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NOUVELLE FLAMME

HISTOIRE REMODELÉE

PAGE DE GAUCHE Le nouveau visage de La Samaritaine côté rue de Rivoli, et sa façade au drapé de verre, prouesse technique avec ses 343 panneaux de verre sérigraphiés, et qui semblent tenir en équilibre. Le quartier s’y reflète en mouvement, symbole de son renouveau.

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PAGE DE DROITE Le bâtiment Art déco de La Samaritaine, signé Henry Sauvage, a retrouvé son faste originel. Il se dédie aujourd’hui à l’hôtel Cheval Blanc. Les 72 chambres et suites embrassent la Seine depuis leurs baies vitrées. Quatre restaurants, dont une brasserie au 7e étage, et un café au rez-de-chaussée, sont ouverts à tous.

Ventre de Paris (les Halles) ou centre de la capitale, ce quartier en mouvement entre le Palais-Royal et le Centre Pompidou s’était pour ainsi dire figé sur lui-même depuis plus d’une décennie, semblant se chercher autour d’une canopée souvent incomprise. À la manière d’un alignement des planètes, trois bâtiments phares et emblématiques préparaient leur renaissance. Conjonction des éléments, la Bourse de commerce, Pinault Collection, La Samaritaine, mais aussi la Poste du Louvre s’inaugurent presque en même temps. Anticipant cette effervescence, des galeries de design se sont déjà installées, et une nouvelle énergie se met en place.

PAR Virginie Bertrand PHOTOS Nathalie Baetens

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Art nouveau versus design contemporain. PAGE DE GAUCHE Le dernier étage sous verrière du bâtiment historique Art nouveau, qui fut édifié à la fin du XIXe par Frantz Jourdain. Avec son spectaculaire escalier entièrement restauré par Atelier d’Œuvres de Forge (AOF), amenant sous la verrière de 1 500 m2 entourée de sa « fresque aux paons ». Elle avait été couverte d’un badigeon blanc dans les années 1950. La frise ornée de volutes, feuillages et grappes de raisin a retrouvé ses fonds or. PAGE DE DROITE 1. La façade Art nouveau rue de la Monnaie arbore ses décors floraux en lave émaillée. 2. La façade en verre de l’agence SANAA du bâtiment rue de Rivoli.

