Élisa Lefevre - La conscience du milieu, les paysages de l'homéostasie territoriale (2019)

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LA CONSCIENCE DU MILIEU, LES PAYSAGES DE L’HOMÉOSTASIE TERRITORIALE

VOL. 1

La Dombes, influence des attitudes transformatives anthropiques sur un écosystème de zone humide

ÉTUD. LEFEVRE Elisa UNIT E0932 - MÉMOIRE 3 - MÉMOIRE INIT. RECH.

SRC

DE.MEM TUT.SEP

OLIVARES Y. BIGOT-DOLL E.

MARCH ARCH

S09 DEM AMTH 19-20 Promo

© ENSAL



” Kirkpatrick Sale, 1985

Mais une utopie n’est rien d’autre qu’une conception de l’avenir, la genèse de demain, l’articulation présente d’un futur possible.



TABLE DES MATIÈRES

CHAPITRE 1 Du milieu au lieu, fondements d’un système

Résumé Édito Préambule Introduction

4 6 10 16

Limites et composantes physico-chimiques du milieu dombiste Histoire de l’anthropisation du milieu dombiste Intermède : « Esquisses poétiques » (Gabriel de Moyria, 1841) Cultiver le milieu Intermède : « La pêche en étang » (Jean-Claude Martin, 1977) Construire le milieu

4 34 48 50 62 66

CHAPITRE 2 Du système à l’écosystème, caractéristiques d’une zone humide

Définir une zone humide Intermède : « Le horla » (Guy de Maupassant, 1886) La Dombes, une zone humide Les zones humides, témoins de transformations Intermède : « L’hypothèse Gaïa » (James Lovelock, 1970) Le témoignage de la Dombes

84 94 96 110 126 128

CHAPITRE 3 De l’épaisseur à l’érosion, le rôle de la ressource dans la fabrication du paysage

Une définition de la ressource Le paysage, présentation et représentation du milieu La Dombes, épaississement d’un lieu Intermède : « Zone Pavillonnaire » (Nicolas Duclos, 2019-2020) De l’épaisseur à l’érosion, le rôle de la ressource

148 160 182 184

Critique d’une attitude transformative rémanente Intermède : « Wintu » (France Inter, 2019) Mésologie, biorégionalisme, territorialisme L’unité mésologique : division, diversité, dispersion Intermède : « La légende de la piscine » (Rem Koolhaas, 1977) Construction d’un archipel homéostatique - 250

210 220 222 234 248 250

Conclusion Épilogue Références bibliographiques Références iconographiques

264 270 276 286

CHAPITRE 4 Du supra-national à l’unité mésologique, les échelles de l’homéostasie territoriale


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Living places, like their inhabitants, are gradually being stripped of their identity characteristics. For good reason, the simplification of living environments in favour of a unification of the resources mobilized in the construction of territories necessarily leads to the trivialization of places. For several decades now, landscapes have been showing a phenomenon of territorial erosion depriving places of any potential thickening. Illustrated by the degradation of human living conditions and the quality of their settlement environments, deterritorialization generates a global amnesia as to the awareness of the environment in its transformation. A highlighting of the need for the process of co-evolution between human and his environment then tends to support the recognition of local identities. The resource can then be considered as the major protagonist of this revaluation of the place, by its fundamental role in the transformative process of the territory and its decisive character with regard to ecosystem balances. If we consider that the identification of the founding characteristics of a place is necessary for its apprehension in order to then allow its transformation, then the analysis of anthropised landscapes, through their agricultural and architectural components, is a foundation for this. In the north of the Lyon metropolis, water and land are undeniable elements in the characterization of places, markers of the Dombes landscape by the presence of artificial ponds and peasant architecture in raw earth. It is through the study of the Dombes, a rural wetland essential to the maintenance and management of ecosystems in the Lyon region, that we can question the awareness of the environment in its ability to recognize the mesological particularities, and thus support the construction of a homeostatic territory.


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RÉSUMÉ ABSTRACT

Les lieux de vie, à l’image de leurs habitants, sont peu à peu dépossédés de leurs caractéristiques identitaires. Pour cause, la simplification des milieux de vie au profit d’une unification des ressources mobilisées dans la construction des territoires induit nécessairement la banalisation des lieux. Depuis plusieurs décennies déjà, les paysages font état d’un phénomène d’érosion territoriale privant les lieux de tout épaississement potentiel. Illustrée par la dégradation des conditions d’existence humaine et de la qualité de leurs milieux d’établissement, la déterritorialisation génère une amnésie globale quant à la conscience du milieu dans sa transformation. Une mise en lumière de la nécessité du processus de co-évolution entre l’homme et son milieu tend alors à supporter la reconnaissance des identités locales. La ressource peut alors être envisagée comme le protagoniste majeur de cette revalorisation du lieu, par son rôle fondamental dans le processus transformatif du territoire et son caractère décisif au regard des équilibres écosystémiques. Si l’on considère que l’identification des caractéristiques fondatrices d’un lieu est nécéssaire à son appréhension pour ensuite permettre sa transformation, alors l’analyse des paysages anthropisés, à travers leurs composantes agricoles et architecturales, en est un fondement. Au nord de la métropole lyonnaise, l’eau et la terre sont des éléments indéniables dans la caractérisation des lieux, marqueurs du paysage de la Dombes par la présence d’étangs artificiels et d’architectures paysannes en terre crue. C’est à travers l’étude de la Dombes, zone humide rurale essentielle au maintien et à la gestion des écosystèmes dans la région lyonnaise, que nous pouvons interroger la conscience du milieu dans sa capacité à reconnaitre les particularités mésologiques, et ainsi soutenir la construction d’un territoire homéostatique.


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édito


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ÉDITO PARIS - SAINT-JEAN-DEBELLEVILLE Figure 1 Ligne de train Paris-Lyon Photographie argentique personnelle

Un jeudi soir frileux dans la gare de Lyon, le rythme frénétique de ma récente vie parisienne me conforte à l’idée de sauter dans un train. J’observe le paysage défiler sous une brume épaisse, guettée par l’impatience de retrouver mes compagnons de séjour. Une série d’étapes plus tard et la fatigue disparue, j’arrive dans les Alpes françaises. Je pose mes bagages pour trois jours, impatiente du lendemain pour admirer les montagnes au lever du jour. La pluie ayant pris le pas sur la neige, les descentes à skis sont finalement remplacées par des discussions endiablées autour de chocolats chauds. Pourtant, à ma plus grande surprise, aucun débat n’effleure de près ou de loin le domaine de l’environnement depuis le début du week-end - et ce malgré un thermomètre frôlant, à plus de 1500 mètres d’altitude, les huit degrés au mois de janvier. Aucun, jusqu’à ce qu’un ami lance avec un air narquois : « On pourrait changer de sujet, à condition qu’on ne parle pas d’écologie ! » Amusée tout autant que stupéfaite, j’ai répliqué en lui demandant de m’expliquer ce qui le dérangeait tant au sujet de cette thématique « écologique ». Il m’a simplement répondu : « Ça ne me dérange pas, je crois simplement que ça ne sert à rien de s’acharner sur une cause déjà perdue. » Quelque peu abasourdie, je lui demande alors de faire jouer son imagination : « Imagine que ta fille - il est le papa d’une petite fille de trois ans - tombe gravement malade. Les médecins t’annoncent que son cas est très grave, et qu’il paraît peu probable qu’elle s’en sorte. Maintenant, pose-toi la question suivante : dans cette situation, choisirais-tu d’être passif, déciderais-tu de ne rien tenter - par quelque moyen qu’il puisse exister - pour qu’elle guérisse, en suivant pour seul raisonnement “ça ne sert à rien de s’acharner sur une cause déjà perdue.“ ? » Si mes souvenirs sont bons, il m’a répondu qu’il n’avait jamais


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édito

imaginé les choses de ce point de vue. À qui lira cette anecdote, elle peut sembler accessoire, amusante tout au mieux. Pourtant, la situation décrite au travers des quelques lignes m’a longuement fait réfléchir. Cette histoire, c’est celle d’un individu qui se sentait incapable d’agir, de quelque sorte qu’il puisse exister, pour transformer son mode de vie en vue d’éviter une catastrophe ; et dont l’argumentaire était fondé sur un point de vue tout à fait fataliste. Mais cette histoire, c’est aussi celle d’un être humain qui remuerait ciel et terre pour sauver la vie de sa petite fille, même si les chances de survie de celle-ci étaient nulles. Au terme de cette expérience individuelle, le rejet primaire de l’être humain en considération exclusive de l’expression de son égoïsme me paraît vain. En toute sincérité, je refuse désormais de croire qu’il soit question, d’une manière ou d’une autre, d’une quelconque forme d’égoïsme. J’aime à croire qu’il est plus sensé de subordonner la perplexité à l’entendement. Parce que ce que m’a enseigné cette histoire, ce moment dans ma vie de jeune fille occidentale, c’est que si “nous“, habitants de la Terre, peinons à agir pour toute autre cause que la seule condition individuelle, c’est peut-être parce que nous n’avons pas pleinement conscience de ce qui caractérise notre individualité. Cela me semble plus clair désormais ; nous n’avons pas suffisamment conscience de notre milieu.


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préambule


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PRÉAMBULE ÉCLAIRAGES SUR LA NOTION DE MILIEU Figure 2 Geological map of the world, James Reynolds, John Emslie, 1852

Issu du domaine de l’écologie, le terme « milieu » peut désigner « l’ensemble des facteurs extérieurs qui agissent de façon permanente ou durable sur un animal, une plante, une biocénose et auxquels les organismes doivent être adaptés pour survivre ou se perpétuer » (Larousse en ligne, 2020). Établissant comme sujet d’étude les relations entre les êtres humains avec leur environnement, nous pourrions alors considérer la notion de milieu comme l’ensemble des caractéristiques physiques dans lequel évoluent les individus humains, pouvant aussi être désigné par la terminologie « habitat ». Cette première définition du milieu implique nécessairement une distinction entre l’être humain, ici caractérisé comme « animal », et son environnement physique, que l’on nommera dès à présent « biotope ». Exclu de ce biotope par son caractère vivant, l’être humain est ainsi classé dans un groupe distinct, la « biocénose ». Elle correspondant à « l’ensemble des êtres vivants qui occupent un milieu donné (le biotope), en interaction les uns avec les autres et avec ce milieu » (Larousse en ligne, 2020). Dans la biocénose, deux formes de vies sont représentées : la faune (ensemble animal) et la flore (ensemble végétal). Dans le champ de l’écologie, l’association d’un biotope et d’une biocénose est nommée « écosystème ». Nous avons établi, par cette première définition, que la notion de milieu correspond ainsi à la composante « biotope » dans un écosystème donné, s’opposant de fait à l’autre composante du système, la « biocénose ». Cependant, la définition du milieu que nous venons d’établir ne peut convenir à l’étude de l’être humain et de ses relations à son environnement. En effet, établissant comme acquis qu’il n’existe pas, sur Terre, d’environnement dans lequel la seule forme vivante est l’être humain, l’étude de sa relation à son milieu impliquerait soit que la biocénose soit réduite à l’être humain, niant strictement


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préambule

l’existence de l’ensemble formé les autres êtres vivants ; soit que l’étude soit élargie à l’ensemble de la biocénose, ne considérant plus comme sujet d’étude l’être humain mais l’ensemble du vivant. Si l’on veut étudier le rapport entre les êtres humains et leur milieu, aucune de ces deux options ne peut être envisagée. En effet, la première revient à amputer l’équation d’une caractéristique pourtant fondamentale, et la seconde à confondre le sujet d’étude dans un ensemble infiniment plus vaste et varié. Aussi, une troisième option se dessine : celle d’établir une seconde définition, conçue dans le cadre précis de cette étude, de la notion de milieu. Dans ce contexte, une nouvelle définition du milieu peut être la suivante : l’ensemble des facteurs extérieurs agissant de façon permanente ou durable sur un être, un groupe, une société composée exclusivement d’êtres humains. Les « facteurs » évoqués renvoient alors aux deux notions de biotope et de biocénose, donc à un écosystème, qui exclue les êtres humains. Cette définition, ainsi établie, laisse paraître la viabilité de l’étude envisagée : les groupes humains sont étudiés en relation à leur milieu, au sein duquel l’ensemble des composantes de l’écosystème sont représentées, sans pour autant affaiblir la précision du sujet d’étude. Pourtant, malgré la représentation de l’ensemble écosystémique permise par cette nouvelle définition du milieu, une caractéristique est omise : la temporalité. En effet, il est envisageable d’étudier les rapports d’une société à son milieu en excluant cette société de ce même milieu, si et seulement si l’on considère cette société comme strictement figée et non évolutive. Or, toute société humaine, sous l’action du temps, se transforme et transforme son environnement. Cette dualité transformative peut être représentée par la notion « d’établissement humain » employée de manière récurrente par Alberto Magnaghi, dans son ouvrage La biorégion urbaine


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: petit traité sur le territoire bien commun de 2014. Nous emprunterons, à travers cette étude, la notion d’établissement humain à Magnaghi pour évoquer la capacité des sociétés humaines à impacter leur milieu, et ce par le biais de la transformation des écosystèmes, elle même induite par l’évolution intrinsèque des sociétés sous l’effet du temps. L’ensemble des critiques établies précédemment au sujet de la seconde définition du milieu suggèrent l’établissement d’une troisième définition. Pour permettre la faisabilité de l’étude souhaitée, cette définition doit considérer comme acquis les énoncés suivant : le biotope et la biocénose forment un système dynamique appelé écosystème ; l’être humain fait partie de la biocénose et se distingue par conséquent du biotope ; les établissements humains, sous l’effet du temps, se transforment et sont en mesure de transformer l’écosystème qui constitue leur milieu. Aussi, ces trois critères impliquent la définition du milieu comme un concept intégrant la notion de temps, et par conséquent d’espace. Il ne semble pas nécessaire ici d’interroger de manière binaire la capacité des établissements humains à transformer leur territoire : nous considérerons comme acquis cette capacité, illustrée par trop d’exemples probants dans notre environnement proche. Toutefois, cette vérité n’exclue pas la possibilité d’étudier, dans un second temps, les implications de cette capacité transformative. Aussi, prenant pour acquis cet énoncé, la troisième définition du milieu tire sa complexité de sa nature. Si l’on nomme « naturel » un milieu non transformé, au cours du temps, par les établissements humains, il est courant de nommer « artificiel » celui qui aurait subit des transformations. Pourtant, cette distinction ne semble pas aller de soi. Voici une analogie destinée à illustrer ce postulat : lorsqu’un groupe de castors œuvre collectivement à la construction d’un barrage sur une rivière, ce barrage est communément caractérisé comme « naturel »


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préambule

par la communauté humaine. À l’inverse, le terme « artificiel » est couramment mobilisé pour désigner un barrage résultant d’une opération humaine. Cette analogie peut soulever de vastes débats, au sujet de l’échelle, des conséquences ou de la matérialité de l’ouvrage par exemple, auxquels nous ne contribueront pas pour l’instant. Néanmoins, au-delà de ces débats, cette analogie expose une distinction de perception par les humains entre l’oeuvre humaine et celle du reste de la biocénose, et par conséquent entre les humains eux-mêmes et celle-ci. Cependant, notre définition du milieu considère comme acquis l’appartenance des êtres humains à la biocénose, et donc définit l’être humain comme inclut dans le groupe « faune ». Ce postulat, initié dans un contexte de réalité écosystémique, peut être étayé d’abord par l’opposition de l’humain à l’inerte - qualité qui caractérise le biotope - et ensuite par son opposition au végétal - qualité qui caractérise la flore. Aussi, afin d’établir la troisième définition du milieu, nous considérerons comme vrai le postulat suivant : l’intervention humaine sur son milieu ne diffère pas par nature de l’intervention du reste de la biocénose. De fait, parce que nul écosystème ne peut exister sans biocénose, l’intervention de celle-ci (intégrant l’être humain) sur son milieu n’est donc pas par essence une « artificialisation » de la « nature », mais devient une « évolution » de cette même « nature », alors toujours considérée comme « naturelle ». Aussi, la combinaison de l’ensemble des postulats énoncés mènent au suivant : le concept de « nature » n’existe que si l’on se considère, êtres et sociétés humaines, externes à la biocénose, ce qui induirait de fait la négation totale de l’écosystème. Aussi, à travers cette étude, nous intégrons le concept d’écosystème et rejetons la coexistence d’un environnement « naturel » et d’un environnement « artificiel », l’ensemble étant perçu comme un même milieu.


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Ainsi, la troisième définition du milieu est la suivante : il correspond à un environnement dynamique qui, sous l’action conjointe du climat et de la biocénose, est en constante mutation. Ici, le milieu rejette la notion de d’artificialisation graduelle, en intégrant l’idée que chaque transformation opérée a pour résultat la conception d’un nouveau milieu, devenant à son tour milieu de référence. Si cette définition est complexe à intégrer, c’est parce que la biocénose est ici intégrée comme un sujet à la fois transformé et transformant, et ce de manière simultanée. La conséquence est majeure pour l’étude de l’être humain en relation à son milieu : les sociétés humaines étudiées ne sont plus externes à leur milieu - nous distinguerons ici la notion de milieu à celle d’environnement - mais en deviennent une composante, qui modifie et qui est modifiée tout à la fois. En somme, le milieu correspond en cela à un caractère identitaire pour l’homme ; à une forme de représentation individuelle pour les communautés humaines.


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introduction


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INTRODUCTION

Il n’est guère plus déconcertant que le rôle des lieux de vie dans le façonnement des identités individuelles. Produit de ces lieux, l’appartenance apparaît comme un sentiment tout aussi fondamental qu’inéluctable à l’existence humaine. Elle fédère la réunion des individualités dans une identification collective ; la communauté. Or, force est de constater que c’est à cette réunion que l’on peut attribuer la genèse de toutes les formes sociétés, dont la nôtre. À ce propos, Simone Weil déclare en 1949 dans L’Enracinement : Prélude à une déclaration des devoirs envers l’être humain : « L’enracinement est peut-être le besoin le plus important et le plus méconnu de l’âme humaine. » Larousse, 2020 Dès lors, la reconnaissance de cette nécessité suppose une attitude résolument bienveillante à l’égard de ces lieux ; et ce de la part de leurs habitants.

