l’espace de sa tente ». Une bonne nouvelle pour notre Communauté ! Manuele Derolez Responsable de l’équipe de coordination de l’Université d’été 2019
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Il n’est pas un jour où ce sujet ne s’invite dans l’actualité : migrants naufragés, ou perdus dans les Alpes, migrants sur les trottoirs de nos villes, sujets polémiques et qui divisent l’Europe, images terrifiantes d’enfants séparés de leurs familles, organisations militantes pour fermer les frontières ou pour organiser l’accueil… Mais que faut-il véritablement entendre dans ce grands fracas d’informations et d’émotions ? Comment nous situer entre mouvement spontané de fraternité et « politique de gestion des flux » ? Devons-nous fermer ou ouvrir les frontières ?… Autant de questions et bien d’autres qui nous appellent au discernement et à l’action, mais avant tout à la rencontre. Car le migrant n’est pas d’abord un sujet mais une personne.
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Dans le monde
Une communauté discernante L’Assemblée Mondiale de la CVX s’est tenue du 22 au 31 juillet à Buenos Aires. 250 personnes venues de 71 communautés nationales ont discerné le chemin des cinq ans à venir, à la lumière des cinquante ans de la Communauté mondiale, sur le thème : « La CVX, un don pour l’Eglise et le monde ».
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Pour en savoir plus sur cette Assemblée Mondiale: http://assembly. cvx-clc.net/fr et http:/assembleemondiale2018. cvxfrance.com
1. Equipe d’accueil issue de la CVX de trois pays : Argentine, Uruguay, Paraguay. 2. Les « frontières » définies comme champs d’action privilégiés au Liban demeurent : Famille ; Mondialisation et pauvreté ; Ecologie ; Jeunes.
L’Argentine ? Chaleur, grands espaces, gauchos... Oubliez ces idées reçues : durant l’Assemblée Mondiale, ce fut pluie et froid... mais Pentecôte en hiver. Pentecôte qui permet de vivre unité et communauté alors que sont réunis les représentants de 71 pays (Il manquait un Syrien dont le visa n’a été délivré que le dernier jour de l’Assemblée). Les délégués sont devenus peu à peu un seul corps au fil des jours. Cette Assemblée a été pour nous un temps de rencontres, et de transformation (conversion) dont le fruit est le chemin parcouru plus qu’un document final. Un temps de rencontres vécu notamment, chaque jour, en petits groupes : « J’ai senti battre le cœur de la Communauté mondiale
dans mon groupe », témoigne une participante. Ensuite lors d’une journée passée dans la paroisse voisine de San Miguel, les 250 délégués ont été cette « Eglise en sortie » à laquelle nous invite le pape François. Nous avons été reçus par une Église pauvre mais missionnaire et joyeuse qui a l’habitude de dire ses messes sur la grande place au milieu des jeunes qui jouent au foot. Ce fut aussi la découverte du pape décrit par son biographe anglais Austin Ivereigh et par la visite de plusieurs de ses lieux de vie. Enfin la rencontre des trois nouveaux pays accueillis au sein de la Communauté mondiale : la Lettonie, le Vietnam et l’île Maurice parrainée par la France. Pendant ces dix jours, l’équipe Arupa 1 a également contribué par son accueil à la profondeur de cette Assemblée.
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Cette Assemblée a aussi été un temps de transformation : il a fallu lâcher prise et accepter d’entrer dans une démarche 36 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 55
de discernement communautaire. Apprendre à voir avec Austin Ivereigh et Arturo Susa s.j., supérieur général des jésuites, la sécularisation comme une chance car elle marque la fin d’un catholicisme culturel. En groupes, nous avons dû identifier les paralysies de la CVX et nous nous sommes sentis appelés à plus d’ouverture. En réponse à la demande de grâce- Nous désirons vivre notre charisme CVX de manière plus profonde et intégrée dans le monde d’aujourd’hui- nous avons reçu une confirmation des orientations récentes2. L’Assemblée a produit un document qui décrit notre cheminement. Pour être don pour l’Eglise et pour le monde, nous sommes invités à vivre un plus grand discernement collectif et à approfondir notre manière de vivre en CVX, sortir à la rencontre et partager notre trésor. Nous proposerons à la Communauté en France des temps pour s’approprier cela, et pour que chacun puisse devenir don. Christine Beaude Membre de l’ESCN et déléguée à l’Assemblée Mondiale
Sur les pas du pape François Pendant l’Assemblée mondiale en juillet, une quarantaine de CVX français et une Belge ont marché sur les pas du pape François en Argentine et en Uruguay. Un voyage stimulant pour aller, à sa suite, vers les périphéries.