PERSPECTIVES ET RÉFLECTIONS EN MIROIR

Après quinze ans de travaux titanesques, La Samaritaine rouvre ses portes. Vaisseau amiral de son époque, elle resplendit dans ses atours retrouvés et renouvelés, prouesses d’une restauration pharaonique et d’un défi architectural. Quand, en 1885, Ernest Cognacq et son épouse Marie-Louise Jaÿ font appel à l’architecte Frantz Jourdain, promoteur de l’Art nouveau et penseur pour Émile Zola du grand magasin idéal en vue de son roman Au Bonheur des Dames, ils avaient intuitivement compris quel pourrait être l’atout stratégique de ce carrefour de Paris. À leur devise « en progrès constants », Frantz Jourdain répond « à besoins nouveaux, formes nouvelles ». Manifeste pour l’architecture métallique, permettant un commerce plus fluide car avec moins de murs, La Samaritaine se veut aussi un plaidoyer pour « l’art dans la rue », selon les termes de l’architecte. Panneaux en lave émaillée à motifs floraux, plaques de cuivre martelé, sculptures en volutes, sa flamboyance colorise le quartier. Inaugurée en 1910, La Samaritaine s’agrandit en 1928 d’un édifice Art déco signé Henri Sauvage. Leur récente restauration révèle leur splendeur originelle cachée sous des couches de peinture ou de plaquage. Quant à leur prolongement par un nouveau bâtiment résolument contemporain, il s’inscrit dans la vision avant-gardiste qui a prévalu à sa naissance. Mandatée pour l’ensemble du chantier, l’agence japonaise SANAA – Kazuyo Sejima et Ryue Nishizawa, mondialement reconnus –, prix Pritzker 2010, met en exergue l’excellence des savoir-faire français comme les techniques les plus innovantes des entreprises. Le drapé se déployant sur la rue de Rivoli, en 343 panneaux de verre ondulé, fait écho aux façades vitrées de Frantz Jourdain. L’exploit de sa réalisation remémore celui de la verrière sommitale de 1888. Il y a aussi cette même quête, à plus d’un siècle de différence, de lumière naturelle à laquelle les architectes japonais répondent par la création de deux patios tout en transparence, en écho aux deux atriums anciens. Il en est de même pour la recherche d’amples volumes. À l’intérieur du nouveau bâtiment, dialoguent le verre et l’acier dans un esprit factory, avec des jeux de lignes entre escaliers mécaniques, passages et cours. Quand le soleil brille, la façade toute de verre vêtue réfléchit les immeubles environnants. Perspectives miroitantes de rues qui se réveillent, d’un cœur qui bat à nouveau. Comme au XIXe siècle, La Samaritaine redessine le quartier, aujourd’hui dans une version plus verte, la sortie du tunnel des Halles se transformant en une vaste place de 5 000 m 2 arborée. Côté Seine, la maison Cheval Blanc inaugure dans l’édifice Art déco d’Henri Sauvage son premier hôtel urbain, fantasmé et réalisé par l’architecte et designer américain Peter Marino. « Il s’agit sans doute de son projet décoratif le plus ambitieux à ce jour. Sa volonté dès le départ était de travailler exclusivement avec des artistes et des artisans français », explique Éric Fratty, directeur Design et Construction chez LVMH Hotel Management. De ses terrasses, Paris n’en finit pas de se révéler, la magie est réactivée.

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SOUVENIR D’UNE EXPRESSION DÉCORATIVE

« On avait oublié que La Samaritaine était une œuvre conçue à l’origine par Ernest Cognacq. Il s’appuyait sur l’art de son époque pour attirer le chaland. » Jean-François Lagneau, architecte en chef des monuments historiques, veille sur sa restauration. Une armée d’artisans d’art a été mobilisée pendant cinq ans. L’escalier mythique a été entièrement désossé, avant de retrouver ses 270 marches en chêne massif, ses garde-corps aux feuilles d’or et ses céramiques sous les paliers. La fresque aux paons découpée en 336 panneaux de toile marouflée, afin d’atteindre la couche picturale d’origine. Quant à la verrière de 1 500 m2, elle a été déposée avant consolidation et installation de verres électrochromes variant au soleil. Mais ce n’est pas seulement l’incroyable ouvrage réalisé à l’époque qui est exhumé, c’est aussi l’esprit qui y régnait. La Samaritaine fait appel à différents architectes d’intérieur, designers, artistes, dans la tradition chère à son concepteur Frantz Jourdain, qui l’avait pensée comme une œuvre collective. Chaque acteur revisite la richesse de son histoire, de ses expressions décoratives. Appelé afin de créer son identité visuelle, Antoine Ricardou, fondateur du studio be-poles, exprime dans son logo, un « S » vibrant sur fond jaune, et dans l’alphabet qu’il lui dessine son caractère. « Elle est à la fois ancienne et contemporaine, conjuguant le passé au présent. Une incitation à renouer avec une certaine légèreté sur une mélodie de Benjamin Biolay, “Au bon temps de La Samaritaine”. » Et il lui confectionne un café avec la Brûlerie des Gobelins aux allures de soucoupe volante. « J’adore ce quartier, le cœur du réacteur. »

Instants très parisiens. 1. L’escalier de La Samaritaine Pont-Neuf rénové : son garde-corps avec ses 16 000 feuilles d’or, ses céramiques Art nouveau et ses 270 marches en chêne. 2. Antoine Ricardou du studio be-poles signe l’identité visuelle dont le logo, le « S » sur fond jaune, décliné en papier peint dans une vitrine. 3. La Boutique de Loulou, pour un souvenir de La Samaritaine et de Paris.