*Anthropocène « Période actuelle des temps géologiques, où les activités humaines ont de fortes répercussions sur les écosystèmes de la planète (biosphère) et les transforment à tous les niveaux. (On fait coïncider le début de l’anthropocène avec celui de la révolution industrielle, au XVIIIe s.) »

Pourtant, la condition humaine à l’aube de la troisième décennie du XXIème siècle ne semble pas aller de pair avec ce soin des lieux ; bien au contraire. Soixantedix ans après L’Enracinement, l’une des œuvres musicales majeures de la décennies est introduite de la sorte : « Tous les objets composant l’univers, les galaxies, les amas de poussières, les astres, s’éloignent les uns des autres inexorablement ; comme nous. » (Ludovic Reclus, Ken Samaras, 2019). Ainsi exprimé, l’éloignement des êtres humains illustre un sentiment partagé de perte d’identité. Pourtant, le caractère globalisé de notre civilisation contemporaines semble de prime abord encourager les relations individuelles plutôt que les restreindre, et avec elles celles des communautés. Or la réalité d’une ère que l’on pourrait qualifier d’Anthropocène* est toute autre. À l’apogée de notre attitude extractive et progressiste, nous contemplons la détérioration incessante des lieux de vie à travers la dépossession de leurs caractéristiques identitaires. Les lieux,


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introduction

contextes aussi oniriques qu’essentiels à notre existence, s’effacent. Par celle des lieux, c’est l’érosion individuelle qui prend le pas sur la construction de nos identités collectives. Comme explication première, il est possible de pointer l’unification de nos modes de vie : s’ensuit inévitablement la banalisation de nos territoires, et avec elle celle des écosystèmes pourtant essentiels à la vie sur Terre. Peut-être éclatante, cette vérité ne doit toutefois pas être comprise comme seul exutoire. En effet, la mise en lumière des fondements d’une crise globale dans nos sociétés n’est pas le propos de ce travail ; il n’en serait que trop stérile. Au contraire, il s’agit de suggérer une alternative bénéfique à ce comportement humain dont la tendance est - pour l’instant - à l’érosion. Dans ce but, nous proposerons de nous focaliser sur une notion : le milieu. Dans un soucis d’intelligibilité, nous précisons dès à présent le terme qui se rapporte à l’étude des milieux : la mésologie. Fondamentale dans notre étude, cette notion sera intensément sollicitée pour comprendre les dynamiques de construction identitaire, et avec elles celles des lieux de vie humain. En somme, le propos de cet exercice d’initiation à la recherche concerne l’étude des rapports entretenus entre les êtres humains et leurs milieux de vie. Plus précisément, nous tâcherons de sonder ces rapports en interrogeant les conséquences de leurs évolutions. En ce sens, il s’agit de révéler le rôle des sociétés humaines dans la construction de leur propre cadre de vie, et avec lui la nécessité d’une réflexion qui s’étend au-delà de la seule considération humaine dans l’étude des territoires anthropisés. Pour ce faire, nous nous concentrerons sur la problématique énoncée ci-après.


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Comment la reconnaissance des particularités mésologiques peut-elle soutenir la construction d’un territoire homéostatique ? Dans le cadre de ce travail de recherche, nous ferons appel à l’expérience d’une multitude d’acteurs dans les domaines de la géographie, de la biologie tout autant que de la philosophie pour concrétiser cette analyse qui, à l’image de la crise systémique que nous traversons, se veut transdisciplinaire. En effet, cet intérêt pour l’étude des relations entre l’homme et son milieu provient d’une série de lecture particulièrement influentes dans la révélation de l’architecture en tant que discipline elle-même transversale. Parmi les auteurs de ces travaux, il faut d’abord citer Isabelle Delannoy dans la reconsidération qu’elle propose des rapports entre l’être humain et son environnement, à travers la notion de symbiose. Son travail se place comme une influence majeure dans l’avènement de notre réflexion, et ce depuis la lecture de son intervention dans le septième numéro de la revue Reliefs en août 2019. C’est notamment à cet article que sont dues les premières phases de recherche menées au sujet des écosystèmes, et plus précisément des zones humides. Par la suite, Alberto Magnaghi sollicite notre intérêt à travers la découverte de son ouvrage Le projet local et la lecture de La biorégion urbaine : petit traité sur le territoire bien commun. Par là, ces travaux orientent nos recherches vers les théories biorégionalistes et ainsi vers les figures de Peter Berg et Kirkpatrick Sale. Aussi, la traduction en français de L’art d’habiter la Terre : la vision biorégionaliste en 2020, réédition de Dwellers in the Land: the Bioregional Vision, participe à l’inspiration de Sale pour notre travail. Enfin, Sébastien Marot se place comme un acteur très influent dans l’intérêt porté aux relations entretenues entre l’architecture et l’agriculture et leurs reconsidérations contemporaines. Son intervention à l’école d’archi-


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introduction

tecture de Lyon en janvier 2020 avec la conférence Taking the Country’s side, (Re)prendre la clé des champs - Agriculture et architecture, en permettant des échanges oraux très productifs à ce sujet, marque également l’introduction de la notion de paysage dans notre réflexion. S’il existe une multitude d’autres acteurs influents dans notre étude, ceux-ci en marquent la genèse. Pour mener à bien cette étude, nous prendrons appui sur un territoire : la Dombes. Située au nord-est de la métropole lyonnaise, dans le quart sud-est de la France, cette zone humide apparaît rapidement comme un cas d’étude intéressant par son histoire géomorphologique et anthropique, et surtout par les liens existant entre celles-ci. Considérée comme un milieu tout au long de cette étude, la Dombes sera sollicitée en vue d’interroger une croyance bien ancrée dans nos sociétés contemporaines : l’impact nécessairement et fatalement néfaste de l’action des hommes sur les écosystèmes. En tant que zone humide de grande influence, la Dombes servira de sujet d’étude pour interroger la cohérence écosystémique des territoires et l’influence des hommes sur eux. Aussi, nous nous focaliserons sur l’activité humaine en sondant les liens entre ses différents modes opératoires et leurs conséquences. Les expressions de « transformation » et de « modes transformatifs » seront ainsi vivement sollicitées pour décrire les formes de modification du territoire par les hommes. En cela, nous émettrons préalablement une série d’hypothèse dans le but de répondre à notre problématique. D’abord, nous supposerons qu’il existe deux actes majeurs dans l’acte d’habiter, œuvre humaine : la culture, en référence à l’acte de cultiver et donc de produire des denrées et des biens ; la construction, pour évoquer l’architecture et ses disciplines adjacentes - l’urbanisme entre


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autres - pour produire des espaces de vie pleinement humains. Ensuite, nous supposons que les communautés humaines sont en mesure d’impacter leur environnement biotique et abiotique, proche autant que lointain, par leurs activités culturales et constructives. Enfin, nous supposerons qu’elles ont la faculté d’interpréter les conséquences des changements de leur cadre de vie, et d’en adapter les causes ; pour cela, nous invoquerons la notion de projet. Pour répondre à nos interrogations, nous structurerons notre propos en quatre chapitres, chacun scindé en quatre parties. Le premier chapitre insistera sur les fondements du système territorial de la Dombes, le second chapitre s’attardera sur la notion d’écosystème à travers la caractérisation des zones humides, le troisième chapitre sondera le notion de ressource dans la construction du paysage tandis que le quatrième chapitre2 interrogera les échelles de transformation du territoire. Tout au long du développement, nous ferons alors référence aux étapes de transformation par les hommes du milieu dit « dombiste » ; c’est-à-dire relatif à la Dombes. De plus, nous ponctuerons notre étude d’une série d’apartés qui exposeront un corpus d’influences dans la construction du mémoire, présentés sous le nom d’intermèdes.


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chapitre 1

Figure 4 Carte de l’État-Major : Bourg, IGN, 1866


CHAPITRE 1 DU MILIEU AU LIEU, FONDEMENTS D’UN SYSTÈME

” Charles Avocat, 1975

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Contrairement aux apparences, la Dombes n’a plus rien de « naturel » et doit son existence même au travail des générations successives. C’est l’étang, œuvre de l’homme, qui a créé la Dombes que nous connaissons aujourd’hui, bel exemple d’adaptation réussie aux données d’un milieu original et, dans l’ensemble, ingrat.


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chapitre 1

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19

Bugey Revermont Plaine de l’Ain Bresse Dombes Mont d’Or Vallée du Rhône Beaujolais vignoble Beaujolais montagneux Tararais Monts du Lyonnais Charluois Roannais Monts de la Madeleine Massif des Bois Forez Monts du Forez Jarez Massif du Pilat


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1 | PARTIE 1 LIMITES ET COMPOSANTES PHYSICO-CHIMIQUES DU MILIEU DOMBISTE Figure 5 Régions naturelles du Lyonnais, Claude Royer, 1979 « Pour bien se rendre compte de la structure de ce plateau et des particularités de sa surface, il n’est pas de plus sûre méthode que de suivre dans le passé l’histoire de sa formation géologique. » Lucien Gallois, 1892

Le milieu choisi est communément appelé « la Dombes ». Tenant compte que la notion de milieu puisse être difficile à assimiler - car il n’existe, dans l’imaginaire collectif occidental, pas réellement de définition que cette notion invoque clairement - nous approcherons tout d’abord la Dombes par sa situation administrative. En effet, si le milieu n’est pas définissable au titre d’entité administrative, il est possible de lui donner une première définition en se basant sur sa localisation : situé dans le quart sud-est de la France, au nord-est de la métropole de Lyon, ce territoire est administrativement inclus dans le département de l’Ain, lui même appartenant à la région Auvergne-Rhône-Alpes. Pour définir ce milieu, au-delà de sa situation administrative, nous feront dès à présent appel à de multiples domaines de recherche ayant pour point commun l’étude du biotope. Du grec ancien bíos « vie », et tópos « lieu », le terme biotope signifie étymologiquement « lieu de vie ». Précisions son sens, à l’aide de la définition établie par le géographe, botaniste et phytosociologue René Braque en 1987 : « cadre abiotique, physico-chimique, que la commodité de l’analyse conduit à scinder en climatope (représenté le plus souvent par le climat local) et l’édaphotope (sol évolué ou non, et en situation limite la roche saine ou son altérite) ». La compréhension de la Dombes peut ainsi être initiée par l’analyse des facteurs abiotiques de ce milieu, c’est-à-dire ceux qui ne concernent pas le vivant. Pour définir ces facteurs, nous nous baserons sur les propos de Cesare F. Sacchi : « Les facteurs abiotiques sont représentés par les phénomènes physico-chimiques (lumière, température, humidité de l’air, composition chimique de l’eau, pression atmosphérique et hydrostatique, structure physique et chimique du substrat). » Ainsi, pour décrire les composantes et tenter de définir une première limite de la Dombes, nous nous baserons sur l’étude du sol, de l’air et de l’eau présents dans ce milieu.


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chapitre 1


partie 1

Figure 6 Limites géomorphologiques du plateau de la Dombes, Richard Sceau, 1980

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La Dombes est un vaste plateau s’étendant entre les monts du Jura et le Massif Central. À l’époque du Trias, il y a 240 millions d’années, les terres sont immergées par la mer : seul le Massif Central reste émergé. Des cordons littoraux forment alors des lagunes peu profondes, au futur emplacement des villes de Grenoble, Bourg-enBresse et Dijon. Les produits de l’érosion, sables et argiles notamment, s’étale sous forme de deltas dans cette mer côtière. Le climat se réchauffant progressivement, l’évaporation intense rend les eaux restantes sur-salées et génère une forte cristallisation. Par la suite, à l’époque du Jurassique (il y a 200 millions d’années), une mer profonde s’installe à nouveau, avec pour conséquence une intense sédimentation sur presque un kilomètre d’épaisseur. Au Paléogène, un affaiblissement de la croûte terrestre sur une longue bande traversant l’Europe du Nord au Sud génère de nombreux fossés : combinés à l’instabilité du niveau de la mer, ces bassins se remplissent et deviennent des lacs. Au fond de ces derniers, les dépôts de sels sont progressivement recouverts par des sédiments imperméables, les protégeant. Ensuite, au Néogène, le bassin lacustre située au niveau de l’actuelle Bresse s’assèche. À cette époque, la mer Méditerranée est momentanément isolée de l’océan Atlantique : son niveau baissant considérablement, les fleuves - comme celui qui deviendra le Rhône - façonnent des canyons dont la profondeur s’élève à des centaines de mètres, afin d’atteindre au niveau de la mer. Lorsque la Méditerranée est de nouveau alimentée par l’Atlantique, ces canyons sont envahis par l’eau : « La Méditerranée pénétrait alors dans la vallée du Rhône, jusqu’à la hauteur de Vienne, par un grand golfe, véritable fjord, dont les sinuosités annonçaient déjà les confluents des vallées futures » (Lucien Gallois, 1892). Les sédiments, transportés par les rivières, remblaient peu à peu ce long


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chapitre 1


partie 1

Figure 7 Extension de l’ancien glacier du Rhône dans la région de Lyon, Lucien Gallois, 1892 « Les limites que la géologie imposerait à la Dombes sont donc facile à déterminer. Elle doit comprendre toute la partie du plateau qui fut autrefois occupée par le glacier. » Lucien Gallois, 1892

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couloir marin. L’actuelle Bresse, continuant de s’enfoncer, est à nouveau occupée par des lacs et des marécages où se jettent les grands torrents, ancêtres du Rhône et du Rhin, empruntant ce qu’est aujourd’hui la vallée du Doubs. Ils y déposent des débris arrachés aux roches alpines : roulés, ils forment des galets accompagnés de sables et d’argiles. À la fin de l’ère Tertiaire, l’enfoncement de la Bresse ralentit : le Rhin se détourne vers l’Alsace. À cette époque, le climat devient considérablement plus froid, et des glaciers envahissent les Alpes et le Jura. Sur le plateau, ces glaciers descendent des Alpes et s’avancent jusqu’à l’emplacement de la ville de Lyon : ils forment ce que l’on nomme le glacier du Rhône (fig. 1.3). Ce glacier forme alors un barrage sur la Saône, et la partie nord du plateau, en amont de ce barrage, est recouverte par une immense étendue d’eau. Lorsque ce glacier commence à fondre, l’ensemble des matières jusque là maintenues en suspension se déposent : « une couche de boue glacière, très reconnaissable à ses amas de cailloux striés, resta sur le sol » (Gallois, 1892). Ces amas de débris rocheux transportés par les glaces, appelés moraines, surélèvent alors la partie sud du plateau. C’est il y a 10 000 ans que la dernière glaciation se termine, et que débute l’épisode inter-glaciaire dans lequel nous nous trouvons actuellement. La succession des âges géologiques ont eu pour conséquence la constitution d’un plateau morainique que l’on nomme la Dombes. L’étude de la topographie et de l’hydrographie actuelle de cette région peut permettre une première délimitation du territoire. En effet, le plateau domine trois vallées par des côtières dont le dénivelé varie entre 50 et 100 mètres : celle du Rhône (au sud), de la Saône (à l’ouest) et de l’Ain (à l’est) (Charles Avocat, 1975). C’est au sud que la rupture est la plus marquée : surnommée « Côtière de l’Ain » ou « Côtière de Dombes », le coteau d’une quarantaine de kilomètres marque une


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rupture raide par une moyenne altimétrique passant de 280 mètres - au niveau du plateau - à 170 mètres environs. Si les limites topographiques du plateau de la Dombes sont particulièrement nettes au sud-est et à l’ouest, elles le sont beaucoup moins au nord. Par le passé géologique de cette région, la partie septentrionale de la Dombes est identifiable par une pente beaucoup plus douce, rendant la transition avec la Bresse presque insensible. C’est d’ailleurs cette imprécision qui pousse certains à solliciter la rivière Veyle pour définir une quatrième limite (JeanClaude Martin, 1977). Par cette approche, la Dombes morainique comprend l’ensemble du plateau, excluant les falaises qui le terminent au sud-est et la vallée de la Saône, à l’ouest (Gallois, 1892). Le plateau lui-même peut ainsi prendre la forme imagée d’un toit à deux pans, faiblement inclinés et répartis de manière inégale, orienté d’un côté au sud-est « haute Dombes » et de l’autre au nord-ouest « basse Dombes ». (Martin, 1977, Gallois, 1892). Si l’on se réfère à l’histoire géologique du plateau, celui-ci est d’origine morainique. Par conséquent, le sol du plateau est constitué principalement d’argiles, de sables et de galets. Plus précisément, l’ensemble est structuré par de la silice pure à l’état pulvérisé et de l’argile dite colloïdale, ou « ultra-argile » (dont les grains ont une dimension inférieure à 0,2 micromètres) (Avocat, 1975). Cette structure de sol a pour première caractéristique une granulométrie présentant des grains extrêmement fins : la silice, par exemple, peut passer à travers les tamis de « blutage », utilisés notamment pour tamiser la farine. La présence de l’argile a une conséquence énorme sur la réaction pédologique* du plateau, que Charles Avocat exprime par ces mots : « Cette dernière ne représente guère plus que 5 à 6 % du total mais elle est susceptible d’absorber 16 fois son volume d’eau, de sorte que la Dombes sèche est un véritable buvard qui absorbe les petites pluies avec l’avidité

*Pédologie « Étude scientifique des sols. » Larousse, 2020


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« Le paradoxe de la Dombes centrale tient à l’abondance de l’eau superficielle et à la carence quasi totale des sources, de sorte que le profane n’y voit qu’une région humide tandis que le paysan dombiste se plaint de la sécheresse et du manque d’eau. »

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d’une roche perméable tandis que la Dombes « mouillée » interdit toute infiltration dès que l’argile est saturée : en un mot, le pays le plus perméable quand il est sec, le plus imperméable quand il est humide. » (Avocat, 1975)

Ce milieu tire sa particularité de son hydrologie. En effet, le plateau de la Dombes, par sa structure, tend soit à l’hydromorphie soit à la sécheresse : « Il en résulte, selon les saisons, des contrastes saisissants dans les paysages : tantôt une terre craquelée par les fentes de dessiccation Charles Avocat, 1975 qui évoquent l’aridité tropicale, tantôt un sol gorgé d’eau et noyé d’humidité qui fait penser aux « Marschen » germaniques » (Avocat, 1975). Dans ce contexte, l’hydrographie vient appuyer la singularité de ce milieu. Inscrit dans le bassin versant du fleuve Rhône, au sein duquel se trouve notamment la Saône, le plateau ne comprend aucune rivière le traversant dans son ensemble. Dans la partie centrale du plateau seulement, la Chalaronne prend sa source pour s’écouler vers le nord-ouest et venir se jeter dans la Saône. Ainsi, l’essentiel de l’eau présente sur le plateau provient des précipitations, avec une pluviométrie importante et supérieure à la moyenne de la région lyonnaise (Avocat, 1975). La pluviométrie varie essentiellement d’est en ouest : les extrêmes annuels atteignent 750 mm et 1100 mm, avec des hivers particulièrement secs, des maximales en automne et des pluies orageuses en été (Philippe Lebreton, 1964). Avec cette quantité d’eau, 10 à 15 millimètres viennent imbiber le sol jusqu’à saturation, quantité au-delà de laquelle l’eau s’évapore ou tend à noyer le milieu devenant un ensemble marécageux, plus ou moins uniforme. Dans la Dombes, l’étude des précipitations et des températures permet de définir ce que Braque nomme « climatope ». L’ensoleillement annuel avoisine les 2000 heures. En ce qui concerne les précipitations, des études


