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DE LA SITUATION SANITAIRE À PARIS
PARTIE I
DE LA NAISSANCE DU MOUVEMENT HYGIÉNISTE À LA TERRITORIALISATION DU RISQUE SANITAIRE
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CHAPITRE 1 : TRANSFORMATIONS URBAINES ET ÉVOLUTION DE LA SITUATION SANITAIRE A PARIS
1. TRANSFORMATIONS URBAINES EN PARALLÈLE DE L’ÉVOLUTION DE LA SITUATION SANITAIRE À PARIS
La frise chronologique ci-dessous retrace en bleu les transformations urbaines, et en orange la situation sanitaire et les avancées médicales. Entre les deux en gris, le contexte économique politique et social qui expliquent cette évolution avec deux lignes : la première est l’échelle parisienne et française et la deuxième une échelle plus large internationale et en bas les mandats électoraux à Paris. Le but de cette frise n’est pas de prouver des relations de causalité directes entre l’évolution sanitaire et les transformations urbaines mais plutôt pour comprendre le contexte général dans lequel ont évolué les deux. Les informations et les dates repérées dans cette frise ont été tirées principalement de la publication de Philippe Montillet « Santé et urbanisme, approche historique » le 19 mars 2020 dans le portail de l’Institut Paris Région ainsi que l’article de Jean-Louis Miège « épidémies et pandémies » en plus de la conférence organisée par le Conseil scientifique et de perfectionnement en 2021 sous le thème « pandémie et formes de la ville » avec l’intervention de plusieurs chercheurs et experts.
La France et plus précisément la ville de Paris ont été propices à la propagation de plusieurs épidémies pour plusieurs raisons. D’abord, parce que la contagion des maladies infectieuses a été souvent rapportée à la densité humaine et urbaine ; Paris comptait 500 000 habitants au XVIIIe siècle et les conditions de logement de sa population n’étaient pas optimales avec la promiscuité de ses bâtiments, l‘absence des réseaux d’assainissement et d’évacuation des déchets, les problèmes de propreté, d’ensoleillement et d’orientation.
Au Moyen-Age, avant de faire appel à la médecine, la propagation des épidémies a été liée à la religion, aux punitions divines ou encore à la présence d’un groupe ethnique et après, aux humeurs du corps (sang, bile jaune, bile noire…) et à l’eau qui transporte les maladies. La notion de l’insalubrité a beaucoup évolué dans le contexte urbain et juridique parisien. Cette évolution a permis la constitution d’un savoir sur l’hygiène publique et dans l’intervention urbaine. La notion d’hygiène a également évolué avec le progrès de la médecine et la découverte des microbes et de leurs moyens de propagation. Elle est passée du plan strictement sanitaire à l’échelle de l’individu et du logement à un plan plus large, moral et politique.
Les idées hygiénistes prenaient plus d’ampleur avec les congrès internationaux, les expositions universelles sur l’hygiène et la salubrité de l‘habitation ainsi que les traités sur l’hygiène sociale et de l’habitation. Ces manifestations internationales ont contribué à la sensibilisation des architectes et des urbanistes sur le danger de surpeuplement et de confinement à l‘ère de la tuberculose. La législation a aussi accompagné cette évolution des idées hygiénistes à Paris. La frise chronologique ci-dessus, inspirée de l’intervention de Hervé Judeaux dans la conférence « Pandémies et formes de la ville15 », montre l’évolution dans le temps de la conception religieuse des épidémies et des progrès techniques en passant par la rationalisation et les premières découvertes en médecine notamment au XIXe siècle. Parallèlement évoluent les doctrines et les techniques de l’urbanisme avec tous les travaux d’embellissement de la ville de Paris, l’empierrement des quais, la canalisation de la Seine et les grands travaux sous Haussmann.