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COURBES, FLEURS, VOLUTES EN NOTES DE TÊTE Réputé pour la conception de centres commerciaux et boutiques à l’avant-garde des technologies et services, l’architecte-designer Hubert de Malherbe s’imprègne de la quintessence du lieu afin d’en offrir une interprétation contemporaine. En partant des poutres Eiffel au niveau inférieur, il formule, tel un nez, le plus grand espace beauté d’Europe. En note de tête, les volutes de l’Art nouveau se déployant dans les courbes des structures en laiton, du sol au plafond. En note de cœur, fleurs, pieds-de-poule et losanges en mosaïques. En note de fond, une ambiance poudrée que l’on caresse encore mieux quand le designer avoue s’être inspiré des crinolines. Deux cents grands noms du soin, du maquillage et du parfum s’exposent sur 3 400 m2. Voisinent des marques de niche, naturelles, vegan, aux packagings recyclables, dans un décor contrasté de bois brut et béton ciré. Le collectif Ciguë, connu pour sa démarche d’écoconception architecturale, décline sur plusieurs étages, en s’adressant plus particulièrement aux Millennials, un mobilier décalé, chahutant les époques, avec renversement de moulures et abus de contreplaqué. Il fait souffler un vent qui n’est pas sans évoquer celui de l’Art nouveau du début du XXe siècle, dans un élan libératoire. L’agencement intérieur du bâtiment historique Pont-Neuf est donné au studio canadien Yabu Pushelberg. Glenn Pushelberg et George Yabu épurent le vocabulaire de l’Art nouveau en n’en retenant que les courbes, reprises à l’infini dans les arrondis des portants, les maillages des plafonds, le surlignage du mobilier d’or. Un terrazzo évoque les pavés parisiens. Qu’il est jubilatoire de voir ces différents regards revitaliser le Paris aimé, en son cœur battant.

Esprit Art nouveau revivifié. 1. Au rez-de-chaussée de La Samaritaine Pont-Neuf, le studio Yabu Pushelberg a instauré un dialogue entre l’enveloppe historique du magasin et son approche contemporaine. 2. Sur 3 400 m2, une déambulation inspirée des carrousels et des crinolines. 3. Le designer Hubert de Malherbe conçoit le plus grand espace beauté d’Europe, ode à la féminité et aux lignes libres de l’Art nouveau.

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VISION PANORAMIQUE

Prendre de la hauteur réveille quelque chose de romantique. Le sentiment gagne en intensité quand, au sommet du nouvel hôtel Cheval Blanc, sur la terrasse de la brasserie Le Tout Paris, la ville s’embrase, s’embrasse, s’enlace. Le regard épris, on se souvient qu’elle est la capitale la plus visitée au monde. Que ce soit la Bourse de commerce, La Samaritaine ou la Poste du Louvre, chacun dans sa nouvelle version propose une vision augmentée du quartier. Presque en 3D, quand du restaurant Voyage de l’architecte Jean-Michel Wilmotte, l’impression de toucher du doigt l’église Saint-Germain-l’Auxerrois est réelle. Irréelle. La designer Constance Guisset réussit l’exploit de donner cette sensation au premier étage de La Samaritaine, chez Ernest. « J’ai travaillé sur l’idée du diorama, le quartier mouvant, en vie, derrière la vitre immense, formée par le drapé de verre. Ce bistrot fantaisiste semble suspendu dans le décor. » Quant au trio Chloé Nègre, Karine Chahin et Virginie de Graveron, du studio Atelieramo, formé quand elles étaient chez India Mahdavi, il fomente un paysage intérieur, celui de l’appartement d’une Parisienne, que La Samaritaine réserve à ses VIP. « On avait envie de quelque chose de personnel, les clients doivent se sentir accueillis chez une Parisienne, entre meubles de famille, de voyage, références design, objets à histoires, un mix d’élégance et de décontraction, de simplicité et de sophistication.» En observant perché, le regard en balade, entre le Sacré-Cœur, le Père-Lachaise, les tours Duo de Jean Nouvel, Montparnasse, la tour Eiffel… ou en s’installant dans une bergère de style XVIIIe bordée de fourrure, Paris se révèle sentimentale. Absolument romantique.

