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1. HISTOIRE DE LA SPATIALISATION DU RISQUE SANITAIRE

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ANNEXE

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CHAPITRE 2 : TERRITORIALISATION DU RISQUE SANITAIRE

1. HISTOIRE DE LA SPATIALISATION DU RISQUE SANITAIRE

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La territorialisation du risque sanitaire permet de prendre en compte la dimension spatiale du risque, mais aussi d’appréhender les interactions que ce dernier entretient avec un territoire ou un milieu.

La reconnaissance des territoires mortifères ou dangereux a, depuis la première épidémie du choléra en 1832 jusqu’à la crise actuelle du Covid 19, fait partie des outils adoptés par les pays et les villes pour mieux maitriser les pandémies. Le fait de procéder par une classification des pays selon le degré de circulation du virus ou une classification des quartiers de la même ville selon le degré de contamination permet de se prémunir contre la contagion et mettre en place des mesures d’hygiène adaptées à chacun de ses milieux.

Le milieu, défini dans le dictionnaire français comme l’environnement physique, biologique et climatique qui entoure et influence les êtres vivants, a été retenu comme cause prépondérante de propagation des maladies notamment à Paris.

Le schéma ci-dessous montre que le risque sanitaire attribué à des individus donne des individus contaminés. Dès que la notion du territoire est intégrée, le risque sanitaire questionne aussi bien la santé individuelle que la santé publique, les mobilités, les espaces publics et le logement.

Figure 6 : Schéma de territorialisation du risque sanitaire au temps des pandémies – Auteur

2. OUTILS DE LA TERRITORIALISATION DU RISQUE SANITAIRE

Avec l’évolution des pandémies à travers le monde, les outils statistiques et cartographiques qui permettent d’identifier les territoires dangereux n’ont pas cessé de se développer et se perfectionner afin de constituer une conception hygiénique de l’aménagement urbain. Parmi ces outils, on peut citer :

2.1 Le casier sanitaire et la délimitation des ilots mortifères Le casier sanitaire des maisons de Paris dès 1900 est l’un des outils qui ont validé la territorialisation du risque sanitaire en identifiant 6 îlots insalubres où la tuberculose dépassait le taux de mortalité moyen à Paris. Il a été proposé par M.Lamouroux en 1876 sans aucune suite et repris par le préfet de la seine M.Poubelle. Il comporte un certain nombre d’éléments qui permettent de mieux cerner l'état de l'immeuble. Mais qui était jugé trop contraignant et trop long.

La prise en conscience de l’hygiène à Paris dans la deuxième moitié du XIXe siècle et la territorialisation du risque sanitaire a conduit la ville à délimiter les ilots dangereux, cette délimitation a contribué par la suite à dresser le fond de plan des transformations urbaines. La fréquence de propagation de la tuberculose a souligné avec force les dangers de l’insalubrité du logement, du surpeuplement et des conditions de vie de la classe ouvrière.

Les idées hygiénistes prenaient de plus en plus d’ampleur et commençaient à prendre une grande place dans les débats politiques pour plusieurs raisons : d’abord, les expositions et les congrès internationaux qui traitent les problèmes de l’hygiène et de l’habitat insalubre et puis les traités sur l’hygiène sociale et de l’habitation qui ont beaucoup orienté les conceptions des architectes et des urbanistes de l’époque