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menées sur l’ensemble du plateau ont présenté de nettes variations décennales, illustrées par un profil parabolique : une augmentation du début des années 1960 aux années 1970, un maximal pluviométrique dans les décennies 1980-1990 et une diminution depuis le début des années 2000 (Lebreton, 2018). En 1975, Jean-Claude Martin s’exprimait ainsi au sujet de la Dombes : « Le régime des pluies varie considérablement selon les années ; c’est ainsi qu’il 1959, il n’est tombé qu’une seule averse entre le 1er mai et le 10 octobre, alors qu’en 1963, les précipitations furent si abondantes qu’elles noyèrent les récoltes. » Aujourd’hui, l’étude des précipitations laisse présager une sécheresse croissante pour les années à venir (Lebreton, 2018). Actuellement, la température annuelle moyenne est estimée à 12,5°C pour l’ensemble du milieu. Les données collectées au cours des dernières décennies exposent une température moyenne de 10°C pour la période 1964-1985 : d’après les études menées, l’échauffement devrait être de 3,2 +/- 0,2°C en 2030. Avec des étés chauds (température moyenne de 20°C au mois de juillet) et des hivers plutôt froids (moyenne de 1,7°C en janvier), le climat des Dombes peut être associé au climat dit « lyonnais » : classé « Cfb » d’après la classification de Köppen, il est dit « tempéré chaud » (Climate Data, 2020). Quant au régime éolien, il est grandement déterminé par l’orientation du couloir rhodanien. Le vent du nord domine en soufflant environ la moitié de l’année et particulièrement en hiver : « il détermine un temps sec et froid » (Martin, 1977). C’est le vent de l’ouest qui, en été, amène des nuages favorisant les orages parfois d’une grande violence. En somme, le plateau des Dombes est une singularité dans le paysage lyonnais. Sa composition géologique, son climat et sa situation hydrographique rendent ce milieu très instable quant à l’hydrologie, avec une tendance extrêmement variable au manque ou à


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l’abondance en eau.

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1 | PARTIE 2 HISTOIRE DE L’ANTHROPISATION DU MILIEU DOMBISTE Figure 8 Carte de l’empire de Charlemagne après le partage de 843, Louis-Étienne Dussieux, 1852 « L’étang, oeuvre de l’homme, symbolise l’intervention de celui-ci sur le milieu qu’il habite. Il correspond à une utilisation rationnelle de l’eau disponible, à l’intérieur de limites assez strictement déterminées : sans étangs, la Dombes ne serait qu’un marécage. »

Pour comprendre les étapes de transformation du milieu en question par les communautés humaines, il semble intéressant de se pencher sur la chronologie des événements marquants de son histoire. Cette histoire est dense, et l’étude précise de son ensemble constituerait un travail de recherche à part entière. Aussi, nous nous concentrerons ici sur une série non exhaustive d’épisodes qui ont, jusqu’à récemment, marqué ce territoire. Ces épisodes sont étroitement liés à l’histoire de la France, et avant tout aux jeux de pouvoirs exercés en Europe pendant des siècles et qui ont marqué les frontières que nous reconnaissons aujourd’hui.

Au temps de Jules César d’abord, la Dombes était peuplée par les Ambarres, un peuple celte dont le nom désigne « ceux qui habitent des deux côtés de l’Arar » (appellation antique de la Saône) (Venceslas Kruta, 2000). Charles Avocat, 1975 Durant la guerre des Gaules, c’est à Trévoux - future capitale de la Dombes - que se livre en 58 av. J.-C. la bataille de César contre les Helvètes. À la chute de l’Empire romain d’Occident à la fin du Vème siècle, la Dombes revient aux Burgondes, un peuple des Germains orientaux, pour près de quatre siècles. En 843, lorsque le traité de Verdun marque le partage de l’Empire carolingien entre les petits-fils de Charlemagne, la Dombes revient à Lothaire 1er : empereur d’Occident depuis 840, il reçoit toute la partie médiane de l’Empire, de Rome à la mer du Nord. À partir de cet évènement, l’éloignement du pouvoir engendre la genèse de souverainetés indépendantes : la Dombes, à l’image des rives de la Saône, devient le théâtre d’une série d’affrontements. En effet, jusqu’au XVème siècle, le territoire est partagé entre différents sires constamment en guerre - autant entre eux qu’avec les comtes de Forez, les archevêques de Lyon ou les dauphins de Viennois avec pour conséquence directe une grande instabilité de la gouvernance et du dessin des limites de ce territoire.


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Figure 9 La Principauté de Dombes, Joannes Janssonius, 1632

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En 1400, au terme de ces épisodes belliqueux, c’est au duc de Bourbon que revient la souveraineté de la Dombes. Cependant, en 1523, la part du royaume de France appartenant alors au connétable de Bourbon est confisquée par François 1er : accusé de félonie, il se voit notamment retirer sa partie de la Dombes, bien que celle-ci se trouve à cette époque dans le Saint Empire. Suite à cet évènement, une fonction de gouverneur et un parlement sont institués, donnant à ce territoire les caractéristiques d’un état souverain. Après un long siège du parlement à Lyon, c’est finalement Trévoux qui devient la capitale de la Dombes. Cette souveraineté, devenant une principauté en 1560, reste indépendante jusqu’au XVIIIème siècle : ce n’est qu’en 1762 que la Dombes est définitivement rattachée à la France, à la suite d’un échange consenti par son prince, le comte d’Eu. De fait, le roi supprime le parlement de Trévoux et sa chancellerie en 1771, dont les attributions sont alors réparties entre Lyon et Paris ; et en 1781, cette ancienne souveraineté se voit rattachée à la Bresse et incorporée à la généralité de Bourgogne. Le décret du 27 septembre 1791 « portant réunion à la France du pays de Dombes et dépendances » confirme cette incorporation au royaume (Pierre Lenail, 1900). Depuis cet évènement, la Dombes est considérée comme un « pays » de l’Ain (Vanessa Manceron, 2006), une région naturelle dont la circonscription reste indéfinie depuis qu’elle ne bénéficie plus d’un statut administratif propre ; mais, nous reviendrons plus tard sur cette notion de limite. Jusqu’ici ont été évoqués une série d’événements dont la description porte avant tout sur la souveraineté du territoire. Néanmoins, nulle terre ne peux - lorsqu’il est question des modes d’anthropisation d’un milieu - n’être définie qu’au travers de ceux qui la possède : ceux qui l’habitent en sont les premiers protagonistes.


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Figure 10 La Souveraineté de Dombes Apud Guiljelmum et Ioannem Blaeu, 1663

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Jusqu’au Moyen-Âge, la Dombes était recouverte par de vastes forêts et par des marais, appelés à cette époque « lescheria » (Richard Sceau, 1980). L’ensemble du plateau présente à cette époque un faible potentiel pour le développement des installations humaines. En effet, la variation extrême de la présence de l’eau dans ce milieu présage une difficile maîtrise du territoire, tant pour cultiver la terre que pour l’habiter : desséchée en été, inondée en hiver, la caractérisation de ce milieu laisse difficilement entrevoir les signes d’une terre fertile et hospitalière. Pourtant, malgré un portrait du moins peu attrayant, les hommes ayant conquis ce territoire ne l’ont pas abandonné : bien au contraire, ils se sont mobilisés pour adapter ce milieu à leurs besoins, et ont su s’adapter à lui. S’il n’a pas été évoqué jusque là, nous introduisons ici un élément clé dans les fondements de l’anthropisation de la Dombes : l’étang. Si le milieu dombiste était caractérisé par la présence de marécages, l’installation des hommes l’a profondément transformé à travers la création d’étangs. En ce qui concerne ces établissements humains, trois protagonistes peuvent être mis en lumière dans la formation de ces étangs : les premiers habitants, les ordres religieux et la noblesse lyonnaise. D’abord, il semble que les communautés habitant la Dombes ont initié un empoissonnement des marais pour tirer profit de la présence abondante de l’eau à travers la pêche. Les premières zones de pisciculture correspondent aux zones de dépression géologique, où l’eau provenant des pluies ne peut ni s’infiltrer dans le sol (saturation des argiles) ni se vidanger naturellement (topographie circonscrite). Cet usage des « leschères », sortes d’étangs naturels, pourrait remonter à l’époque gallo-romaine : dans son ouvrage La Dombes, milieu naturel ou milieu en équilibre ?, Charles Avocat évoque un étang situé près du village de Chalamont, dont la toponymie « Male


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Palu » confirmerait cette hypothèse. C’est d’ailleurs à cette époque que sont tracées par les celtes les deux grandes voies de communication traversant le plateau au croisement desquelles est né la cité de Villaris, actuelle Villarsles-Dombes (Martin, 1977). D’autres toponymies évoquent quant à elles une série d’étangs datant des invasions germaniques, lors de la chute de l’Empire romain, telles que vavre, vouvre ou vouvre dont l’origine germanique désigne des terrains marécageux (Avocat, 1975). Néanmoins, à cause d’une hydrologie dépendante des précipitations et excluant tout autre drainage (les rivières par exemple), ces premières formes d’étangs peu élaborées sont instables : les paysans, incapables de soutenir une production régulière et maîtrisable, ont impulsé la création d’un système d’étangs plus complexe pour gérer l’eau de ce milieu : « L’étang de la Dombes résulterait ainsi d’une création continue à partir des données de la nature, sans infrastructure, c’est-à-dire sans creusement, mais à partir de superstructures de surface (digues, chemins), ce qui lui confère son originalité » (Avocat, 1975). Néanmoins, le moment exact de cette transition reste incertain : « il n’est guère possible de préciser à quelle époque s’est effectuée le passage du marais, aménagé pour la pêche, à l’étang, véritable réservoir artificiel construit par l’homme » (Richard Sceau, 1980). Si la formation d’étangs par les hommes remonte à l’ère gallo-romaine, c’est la genèse de l’ensemble d’un système agropiscicole qui marque le XIIIème siècle. En effet, à cette période, les paysans ont commencé à envisager la production agricole en plus de l’élevage de poissons en Dombes : « par volonté ou par hasard, on s’est aperçut que l’on pouvait cultiver avec profit le sol que les eaux stagnantes avaient abandonné après l’avoir enrichi en matières organiques et minérales » (Avocat, 1975). Aussi, parce que cette dualité du système agropis-

« Nos étangs sont des amas d’eau qui tombent du ciel dans les champs, qu’on assemble et qu’on retient par une barrière de terre appelée chaussée. » Philibert Collet, 1698


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cicole est devenue le fondement de l’ensemble du territoire, nous y reviendrons de manière plus précise dans un second temps. Ainsi, parce que la Dombes est apparue comme une terre capable d’accueillir une production, les ordres religieux ont relayé les paysans. L’ensemble des Philibert Collet, 1698 ouvrages concernés rapportent que le plus vieux texte connu faisant référence aux étangs est l’acte de fondation de la Chartreuse de Poleteins concédant un étang aux religieux, vers 1230 (Avocat, 1975). Aussi, aux XIVème et XVème siècles, de nombreux étangs sont créés sous l’impulsion de l’Église : l’historien et archiviste M. C. Guigue recense 94 autorisation de création d’étangs entre 1401 et 1510 (Marie Claude Guigue, 1857). « On allait jusqu’à détourner, jusqu’à supprimer des chemins, même jusqu’à détruire des habitations pour faire place aux terrains inondés » (Gallois, 1892). À cette époque, la consommation de poisson est importante : la semaine chrétienne est marquée de nombreux jours sans viande, dits « maigres ». Par les jeûnes imposés au fidèles et par la colonisation monastique affiliée à Cluny, notamment par les chapitres de Lyon et de Mâcon, l’Église a joué un rôle déterminant dans l’investissement du milieu dombiste par les communautés humaines (Avocat, 1975, Martin, 1977). La Dombes, plutôt qu’être condamnée à l’abandon par les hommes, est ainsi devenue un territoire privilégié pour la pisciculture, et ce notamment sous l’impulsion de Lyon : « à une époque où les couvents sont nombreux et les jours maigres très fréquents, le poisson s’écoule aisément, à des prix élevés, sur la marché lyonnais » (Sceau, 1980).

« Il n’y a aucune sorte de biens et de revenu plus considérable que les étangs et il n’y en a point de plus sûrs. »

C’est ainsi que la noblesse lyonnaise, attirée par une source de revenus certaine, s’est rapidement intéressée à cette terre en investissant dans la création d’étangs : « Les grands propriétaires nobles multiplient donc le nombre de leurs étangs, et cela d’autant plus librement qu’ils ne rencontrent guère de résistance dans une Dombes


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Figure 11 Plan d’assèchement de la Dombes entre 1834 & 1892, Franz Schrader, 1894 « Rien de plus déplorable que l’état de ce malheureux pays. Tout y respire la tristesse et la souffrance. Une atmosphère épaisse chargée de miasmes délétères pèse sur la poitrine. L’œil s’égare dans de vastes solitudes entrecoupées çà et là par de pauvres villages, que relient de mauvais chemins établis sur les chaussées des étangs et perdus sous la boue. Si on pénètre dans ces lieux où se centralise la misère, rien de plus commun que d’y voir, au moment des chaleurs, des hommes dans la force de l’âge, vaincus par la souffrance, étendus au soleil pour y trembler leur fièvre »

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dépeuplée et ruinée par d’incessantes guerres féodales. » (Sceau, 1980) C’est ainsi que se poursuit jusqu’au milieu du XVIIIème siècle le développement d’un système piscicole, dont les résonances territoriales prennent alors de l’importance : « Le poisson élevé en Dombes alimente, non seulement Lyon, Bourg et Villefranche, mais encore Mâcon, Valence et Chambéry. » (Sceau, 1980) Aussi, c’est à la fin du XVIIIème siècle que la formation d’étangs atteint son apogée. Si l’on se réfère à l’ouvrage 1980 écrit par Richard Sceau, la surface occupée par les étangs à cette époque représente 20 000 hectares, soit un cinquième de la surface totale du plateau. Un avenir prospère semble à cette époque se dessiner pour le milieu habité de la Dombes. Pourtant, rien de cela ne suivit : dès lors que les hommes, au fil des siècles, ont favorisé la stagnation de l’eau par la création d’étangs, un paludisme endémique est apparu. Une grande partie des habitants est touchée par les fièvres paludéennes : « La population, déjà fort clairsemée, diminua encore. La moyenne de vie s’abaissa considérablement. » (Gallois, 1892) C’est ainsi que ces terres, jusque là animées par un fort potentiel productif, devinrent abominées.

La Dombes est alors condamnée à la même situation que de nombreux autres milieux humides où se propage la malaria à cette époque : dans ses Contemplations de 1843, Victor Hugo s’exprime ainsi : « Au milieu Marie Claude Guigue, 1857 des marais, le village malsain de Brouage enfermé dans son carré de murailles, avec ses ruines du temps des guerres de religion, ses maisons basses, blanchies comme les sépulcres dont parle la Bible, et ses spectres qui grelottent devant les portes en plein midi. » Ces figures grelottantes rappellent de toute évidence les hommes fiévreux qui, progressivement, quittent les terres qui auront causé leur perte. Interviennent alors les Etats Généraux dans la crise qui sévit en Dombes : à la fin du XVIIIème siècle, ils


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demandent l’assèchement des étangs. L’assemblée législative valide cette requête par un décret le 11 septembre 1792 : lorsqu’un étang est jugé insalubre, les conseils généraux autorisent les conseils municipaux à ordonner le dessèchement des étangs. Mais cette mesure, aussi inévitable qu’elle puisse sembler, se heurte aux intérêts de la région. Le 4 décembre 1793, la Convention ordonne alors le dessèchement immédiat des étangs sous peine de confiscation : cette décision a pour conséquence de vigoureuses protestations de la part des dombistes, et finalement, la loi n’est pas réellement appliquée. Toutefois, avec le temps et l’expérience, les habitants finissent par être convaincus de la nécessité de cette solution : « En 1853, un service spécial de la Dombes fut créé et confié à des ingénieurs des ponts et chaussées, avec mission d’étudier le terrain et de provoquer un plan d’assainissement. » (Gallois, 1892) Ce service élabore ainsi un plan d’assainissement dont les résultats sont conséquents pour le territoire : de nombreux étangs sont asséchés, devenant ainsi des cultures permanentes. Or, parce que la pédologie du milieu présente de très faibles taux de calcaire et un maigre fertilité, l’apport de fumures devient nécessaire. Le plateau ne possédant à cette époque que quatre réelles routes praticables, un réseau routier est conçu par le service pour parvenir à ces fins : « En 1854 on décidé l’exécution d’un réseau de 15 routes agricoles, puis en 1869 de quinze nouvelles routes, formant une longueur totale de près de quatre cent soixante-quatre kilomètres. » (Gallois, 1892) En plus de cette mesure, des primes de dessèchement sont attribuées aux propriétaires, dont les résultats démontrent une grande efficacité. Toutes ces interventions ont un réel impact sur le territoire : près de 10 000 hectares d’étangs sont asséchés - soit presque la moitié -, avec pour conséquence l’amélioration drastique de la qualité de vie dans ce milieu. À titre d’exemples, la durée de vie des dombistes se rallonge de plus de dix ans entre 1826 et 1870, la pro-


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« La nature et les hommes se sont unis en Dombes pour façonner un monde profondément original, où la terre et l’eau sont étroitement associées. »

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portion de fièvres paludéennes - autrefois touchant un habitant sur deux - se fait rare et le taux de mortalité est réduit de moitié (Joannès-Erhard Valentin-Smith, 1860).