Schéma 1 montrant le croisement des deux disciplines Santé/Urbanisme à Paris
15 Conférence « pandémies et formes de la ville » par le Conseil scientifique et de perfectionnement sous la direction d’Alain PECHADE 19
La ville de Paris a, depuis le XVIe siècle, commencé à apporter des réponses concrètes aux problèmes d’hygiène et de salubrité. Après la désignation de la syphilis pour la première fois par le médecin et poète italien Girolamo Fracastora dans son oeuvre « Syphilis sive de morbo gallico » dans la première partie du XVIe siècle, la ville a lancé une série d’interventions urbaines principalement dans le domaine public avec la prise de conscience de l’importance de l’aération et du vent dans l’hygiène publique comme la construction du Pont-Neuf entre 1578 et 1604, premier pont de pierre traversant d’un seul tenant la Seine et sans habitation pour favoriser la circulation du vent et où les premiers trottoirs parisiens sont nés . Une année plus tard, le lancement du projet de construction de la place des Vosges, la plus ancienne à Paris. Les avancées de médecine au XVIIe siècle restent limitées ; en 1658, Krichner publie sur la contagiosité de la peste Dans son Scrutinium Physico-Medicum Contagiosae Luis, Quae Pestis Dicitur (Examen de la peste,1658) juste avant que le futur roi Louis XIV quitte Saint-Germain-en-Laye pour Versailles à cause de la petite vérole. En 1676, Van Leeuvenhoek fabrique pour la première fois les microscopes simples. Le domaine public et les trottoirs, en l’occurrence, ont fait l’objet de plusieurs modifications dans le temps. En fait, le modèle du premier trottoir du Pont neuf n’a pas été repris dans les autres rues de Paris. Ce n’est qu’en 1781, que le deuxième trottoir a été aménagé à la rue de l’Odéon avec un modèle plus élaboré, un revêtement de minces pavés de grès, soutenus par une bordure en pierre. Sur demande de plusieurs écrivains, dont Louis-Sébastien Mercier, la généralisation d’usage de trottoirs a été de plus en plus demandée. Le premier trottoir bitumé parisien apparaitra en 1835, sur le Pont-Royal. La loi du 7 juin 1845 rend obligatoire la construction de trottoirs dans toutes les villes de France ce qui explique la multiplication du nombre de kilomètres de trottoirs à Paris entre 1833 et 1848, mais ce n’est qu’en 1856 que les règles de construction de trottoirs sont établies, en fonction de la largeur des rues. La deuxième partie du XVIIIe siècle se caractérisait par une prise en compte de l’hygiène dans l’aménagement des villes qui s’est traduite par une réaction législative, notamment la réglementation sur les alignements, la largeur des voies et la hauteur des bâtiments en 1783 ainsi que plusieurs mutations du paysage urbain de Paris avec la destruction des maisons sur tous les ponts qui étaient considérés comme obstacles au passage de l’air et la construction du canal de l’Ourcq, du bassin de la Villette et le développement des fontaines ente 1805 et 1823. Durant cette période, la situation sanitaire en Europe devenait de plus en plus tendue avec l’expansion de la deuxième pandémie de choléra.
La création d’une voie de 13m de largeur, contre les rues tortueuses du centre en 1839, la naissance du service de la voie publique en 1848, l’instauration de la loi sur le logement insalubre et expropriation de zones à assainir en 1850, la percée du boulevard de Strasbourg et l’obligation de raccordement aux eaux usées en 1852 ainsi que le développement d’un réseau de parcs, de squares et de bois par Alphand en 1854 ont été les réponses urbanistiques engagées par la ville de Paris pour répondre à cette pandémie. La deuxième partie de la frise chronologique montre que le deuxième semestre du XIXe siècle est très riche en matière d’avancées de la médecine et peu de réactions du côté de l’urbanisme. C'est à ce moment qu'est née l'hygiène moderne. L'amélioration de l'hygiène a donc permis d’augmenter l’espérance de vie. Cette période a été marquée par une succession d’invention et de découvertes ; le dépôt du brevet pour la chasse d’eau par Crapper en 1861, la mise au point de l’antisepsie par lister entre 1865 et 1867, la proposition du casier sanitaire par Lamoureux en 1876, la découverte de la tuberculose par Koch et par conséquent l’affirmation des fondements de la bactériologie en 1882, la meilleure identification de la tuberculose et du choléra par Koch en 1883 et la définition scientifique de la relation des microbes avec les maladies infectieuses en 1887 et enfin la mise au point d’un sérum antipesteux en 1890. La fin du XIXe et le début du XXe siècle ont été caractérisés par de nombreuses transformations urbaines et législatives ainsi que par l'intervention de nouveaux acteurs et la mise en place de nouvelles lois. Surtout à Paris qui a souvent été traité séparément des autres villes et qui a été le lieu d’expérimentation de nouvelles mesures urbanistiques. 1894 était l’année de la mise en place effective du casier sanitaire à Paris, du lancement de la grande enquête sur les problèmes d’hygiène à Paris par Paul Juillerat et du vote du tout-à-l’égout. En 1895, la ville a procédé à l’identification de 6 ilots insalubres qui deviendront par la suite au nombre de 17 classés selon le degré de leur insalubrité et l’urgence des changements. Ces changements ont donné lieu aux opérations d'urbanisme les plus importantes de Paris au XXe siècle et ont beaucoup modifié le paysage urbain de la ville. L’apogée de l’hygiénisme a été marqué par une réglementation sanitaire plus développée avec la loi de 1894 du « tout-à-l’égout, la première grande loi de santé publique en France en 1902, qui a créé des dispensaires de prévention et des bureaux municipaux d’hygiène s’occupant de la voirie, des égouts, de la collecte des déchets, de l’identification des îlots insalubres… Quelquesannées plus tard la loi Cornudet qui initie l’urbanisme de plan et avec le retour de la peste à Paris en 1920, l’adoption des recommandations urbaines présentées au conseil de Paris.