Du 1er janvier 1894 au 31 décembre 1904, la ville de Paris a procédé par une enquête hygiéniste en établissant le casier sanitaire des maisons de Paris en suivant le modèle du premier casier sanitaire fondé par M. Janssens à Bruxelles. Le Bureau de l'assainissement de l'habitation de la préfecture de la Seine a organisé des visites de ces maisons qui permettent de répondre aux éléments qui constituent le casier sanitaire indiqué dans le rapport du Dr Martin qui date de 1882 et qui a été allégé par la suite à cause de la difficulté de son exécution. Le casier sanitaire comporte : - Un plan par terre au 1/500 qui décrit les conditions sanitaires (l’emplacement des canalisations, fosses, puits, fontaines, mode d’écoulement des eaux usées...) - Une feuille de description de l’immeuble, une feuille de recensement du nombre de décès par jour, une autre qui relève les désinfections opérées, leur date et leur cause. - Le résultat de l’enquête sanitaire engagée et des travaux prescrits par le Bureau de l’hygiène - Des renseignements sur l’espace public notamment la largeur des rues et des voies avec le nombre d’habitants et le système d’égouts et de canalisations.

Dans son rapport de 1905, le chef du Service Technique de l'Assainissement et de l'Habitation à la Préfecture de la Seine M.Juillerat écrit : « Au cours des recherches que nous avons entreprises à ce sujet nous avons été amenés à constater sur divers points de Paris une localisation marquée de la tuberculose et nous avons déterminé dans un premier relevé six ilots de maisons qui nous ont paru présenter une mortalité particulièrement effroyable » 21 après la Première Guerre mondiale, l'enquête sanitaire a été poursuivie et a abouti à de nouvelles conclusions en déclarant insalubre chaque maison qui a connu dix décès par tuberculose sur une période de 25 ans à partir du 1er janvier 1894. Le nombre des ilots tuberculeux est passé de six à dix-sept en 1921 incluant un total de 4 290 immeubles, soit 186 594 personnes.

Figure 7 : Carte des dix-sept îlots insalubres et leur nombre d'habitants. Source : Cours “Croissance de la banlieue et diversification des espaces 1860-1940” de l’Universite Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

2.2 Les outils cartographiques internationaux Nextstrain est un projet Open Source visant à exploiter le potentiel scientifique et de santé publique des données du génome des agents pathogènes. L’objectif est d’aider à la compréhension épidémiologique et d’améliorer la réponse à l’épidémie avec des données téléchargeables. Coronavirus Country comparator est une interface dynamique permettant de comparer les pays entre eux, en termes de cas confirmés et de décès liés au Coronavirus. Cette application web est un logiciel libre et Open Source. La cartographie HeathMap’s outbreaks near me informe sur 12 catégories de maladies ; les informations sur le coronavirus font partie des maladies respiratoires. Elle intègre aussi les risques environnementaux (par exemple, les fermetures de plages en raison des eaux usées) et les maladies animales (par exemple, les renards trouvés avec la rage)

21 Rapports sur la répartition de la tuberculose pulmonaire dans les maisons de Paris - 1904

2.3 Les profils de territoires

Les profils de territoires sont un outil national récent qui valide la notion de territorialisation du risque sanitaire et qui permet d’observer la vulnérabilité des territoires. Il a été mis à disposition par la Fédération nationale des observatoires régionaux de la santé (FNORS) avec les Observatoires régionaux de la santé (ORS) comme outil d’orientation des décideurs et des acteurs locaux dans la lutte contre le virus du Covid-19.

Le niveau territorial retenu est celui des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre : métropoles, communautés urbaines (CU), communautés d’agglomération (CA) et communautés de communes (CC). Plus de 1250 Profils du territoire ont été établis à l’échelle nationale, chacun de ces profils est composé de 4 pages qui permettent d’appréhender le territoire selon les différents déterminants de la santé en lien avec les facteurs de risque de gravité de la Covid-19 ou avec les situations pouvant favoriser la circulation du virus :

o Caractéristiques sociodémographiques et économiques o Conditions de vie o Pathologies à risque de formes graves o Mobilités

Une fois ces profils établis, une synthèse nationale vient compléter cette étude afin de déceler les similitudes et les particularités de chacun des territoires et de souligner ainsi les inégalités territoriales face à la propagation de la Covid-19. À la suite de cette synthèse, les territoires ont été classés en sept groupes distincts. Cette classification permet de décliner des interventions d’une manière personnalisée et d’orienter les décideurs, les acteurs et les citoyens vers une prévention adaptée aux particularités de chacun des territoires dans le but de réduire la propagation du covid-19.