C’est ainsi qu’un milieu autrefois inhospitalier et chargé de représentations négatives a su, au cours des Richard Sceau, 1980 siècles, se transformer. Par la valorisation des caractéristiques géomorphologiques du plateau, les habitants de la Dombes ont œuvré collectivement pour modifier leur terre et la rendre habitable. C’est à travers la compréhension de l’hydrographie du milieu que les installations humaines ont été en mesure d’adapter leur environnement à leur développement et, de surcroît, de s’adapter à celui-ci : de cette manière, elles ont vu leur conditions de vie évoluer et s’améliorer drastiquement. Ainsi, la chronologie des évènements évoqués jusqu’ici sont une illustration de la relation qu’entretiennent les communautés humaines avec leur milieu, et tout particulièrement des interrelations qui résident en l’acte d’habiter la terre. « Le territoire n’est pas une chose, mais un ensemble de relations. Il est le produit des hommes, inhérent à l’art de construire leur propre milieu de vie et à s’y établir selon les qualités requises par leur culture. […] Le territoire est le résultat matériel d’un processus de coévolution entre les établissements humains (organisé sur une base culturelle) et le milieu ambiant (organisé sur des bases géologiques et biologiques). » (Magnaghi, 2014) Nous pourrions ainsi nommer « processus de coévolution », en empruntant à Magnaghi ses mots, l’interrelation entre l’homme et le milieu qu’il investit au fil du temps. À travers le processus de coévolution décrit jusqu’ici, l’histoire de l’anthropisation de la Dombes met en valeur de manière extraordinaire le travail conjoint de la terre et de l’eau par les habitants du milieu. Mais, si ces processus transformatifs sont à l’œuvre dans l’investissement d’un milieu par les hommes, c’est précisément parce que les hommes


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ont besoin de ce milieu pour vivre. Aussi, il devient à présent nécessaire d’interroger les piliers fondateurs de l’acte d’habiter la terre, devenant ainsi fondateurs du lieu : cultiver et construire le milieu.


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intermède


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INTERMÈDE « ESQUISSES POÉTIQUES »

Figure 12 Ciel sur la Dombes, David-Eugène Girin, après 1887 Gabriel de Moyria, 1841

« Qu’il est sombre et glacé le climat de la Dombes ! En nuages flottants, sous un ciel qui se plombe, Une opaque vapeur, et la nuit et le jour, Couvre, immense océan, cet humide séjour. Tout languit, tout se meurt, tout est deuil et souffrance, Et de l’astre du jour semble pleurer l’absence. Des eaux, toujours des eaux qui de leur froid limon Répandent dans les airs un fétide poison ! Quelques bouleaux épars, de leur feuillage blême, Ornent seuls ce séjour qu’à frappé l’anathème. Jamais du rossignol, ce doux chantre des bois, L’écho n’a répété l’harmonieuse voix. Mais des oiseaux de l’onde une innombrable armée, Se montre dans les airs en triangles formée, Au signal de son chef s’abat rapidement, De ses noirs bataillons couvre le flot dormant, Et seule vient troubler, avec des cris sauvages, Le silence de mort qui règne sur ces plages. Sans soleil, sans éther, de pâles habitants Le front dans les brouillards et le pied dans l’argile, Fantômes décharnés, errent d’un pas débile, Sur ce sol infécond qui n’a pas de printemps. La nature engourdie a perdu son empire, Ses couleurs, ses parfums, ses attraits ravissants, Et sous le poids des eaux on dirait qu’elle expire. »


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1 | PARTIE 3 CULTIVER LE MILIEU

Figure 13 Fête du poisson enDombes : scène de labour (assec), Pierre-Joseph Sève « On a dit une grande vérité, que l’agriculture est la mère et la nourrice des autres arts : dès que l’agriculture va bien, tous les autres arts fleurissent avec elle ; mais partout où la terre est forcée de demeurer en friche, presque tous les autres arts s’éteignent et sur terre et sur mer. » Xénophon, 362 avant J.-C. « L’étroite adaptation des techniques culturales aux données du milieu dombiste avait frappé de nombreux observateurs et expliquait aussi bien l’absence de marécages, malgré des conditions favorables à leur formation, que la faiblesse de l’érosion en rien comparable à celle que l’on constate sur d’autres plateaux ou plaines dénudés. »

Dans le processus d’anthropisation de la Dombes, nous l’avons vu, la production piscicole par le biais de l’usage des étangs a été fondamentale. En effet, c’est par l’élevage de poissons - dont l’influence commerciale n’a cessé de croître - que ce milieu autrefois détracté a forgé son rayonnement, régional tout autant que national. Pourtant, au-delà de ses conséquences sur le marché extérieur, le développement de la pêche a fondé une toute autre structure : un système agro-piscicole original. À travers ce troisième axe d’analyse, nous tâcherons de mettre en lumière le rôle de l’agro-pisciculture dans la fondation d’un système territorial équilibré, et ce par la compréhension de la forme la plus aboutie de ce système agricole : celle du siècle dernier. L’originalité du système agricole en Dombes réside en la notion de cycle. En effet, ce système se base sur une complexité à la fois temporelle et spatiale : la dualité assec-évolage. Ces termes sont rarement familiers, et peuvent parfois sembler étrangers, lorsque l’on n’est pas enfant de la Dombes. Pour cause, l’assec et l’évolage constituent un système cultural qui n’existe, il semblerait, qu’en Dombes ; du moins sous cette terminologie. Il s’agit d’un mode d’exploitation du sol qui repose sur une pratique alternante de mise en eau et de mise à sec de l’étang. Pendant ce cycle d’exploitation, l’étang est mis en eau pour élever le poisson, c’est l’évolage ; il est ensuite vidangé laissé sans eau et mis en culture, c’est l’assec.

Concentrons-nous d’abord sur la morphologie des étangs. Leurs formes et leurs dimensions sont variées : en 1965, Régine Levrat rapporte que leur superficie moyenne Charles Avocat, 1975 se situe entre 11 et 12 hectares, avec certains étangs ne dépassant pas les 5 ha alors que d’autres frôlent les 180 ha. « On estime actuellement que l’étendue souhaitable pour un étang est de 20 à 30 ha ; les petits s’encombrent très


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partie 3

Figure 14 Thou de l’étang Jayère, Régine Levrat, 1965 Figure 15 Coupe d’une chaussée d’étang, Régine Levrat, 1965

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rapidement, aussi les abandonne-t-on souvent. Les plus grands sont plus difficiles à exploiter et les amendements y sont moins rentables. » (Levrat, 1965) Leur profondeur, quant à elle, est nettement plus homogène. Il est nécessaire de préciser qu’à la différence d’autres étangs, ceux de la Dombes présentent une topographie irrégulière ; c’està-dire que leur fond n’est pas plat, mais forme une pente douce. Ils sont peu profonds : la partie la plus proche de la chaussée et la plus profonde, appelée « tête », couvre en moyenne 1 à 1,50 mètres d’eau. Quant à la « queue », située en périphérie de l’étang et à son extrémité, n’en couvre qu’une dizaine. La majeure partie de l’étang est en général profonde de 60 à 75 cm, ce qui le rend très vulnérable aux variations de température au cours des saisons : si la chaleur des mois chauds est favorable à la croissance des poissons (avec une température d’eau supérieure à 20° pendant six mois), elle peut parfois causer une évaporation trop rapide. À l’inverse, la période hivernale peut être rude pour la biocénose de l’étang, qui par sa faible profondeur est sensible au gel, avec pour conséquence la potentielle asphyxie des organismes vivants. En revanche, la structure de l’étang est généralement toujours la même. Dans son ouvrage « La pisciculture en Dombes » de 1965, Régine Levrat caractérise la chaussée de « pièce maîtresse » : elle correspond à une digue artificielle formée d’argile et située en aval de l’étang. C’est cette partie de l’ouvrage qui empêche l’eau de s’échapper, aussi doit-elle être parfaitement réalisée. Avec le temps, ces digues sont sujettes à l’altération par la faune ou par la flore, comme les racines des arbres ou les rongeurs. Aussi, Levrat précise que lorsqu’un étang n’est pas utilisé pendant longtemps, il est nécessaire de construire une nouvelle digue, gage de la viabilité du système. Si la dimension totale de la chaussée peut varier en fonction de la taille de l’étang, les proportions restent


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Figure 16 Thou d’un étang après avoir été vidé, Régine Levrat, 1965 « De la création des étangs apparaît alors un phénomène pour le moins étrange : une double propriété. » Jean-Claude Martin, 1977

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quant à elles constantes : « La hauteur de la digue doit être telle qu’elle dépasse le niveau maximum de l’étang d’au moins 50 cm ; sa largeur à la base est triple de cette hauteur, la pente du rebord interne est plus faible que celle du rebord externe. » (Levrat, 1965) La digue, une fois construite, est généralement utilisée comme voie de circulation. En 1954, Jean Corbel émet l’hypothèse que la morphologie de cette digue est directement liée à la nécessité de construire des chemins ; il est en tout cas certain que le passage d’un chemin ou d’une route engendre parfois la scission ou la construction d’un étang. Aussi, en circulant sur les routes de la Dombes, on réalise ainsi fréquemment qu’on roule sur une chaussée d’étang. Quant au système de vidange, il est appelé « thou ». Il est principalement composé d’un canal d’évacuation traversant la digue en son point le plus bas ainsi que d’une vanne gérant l’ouverture ou la fermeture de ce canal. Si les premiers thoux étaient autrefois réalisés en bois, ils sont aujourd’hui essentiellement maçonnés. Complété par un réseau d’ouvertures supplémentaires dans la digue appelées « ébies », l’ensemble de la structure permet le bon fonctionnement de la vidange et du remplissage des étangs. D’autres éléments, tels que le « bief », les « raies pallières » ou la « pêcherie », permettent quant à eux d’assurer la pêche et la mise à sec totale de l’étang. Les étangs, considérés individuellement, ne peuvent garantir le bon fonctionnement de la pisciculture en Dombes. Ils forment ainsi un réseau complexe dont chacun constitue un élément clé dans le système cultural. Comme évoqué plus tôt, lorsqu’un étang est mis en assec, c’est-à-dire vidé de ses poissons et de son eau, celle-ci s’écoule souvent dans un autre étang situé en aval du premier. Les poissons, triés lors de la pêche, servent soient à la consommation, soit à l’empoissonnement d’un autre étang. La disposition la plus commune des étangs


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les uns par rapport aux autres est appelée « chapelet » : elle correspond à un système dans lequel la « tête » d’un étang n’est séparé de la « queue » d’un autre que par sa digue ; cette composition accueillant en moyenne cinq à dix étangs se succédant. Plus récemment, des canaux de dérivation ont été créés et raccordés aux étangs afin de les rendre indépendants lorsque cela est nécessaire. L’alimentation en eau des étangs se fonde sur un système de fossés et de rivières qui entourent les étangs en les reliant entre eux. En effet, la Dombes ne recevant de l’eau que par la pluie et le ruissellement, l’eau de vidange des étangs est précieuse pour remplir les étangs en assec : il est nécessaire de la réutiliser lorsque l’étang est vidé. Elle est donc le plus souvent transférée d’un premier étang à un second, situé plus en aval, par le réseau de fossés. En effet, seuls les très grands étangs peuvent être reliés à un cours d’eau. À travers la création d’étangs, les paysans ont aménagé le sol du plateau pour en tirer profit. À l’origine, les terres de la Dombes sont impropres à la culture. Trois conséquences majeures peuvent être mises en lumière dans la transformation de ce milieu pauvre en une terre fertile. D’abord, l’hydromorphie causée par la structure des sols et leur topographie n’est jamais favorable à la pratique agricole. D’une part, elle engendre une forte détérioration des sols en les privant d’aération et de perméabilité, et cause par conséquent l’asphyxie et la pourriture des végétaux. D’autre part, les travaux agricoles sont extrêmement difficiles voire impossibles, entraînant de maigres rendements lorsque ceux-ci existent (Avocat, 1975). Aussi, en concentrant l’eau dans des étangs et en asséchant le reste des terres, les dombistes ont réalisé une première étape bénéfique pour la culture, ainsi que pour le milieu plus largement. Ensuite, l’assèchement des terres a permis l’apparition d’une végétation ligneuse (arbres, arbustes). En effet, les marais accueillent une végétation essentiel-


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lement palustre, telle que les joncs ou les roseaux. Or, ce type de flore ne permet pas une fertilisation suffisante des sols : c’est en concentrant les végétaux aquatiques au niveau des étangs que les hommes ont favorisé l’apparition d’une végétation de type caduque - notamment le chêne et le bouleau - sur les terres émergées, et ainsi la génération d’humus, la couche supérieure, vivante et fertile du sol ; sans quoi, les terres seraient restées asCharles Avocat, 1975 phyxiées : « l’étang qui a concentré dans son fond et sur ses rives la flore aquatique ou subaquatique tandis que les buttes servaient de piège pour les graines des végétaux ligneux transportés par les vents » (Avocat, 1975). Enfin, l’alternance assec-évolage permet la fertilisation du sol par l’étang qui, sans cela, ne serait que peu productif. « La méthode d’exploitation, alternant assec et évolage, permet en effet de remplacer une jachère nue improductive par une jachère d’eau productive. » (Charles Baratier, 1905)

« Rien ne serait plus erroné pourtant que de considérer ce milieu comme naturel ou semi-naturel : les 4/5 de la superficie dombiste sont directement ou indirectement sous l’influence humaine. »

L’alternance assec-évolage, particularité de la Dombes et pratique structurante du milieu, mérite ainsi d’être détaillée. Nous venons de le voir, la terre en Dombes est à l’origine infertile. Au cours du développement des communautés paysannes, il apparaît que les terres argileuses accueillant l’eau des étangs durant plusieurs mois voire plusieurs années sont beaucoup plus riches en minéraux et en matière organique. Ce sol ainsi très fertile est tout à fait apte à accueillir une production agricole, surtout céréalière. C’est de cette manière que s’est mis en place un usage triennal des terres : chaque étang est mis en eau pendant deux années consécutives, puis il est vidangé et mis en culture pendant un an. Dans ce processus, trois étapes peuvent être relevées : l’évolage, la vidange et l’assec. Dans un premier temps, l’étang est en phase d’évolage. La première année concerne la mise en eau et l’empoissonnage : les alevins de différentes espèces et de différents âges sont introduits. Durant l’année qui


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Figure 17 La pêche des étangs en Dombes, Jean-François Dalle-Rive

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suit, les poissons grossissent, la flore se développe et l’ensemble de cette biocénose génère de la matière organique qui imprègne le sol. Dans un second temps, la vidange met un terme à la phase d’évolage. Engagée par l’ouverture du thou, il faut compter en général plus de huit jours pour que l’étang soit complètement vide. La pêche est réalisée lorsque l’étang est pratiquement vide : par l’écoulement de l’eau, l’ensemble du poisson est rassemblé dans la partie située en amont du thou, appelé « pêcherie », et collecté par les pisciculteurs. Triés par espèce et par taille, ils sont divisés équitablement en deux catégories : la consommation et l’empoissonnement. Dans un troisième temps, lorsque l’étang est complètement pêché et vidé de son eau, la phase d’assec débute. Il est d’abord mis à sécher pour que la boue se transforme en terre, puis semé dès le printemps. Une agriculture vivrière est pratiquée en se fondant sur la variété et la complémentarité saisonnière : « champs de blé, d’avoine et de seigle d’un côté, pommes de terre, navets, betteraves et légumes de l’autre » (Avocat, 1975). En somme, cette phase est bénéfique en tout points puisqu’elle permet d’une part la production céréalière et d’autre part le contrôle et la remise en état de la structure de l’étang. La description du cycle d’exploitation des étangs en Dombes révèle une grande complexité. Elle est directement liée à la dualité du cycle : à la fois dans le temps (alternance assec-évolage) et dans l’espace (mise en réseau des étangs). Si ce système, malgré sa complexité, a su perdurer et évoluer pendant des siècles, c’est avant tout grâce à la communauté paysanne. En effet, ce système réside sur le dialogue et la coopération entre les différents acteurs impliqués dans cette culture. Ces acteurs, dont la particularité est d’être autant pisciculteurs qu’agriculteurs, doivent structurer leur temps et leurs terres pour qu’un cycle puisse se mettre en place efficacement et fonction-


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ner. En cela, la structure agricole de la Dombes est tout à fait originale : c’est la notion de propriété qui en est le pilier. Il s’avère qu’en Dombes, la propriété de la terre et celle de l’eau sont deux entités différentes. Ainsi, une seule et même parcelle est possédée par plusieurs propriétaires, dont l’intervention est liée la phase dans laquelle se trouve l’étang : une double propriété basée sur l’alternance assec-évolage. À cela se superpose la variation du statut du propriétaire : en effet, si certains propriétaires sont agriculteurs et pisciculteurs, d’autres confient leurs terres à des salariés pisciculteurs et à des fermiers. Nous relèverons ici les propos de Jean-Claude Martin pour la clarté de son explication : « Il est fréquent que la même superficie de terre appartiennent à un premier propriétaire pendant l’évolage (étang en eau) et à un second, pendant l’assec (étang vidé, cultivé); un tel étang est qualifié d’indivis ou d’asservi. […] Lorsque l’assec et l’évolage appartiennent au même propriétaire, on parle d’étangs francs ou libres. » (Martin, 1977) L’ouvrage Les coutumes de Villars établi en 1524 est aujourd’hui encore une référence pour fixer les rapports entre propriétaires, surtout en cas de litige. Ici comme ailleurs, c’est par le travail de la terre que les communautés humaines commencé à transformer leur territoire. Pourtant, le cas de la Dombes n’est pas ordinaire : si l’acte de cultiver est nécessaire à la survie puis au développement d’un groupe humain, le choix de la terre devrait être conditionné par sa fertilité ; or ce milieu ne l’est pas, et c’est ici toute la particularité de la Dombes. L’observation de la Dombes à l’apogée de son système cultural laisse paraître un milieu extrêmement riche, auquel les hommes auraient su s’adapter et adapter leurs pratiques agricoles. Pourtant, l’étude du système cultural dombiste et sa mise en relation avec l’histoire et les caractéristiques physico-chimiques de ce milieu révèle un tout autre processus. C’est l’homme, par la primauté


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de la production alimentaire, qui a su adapter son milieu à ses besoins par le travail conjoint de l’eau et de la terre. Ce processus de co-évolution entre l‘homme et son environnement - débuté lors de son installation en Dombes et jusqu’ici toujours à l’oeuvre - témoigne de la capacité humaine à transformer un territoire par l’acquisition de savoirs et la mise en place de pratiques, émanant ainsi de la compréhension du milieu. En somme, l’étude des pratiques culturales en Dombes révèle la capacité d’une communauté à composer avec les éléments d’un milieu excluant toute anthropisation, en vue de générer de nouveaux équilibres systémiques. C’est ainsi que l’homme de la Dombes, à partir d’un milieu pauvre et hostile, a su apporter fertilité et hospitalité à son milieu à travers le premier acte de l’anthropisation : cultiver.