Un des temps forts du voyage a été l’évocation du combat de femmes contre la dictature au prix de leur vie. Parmi elles, deux religieuses françaises Alice Domon et Léonie Duquet. Le groupe a notamment été marqué par l’appel « à plus jamais cela » d’une des témoins. La visite du bidonville Villa 21 à Buenos Aires nous a recentrés sur l’apostolat tourné vers les périphéries si chères au pape François. Les animateurs de la paroisse issus de ces lieux ont présenté leurs actions auprès des plus pauvres. Une vraie leçon de vie et de foi. Leur amitié avec le cardinal Bergoglio venant régulièrement
dire la messe et rencontrer les habitants avec simplicité, et leur joie lors de son élection comme pape, mêlée à la tristesse de son départ définitif pour eux, nous ont beaucoup émus. La rencontre avec des membres de la CVX en Uruguay (500 dont beaucoup de jeunes) nous a marqués : la CVX a entendu l'appel à reprendre une paroisse laissée par des jésuites à Montevideo et s’est engagée avec foi et confiance dans cette mission communautaire au service de l’Eglise. Ils s’investissent ensemble chaque semaine auprès des plus démunis et soutiennent des projets éducatifs. Un témoignage vivant de la CVX, un don pour l’Eglise et le monde. Autre joie, celle d’avoir « fait communauté » à 40, 20, 6 ou 7, d’avoir partagé des temps de prière et de relecture en petite communauté de voyage, préparé le spectacle présenté à l’Assemblée Mondiale et rencontré des compagnons des quatre coins du monde. Nous avons ainsi expérimenté l’efficacité des moyens de la CVX. Enfin, le groupe de Cordoba a été marqué par le saint curé Brochero, premier saint argentin
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Par la visite des lieux qui ont marqué sa vie en famille, comme prêtre et évêque, nous avons mieux perçu d’où vient le pape : quartier de son enfance, école et club de foot, confessionnal où le jeune Jorge a entendu l’appel à 17ans, université, cathédrale… Nous avons compris les sources de son enseignement pour les pauvres et vu, entendu, mesuré à travers les nombreux témoins que nous avons rencontrés qu’il vivait déjà à Buenos Aires ce qu’il nous appelle à vivre aujourd’hui en Eglise.
▲ Deux couples témoignent de leur action dans la paroisse d’un bidonville de Buenos Aires
canonisé en 2016, qui à dos de mule, arpentait la région pour inviter chacun à venir suivre les Exercices spirituels. Certains témoignent de l’envie de retourner aux sources de notre spiritualité, de vivre les Exercices et d'en transmettre le goût à nos compagnons. Nous repartons riches de toutes ces rencontres et des lumières reçues, nous invitant à être présents de manière plus authentique dans les lieux où nous vivons auprès des personnes souffrantes et vulnérables, dans l’esprit du pape François.
Le voyage du 18 au 30 juillet : Une journée touristique et quatre sur les pas du pape à Buenos Aires. Quatre journées en deux groupes : l’un à Cordoba et l’autre en Uruguay (Montevideo et Colonia) avec une journée avec les Salésiens, impliqués dans l’éducation au cœur d’un bidonville. Enfin, une journée portes ouvertes à l’Assemblée Mondiale.
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À LIRE Chemin ignatien – José Luis Iriberri, s.j.,
Chris Lowney Éditions Vie chrétienne, juillet 2018 – 19,50 € Le Chemin Ignatien est une route de pèlerinage pour marcher sur les pas d’Ignace qui suite à sa conversion parcourut 650 km depuis Loyola, sa ville de naissance, à Manresa en Espagne. En plus des indications de route, cet ouvrage offre des pistes pour un cheminement spirituel, guidé par les Exercices spirituels de saint Ignace. Le guide comporte pour chacune des quatre semaines qui composent la durée des Exercices : un guide topographique, touristique et pratique, une pochette des itinéraires de chaque étape et un carnet spirituel, avec des propositions de méditation selon les Exercices. En vente sur viechretienne.fr et en librairie.