Paris savoureux. 1. La vue du restaurant Le Tout Paris au dernier étage de l’hôtel Cheval Blanc, dont l’inauguration est prévue le 7 septembre. 2. La designer Constance Guisset dans le bistrot Ernest qu’elle a conçu. 3. L’église Saint-Germainl’Auxerrois vue du restaurant Voyage. 4. Un salon de l’appartement d’une Parisienne par le trio d’Atelieramo, un mélange de styles, d’époques, de belles matières.

LA POSTE DU LOUVRE À CIEL OUVERT

Que cachent ses façades monumentales, encore plus impressionnantes dans l’éclat de leur réhabilitation ? La Poste du Louvre va enfin dévoiler son intérieur, vaste de 35 000 m2, surprenant dans son architecture industrielle, contrastant avec la pierre de taille extérieure. L’architecte Julien Guadet avait pensé en 1888 la flexibilité du bâtiment, terme si actuel induit par la multiplication des usages. Dominique Perrault, l’architecte en charge de sa rénovation, rend hommage à ce précurseur de la modernité. Il la donne à voir et à vivre, ouvrant ce bloc massif de chaque côté, le traversant de passages reliant les rues opposées, allant jusqu’à transformer l’ancienne pente de livraison en voie piétonne, une oxygénation bienvenue dans ce quartier si dense. « En pénétrant dans la cour intérieure, à ciel ouvert, on découvre une écriture architecturale insoupçonnée. Arachnéenne : poutres, voûtains, poteaux et nouvelles façades vitrées s’étagent dans un langage franc et direct », souligne Dominique Perrault. Jean-François Lagneau, architecte en chef des monuments historiques, qui a accompagné ce projet, met en résonance l’historique des 1er et 2e arrondissements avec sa tradition de passages couverts – du Caire, du Cerf, Galerie Vivienne – et les nouveaux passages perçant la Poste. La Poste Immo, filiale immobilière du groupe, pratique « la revitalisation de son patrimoine par la création ». Au sein de cet îlot urbain, s’adjoignent au bureau de poste toujours accessible du péristyle des magasins dont Bo Concept, des bureaux, du coworking, une crèche, un commissariat et un hôtel 5 étoiles, avec terrasse de 1 000 m2 en jardins, nommé Madame Rêve. « Parce que Paris est à vos pieds », indique son instigateur Laurent Taïeb.

Patrimoine réinventé. 1. Au 3e étage de la Poste, Madame Rêve, un hôtel de 82 chambres, avec bar en rooftop et restaurant. 2. Dominique Perrault, l’architecte de la Poste du Louvre. 3. La façade de pierre pensée par l’architecte Julien Guadet a fait accepter le bâtiment à l’époque, dans sa proximité avec Le Louvre. 4. La cour-patio, espace central à l’air libre, est entourée de bureaux vitrés.