Le tableau ci-dessous tiré du rapport de la synthèse nationale élaborée par la Fédération nationale des Observatoires régionaux de la santé en mai 2020 cartographie ces 7 typologies des territoires nationaux selon l’ordre suivant :

Représentation des territoires Classification des territoires Classe A Population urbaine avec des vulnérabilités sociales et liées au logement 10,2 % des EPCI 12,6 millions d’habitants, soit 19,0 % de la population nationale.

Classe B Population rurale âgée et isolée avec un bon accès aux services de la vie quotidienne, présentant moins de pathologies à risque 12,5 % des EPCI 3,5 millions d’habitants, soit 5,3 % de la population nationale. Classe C Population plutôt agée avec des vulnérabilités sociales

22,8 % des EPCI 6,4 millions d’habitants, soit 9,7 % de la population nationale. Classe D Population urbaine avec beaucoup de déplacements en transports en commun 5,0 % des EPCI 24,5 millions d’habitants, soit 36,8 % de la population nationale. Classe E Population avec des vulnérabilités sociales et sanitaires

11,8 % des EPCI 6,0 millions d’habitants, soit 9,0 % de la population nationale.

Classe F Population socialement plutôt favorisée, avec des déplacements domicile-travail importants

23,7 % des EPCI 8,0 millions d’habitants, soit 12,1 % de la population nationale. Classe G Population plutôt favorisée socialement, avec des vulnérabilités sanitaires 14,0 % des EPCI 5,3 millions d’habitants, soit 8,1 % de la population nationale.

Source : Fnors : Profils de territoire - Rapport de synthèse nationale / www.scoresanté.org 35

Schéma : Processus d’élaboration des profils de territoires par la fnors Profils de territoires

Caractéristiques sociodémographiques et économiques Conditions de vie

Pathologies à risque de formes graves Mobilités

Synthèse nationale

7 typologies de territoire

Selon Lucie Anzivino, chargée d’études en santé environnementale et urbanisme favorable à la santé à l’Observatoire régional de la santé Auvergne-Rhône-Alpes dans son intervention à l’ESPI22, 3 conclusions majeures se déclinent de ces profils de territoires :

1- Densité et inégalités structurelles Le problème sanitaire n’est pas lié à la densité urbaine, mais plutôt aux inégalités structurelles et à la qualité de l’urbanisation

2- Logement inadapté La crise du covid-19 a mis en lumière les risques d’infection que représentent les logements inadaptés notamment pour les populations défavorisées

3- Mobilité active et organisation de l’espace public La crise du covid-19 a poussé plusieurs villes à repenser l’organisation de l’espace public et chercher à optimiser les transports en commun existants et à développer la mobilité active tout en prenant en compte les spécificités des territoires

Selon la FNORS, le choix du niveau territorial s’est fondé sur les éléments suivants :

o Correspondance avec un niveau de décision politique o Taille suffisante pour produire des indicateurs ayant une bonne robustesse o Disponibilité et accessibilité des données dans un délai court

Cependant, cet outil d’aide à la décision présente plusieurs limites :

D’un côté, le choix de l’échelle géographique qui ne permet pas de donner le niveau de finesse suffisant pour pouvoir adapter les orientations des acteurs concernés aux particularités de chacun des territoires surtout dans le cas de grands pôles urbains.

D’un autre côté, le choix des 35 indicateurs s’est basé sur des sources de données disponibles pour et accessibles de façon systématique. Ce qui exclut d’autres indicateurs moins accessibles pour toutes les régions françaises.

22 Intervention de Lucie Anzivino dans la journée d’étude sur le thème « Dynamiques urbaines et résilience dans un contexte d’épidémie » organisée par L'École Supérieure des Professions Immobilières le 11 mars 2021

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