À LIRE La Trinité, j’y crois ! – Chantal Guillermain
Éditions Vie chrétienne, juillet 2018 – 11,50 € Ce petit livre de Chantal Guillermain, bibliste engagée en divers lieux de formation, n’est pas un nouveau catéchisme sur la Trinité mais avant tout un livre de méditation, explique Michel Rondet s.j., en 4e de couverture. « Aussi, ajoutet-il, si j’ai un conseil à donner au lecteur, c’est de commencer par les poèmes, en particulier ceux de l’auteur, qui terminent le volume. Lisez-les, savourez-les, laissez-les retentir dans votre prière. Vous pourrez alors revenir aux chapitres précédents qui retracent avec exactitude et clarté les différents aspects de la foi trinitaire. L’auteur fait appel essentiellement à l’Écriture, ce qui permet d’en faire une lecture méditée. » En vente sur viechretienne.fr et en librairie.
À VIVRE Nos vocations : en prendre soin, les faire évoluer
Nous avons tous plusieurs vocations, professionnelles ou personnelles, autant d’appels à être pleinement nous-mêmes, dans nos différents rôles, en cohérence avec nos valeurs. Dans les mouvements de la vie, comment en prendre soin et les faire évoluer ? Dans ce week-end animé par Sophie Froissart et Colette Gevers (CVX), facilitatrices en intelligence collective, et Edith Mazoyer (CVX), alterneront les temps collectifs avec des temps d’intériorité, en mobilisant différents sens : partages, temps personnel, marche facile (sur une demi-journée), accompagnement spirituel, temps de prière collectifs ou individuels. Coût de la session par personne : 388,50 e Au centre spirituel Saint-Hugues de Biviers Du 12 octobre (9h30) au 14 octobre 2018 (17h30)
Infos et inscription : www.sainthugues.fr 38 Nouvelle revue Vie Chrétienne - N° 55
À FAIRE Conférence audiovisuelle par Gilles Donada. « Un chemin d’intériorité avec Ignace de Loyola »
Le Camino de San Ignacio, dans le nord de l’Espagne, emprunte le chemin qu’Ignace de Loyola parcourut en 1522. Des pentes du Pays basque aux plaines de la Rioja, en passant par le désert des Monegros, en Aragon, il débouche dans la verte Catalogne. Un nouvel itinéraire à découvrir, entre marche et contemplation, avec le guide qui vient de paraître aux Éditions Vie chrétienne. Gilles Donada, journaliste à Croire, a pérégriné sur les chemins de Compostelle, de Saint-Gilles et de saint Ignace. Vendredi 21 septembre 2018 de 19h30 à 22h Au Forum 104 – 104, rue de Vaugirard – 75006 Paris Participation aux frais : 6 euros Renseignements : www.forum104.org (rubrique « Programme du Forum 104 »).
À SUIVRE Égaux en Dignité et en Droits : une rencontre proposée par les ateliers Justice et « Étrangers » de la CVX À l’occasion des 70 ans de la Déclaration universelle des droits de l’homme, les ateliers Justice et « Étrangers » de la Communauté de Vie Chrétienne proposent une rencontre dont Véronique Albanel, la présidente de JRS France (le Service jésuite des réfugiés), sera le grand témoin. Au programme : enseignements, relectures de pratiques, ateliers thématiques, temps personnels, témoignages, prière et célébration… Les 24 et 25 novembre 2018 à Paris Enclos REY – 57, rue Violet 75015 Infos et inscription : atelieretrangers@cvxfrance.com
À DÉCOUVRIR Avancer en conscience et confiance dans la vie en se laissant accompagner par les contes Une approche des contes au service de l’accompagnement. Découvrir les contes comme nourriture essentielle pour notre croissance dans les étapes que nous vivons : changements inattendus, opportunités ou déceptions, accomplissements, conflits, soif de sens… Session animée par Sandrine Chanfreau, coach, conteuse et Christophe de Vareilles, coach, artiste. Du 9 novembre 2018 à 18h30 au 10 novembre 2018 à 17h30 – Infos et inscription : www.hautmont.org
Billet