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intermède


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INTERMÈDE « LA PÊCHE EN ÉTANG »

« Chaque année, le plus souvent pendant les mois les plus froids, l’étang que l’on souhaite pêcher est vidé. La vidange dure deux à trois semaines selon son importance, après quoi il ne reste plus que le bief, couloir central d’environ 20 mètres de large et 1 mètre de profondeur, aboutissant au thou et à la pêcherie. Tôt le matin, la brume Jean-Claude Martin, 1977 traîne encore sur l’étang vidé, les pêcheurs affrontent déjà le petit air frisquet et humide pour installer leurs filets. Le sol est boueux et les bottes s’enfoncent profondément pour n’en sortir que péniblement à cause de l’effet de succion du sol détrempé. On ne peut s’empêcher de songer à ce que serait un enlisement dans ce magma boueux, surtout après avoir entendu ce que les pêcheurs racontent… Lors d’une pêche, l’un d’eux s’est enfoncé jusqu’aux épaules et, sans le secours de ses camarades munis de cordes, il serait encore sous la vase. Et que dire de ces deux boeufs qui auraient disparu, jadis, devant leur propriétaire sans que ce dernier n’ait eu le temps d’esquisser le moindre mouvement ! Qu’importe ! On y va. L’effort de retirer chaque fois son pied ne sera que plus réchauffant…Par le jeu des filets à mailles plus ou moins grosses, le poisson est trié. Ces filets sont munis de flotteurs à la partie supérieure et de poids en fonte, à la partie inférieure, de manière qu’ils se maintiennent verticaux dans l’eau du fond à la surface. Les pêcheurs, répartis en deux groupes, un de chaque côté du bief, tirent le filet pour ramener les poissons à proximité de la pêcherie. De chaque côté, un homme endosse une responsabilité importante : c’est le «guerre». De son expérience, de son habileté dépend le nombre de coups de filets nécessaires à pêcher l’étang. Son rôle est de maintenir à ras du fond le bas du filet, juste derrière les hommes qui tirent. S’il est mal dirigé, de nombreux poissons trouveront une voie libre entre le bief et le bas du filet. Figure 18 Rabattage du poisson avec les filets, Jean-Claude Martin, 1977


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intermède


la pêche en étang

Figure 19 Ramassage du poisson au moyen de l’arvo, Jean-Claude Martin, 1977

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Après une heure d’efforts communs, le filet sera ramené jusqu’au lieu de pêche. Pour empêcher les poissons de sortir, il sera fixé solidement au moyen de «fourchettes» plantées dans le fond vaseux. Sur la berge, au niveau de la pêcherie, une longue caisse de triage est rapidement montée sur des tréteaux, afin de permettre le tri du poisson : c’est la « gruyère ». Un homme, au moyen d’un filet à grande contenance, appelé «arvo», prend le poisson amassé dans la pêcherie pour le transporter vers la gruyère où il est trié, calibré, réparti par espèces. Au fur et à mesure du tri, les poissons sont déposés dans des filochons contenant 25 à 30 kilos. Ils seront amenés pour la pesée, réalisée sur une balance romaine pendue à un rondin de bois posé sur deux piquets en « Y ». Le peseur annonce à son aide les poids : « tanchons, 28 kilos », « petits blancs, 30 kilos », et les chiffres notés dans son petit carnet forment des colonnes dont les totaux finissent pas faire des quintaux, des tonnes. Cette scène se déroule ainsi, invariablement, depuis des siècles. On est replongé dans le passé… Ici, rien de mécanique, l’homme est irremplaçable, rien ne vaut son expérience. Une fois pesés, les poissons sont déversés dans des camions - citernes où l’eau enrichie en oxygène permettra de les transporter vivants dans des viviers d’où ils seront acheminés, pour les carpes essentiellement vers l’Allemagne, l’Alsace et l’Angleterre, pour les tanches vers l’Italie, pour les brochets vers la région de Lyon, de Nantua ... et les rives du lac de Neuchâtel, en Suisse. La pêche terminée, chaque homme reçoit dans son sac un certain nombre de poissons, en fonction du temps consacré à la pêche. On ne paie pas en argent, mais en nature… »


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1 | PARTIE 4 CONSTRUIRE LE MILIEU

Figure 20 Corn Hill, Edward Hopper, 1930 « Le paysage agraire est un bocage qui associe cultures, prés, haies et bois aux étangs ; l’habitat est disséminé en villages, hameaux et fermes isolées et là marque de l’homme est partout visible. » Charles Avocat, 1975 « La variété des conditions géologiques et climatiques a pour conséquence le développement d’activités agricoles différenciées qui déterminent dans une large mesure l’architecture locale. »

La transformation de la Dombes en un territoire privilégié pour la production agro-piscicole a initié le développement d’une communauté paysanne. Or, celle-ci n’aurait pu s’épanouir sans la formation conjointe de son habitat : c’est par la construction dans son milieu, œuvre parallèle à sa mise en culture, que l’homme est en mesure de vivre et prospérer dans son environnement. Il ne semble pas imprudent, au regard des paysages agricoles et de leur histoire, d’énoncer que l’architecture des territoires ruraux est intimement liée au développement des pratiques culturales. Ainsi, si l’agriculture est à la fois cause et conséquence du milieu, il en va de même pour les formes construites générées par les établissements humains. Dans ce quatrième et dernier axe de ce premier chapitre, nous interrogerons les formes traditionnelles de l’architecture rurale en Dombes et le rapport à ses conditions. Pour ce faire, nous solliciterons avant tout l’ouvrage de 1979 intitulé « Lyonnais », à travers lequel Claude Royer fait état de l’architecture rurale en région lyonnaise et de ses particularités locales, dans la Dombes entre autres.

Nous l’avons vu, un système agricole basé sur la création d’étangs et leur mise en réseau s’est développé en Dombes. L’une des conséquences majeures de ce fonctionClaude Royer, 1979 nement réticulaire se trouve dans la répartition spatiale des terres : les étangs ou groupes d’étangs ponctuent l’ensemble du plateau, celui-ci se trouvant ainsi maillé par un réseau de chemins ou de routes agricoles entourant les étendues cultivées, parfois mis en eau, parfois mis à sec. Si de nombreux hameaux devenant progressivement des villages se sont formés au sein du plateau, nous nous focaliserons ici sur les formes directement liées aux pratiques agricoles : les fermes. Le système d’étangs spécifique à la Dombes est à l’origine d’une répartition isolée et autonomes des formes du bâti rural. En effet, parce que nulle construction ne peut s’étendre par-delà les limites


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imposées par la mise en eau, et parce que l’ensemble agricole est réparti en une multiplicité de propriétés quoique dans leur fonctionnement peu indépendantes, de nombreuses fermes dispersées ponctuent le territoire. Ces fermes, dont la propriété revient le plus souvent à de « Les conditions que riches lyonnais, regroupent ainsi les fonctions induites doivent remplir des par la culture du sol : abriter tout autant les outils, récoltes bâtiments ruraux pour et les bêtes que les exploitants eux-même. Figure 21 Ferme à cour, Étang Grand-Romans, Marlieux

être parfaitement adaptés au service auquel on les destine sont aussi diversifiés que les habitudes, les moeurs, l’état de l’agriculture, la position topographique des pays et la nature des exploitations. » Charles-François Bailly de Merlieux, Jacques Alexandre Bixio, François Malepeyre, cités par Philippe Grandcoing, 2010

Dispersées entre champs et plans d’eau, les corps de ferme voient leur forme comme leur étendue varier inlassablement, et ce parce qu’ils sont possédés par de riches propriétaires autant que par de modestes paysans. Ainsi, il arrive qu’une même ferme abrite plusieurs ménages, ceux-ci mettant alors en commun certaines parties de l’exploitation. Toutefois, malgré les disparités de composition et d’échelle relatives à la richesse des propriétaires, il est possible d’établir une typologie de ferme rurale en Dombes. D’abord, la ferme est constituée de plusieurs bâtiments distincts regroupant d’une part l’habitation et d’autre part les fonctions agricoles : « La maison prend ses aises et, plus encore qu’en Bresse, les bâtiments sont nombreux et il arrive que chaque fonction ait son bâtiment séparé. » (Royer, 1979) De manière récurrente, trois compositions coexistent : la ferme à cour fermée, celle ouverte sur un côté (plan en U) et celle ouverte sur deux (plan en L). Les murs externes de la ferme sont le plus souvent aveugles pour se protéger des vents d’hiver ; par conséquent, l’ensemble tire son éclairage et sa ventilation de petites ouvertures orientées sur la cour. Ensuite, si la morphologie de la ferme est variable, les fonctions accueillies sont quant à elles identiques. En effet, tous les bâtiments d’exploitation regroupent une étable, une écurie, une loge à porcs, un poulailler et une remise. De son côté, le bâtiment d’habitation est plus modeste : au rezde-chaussée, le logement est composé d’une unique pièce


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Figure 22 Ferme traditionnelle en pisé dans la Dombes, Philip Heckhausen, 2017 « Dans l’éventail des facteurs qui contribuent à donner à la maison son aspect particularisé, c’est la destination économique qui semble constituer, avec le plus de pertinence, la base d’une typologie. » Claude Royer, 1979

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de vie servant à la fois de séjour, de cuisine et de chambre. À l’étage, les combles sont utilisées en grenier, desservi par un escalier extérieur. Lorsqu’un corps de ferme abrite plusieurs ménages, certaines parties de l’exploitation sont partagées, telles que le puits ou le four. Ce dernier est d’ailleurs toujours distancé du reste des bâtiments afin de prévenir tout incendie. Enfin, les fermes sont également marquées par les distinctions de richesses entre leurs propriétaires. En effet, il n’est pas rare de croiser de grands portails en bois couronnées de voûtes en plein cintre marquant l’entrée d’une ferme à cour, tout autant que des bâtisses flanquées d’un pigeonnier témoignant ainsi de l’appartenance du domaine à la noblesse ou à la bourgeoisie locale. Au-delà de la morphologie de ses ensembles agricoles, la région de la Dombes tire son unité architecturale du matériau de construction employé ainsi que des savoir-faire qui lui sont associés. Aussi, ces formes vernaculaires rurales s’articulent toutes autour d’un unique mode constructif : le pisé. Si l’emploi de la terre comme matériau de construction est très ancien et fonde les premières formes architecturales du Moyen-Orient, il semble s’être développé en France sous l’influence du Maghreb et de l’Espagne. De fait, à travers son caractère universel, la terre crue présente une multitude de mises en œuvre parmi lesquelles le pisé est un exemple significatif. Cette technique constructive consiste à placer un volume de terre argileuse entre deux banches en bois et à le tasser en couches successives ; c’est d’ailleurs cette dernière action qui motive en 1562 l’emploi du terme « pisé » à Lyon, par le latin pi(s)are, devenant piser et renvoyant à l’action de piler. Placée sur un soubassement minéral et surmonté d’une charpente en bois et en tuiles de terre cuite, la terre crue fonde l’identité architecturale de la Dombes rurale. Si l’usage du pisé se retrouve dans l’ensemble des construc-


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Figure 23 Ferme traditionnelle en pisé dans la Dombes, Philip Heckhausen, 2017

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tions anciennes de la Dombes - les fermes tout autant que les maisons de village - il est nécessaire d’interroger les fondements de cette récurrence.

Dans la région lyonnaise, l’architecture vernaculaire s’articule autour de trois matériaux : la pierre, le bois et la terre. Pourtant, si le pisé nécessite toujours un soubassement minéral pour empêcher l’humidité d’atteindre la terre, nulle forme architecturale en Dombes n’emploie la pierre : ces surélévations sont constituées soit de galets appareillés en « arêtes de poisson » et unis par de la chaux, soit dans de plus rares cas par de grosses briques de terre cuite appelées carrons. C’est ainsi que l’histoire Claude Royer, 1979 de la Dombes et sa formation géologique sont révélées par les formes architecturales : un milieu d’une composition géologique très uniforme et habitée par une population particulièrement modeste. C’est faute de pierre de construction et d’argent pour en importer que les exploitants ont mobilisé la matière issue de leurs propres sols : en utilisant la terre argileuse présente partout sous la terre végétale et en l’associant aux galets anciennement amenés par les torrents, ils ont développé une technique constructive propre à leur milieu. De surcroît, parce que la terre est extraite au plus près du chantier, le trou tapissé d’argiles formé par l’extraction se remplit avec les pluies de la même manière que les étangs : il devient une mare, servant ainsi d’abreuvoir pour les animaux.

« Dans les régions basses, Bresse, Dombes, vallées de la Saône et de la Loire, où se sont accumulés les dépôts argileux et sableux, la pierre fait entièrement défaut et la terre est l’unique matériau disponible. »

La construction des bâtiments en pisé se fait à l’aide de maçons, même si les habitants eux-mêmes peuvent participer aux tâches les plus simples. Avant toute mise en œuvre, la partie la plus importante dans le procédé de construction en pisé est certainement la préparation de la terre. En effet, bien que l’ensemble du plateau de la Dombes présente une composition géologique similaire, les proportions de cette matière sont quant à elles très


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Figure 24 Coupe de terrain à Villarsles-Dombes, Bureau de Recherches Géologiques et Minières, 1974

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variables. Or, c’est en partie la composition granulométrique qui conditionne la qualité d’un mur en pisé. De fait, si un secteur présente une terre parfaitement adaptée à la construction sans transformation, celle d’une autre localité ne peut parfois pas être mise en œuvre en l’état et doit soit être prélevée ailleurs, soit être transformée. De plus, la quantité d’eau présente dans le mélange est extrêmement importante pour les qualités structurelles de l’ouvrage, et ce parce qu’elle détermine la vitesse de séchage du mur : « la terre, ni trop argileuse ni trop sableuse, ne doit pas être trop mouillée, humide seulement » (Royer, 1979). Lorsqu’il présente une trop grande quantité d’eau, le mélange peut être complété de brins de paille en vue d’assécher l’ensemble ; en cela, la présence de champs tout autour du chantier est un atout. Aussi, les savoir-faire développés autour du pisé génèrent la cohésion architecturale des ensembles agricoles de la Dombes : mises en œuvre dans une unité de temps et d’espace restreinte, les compétences des constructeurs se retrouvent d’une ferme à l’autre, et l’évolution des techniques constructives ainsi observable permet aujourd’hui de situer une architecture agricole dans le temps. En somme, c’est un cycle très localisé qui fédère la construction des exploitations agricoles, tant au sujet des bâtiments eux-mêmes que de l’ensemble de la propriété. Si l’ensemble du plateau de la Dombes est maillé de fermes tant similaires par leur typologie que par leur système constructif, c’est une réelle unité architecturale qui s’est formée au cours des siècles grâce au travail des communautés exploitantes. Conséquence directe de l’anthropisation du milieu, les formes vernaculaires de l’architecture rurale forment avec le système agricole une évolution singulière du milieu originel : elle se fonde sur la mobilisation conjointe de l’eau et de la terre par les hommes. En Dombes, l’acte d’investir le milieu par les


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hommes est tout autant sensible par l’étude du système agricole que par les formes construites qui l’accompagne. Les deux actes transformatifs du milieu que sont cultiver et construire révèlent en Dombes leur complémentarité : l’influence mutuelle de l’architecture et de l’agriculture, à travers le travail indissociable de l’eau et de la terre, constituent les fondements des établissements humains et des transformations plurielles qu’ils effectuent et dont ils tirent largement profit.


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Figure 25 Paysage à l’étang, Adolphe Appian, 1868

Charles Avocat, 1975

L’originalité de la Dombes centrale est le poids souvent déterminant de l’action humaine.


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Par la création des étangs, les habitants de la Dombes ont évité l’hydromorphie de leur milieu, c’est-àdire sa saturation en eau. Cette situation hydrologique est générée soit par des facteurs pédologiques (imperméabilité des sols) soit par des facteurs topographiques (mauvais drainage des sols) : la Dombes, avant son anthropisation, réunis ces deux conditions. De fait, il n’est pas infondé de conjecturer la destinée de la Dombes sans l’intervention des hommes : ce milieu aurait été condamné à la saturation en eau, ponctuée de périodes de rudes sécheresses, avec pour conséquence majeure la suppression de toute forme de vie sédentarisée et plus particulièrement pour l’ensemble de la flore et une partie de la faune. Or, à travers l’étude de l’anthropisation de la Dombes réalisée jusqu’ici, c’est vers une situation toute autre qui est révélée : ce milieu investi par les hommes depuis plusieurs siècles ne présente aucun signe d’hydromorphie ni de sécheresse extrême. Au contraire, l’étude de ce territoire présente une multitude de formes de vie humaines tout autant que non humaines. En effet, la transformation conjointe du milieu par les hommes et leur propre adaptation à celui-ci, à travers les actes de cultiver et construire, ont permis à la Dombes et aux dombistes de prospérer. Au-delà de la constitution d’un nouveau milieu, les établissements humains ont été en mesure de transformer une région hostile à toute vie en un territoire frugal pour eux tout autant que pour les autres formes de vie : par cette œuvre de co-évolution progressive, la Dombes n’est plus seulement un milieu évolué, elle est devenue un lieu. En somme, c’est l’implication des hommes dans la compréhension de leur milieu, suivie de la mise en œuvre de leurs savoirs et d’un certain empirisme, qui a favorisé la création d’un lieu. Mais si ce lieu existe, c’est parce


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qu’il peut être identifié comme tel par la communauté humaine : il est la résultante d’un imaginaire collectif fondé sur la cohésion territoriale. Celle-ci se base, du moins en Dombes, sur la cohérence agricole et constructive initiée par le développement de savoir-faire communs à toute la communauté humaine. En conséquence, les hommes eux-mêmes sont en mesure d’identifier ce qui fait de la Dombes un lieu, et de surcroit ce qui n’en fait pas partie. Bien que la limite du milieu soit difficilement définissable, que l’on se base sur des critères hydrologiques, pédologiques, agricoles, architecturaux, ou même encore administratifs, le lieu possède quant à lui la capacité intrinsèque de fédérer la cohésion territoriale, et ce par la Charles Avocat, 1975 mobilisation de l’ensemble de ces critères réunis.