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LA BOURSE DE COMMERCE, ÉPICENTRE DE L’ART « Le cylindre, reliant la terre et le ciel, transcende ainsi la Bourse de commerce et l’ancre au cœur de Paris. » Yann Nussaume, historien de l’architecture, exprime le geste de l’architecte japonais Tadao Ando, conjuguant radicalité et simplicité. Quand François Pinault le sollicite pour intervenir dans ce monument classé, vieux de quatre siècles, témoin de nombreuses prouesses architecturales, de la première colonne isolée de Paris au XVe siècle pour l’hôtel de Catherine de Médicis à l’impressionnante halle au blé circulaire du XVIIIe siècle, jusqu’à sa recomposition en Bourse de commerce en 1889, le défi est de taille. Peut-être à l’égal de la collection de l’homme d’affaires, collectionneur d’art, aux 10 000 œuvres de tous les continents. L’architecte reprend sa forme géométrique fétiche, le cercle, symbolisant le néant mais aussi le tout au Japon, mais qui sera ici incluse dans un autre cercle. Il explique la vocation de cette architecture qui est « de relier les fils du temps, passé, présent, futur ». Le cylindre de béton de 29 m de diamètre sur 9 m de haut est parcouru d’une rampe ascendante à l’extérieur menant aux différentes galeries et au plus près de la coupole, dont les 1 600 vitrages ont été remplacés, et de ses 1 400 m de panoramas peints en 1889 et nettoyés au coton-tige. De cette coursive, le point de vue est inédit. Les parois grises se nimbent par les jeux de lumière des membrures de la verrière. Telles celles d’un cadran solaire, les ombres portées semblent dilater le temps. Au rez-dechaussée, juste en dessous, la sculpture en cire d’Urs Fischer, réplique grandeur nature de L’Enlèvement des Sabines de Giambologna, rappelle en fondant que le temps est compté. Un carpe diem artistique.

Singulière renaissance. 1. La Bourse de commerce, restaurée à l’identique, retrouve son faste d'autrefois. 2. Entre les murs édifiés par Henri Blondel, les sculptures de Bertrand Lavier pour l’exposition inaugurale « Ouverture ». 3. La verrière, cœur de l’édifice. 4. L’escalier à double révolution par l’architecte de la halle au blé, Nicolas Le Camus de Mézières. Lustre des frères Bouroullec.

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LE TEMPS SUSPENDU

PAGE DE GAUCHE Le cercle de béton lisse dans l’architecture circulaire de la Bourse de commerce baignée de lumière à travers la verrière. Prouesse architecturale à sa construction, elle a été restaurée à l’identique et chaque panneau de verre a été coupé sur mesure.

PAGE DE DROITE Sculpture de l’artiste Urs Fischer en cire, vanité contemporaine.

DU BLÉ AUX GRAINS

PAGE DE GAUCHE Le restaurant La Halle aux Grains, au dernier étage de la Bourse de commerce, a été pensé par les architectes de l’agence NeM, Lucie Niney et Thibault Marca. L’espace et ses objets ont ensuite été créés par les designers Ronan & Erwan Bouroullec. Ils ont imaginé un vocabulaire tout en transparence et en texture : verre coulé, pieds de tables martelés, rideaux en guipure métallique

PAGE DE DROITE Michel Bras, en tablier imaginé par la designer textile Catherine André, tissé par la maison Moutet.

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Contemplation et célébration. PAGE DE GAUCHE 1. L’espace circulaire du restaurant épouse la géométrie de la Bourse de commerce. 2. Vase de Ronan & Erwan Bouroullec, en verre coulé. PAGE DE DROITE 1. Michel Bras, en pleine discussion expliquant ses « Niac », ses épices qui donnent la niaque aux plats. 2. Les Bras ont imaginé des recettes de chocolats à base de grains, courge, sarrasin, tournesol, avec la chocolaterie Agnès & Pierre. 3. Le menu du jour. Graphisme, Studio Voiture 14. 4. Vue sur l’église Saint-Eustache 5. Les costumes ont été dessinés par la styliste Catherine André, boutons en forme de grains, et jeans, Atelier Tuffery. 6, 9. Les assiettes, soucoupes et tasses à café d’Élise Fouin évoquent les semoirs et les sillons. 7. Plaques de chocolat, gourmandises spécialement créées pour ce lieu. 8. Vases en verre teinté de Ronan & Erwan Bouroullec.