nouvelle vague Au boulot, dans l’équipe c’était moi le chef : mon équipe marchait très bien ! À la paroisse je tenais le site Internet, collaborant avec les curés successifs. À « Solidarité-emploi », association de micro-crédit pour les chômeurs, j’étais président : ça fonctionnait très bien, depuis trente ans. À Noël et l’été, c’étaient nous, les parents, qui proposions chaque année où et quand rassembler la famille : ça marchait pas mal ! Et puis… Et puis j’ai pris ma retraite. Deux ans avant que je ne quitte le boulot, un jeune a pris la direction de « mon équipe ». Nous nous entendons très bien, mais il ne fait pas les mêmes choix que moi. Et puis un nouveau curé, plus jeune, est arrivé : il m’a gentiment demandé de laisser ma place de webmaster à une jeune. Pas facile de jeter quinze ans de travail de geek, pour faire place au nouveau site paroissial, tout beau, tout neuf. Et puis à la dernière AG (Assemblée générale) de l’association Solidarité-emploi, une jeune présidente fut élue. Et puis en famille, nos enfants nous ont clairement fait comprendre que ce n’était plus à nous de tout décider : « On n’est pas obligé de se retrouver tous à Toulouse pour Noël », et d’autres propositions ont fleuri. Pas si facile de lâcher tout ça, mais quel bonheur de voir des jeunes qui prennent leur place dans l’Église, au travail, partout ! Des jeunes qui servent et qui décident, des jeunes qui choisissent comment faire et où aller. Même si ce n’est pas ce que j’aurais fait, je me réjouis profondément de l’arrivée de cette « nouvelle vague ». Comme sur la plage, la nouvelle vague remplace la précédente, qui se retire doucement dans son sillage d’écume. La vieille vague, usée, laisse la place à la nouvelle, pleine d’énergie. Et Dieu dans tout ça ? Et bien Dieu, comme la vague, se retire. Après avoir créé, il contemple sa création, et en laisse la responsabilité à l’humanité toute neuve. Jésus, après avoir rencontré, enseigné et soigné, après avoir souffert et être ressuscité, Jésus s’en va. Il disparaît aux yeux des apôtres, leur laissant son Église, encore bien jeune, petite et fragile. Création et Église qui de vague en vague sont arrivées jusqu’ici, toujours fragiles, mais toujours vivantes, et jeunes de tant de pousses nouvelles, de nouvelles vagues. Et je vois que tout cela est bon. Merci Seigneur. Denis Corpet
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Que c’est dur de lâcher !
Prier dans l’instant
une douce communion
Survient un jeune homme à l’allure plus négligée que les costumes aux plis rigoureux qui l’environnent, au timbre de voix nettement moins feutré, aux raisonnements probablement moins subtils. Il laisse résonner dans tout le wagon un flot de paroles, commentant à voix haute chacun de ses propres gestes, sur le fond discret des échanges de ses voisins. À peine assis, notre homme livre à sa voisine – et donc à toute la rame – le récit d’une vie heurtée, bousculée, déjà marquée par tant d’enfermements, d’errances, de sentiments d’impuissance, malgré son jeune âge. Nous comprenons que le foyer a désormais remplacé la prison. Impossible à quiconque d’échapper à cette gouaille qui s’expose sans fard. Et sa gentillesse aussi, lui qui offre à sa compagne de voyage un chewing-gum. Pour partager un peu de ce qu’il possède, sans doute. Soudain se noue un facteur de profonde déstabilisation : la carte bleue du jeune, qui quitte pour plusieurs jours ses éducateurs, est introuvable. Le volume sonore monte encore, accompagnant un désarroi authentique. L’appel des éducateurs bénéficie à tous. Les regards se croisent, interrogateurs mais finalement compréhensifs et respectueux. La tentation de l’irritation est vite levée. Par bonheur, le précieux outil est vite retrouvé, et chacun peut se réjouir intérieurement de cet heureux dénouement. Nulle remarque aigre, nulle acrimonie sentencieuse ou cinglante, n’est venue reprocher à notre ami d’avoir troublé la sérénité collective. Par sa franchise, sa simplicité généreuse, il a su établir, sans même s’en apercevoir, une douce communion, permettant à chacun, par sa patience tolérante, de se découvrir plus humain. Une tranche de vie bien ordinaire finalement : ta présence discrète, Seigneur, ouvre les cœurs et les dispose à oser, dans l’ouverture à la Vie, un « davantage ». Deo Gratias ! Aude
Nouvelle revue Vie Chrétienne – septembre 2018
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Cela aurait pu être un trajet ordinaire : une courte heure de TGV, une rame réunissant un ensemble homogène de voyageurs à la mise soignée, cadres soucieux de saisir et remplir avec une efficacité millimétrée toutes les minutes imposées pour regagner Paris, comités de direction et autres sièges sociaux. Le train encore à quai, les ordinateurs et tablettes sont prestement extraites des sacoches, la concentration est déjà installée.