« Contrairement aux apparences, la Dombes n’a plus rien de « naturel » et doit son existence même au travail des générations successives. C’est l’étang, œuvre de l’homme, qui a créé la Dombes que nous connaissons aujourd’hui, bel exemple d’adaptation réussie aux données d’un milieu original et, dans l’ensemble, ingrat. »

Aussi, la Dombes comme lieu est un système complexe qui résulte de la mobilisation de ses caractéristiques en tant que milieu par les hommes. Pourtant, au-delà de son récent caractère d’hospitalité pour les êtres humains, la Dombes est devenue tout autant voire plus hospitalière encore pour le non-humain : elle est aujourd’hui considérée comme un berceau de biodiversité pour toute une biocénose, ce qui n’a pourtant jamais été le dessein de la communauté dombiste au-delà de la production agro-piscicole et, nous le verrons, celle relative à la chasse. Le système initié par les activités humaines a peu à peu vu son échelle d’influence croître, en devenant ainsi fédérateur d’un système beaucoup plus vaste et complexe : un écosystème. De fait, notre analyse initialement centrée sur la transformation d’un milieu en un lieu bascule ici vers une seconde évolution : celle d’un système en un écosystème. Dans ce second chapitre, nous tâcherons ainsi d’étudier la formation de l’écosystème dombiste en le caractérisant à plus large échelle : un écosystème de zone humide.


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Figure 26 Ice Eddies in the Gulf of St. Lawrence, NASA Earth Observatory, 2020


CHAPITRE 2 DU SYSTÈME À L’ÉCOSYSTÈME, CARACTÉRISTIQUES D’UNE ZONE HUMIDE

” Paul Bernard, 1994

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L’aménagement raisonné des zones humides pourrait confirmer la capacité de notre société à atteindre équilibre et harmonie.


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chapitre 2


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2 | PARTIE 1 DÉFINIR UNE ZONE HUMIDE Figure 27 Plan panoramique des principaux lacs et rivières, James Reynolds & John Emslie, 1851 « L’histoire des zones humides se situe au coeur du débat actuel sur la place de l’homme dans son milieu. » Jean-Michel Derex, 2006

La terminologie « zone humide » désigne un milieu au sein duquel l’eau est le principal facteur d’influence sur le biotope et la biocénose associée. Ainsi définies, il existe une infinité de zones humides réparties sur l’ensemble de la surface terrestre et représentées à travers une multitude de typologies. La Terre présente une très grande variété de climats et de contextes géomorphologiques, et ces deux facteurs influencent directement la physiologie des milieux humides. De fait, ils sont dépendants de leur situation géographique et des fluctuations tant saisonnières que journalières qui y sont associées. En revanche, si l’on considère un milieu comme « humide » dès lors que son facteur d’influence principal est l’eau, il est très difficile d’en établir une définition précise. En effet, l’ensemble de la planète est plus ou moins sujet à une variation hygrométrique, cette seule définition ne peut donc suffire à préciser le caractère singulier de ce type de milieu. Les zones humides existent sous des formes et des étendues très différentes, tout comme le sont par exemple les lacs des mangroves. Aussi, parce que ces milieux sont aussi variées que le sont les contextes géographiques du globe, leur classification est un exercice délicat. En effet, avant même l’établissement d’une série de typologies associée aux zones humides, c’est leur reconnaissance en tant qu’entité mésologique qui doit être établie. Le 2 février 1971, un traité international reconnaissant l’existence de ce type de milieu naturel est signé dans la ville de Ramsar, en Iran : entrée en vigueur en 1975, la convention associée est aujourd’hui ratifiée dans près de 170 pays du monde. Dès lors, la Convention de Ramsar est un référentiel déterminant dans la spécification des zones humides et de leurs caractéristiques. L’article premier de cette convention les définit de la sorte : « Étendues de marais, de fagnes, de tourbières ou d’eaux naturelles ou artificielles, perma-


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chapitre 2

nentes ou temporaires, où l’eau est stagnante ou courante, douce, saumâtre ou salée, y compris des étendues d’eau marine dont la profondeur à marée basse n’excède pas six mètres. » Toutefois, si la convention de Ramsar est une référence en ce qui concerne la définition des zones humides, il est important de savoir qu’une multitude d’autres acteurs ont permis l’élaboration de référentiels complémentaires pour définir ces milieux.

« Dans les pays qui ont une culture d’eau, les historiens ont davantage travaillé sur les zones humides. Les Fens britanniques ont fait l’objet de multiples recherches. L’histoire des polders et de la conquête de la mer a été écrite par les hollandais. L’histoire de la Vénétie hydrologique, de la plaine du Pô et de la Lombardie a aussi donné lieu à des publications, de même que les zones marécageuses espagnoles »

Parmi les plus importants, Lewis M. Cowardin établit en 1979 un système de classification pour le Fish and Wildlife Service des États-Unis. Ce système distingue cinq types de zones humides : marines, fluviales, palustres, lacustres et d’estuaires. Ici, les typologies existent essentiellement en fonction des paramètres directement liés à l’eau : salinité, source et étendue. Dans cette classification, Cowardin intègre également une première prise en Jean-Michel Derex, 2006 compte des caractéristiques végétales associées au milieu : les zones palustres, par exemple, sont définies comme comprenant « toutes les zones humides hors marées dominées par des arbres, des arbustes, des émergents persistants, des mousses ou des lichens émergents, et toutes les zones des systèmes de marée ou les salinités dérivées de l’océan sont inférieures à 0,05% ». (Cowardin, 1979). Ainsi, suite à la ratification de la convention par de plus en plus de pays, un engouement international naît autour des zones humides. Toutefois, si ces milieux font l’objet d’un intérêt sans précédent à la fin du XXème siècle, c’est surtout grâce à l’intégration de ces nouvelles connaissances par les institutions nationales. En France, ce n’est qu’en 1986 - soit 15 ans après le premier traité - que la convention est ratifiée : en conséquence, la communauté scientifique met en relation les données établies internationalement à l’échelle du territoire français. En 2000, Philippe Mérot, chercheur


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à l’INRA de Rennes, développe une nouvelle classification mésologique appelée Ty-fon pour « typologies fonctionnelles ». Il distingue trois typologies de zones humides qu’il nomme potentielles, effectives et efficace. Ce système se base avant tout sur les fonctionnalités associées aux milieux humides, tout en intégrant les critères de végétation, de pédologie et d’hydrologie : si les zones « effectives » sont réellement observables sur le terrain, les zones dites « efficaces » participent seulement aux fonctions de stockage et d’épuration des eaux, tandis que les zones « poJean-Michel Derex, 2006 tentielles » seraient quant à elles effectives et efficaces en l’absence de l’activité humaine (drainage, perturbation). C’est ainsi que de nombreux pays s’intéressent à ces milieux, en proposant des analyses basées avant tout sur l’étude de leurs propres zones humides.

« Au-delà de l’engouement superficiel qui se manifeste à l’égard des milieux humides, l’intérêt dont ils font l’objet doit avant tout être mesuré à l’aune des évolutions économiques, esthétiques et environnementales importantes. »

En France, ces études révèlent rapidement l’importance de ces zones : en 1994, le préfet Paul Bernard établit un rapport d’évaluation dans lequel il fait état de leur étendue, celle-ci s’élevant alors à 25 000 km2, soit plus d’un vingtième du territoire métropolitain. De plus, si cette réalité d’étendue est frappante à l’échelle de la France, elle l’est tout autant voir plus à l’échelle du monde : en 2018, Ramsar recense 12,1 millions de km2 de zones humides réparties sur la planète, dont 54% sont inondées en permanence et 46% de façon saisonnière (Ramsar, 2018). Or, au-delà de leur importance purement superficielle, c’est leur reconnaissance en tant qu’écosystèmes qui est primordiale dans la compréhension du rôle des zones humides ; reconnaissance à laquelle l’engouement scientifique international a largement participé. En effet, les zones humides sont des écosystèmes complexes qui assument une très large quantité de fonctions vitales, tant pour l’homme que pour l’ensemble de la biocénose du monde.


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D’abord, les zones humides possèdent une capacité d’approvisionnement extraordinaire : elles fournissent une grande quantité d’eau douce et d’aliments. D’une part, elles constituent un réservoir naturel d’eau incontestable : « directement ou indirectement, elles fournissent presque toute l’eau douce consommée dans le monde » (Ramsar, 2018). Pour cause, elles reçoivent les eaux de ruissellement de l’ensemble du bassin versant auquel elles appartiennent. En assurant l’épuration, la protection et l’amélioration de la qualité des eaux grâce à leurs caractéristiques écologiques particulières, elles transforment les éléments qu’elles reçoivent en matière organique et minérale, oxygènent l’eau, dégradent les substances toxiques ou indésirables et de même, allègent la charge en nitrate de l’eau (Bernard, 1994). D’autre part, en plus du seul volume hydrique en question, elles emmagasinent une grande quantité d’éléments minéraux et organiques. La surabondance de tous ces éléments est alors restituée aux milieux et aux organismes en déficit, qui deviennent ainsi extrêmement fertiles. Ainsi, les zones humides présentent un potentiel considérable en ce qui concerne les ressources alimentaires de la planète, que ce soit pour les hommes ou pour le reste de la biocénose. L’ensemble de la biocénose en tire profit pour s’y développer ; de surcroît, ces zones voient leur potentiel croître davantage pour l’activité humaine. Elles produisent de fait une grande partie de l’alimentation de millions de personnes et d’espèces animales. Les ressources halieutiques, en tant que fondement de l’alimentation d’une part non négligeable de la population mondiale, en sont de même un exemple majeur : elles fournissent chaque année plus de 85 millions de tonnes de protéines essentiellement destinées à l’alimentation humaine (Ministère de l’Écologie, de l’Énergie, du Développement Durable et de la Mer).

« Leurs eaux assurent l’irrigation ; la chasse et la pêche y sont pratiquées depuis des millénaires, les élevages piscicoles ou conchylicoles depuis des siècles » Magali Reghezza-Zitt, 2019


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« Qu’il s’agisse de lacs, de rivières, de marécages, de marais, de tourbières, de mangroves ou de récifs coralliens, les zones humides fournissent les moyens de subsistance essentiels et des services écosystémiques fondamentaux. » Martha Rojas Urrego, 2018 « Véritables “éponges naturelles“, les zones humides reçoivent l’eau en surabondance, la stockent et, si besoin, la restituent aux milieux en cas de manque. Une fonction qui s’avère essentielle lors d’évènements météorologiques exceptionnels. »

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Ensuite, en tant que milieu de vie et de reproduction d’une grande quantité d’espèces animales et végétales, les milieux humides abritent une extraordinaire biodiversité : « 40% des espèces vivent et se reproduisent dans les zones humides » (Ramsar, 2018). Si la plupart des espèces propres à ces milieux y prospèrent perpétuellement, certaines espèces migratrices présentes seulement une partie de l’année en dépendent tout autant. En France, l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques recense notamment 50% d’espèces d’oiseaux dépendant des milieux humides. Forme d’hybridation entre milieu de terre et d’eau, les zones humides sont une frontière entre les écosystèmes terrestres et aquatiques : au-delà de l’accueil des espèces acclimatées à l’un ou l’autre de ces milieux, elles génèrent également des formes de vie uniques adaptées à leurs propres caractéristiques mésologique.

Enfin, au-delà des ressources en eau, en alimentation et en diversité biologique qu’elles constituent, les zones humides jouent un rôle essentiel dans les équilibres climatiques de la planète. Elles permettent notamment France Nature la régulation des phénomènes de sécheresse et d’inonenvironnement, 2020 dation grâce à leur potentiel de conservation hydrique, et elles évitent l’érosion des sols : « elles atténuent les crues, protègent les littoraux et renforcent la résilience des communautés aux catastrophes » (Ramsar, 2018). En effet, en accueillant une végétation herbacée, arbustive ou arborée, celle-ci consolide les sols et protège les terres contre l’action conjointe des eaux et des vents. Plus largement encore, en emmagasinant une grande partie des monoxydes et dioxydes de carbone de l’atmosphère, elles régulent le climat mondial. À ce sujet, les Perspectives mondiales des zones humides établies en 2018 par l’organisation Ramsar rapportent une proportion probante : « Bien que les tourbières n’occupent que 3% de la surface


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Figure 28 Entrée de la baie de Rio Janeiro, Eugenio Rodriguez, 1857

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terrestre, elles stockent deux fois plus de carbone que l’ensemble des forêts de la planète. » (Ramsar, 2018) En conséquence de l’ensemble de ces faveurs, l’activité humaine se concentre le plus souvent autour des zones humides. Comme le rappelle Jean Pelletier dans son ouvrage Sur les relations de la ville et des cours d’eau, l’origine des cités tient le plus souvent à la présence de l’eau (Pelletier, 1990). Côtes, rivières et lacs ont de tout temps accueilli les établissements humains et, en intégrant les potentialités offertes par ces milieux humides, ils développent leur valorisation. Aussi, cet usage des zones humides par les hommes s’établit dans des domaines aussi variés que peuvent l’être les milieux, et cela d’abord à travers une mise en valeur énergétique, agricole, industrielle ou de transport. De plus, dès lors que les zones humides sont associées à un potentiel productif par les communautés humaines, celles-ci sont en mesure d’en créer de nouvelles : ces zones humides, produit du travail humain, sont reconnues par la convention de Ramsar en tant que « zones humides artificielles ». Les rizières en sont un exemple significatif, le riz supportant les besoins alimentaires d’un cinquième de la population mondiale (Food and Agriculture Organization of the United Nations, 2020). Produit de la transformation du milieu par hommes, elles couvrent plus d’un million de km2 de la surface terrestre et leur étendue ne cesse de croître (Ramsar, 2018). Toutefois, au-delà de l’intérêt purement productif qu’ils suscitent, les milieux humides sont tout aussi appréciés pour leur caractère culturel. Les atmosphères et les ambiances singulières associées à ces milieux incitent leur investissement par les communautés humaines, qui tendent à les valoriser à travers des activités pédagogiques, de loisir ou même de contemplation. Ainsi, si les milieux humides sont très longtemps associés à une activité es-


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Figure 29 Saltair Pavilion, Grand Lac Salé, Utah, Detroit Publishing Co., 1901 « On y nage parmi les cygnes et les canards dans une eau pure descendue des glaciers, depuis l’ouverture de la saison au début du mois de mai jusqu’à fin septembre. » Clément Willemin à propos du lac de Zurich, 2019

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sentiellement productive et parfois même source de danger, leur statut évolue. Une illustration probante de cette nouvelle perspective d’usage se trouve en l’évolution des littoraux français : consacrés exclusivement à la pêche durant des siècles, ils n’évoque alors que la peur et le danger. La forme du port, seulement, établit un lien entre l’eau et la terre tandis que le reste des constructions tournent le dos à la mer. Or, dès lors qu’une culture du bain de mer naît au XVIIIème siècle et se développe, l’aménagement des littoraux n’a de cesse jusqu’à l’avènement des grandes stations balnéaires et du tourisme de masse. Initié par des croyances hygiénistes et favorisé par la hausse des niveaux de vie, l’intérêt nouveau porté par les littoraux est à l’image de nombreux milieux humides. Établi en 1893 sur le Grand Lac Salé de l’Utah aux ÉtatsUnis, le Saltair Pavilion évoque de la même manière le caractère de plaisance nouvellement associé aux lacs. En cela, ces milieux font exister chez les hommes un imaginaire qui leur est propre. Poètes, peintre, explorateurs ou scientifiques s’attellent depuis des siècles à leur compréhension ; tentant à travers leurs œuvres de distinguer ce caractère justement si difficilement descriptible. Ainsi, même si leur rôle en tant qu’écosystème n’a pas toujours été reconnu et souvent mésestimé, l’on peut aisément associer l’existence d’activités humaines à la présence des milieux humides. Leur valeur sociale tout autant qu’économique en font un protagoniste particulièrement intéressant dans l’étude de la relation des établissements humains à leur milieu, et nous tâcherons ici de comprendre en quoi. En intégrant une forme d’expression contemplative, la littérature permet - entre autres formes d’art - d’approcher le rapport de l’homme à son environnement. Dans l’intermède, nous rapporterons les mots de Maupassant, pour ce qu’ils incarnent de cette expression.


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intermède


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INTERMÈDE « LE HORLA »

« J’aime l’eau d’une passion désordonnée : la mer, bien que trop grande, trop remuante, impossible à posséder, les rivières si jolies, mais qui passent, qui fuient, qui s’en vont, et les marais surtout où palpite toute l’existence inconnue des bêtes aquatiques. Le marais, c’est un monde Guy de Maupassant, 1886 entier sur la terre, monde différent, qui a sa vie propre, ses habitants sédentaires, et ses voyageurs de passage, ses voix, ses bruits et son mystère surtout. Rien n’est plus troublant, plus inquiétant, plus effrayant, parfois, qu’un marécage. Pourquoi cette peur qui plane sur ces plaines basses couvertes d’eau ? Sont-ce les vagues rumeurs des roseaux, les étranges feux follets, le silence profond qui les enveloppe dans les nuits calmes, ou bien les brumes bizarres, qui traînent sur les joncs comme des robes de mortes, ou bien encore l’imperceptible clapotement, si léger, si doux, et plus terrifiant parfois que le canon des hommes ou que le tonnerre du ciel, qui fait ressembler les marais à des pays de rêve, à des pays redoutables cachant un secret inconnaissable et dangereux. » Figure 30 Peter Jackson « Le Seigneur des anneaux : Les Deux Tours », 2002


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2 | PARTIE 2 LA DOMBES, UNE ZONE HUMIDE Figure 31 Le chêne de l’étang des Serres Hubert Munier, 2006 « Les pratiques d’exploitation mises en oeuvre entraînent un rajeunissement cyclique de l’écosystème, créant en permanence de la biodiversité animale et végétale. »

Dans sa nouvelle de 1886, Maupassant dépeint une région de marais dont la similitude avec la Dombes à cette époque est sans équivoque. Or, bien au-delà de cette seule analogie littéraire, la description des zones humides établie jusqu’ici permet aisément de définir la Dombes comme un milieu humide. Grâce à sa transformation par établissements humains, ce territoire autrefois destiné à l’hydromorphie est devenu une zone humide dont le rayonnement dépasse largement ses frontières géomorphologiques.