LES BRAS, DANS LE VENTRE DE PARIS

Quel symbole le plus délectable et surprenant que l’arrivée de Bras à Paris. Michel, le père, Sébastien, le fils, descendus de leur montagne magique, l’Aubrac, offrent à cet ancien quartier nourricier des Halles un cousin de leur mythique Le Suquet. « Après nos échanges avec François Pinault et Jean-Jacques Aillagon, directeur général de Pinault Collection, nous sommes venus prendre le pouls du lieu. Mon rapport étroit avec l’architecture, la lumière – je suis très proche de Soulages – a participé à la décision. Comme son passé. Une historienne nous a retrouvé des pages écrites par un jeune aventurier, Arthur Young, en 1789. » Michel Bras les cite avec émotion : « Dans l’arène, que de pois, de fèves, de lentilles on y vend. Dans les divisions d’alentour, il y a de la farine sur les bancs. On passe par des escaliers doubles, tournant l’un sur l’autre, dans des appartements spacieux, pour mettre du seigle, de l’orge, de l’avoine. » Et poursuit ce récit à plus de deux siècles de distance. Ils l’écrivent à plusieurs mains, car « il était inenvisageable de venir sans l’équipe Bras », Mathieu Muratet, ex-directeur du Suquet, Maxime Vergely, chef de cuisine, pour ne citer qu’eux, car la liste est longue. Ils apportent dans leurs besaces également les artisans de leur région et viennent poser sur les tables des frères Bouroullec le fameux couteau dessiné spécialement par A+B designers et forgé par Laguiole, revêtent les chaises de feutre de laine, habillent les serveurs de jeans Atelier Tuffery, les cuisiniers de tabliers tissés par la maison Moutet. Baptisée La Halle aux Grains, le duo père-fils se joue du grain, comme il le fait du végétal depuis 1978, allant à sa genèse. « Nous avons accueilli dans notre nouvel alphabet culinaire plus d’une cinquantaine d’éléments : amarante, azuki, kamut, fève, luzerne, pois en tous genres, fonio, millet, orge, lin, cumin, lupin… », détaille Sébastien Bras. « Après nous nous sommes vraiment amusés. Nous les avons goûtés, fait germer, grillés, soufflés, infusés, fermentés et cuisinés de mille façons, afin de composer cette nouvelle écriture parfois épicée par des clins d’œil au monde, avoue Michel Bras. Il y a beaucoup de cœur dans ce projet. » De ses moulins à épices japonais, conçus spécialement pour lui, s’échappent, quand il les ouvre, une symphonie de senteurs. Il les appelle les « Niac », car elles donnent la niaque aux plats. Un exemple ? Le miso de lentilles, alternative au miso japonais, qui fait chanter une tranche de bœuf de l’Aubrac, ou encore un pain de légumes d’été confits longuement en cocotte relevé de granola et Niac olive. Les grains inspirent aussi le sommelier argentin, Sergio Calderon. « Pour Paris, je tiens le truc, ou plutôt le grain, on va faire du vin de raisin », annonce-t-il à Michel Bras. Ils embarquent tous les vignerons avec qui ils entretiennent des relations quasi filiales, plus de trente, et demandent à ceux qui font des assemblages de faire du monocépage, et vice versa. Trente-trois « cuvées de grains » introuvables ailleurs. Le grain n’en finit pas d’inspirer. La designer Élise Fouin le modèle dans ses assiettes réalisées par la maison de céramique Jars, la chocolaterie Agnès & Pierre, de Rodez, le marie avec le chocolat noir. Même la typographie des cartes du déjeuner, goûter et dîner, essaime ses lettres évidées par les graphistes de Voiture 14. La bande est joyeuse et le plaisir en germination.