La troisième partie de la frise chronologique montre le siècle dernier a été le prolongement de la grande rénovation qu’a connu Paris au XIXe siècle tout en transformant la physionomie des rues de Paris en remettant en question l’alignement tant défendu à l’époque de Haussmann et en ouvrant la possibilité des élévations des bâtiments. Cette politique a été concrétisée en 1956 par la publication du premier Plan d’urbanisme directeur de Paris (PUD) qui autorise la construction d'immeubles de grande hauteur (I.G.H.) d’où l’émergence des tours à Paris. Le premier I.G.H.à Paris a été construit en 1960 au 12e arrondissement par Édouard Albert (la tour Croulebarbe). En 1933 apparait le nouveau principe de zonage, qui permet la séparation des fonctions d’une manière verticale vu la densité de la ville de Paris avec la séparation totale des cheminements piétons et de la circulation automobile, par un éclatement de la rue en plusieurs niveaux selon sa fonction utile. Parmi les quartiers sur dalle, on peut citer le quartier d'affaires de La Défense dans les Hauts-de-Seine et le quartier du Front-de-Seine dans le 15e arrondissement de Paris. Le paysage urbain de Paris durant la période de la Deuxième Guerre mondiale a changé de visage sous le régime de Vichy. En 1941, le Maréchal Pétain décréta le retrait et la fonte d’une centaine de statues afin de remettre les métaux constituants dans le circuit de la production industrielle ou agricole. La pénurie de la nourriture, du charbon et de l’essence pour faire rouler les voitures conduit les Parisiens à trouver d’autres alternatives de déplacement comme le vélo. En 1942, Paris compte 2 millions de bicyclettes pour 3 millions d’habitants. Ainsi apparaissent les vélo-taxis. Après une longue stagnation de la médecine pendant la période de la Deuxième Guerre mondiale. Trois ans après la guerre, en 1948, l’Organisation mondiale de la santé a été fondée. Et la médecine reprendra ses découvertes avec l’invention du scanner, de l’échographie ainsi que la découverte de la structure de l’ADN. Durant cette période, Paris a procédé à une grande opération de désindustrialisation jusqu’à la fin du XXe siècle dans une perspective de renforcement de l’attractivité touristique et culturelle de la ville Du côté de la planification urbaine, le deuxième semestre du XXe siècle a été marqué par la réalisation du boulevard périphérique entre 1957 et 1970, la mise en œuvre des zones d’aménagement concertées crée par la loi d’orientation foncière du 30 décembre 1967 en remplacement des ZUP avec une dernière réforme en 2000. Et ensuite, le nouveau Plan d’occupation des sols en 1977 qui a été conçu pour permettre de contrôler l’urbanisation et garantir un minimum de conditions de sécurité, de salubrité et de confort pour les nouveaux logements.
Au XXIe siècle, la mondialisation a eu des répercussions sur les grandes villes et leurs politiques urbaines. Comme l’explique bien Gustave Massiah16, elle peut à la fois être considérée comme un risque et comme une opportunité ; « La mondialisation a en effet transformé l’urbanisation et les rapports entre le local, le global et le national, le rural et l’urbain. La crise que nous traversons peut alors être source de grands risques, mais aussi d’opportunités. » Aussi pour Gustave Massiah la remise en cause du néolibéralisme et de ce qu’il a engendré (inégalités, insécurités sociales) dès les années 1990 par de nombreux mouvements sociaux (droits au logement, lutte contre le chômage…) peut ouvrir de nouvelles voies urbaines. Paris, comme toutes les autres grandes villes a été amenée à répondre aux nouveaux défis urbains dont le plus grand est le défi environnemental. Cette période a été marquée par une prise en conscience accrue sur l’environnement. La réforme du code de l’urbanisme a imposé la prise en compte du concept du développement durable. L’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) a développé l’approche environnementale de l’urbanisme (AEU) pour favoriser la recherche d’un mieux environnemental et énergétique dans les pratiques urbanistiques et qui peut être adaptée à toutes les échelles du projet urbain. À côté de l’aspect économique et social, l’aspect environnemental est devenu essentiel dans l’orientation des pratiques urbaines et notamment dans la plupart des nouveaux programmes lancés à travers le monde. À Paris, ces nouvelles orientations ont été traduites d’abord par le plan vélo 2015-2020 qui a amené Paris à aménager un réseau dense de pistes cyclables puis par le lancement de l’appel à projets urbains innovants « Inventons la Métropole du Grand Paris » pour des projets plus durables ainsi que par plusieurs dispositifs comme Paris respire en 2016 qui prévoit la fermeture de certaines voies de circulation, pour donner plus de place aux piétons et aux cyclistes et un peu plus tard en 2020, la création des rues aux écoles et la généralisation de la limitation de la vitesse à 30km/h. La crise actuelle de la Covid 19 est venue (re)questionner notre relation avec l’espace public partagé et notre mode de déplacement. Cependant, selon les résultats du baromètre 2021 « des Flottes et de la Mobilité » de l’Arval Mobility Observatory, la crise sanitaire n’a pas ralenti la transition énergétique ou l’adoption de nouvelles solutions de mobilité. L’exemple le plus concret est les pistes cyclables transitoires qui ont été créées pendant la crise pour fluidifier la circulation dans les transports en commun appelés « coronapistes » qui ont été parfois pérennisés par la suite.
16 Intervention de Gustave Massiah dans l’ouvrage de Françoise Lieberherr-Gardiol , German Solinis Quelles villes pour le 21e siècle ?, page 142