Comme évoqué plus tôt, la définition des zones humides se base sur les critères internationaux tout Laurence Bérard, Philippe Marchenay, 2008 autant que sur ceux établis localement. Dans un premier temps, les étangs de la Dombes correspondent à la définition française des zones humides : « Terrains, exploités ou non, habituellement inondés ou gorgés d’eau douce, salée ou saumâtre de façon permanente ou temporaire, ou dont la végétation, quand elle existe, y est dominée par des plantes hygrophiles pendant au moins une partie de l’année. » (Art. L.211-1 du Code de l’environnement) Le système cultural associé aux étangs, effectivement, implique l’exploitation de ces terrains en les inondant de façon temporaire par de l’eau douce, et favorise ainsi l’apparition de la végétation hygrophile évoquée. De plus, cet usage fonctionnel de l’étang lui permet d’être intégré dans la classification de Mérot, en tant que zone humide « effective ». Dans un second temps, la Dombes répond aux critères des classements internationaux. En ce qui concerne la convention de Ramsar d’abord, sa définition, en ayant très largement inspiré celle établie par la France, ne laisse pas place au doute. Ensuite, dans les cinq typologies établies par Cowardin, c’est au type « palustre » que correspondent les étangs de la Dombes. Si la terminologie


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Figure 32 Diagramme pollinique de la tourbe du marais des Echets, Charles Avocat, 1975 « L’abondance et la qualité des végétaux d’un étang dépend de la richesse de son sol et de son eau, elle varie aussi en fonction de la profondeur. » Régine Levrat, 1965

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elle-même évoque ce qui se rapporte aux marais, les précisions apportées dans l’ouvrage le confirment : « On les trouve souvent à l’intérieur ou à proximité des systèmes fluviaux et lacustres, bien qu’ils puissent être isolés dans le paysage comme dans le cas des marais et des étangs de la région des Prairies » (Cowardin, 1979). Ces étangs intègrent plusieurs critères du type « lacustre », néanmoins celui-ci se caractérise par une profondeur supérieure à deux mètres, ce qui n’est pas le cas pour les étangs. En ce qui concerne leur typologie, les étangs dombistes correspondent ainsi aux définitions établies par une multitude de classements, en France autant que dans le reste du monde. De fait, à travers son statut de zone humide, il est nécessaire de développer le rôle de la Dombes en tant qu’écosystème. Au sujet des zones humides, nous évoquions l’importante biodiversité qui y coexiste. Or la Dombes est avant tout reconnue pour cette diversité biologique : la faune et la flore prospèrent, en relation aux cycles culturaux. En ce qui concerne la végétation, elle fait particulièrement état de du processus transformatif du milieu par les hommes. En effet, il ne reste qu’une très faible proportion de la sylve originelle : « la Dombes centrale est pratiquement déboisée, et la corrélation entre la présence d’étangs et l’absence de bois est assez évidente » (Avocat, 1975). Le Marais des Échets est une vaste tourbière de 1000 hectares qui, grâce à sa protection et son classement comme site naturel, témoigne de l’évolution floristique de la Dombes. En 1936, J. Gourc retrace l’évolution de ses essences végétales par l’analyse pollinique de la tourbe du Marais : cette étude atteste de l’apparition d’une végétation nouvelle, directement liée à l’assèchement des marais par les hommes. Le bouleau, par exemple, a rapidement remplacé le chêne qui autrefois prédominait.


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Figure 33 Les oiseaux de la Dombes et leur milieu végétal, Charles Avocat, 1975 « La prolifération d’un des éléments aux dépens des autres détruit cet équilibre que, pendant des siècles, l’homme s’est efforcé de maintenir en focardant les étangs et en éclaircissant les rives. » Charles Avocat, 1975

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Néanmoins, si l’apparition des étangs bouleverse les proportions végétales du milieu non anthropisé, elle génèrent surtout l’apparition d’une vaste diversité floristique. En effet, en passant d’un état de marécage à une alternance entre zones immergées et sèches, la Dombes développe de nouvelles formes de sols. Or, parce que chaque espèce végétale est adaptées à une typologie particulière de sol, ces nouvelles pédologies font apparaître de nouvelles formes de vie végétale. En étudiant un étang et ses alentours, il est possible de distinguer différentes espèces végétales sectorisées : au-delà même des espèces ligneuses qui se développent sur les terres sèches (champs, bois), une grande diversité existe au niveau de l’étang seul. Trois types de végétation s’y développe : les plantes émergées, flottantes et immergées. D’abord, au niveau des parties peu profondes de l’étang, ce sont les plantes émergées qui prolifèrent. La rive, partie située entre la limite potentiellement inondable et la zone inondée, accueille également ce type de végétation dont les carex, les joncs ou les fenouils d’eau en sont de fréquents exemples. Ensuite, les plantes flottantes se concentrent quant à elles dans les parties plus profondes de l’étang. Ce type de végétation est surtout représenté par les nénuphars et la brouille. Enfin, les plantes immergées se développent au niveau le plus central de l’étendue d’eau : « elles sont également très variées mais les algues y sont les plus nombreuses » (Avocat, 1975). Leur importance est d’ailleurs fréquemment soulignée car ce sont elles qui permettent la bonne oxygénation de l’eau. Une classification des étangs peut d’ailleurs être établie en fonction de leur flore : lorsque celle-ci est surabondante, les étangs sont dits « grenouillards » ; très peu profonds, ils sont plutôt considérés comme des marécages. À l’inverse, il arrive que la flore ne se développe pas dans l’étang, il est ainsi appelé « blanc ». Ces deux cas sont rares


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Figure 34 Cyprinus Carpio, Alexander Francis Lydon, 1879

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et présentent souvent un très mauvais rendement : la majeure partie des étangs se situe entre les deux. Enfin, il arrive que la brouille se développe de manière abondante à la surface de l’étang, qui est alors dit « brouilleux ». Ce dernier type d’étang, en plus d’être favorable à l’élevage piscicole, est très apprécié des éleveurs : « Les bovins et surtout les chevaux sont avides de cette plante qu’ils viennent pâturer, parfois même à la nage, lorsque l’étang est en eau. » (Levrat, 1965) Avec l’eau, le complexe formé par ces trois catégories de plantes aquatiques constituent un milieu à part entière : l’étang. Ainsi constitué, il permet d’accueillir plusieurs espèces de poissons destinés à la production piscicole. Parmi ces espèces, la carpe, le brochet, la tanche et les blancs en sont certainement les plus emblématiques. En conséquence, les étangs de la Dombes appartiennent à une catégorie dite « à cyprinidés » (relativement à la proportion majoritaire de carpes et de tanches) ; les espèces étant restées les mêmes depuis la création des étangs jusqu’à nos jours. D’après Régine Levrat, la proportion de ces espèces de poisson produites en fonction de leur tonnage est la suivante en 1965 : 60 à 66% de carpes, 10 à 15% de tanches, 7 à 8% de brochets et 15 à 20% de blancs. C’est notamment grâce à la présence équilibrée des végétaux que les poissons peuvent se développer : en effet, ce sont les différents types de plantes qui constituent leur habitat, produisent leur nourriture et régulent la composition de l’eau. En contrepartie, les déjection des poissons assurent l’alimentation des végétaux ; de fait, l’ensemble du système peut être décrit en tant que symbiose. Toutefois, si la création des étangs est déterminée par la production piscicole seule, c’est une bien plus vaste diversité faunistique qui est accueillie par ce milieu.


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Figure 35 Fleurs des lacs et des lieux humides, John Nugent Fitch, 1919 « À leur tour, des espèces animales, zooplancton, insectes, invertébrés, mammifères et oiseaux investissent les lieux au fil des inondations et des assèchements temporaires. » Laurence Bérard, Philippe Marchenay, 2008

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En effet, bien que les hommes assurent seulement l’empoisonnement de l’étang, c’est tout une faune sauvage qui l’investit progressivement. Aussi, si les plantes et les poissons se développent conjointement, un ensemble d’autres espèces animales tirent profit de leur présence. La brouille, par exemple, attire les insectes et les crustacés : ils s’en nourrissent, et servent à leur tour de nourriture à certains poisson. De même, plantes, poissons et insecte sont la proie des oiseaux : « Ils se nourrissent des végétaux, mollusques, insectes trouvés au bord de l’étang, ou des graines des champs voisins, quelques uns de poissons. » (Levrat, 1965) C’est d’ailleurs cette avifaune qui fonde depuis des décennies la renommée de la Dombes. En effet, bien plus que tout le reste de la faune, les oiseaux d’eau sont présents à travers d’innombrables espèces : grèbe à cou noir, héron cendré, aigrette gazette, faucon crécelle, nette rousse, canard souchet, cigogne blanche, balbuzard pêcheur, guifette moustac ou barge à queue noire ne sont que quelques exemples composant cette gigantesque diversité biologique. Ces populations d’oiseaux peuvent être divisées en deux catégories : celles qui sont constamment présentes en Dombes et les populations migratrices, qui elles ne sont présentes qu’une période de l’année. Une grande partie d’entre elles profite de la Dombes pour établir leur nid : la Dombes, en accueillant la reproduction de milliers d’oiseaux mais également de toute une communauté animale est un vaste berceau de biocénose. En somme, poissons, oiseaux, petits mammifères et amphibiens forment avec l’étang et ses parages un écosystème dont la stabilité est conditionné par la diversité. Fondée sur les qualités d’un milieu offrant habitat, nourriture et territoire de reproduction, la biodiversité incontestée de la Dombes se veut très attractive pour les activités de plaisance. En effet, si la diversité d’oiseaux fait la renommée du territoire en fascinant les ornitholo-


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gues, c’est surtout les chasseurs qu’elle intéresse. Dans de nombreux cas, la chasse est motivée soit par l’équilibre faunistique qu’elle assure, soit par un besoin de revenu alimentaire. En Dombes, ce n’est que peu le cas : le terme « plaisance » est énoncé à juste titre. Parce que ce milieu est fondé avant tout sur la production piscicole et agricole, le revenu cynégétique productif n’est pas nécessaire. De fait, la chasse est essentiellement motivée par les revenus financiers qu’elle rapporte aux propriétaires de terres.

« Tout naturellement, la rotation traditionnelle des cultures avait le mérite d’assurer, au fil des saisons, abris, lieux de reproduction et besoins alimentaires du gibier sans que, pour autant, l’activité agricole soit subordonnée aux exigences de la chasse, mais l’équilibre entre les deux était assez remarquable pour qu’il y ait complémentarité et non contradiction ou antagonisme. »

L’organisation de la chasse est complexe. Nous l’avons vu, une exploitation agro-piscicole est possédée soit par un propriétaire-exploitant, soit par un propriétaire citadin qui confie son exploitation à un agriculteur. Parce que la production piscicole attire nombre d’oiseaux, les propriétaires de tous types voient en la chasse un revenu Charles Avocat, 1975 économique important : en louant l’accès à leurs terres aux chasseurs, ils tirent un profit financier de la diversité faunistique générée par leur activité culturale. De fait, si une part des propriétaires citadins viennent chasser dans leurs propres exploitations, les autres louent ce droit de chasse, le plus souvent à des citadins. À ce sujet, les propos de Richard Sceau sont explicites : « L’économie de la chasse est inséparable du monde urbain qui lui a donné naissance, comme en témoigne l’origine géographique des détenteurs de droits de chasse. » (Sceau, 1980) Il appuie son argument par des chiffres sans équivoque : en 1980, les citadins détiennent 38 280 ha de terres, ce qui équivaut à 77% de la surface couverte par les grandes chasses (dont la surface est supérieure à 100 hectares). Et, de cette étendue, les lyonnais possèdent 24 593 ha, soit près des deux tiers. En conséquence, une chasse autrefois seulement concernée par l’équilibre des populations gibiers s’est rapidement tournée vers une activité de loisir. Grâce aux


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nouvelles mobilités apportées par la démocratisation de la voiture individuelle, l’activité de chasse peut se limiter à une journée voire une demi-journée et, de fait, elle devient accessible à une plus large portion de la société. De plus, cet accroissement des mobilités permet à une population issue d’une aire géographique plus vaste d’accéder à cette activité. De surcroît, l’augmentation du temps destiné aux loisirs permet à un plus grand nombre d’individus de chasser. Aussi, si la chasse est longtemps réservée à une population bourgeoise et localisée, elle attire aujourd’hui des chasseurs venant aussi du Juras, de Savoie, de Genève et du Dauphiné, et dont le statut social n’est plus homogène. À l’image de l’ensemble des zones humides, si la Dombes attire initialement une forte activité productive ici basée sur l’exploitation agricole et piscicole des terres, c’est une activité purement de plaisance qui l’accompagne. Bien que la chasse en soit la principale illustration, un grand nombre d’autres occupations sont vouées aux loisirs. Promenade, cyclisme, culture tout autant que la pêche amatrice animent le quotidien des habitants de la Dombes et, de surcroît, attirent de nombreux touristes. En effet, parce que la Dombes en tant que milieu humide présente une diversité faunistique et floristique extraordinaire, sa renommée dépasse très largement les frontières du plateau morainique. Avec plus de 130 espèces d’oiseaux nicheurs, la Dombes est présentée comme le secteur géographique présentant la plus grande diversité biologique de la région Rhône-Alpes. Aussi, parce qu’elle est une zone extrêmement importante pour la conservation des oiseaux, elle jouit de plusieurs protections nationales et internationales. Parmi elles peuvent être cités le réseau Natura 2000 et le classement ZICO. Ce dernier signifie « Zone importante


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pour la conservation des oiseaux » (IBA pour Important Bird Area en anglais) et renvoie à une série d’inventaires scientifiques établis par l’ONG Birdlife International. C’est dans le cadre de la Directive Oiseaux 79/409/CEE en 1979 que sont désignées les ZICO ; toutefois, elles n’ont aucun statut juridique particulier. De fait, les sites les plus importants pour la conservation des oiseaux menacés sont classés en Zones de Protection Spéciale (ZPS) et/ou en Zones Spéciales de Conservation (ZPC). Ce sont ces deux types de zones qui constituent le réseau des sites Natura 2000. Ce dernier regroupe à les territoires qui présentent une grande biodiversité à l’échelle européenne : « Ces sites sont désignés pour protéger un certain nombre d’habitats et d’espèces représentatifs de la biodiversité européenne. » (Natura 2000). La diversité ornithologique si emblématique de la Dombes ainsi est représentée par une réserve naturelle à Villars-les-Dombes. En 1960, le professeur Leberton et le docteur Vaucher sollicitent le département de l’Ain pour la création d’une zone de protection de l’écosystème dombiste. Trois ans plus tard, le département fait l’acquisition d’un domaine de 223 ha : il observe alors un afflux de visiteurs intéressés par les oiseaux. En conséquence, le Conseil Général décide de créer sur 35 ha du domaine un parc ornithologique à visée pédagogique et scientifique. Le 26 septembre 1970, le Parc des Oiseaux ouvre ses portes au public : il accueille des espèces endémiques de la Dombes, mais également un grand nombre d’espèces exotiques issues de tous les continents du monde. En 1999, le domaine de protection est complété et étendu à 363 ha. Aujourd’hui, le parc accueille 300 espèces ornithologiques différentes représentées par plus de 3000 oiseaux.

« Leur diversité remarquable, est telle qu’une réserve ornithologique de 200 hectares et un parc zoologique aménagé pour les visites sont en cours de réalisation dans la région de Villars. » Régine Levrat, 1965


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L’ensemble des caractéristiques développées jusqu’ici confirment l’existence de la Dombes en tant que zone humide. En effet, ce territoire est constitué de plans d’eau dont l’état varie en fonction des années, et l’ensemble du réseau constitué par ces zones sèches et ces zones humides accueille une très importante diversité biologique, pour la faune comme pour la flore. Toute Philippe Lebreton, 1964 cette biodiversité, supportée par un biotope original, est exploitée par les communautés humaines autant à travers la production culturale que par des activités de plaisance. De fait, ce milieu humide est à l’origine d’un vaste imaginaire : autrefois marqué par la pauvreté et la misère, c’est aujourd’hui l’attrait et la fascination d’une communauté hétéroclite qu’il génère. La Dombes, décrite à travers les caractères propres aux zones humides, présente un certain équilibre entre les éléments qui la composent ; sa biocénose et son biotope. Ainsi, en connaissance précise de ces composantes, l’étude de la Dombes en tant que milieu humide se présente comme un véritable écosystème au sein duquel les relations entre le vivant et le non vivant évoquent une évolution presque symbiotique.

« La véritable protection d’une espèce passe avant tout par la conservation de son milieu vital, bien plus que par la protection immédiate des individus menacés. »


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2 | PARTIE 3 LES ZONES HUMIDES, TÉMOINS DE TRANSFORMATIONS Figure 36 Lac Balkhash, NASA Earth Observatory, 2017

Les zones humides continuent un ensemble de milieux extrêmement variés. Elles présentent des caractères déterminants communs, tels qu’une diversité biologique ou un fort potentiel d’exploitation. Néanmoins deux zones humides peuvent revêtir une physionomie complètement différente : le Delta de Selenga, situé sur le lac Baikal en Sibérie, et la lagune de Tacarigua, s’étendant au nord du Vénézuela, n’ont que très peu de caractéristiques morphologiques similaires. Pourtant, tout deux sont inscrits en tant que zone humide d’importance internationale par Ramsar, respectivement en 1994 et 1996 (Ramsar). En conséquence, la diversité des zones humides annonce d’une part la pluralité des ressources qu’elles offrent, d’autre part la difficulté de connaître précisément chacune d’entre elles et donc de gérer leur exploitation. En France, lorsque le préfet Paul Bernard établit son rapport d’évaluation sur les zones humides en 1994, il ne fait pas seulement état de leur étendue. Au contraire, c’est un constat alarmant qui résume le rapport. L’avant propos de l’ouvrage est sans appel : « Le rapport relève la très forte dégradation des zones humides en France alors même que la multiplication et l’importance des fonctions qu’elles remplissent sont soulignées par des évènements récents. » (Jean-Baptiste Foucauld, 1994). Or, si ce rapport édité il y a aujourd’hui 26 ans suggère l’inquiétude vis-à-vis des zones humides, l’état des lieux actuel n’est en aucun cas rassurant. En 2015, la convention de Ramsar établit un rapport basé sur les travaux de 2014 de Nick C. Davidson, professeur à l’Institute of Land, Water and Society de la Charles Sturt University en Australie. La note d’information annonce : « On estime aujourd’hui qu’au 20e siècle, l’étendue mondiale des zones humides a diminué de l’ordre de 64 à 71% et


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que la perte et la dégradation des zones humides se poursuivent partout dans le monde ». En 2018, Ramsar précise ces estimations : d’après un nouveau rapport, le taux de diminution annuel des zones humides est passé d’une moyenne de 0,68% entre 1970 et 1980 à : « une fourchette comprise entre 0,85 et 1,60% depuis 2000 », soit parfois plus du double. À titre comparatif, le déclin annuel des zones humides est donc au moins trois fois supérieur à celui des forêts naturelles (0,24%) observé entre 1990 et 2015 (FAO, 2016, Ramsar, 2018). Il est important de préciser que l’ensemble de ces études concernent les zones humides actuellement connues : en effet, certains chiffres peuvent rapporter une augmentation de l’étendue des zones humides sur la planète, mais cela est en partie lié au recensement de nouvelles zones naturelles et non à leur formation naturelle. Toutefois, ces données sont à mettre en rapport avec les typologies de zones humides. Plus précisément, il a été dit que Ramsar distingue les zones humides d’origine naturelle de celles créées par les hommes. Or, la situation des zones humides artificielles est très différente des zones naturelles : si, comme énoncé plus tôt, l’étendue des milieux naturels régresse considérablement, celle des milieux d’origine humaine est au contraire en expansion. D’après les recherches récentes de Davidson, Ramsar annonce : « L’étendue des réservoirs a augmenté d’environ 30% et celle des rizières de près de 20% » (Ramsar, 2018). Pour cause, les zones artificielles sont essentiellement destinées à l’exploitation culturale ou énergétique ; de fait, leur nombre augmente relativement à la nécessité de production. Or, la croissance démographique actuelle étant positive (1,109% d’après The World Bank, 2018), la demande en énergie et en nourriture augmente. Ainsi, en fournissant de nombreuses ressources, l’expansion des zones humides se produit soit par la création de nouvelles


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« Les nombreux aménagements effectués sur les bassins versants ont des impacts négatifs majeurs sur les lacs. »

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zones humides, soit par la transformation de zones naturelles existantes.