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Art et design. PAGE DE GAUCHE 1. Les œuvres numériques d’Arotin & Sergheï. 2. Extrait du film annonçant l’ouverture de la Bourse de commerce, Pinault Collection. PAGE DE DROITE 1. Dans la galerie de Pierre Gonalons, présentation de ses créations, hormis les vases en céramique de Carel. Tables basses en céramique, en marbre Calacatta et bronze poli, collection Montceaux, buffet « Studiolo » en frêne teinté et mélèze, miroir « The other side », applique « King Sun Murano » en collaboration avec Stories of Italy. 2. Le designer Pierre Gonalons. 3. La galeriste Sophie Negropontes devant la tapisserie « Le bassin », de Roger Muhl, manufacture Pinton, guéridon en céramique émaillée, design Hervé Langlais. 4. Sculpture miroir et sellette en onyx et bronze, design Gianluca Pacchioni, sculpture en verre « Eight », de Perrin&Perrin, à la Galerie Negropontes.

L’ENGOUEMENT DES GALERIES

Le Centre Pompidou est à seulement quelques centaines de mètres de la Bourse de commerce, Pinault Collection. L’élan qu’il avait créé à son ouverture en janvier 1977, avec le ralliement de nombreuses galeries d’art éparpillées dans Paris vers les 3e et 4e arrondissements, semble frémir encore une fois avec l’arrivée de nouveaux acteurs dans la perspective de l’installation de la Fondation Cartier, en lieu et place du Louvre des Antiquaires. L’œuvre digitale Infinite Light Columns – « Colonnes de lumière infinies » –, du duo d’artistes Arotin & Sergheï, sur la façade de l’Ircam (Institut de recherche et de coordination acoustique/musique) vibre à l’unisson de ce futur de l’art, questionnant sa dématérialisation en autant de pixels. La galeriste Sophie Negropontes a anticipé cette dynamique ascendante. Elle installe ses artistes-artisans rue Jean-Jacques Rousseau, presque en face de la galerie Véro-Dodat, dont Pierre Passebon est un des pionniers avec la Galerie du Passage, rejoint dernièrement par le designer Pierre Gonalons. Ce dernier constate déjà depuis son ouverture, il y a moins d’un an, entrecoupée de périodes de fermeture dues à la situation sanitaire, l’arrivée de nouveaux clients drainés par la proximité avec la Bourse de commerce. Dans son écrin, couleur parme, avec boiseries 18101820 réalisées par Féau&Cie et parquet de pavements carrés et ronds exécuté par Carrésol, il réussit l’exploit d’y exprimer, d’y loger les pièces de ses propres collections et de ses collaborations. En avant-première, un fauteuil en cuir matelassé pour Duvivier, une table d’appoint en céramique rose et une collection de miroirs avec la passementerie Verrier. Sophie Negropontes envisage même un parcours entre galeristes, avec Patrick Fourtin, Desprez Breheret rue Croix-des-Petits-Champs, Ibu du Palais-Royal... Son nouvel espace permet un dialogue entre les pièces, souvent monumentales, de sa famille de créateurs : les sculptures-céramiques de Benjamin Poulanges, celles en verre nées d’un processus aussi mathématique qu’alchimique des Perrin&Perrin, la table en bronze évoquant une terre craquelée ou un sol martien d’Erwan Boulloud, les constellations de plâtre et de laiton d’Éric de Dormael… Ils sont dix en plus de la manufacture Pinton, dont elle accroche désormais les tapisseries aux côtés des photographies de son grand-père, Dan Er. Grigorescu. « Plus grand, plus d’artistes, plus de ‘solo shows’ aussi. Il est la matérialisation de mon envie de mettre en valeur les arts décoratifs à la française, à travers des pièces d’artistes et de designers dont je partage l’exigence, l’amour du beau et sans doute un peu le grain de folie », souligne-t-elle. Ce nouveau triangle, entre la Bourse de commerce, Pinault Collection, La Samaritaine et la Poste du Louvre, et plus largement ce cœur de Paris, est aussi le laboratoire de la Ville : piétonnisation, priorité aux deux roues, végétalisation et mixité des usages. Jean-François Lagneau, architecte en chef des monuments historiques, conclut: « Les zones de chantier sont enfin terminées, le quartier va se redécouvrir et se faire connaître, fluidifié, aéré, sublimé. » Adresses page 168

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N°190 — août - septembre 2021

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