Plusieurs constats peuvent être émis au regard de ces deux situations. D’abord, toutes typologies confonMagali Reghezza-Zitt, dues, l’étendue des zones humides est globalement en ré2019 gression ; et ce, malgré la création de nouvelles. Ensuite, les milieux dits « artificiels » sont le plus souvent formés au détriment des milieux dits « naturels ». Au regard de la distinction effectuée entre milieux artificiels et naturels, nous préciserons ici qu’il n’est pas question d’un jugement de valeur quant à l’un ou l’autre de ces types, mais bien d’une distinction entre l’origine humaine ou non-humaine des milieux humides. Ainsi, le sujet porte plutôt sur les rapports existant entre zones artificielles et celles dites naturelles : il est nécessaire de comprendre les enjeux relatifs aux milieux humides, et surtout l’impact de l’homme sur ces milieux. Si ces enjeux peuvent être difficile à appréhender, et notamment à cause des nombreuses physiologies que les milieux humides peuvent prendre, nous les illustrerons ici par un exemple. Le 18 août 2017, l’édition française du magazine National Geographic titre son article environnemental : « Disparition de la mer d’Aral : les causes d’un désastre écologique ». Jointe au dossier, la photographie de l’américaine Carolyn Drake présente un désert. Située à cheval sur le Kazakhstan et l’Ouzbékistan, cette « mer » est en fait un lac, alimenté par les fleuves Amou-Daria et Syr-Daria (National Geographic, 2017). Avant 1960, ce bassin d’Asie centrale était le quatrième plus grand lac d’eau salé du monde avec une superficie approchant les 68 000 km2. Exploité par de nombreux pêcheurs, ses revenus piscicoles constituent au XXème siècle presque un cinquième du marché soviétique. Pourtant, en 2015, la superficie de la Mer d’Aral peine à dépasser les 8 000 km2 : le lac s’est


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Figure 37 Mer d’Aral, NASA Earth Observatory, 2000 « La transformation des zones humides a pu être justifiée à une certaine époque notamment par l’amélioration des conditions sanitaires ou l’accroissement des productions agricoles. » Paul Bernard, 1994

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asséché sur presque 60 000 km2. L’origine de cet extraordinaire tarissement est directement liée à l’action humaine : planifié dès 1918, les autorités de l’URSS décident en 1960 de détourner les deux affluents du lac afin d’irriguer les steppes désertiques des deux pays. Cette opération, menée en vue d’implanter des champs de coton et des rizières en amont du lac, le prive alors chaque année de 20 à 60 km3 d’eau. Si des centaines de milliers de tonnes de poissons sont pêchés jusqu’aux années 1950, seulement 4 000 tonnes par an peinent à sortir du lac aujourd’hui. Pour cause, la réduction du volume d’eau associée à l’augmentation du taux de salinité est à l’origine de la mort de la quasi-totalité des poissons. À ce sujet, le magazine rapporte : « Les vingt-huit espèces endémiques de poissons du lac ont disparu, tuées par les quantités colossales de pesticides accumulées au fond du bassin. » (National Geographic, 2017) Ainsi, si le lac compte à l’origine plus de 30 espèces de faune aquatique, il ne reste aujourd’hui qu’une espèce de poisson résistante à l’extrême salinité de l’eau. Au-delà de réduction drastique du volume d’eau et des populations animales, une série de conséquences à plus large échelle sont également causées par cet assèchement. Si l’amplitude thermique dans la région de la mer d’Aral est initialement comprise entre -25 et +25°C, le dessèchement a induit un écart thermique plus important encore avec des hivers descendant à -50°C et des étés à +50°C. Ainsi, la transformation du climat observé dans la région est extrême : originellement continental, ce climat accueille aujourd’hui des évènements météorologiques exceptionnels. Des tempêtes de sable se produisent plus de 90 jours par an à cause des vents qui atteignent désormais les 90 km/h : ces évènements causent d’importants dommages au milieu en question. Par exemple,


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Figure 38 Mer d’Aral, NASA Earth Observatory, 2014

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les terres agricoles, surchargées du sel transporté par les vents, sont devenues impropres à la culture (ENS Paris, 2012).

Des conséquences sont également sensibles sur les populations. Évoquées plus tôt, des substances toxiques sont continuellement produites et déversées en grande quantité dans le lac par les cultures en amont. Or, si les pesticides déciment les espèces de poissons lorsqu’ils se trouvent dans l’eau, ils sont tout aussi néfastes lorsque cette eau s’évapore : déposées sur les fonds asséché du lac, les violentes tempêtes de sables disséminent ces substances à plusieurs kilomètres des rivages. Ce sont ainsi Paul Bernard, 1994 toutes les populations alentours et leurs habitats qui sont impactés par la culture du riz et du coton : « Dans cette région, le taux de mortalité infantile est l’un des plus élevés au monde, les cancers et les cas d’anémies sont en constante augmentation. » (National Geographic, 2017) Or, si ces altérations sont particulièrement marquées sur les environs du lac, elles restent néanmoins sensibles jusqu’en Lituanie ou en Afghanistan.

« Les gains économiques enregistrés par l’agriculture, compensés par les pertes fonctionnelles des zones humides, n’ont pas débouché sur un gain social global. »

En somme, la mer d’Aral telle que nous pouvons l’observer en 2020 rapporte l’histoire d’une communauté humaine qui surexploite la ressource hydrique d’une zone humide naturelle à des fins productivistes. Ces faits témoignent d’une transformation appliquée par l’homme sur son milieu. Or, les conséquences sont tout aussi marquées pour le milieu en question que pour les hommes eux-mêmes : c’est ainsi que peut se traduire le processus de co-évolution entre l’homme et son milieu. Pourtant, si l’on fait état des conséquences sur la biodiversité, les populations, les ressources hydriques et halieutiques, la capacité de régulation du climat, de l’hydrologie ou de la pédologie du milieu, celles-ci sont très négatives. De plus, l’assèchement du lac n’est pas le sujet initial du projet :


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celui-ci, mené dans le but de créer des zones humides artificielles en amont ainsi que d’irriguer les champs de coton, est uniquement motivé par des bénéfices en faveur de l’homme. Aussi, la notion de « co-évolution » citée jusqu’ici pour exprimer les rapports entre l’homme et son « Là où l’homme est milieu peut ici être remplacée par « dégradation ». Figure 39 Régions Baïkal et Transbaïkal, URSS, 1967

présent, les lacs et les services écosystémiques qu’ils fournissent sont bouleversés. »

Par cette situation, nous appréhendons les conséquences de la formation de zones artificielles sur les zones naturelles. Plus largement encore, le cas de la mer Magali Reghezza-Zitt, « d’Aral illustre efficacement la manière dont les hommes, 2019 à travers la transformation de leur milieu, sont en mesure de lui causer de profonds dommages et de nuire à leur propre qualité de vie. Ces notions de « dégradation » ou de « dommages » peuvent être définies comme la perturbation de l’équilibre d’un milieu avec pour conséquence principale la diminution de ses capacités écosystémiques. Ici résident les enjeux liés l’extrême altération d’un écosystème : à travers l’absence d’activité écosystémique, la disparition des charges assumées par la zone humide dégrade le milieu. Or, parce que les hommes font incontestablement partie de ce milieu, il en sont de fait impactés également. S’il est dramatique, le cas de la mer d’Aral n’est pourtant pas isolé. Évoqué précédemment au sujet du Saltair Pavilion, le lac salé de l’Utah a perdu plus de la moitié de son volume en 160 ans. De même en Sibérie, ce sont de nombreuses espèces endémiques du lac Baïkal qui sont menacées par l’activité humaine. Or, les situations énoncés jusqu’ici ne sont pas restreintes aux cas des lacs : ce sont toutes les zones humides de la planète, pourtant essentielles à la vie sur Terre, qui sont sujettes aux dérèglements liés à l’activité humaine. Aussi, c’est justement parce que les zones humides sont des écosystèmes très complexes que leur bouleversement est lourd de consé-


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quences. En analysant la situation de la mer d’Aral, trois hypothèses peuvent être émises au sujet de l’ensemble des zones humides : les fonctions qu’elles assurent témoignent de leur stabilité ; leur stabilité est potentiellement sujette à une altération ; les activités humaines peuvent être à l’origine de leur altération.

« Le simple fait de reconnaître des valeurs aux zones humides et de constater une diminution de leur nombre ou de leur quantité ne suffirait cependant pas à prouver que de nouvelles pertes de zones humides seraient insupportables. »

D’abord, l’exemple de la mer d’Aral montre de manière évidente une situation de dégradation écosystémique. Or, pour arriver à cette conclusion, ce sont Paul Bernard, 1994 les rôles communs associés aux zones humides qui ont été inspectés. Nous avons déjà développé ces rôles : approvisionnement (hydrique, alimentaire, énergétique, génétique), régulation (climatique, hydrologique, pédologique), culture (ludique, éducative, pédagogique, contemplative) et d’appui (biodiversité, formation des sols, cycle des nutriments). C’est donc l’étude de ces éléments indicatifs, tels que la biodiversité, l’eau ou le climat associés au milieu en question, qui révèlent cette dégradation. De fait, les fonctions communes remplies par les zones humides stables peuvent être mobilisées en tant qu’indicateurs pour juger l’équilibre d’un écosystème. Ensuite, l’exemple de la mer d’Aral associé aux études menées par Ramsar sur les zones humides laisse peu de place au doute : les zones humides peuvent être sujettes à une altération. Au-delà de cette affirmation, c’est même effectivement le cas pour la plupart des zones humides de la planète, et plus encore pour les zones naturelles. Toutefois, précisons ce que l’on entend par altération : ici, une zone humide est considérée comme dégradée lorsqu’elle n’est plus capable d’assumer les fonctions pour lesquelles elle a été reconnue en tant qu’écosystème par le passé. Et, dès lors qu’une zone humide est sujette à l’altération, les conséquences se produisent à plusieurs échelles. En effet, si le microclimat généré par une zone


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« Les bénéficiaires directs et indirects de ces fonctions, situés parfois à de grandes distances des sites concernés, les méconnaissent et ne sont donc pas disposés spontanément à s’y intéresser, encore moins à les rémunérer. »

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humide est directement impacté par les dérégulations, elles peuvent être ressenties à une échelle beaucoup plus large.

Enfin, si les changements opérés sur un milieu humide sont parfois indépendants de l’activité humaine, ce n’est que rarement le cas. Nous considérons que des facteurs d’influence naturels tels que le rayonnement solaire, les variations météorologiques, les inondations, Paul Bernard, 1994 les séismes ou encore les éruptions volcaniques peuvent être l’origine des dégradations. Néanmoins, les hommes occupent une place souvent centrale dans ces processus transformatifs, et principalement lorsque la dégradation et l’activité humaine sont mises en relation au regard de la rapidité des changements. Dans son article pour National Geographic, Marie Dias-Alves écrit : « Pour la première fois depuis 600 ans, toute une partie du bassin est à sec. » (National Geographic, 2017) L’homme est en mesure de transformer son milieu à une allure inédite : nous n’avançons pas qu’une transformation de la sorte ne puisse arriver sans l’action de l’homme, mais plutôt que les communautés humaines présentent une capacité transformative extrêmement supérieure à la faculté intrinsèque des milieux non anthropisés. Dans son ouvrage « Perspectives mondiales des zones humides » publié en 2018, Ramsar s’exprime quant aux facteurs d’influence dans la perturbation des zones humides : « ceux-ci impliquent fréquemment un déclin de la diversité biologique, de la qualité des habitats, des services écosystémiques ou des valeurs culturelles (la « dégradation »), ou des changements des types d’habitats et des régimes physico-chimiques (la « perte ») ». Ils distinguent ces facteurs d’influence en deux catégories : les « moteurs naturels » et les « moteurs induits par l’homme ». D’après leur rapport, ces deux types de causes peuvent


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composer trois principaux moteurs de changement : les moteurs directs, les moteurs indirects et les grandes tendances mondiales. Cette distinction établie par Ramsar est particulièrement pertinente dans le cadre de notre étude. En effet, elle permet d’appréhender les différentes échelles liées à la transformation des milieux humides. D’abord, les moteurs dits « directs » renvoient aux causes naturelles ou anthropiques qui impliquent des changements biophysiques à une échelle locale ou régionale. Parmi ces moteurs, voici ceux que l’on peut compter et leurs exemples associés : le changement de régime physique (volume, température, salinité de l’eau) ; l’extraction et le prélèvement des ressources (eau, faune, flore) ; l’introduction de substances et d’espèces (polluants, nutriments, faune exotique) ; les changements structurels de l’habitat (conversion agricole, drainage, canalisation). Ensuite, les moteurs « indirects » sont les processus présents dans la société qui influent sur les moteurs directs. D’une manière globalisée, les moteurs indirects sont liées à l’ensemble des politiques menées par nos sociétés. De ces moteurs indirects, il est possible de citer : le tourisme et les loisirs (pollution lumineuse, artificialisation, infrastructures) ; le changement climatique (volume, débit et température de l’eau, espèces envahissantes) ; la gouvernance (intérêts, décisions, relations). Enfin, les « grandes tendances mondiales » regroupent l’ensemble des moteurs indirects que l’on peut qualifier de globalisés, c’est à dire dont l’influence sur les domaines d’activité et les secteurs politiques se fait à une échelle mondiale. Voici celles que l’on peut noter : la démographie et la croissance de la population ; la mondialisation ; les modes de consommation. Ce sont les grandes tendances mondiales qui influent le plus sur le développement des infrastructures, la production agricole, l’extraction de matières premières ou l’urbanisation.


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Ces trois facteurs d’influence constituent les causes de transformation des zones humides, et plus largement encore, d’une grande partie de la planète. De fait, les transformations appliquées aux zones humides autant qu’à l’ensemble des milieux qui constituent la planète ne peuvent être envisagées sans une prise en compte des échelles auxquelles elles influent. De la même manière que la dégradation des zones humides peut se ressentir à quelques mètres autant qu’à des dizaine de milliers de kilomètres, l’implication des hommes dans ce processus transformatif est aussi global qu’il est local. L’intérêt porté jusqu’ici au sujet des zones humides est guidé par une conviction : celle que ces milieux, parce qu’ils sont extrêmement sensibles aux perturbations, sont d’excellents indicateurs en ce qui concerne les transformations territoriales. Considérées comme des milieux naturellement en équilibre, les zones humides sont en mesure de révéler la valeur de dégradation des transformations qu’elles subissent. Aussi, parce que ces milieux sont présents partout sur la planète, il est de fait pertinent de les employer en tant qu’indicateurs : d’une part, elles témoignent du rapport qu’entretiennent les hommes avec elles ; d’autre part, elles illustrent plus largement encore l’ensemble des rapports entretenus entre établissements humains et leurs milieux. Or, si jusqu’ici c’est une valeur majoritairement de dégradation qui peut être attribuée à ces relations, la co-évolution peut largement être envisagée de manière bénéfique. En effet, si l’homme altère de nombreuses zones humides, ce n’est pas le but recherché par ses actions qui sont surtout menées en faveur d’une production (alimentaire, énergétique, etc.). Ainsi, la relation qu’une communauté humaine entretient avec son milieu est évolutive : le 7 mai 2018, le National Geographic titre un nouvel article


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: « La mer d’Aral que l’on croyait morte est revenue à la vie ». Lorsqu’une partie des communautés expose les altérations causées par l’activité humaine, il est possible d’envisager une évolution des modes transformatifs en vue de protéger, restaurer et régénérer les milieux. Dans ce cas précis, ces actions humaines aboutissent à un espoir de régénération du lac : « Grâce aux importants efforts de restauration de l’écosystème, les poissons sont de retour dans la partie nord de la mer d’Aral. Un soulagement pour les populations qui en dépendent. » (Dene-Hern Chen, 2018) En somme, les zones humides sont des milieux trop peu considérés au regard de leur capacité à conditionner la vie sur Terre. Elles forment des milieux extrêmement complexe, en assumant à la fois des fonctions hydrologiques, biologiques, biogéochimiques et physiques. De fait, elles sont des écosystèmes extrêmement complexes et tout aussi vulnérables aux perturbations internes comme externes. Or, parce que ces milieux rendent de nombreux services aux communautés humaines, celles-ci ont tendance à les exploiter. En cela réside un caractère négatif : lorsque les transformations sont d’origine anthropiques, elles sont extrêmement néfastes au regard de leur rapidité et de leur ampleur. En conséquence, les zones humides sont des témoins d’une valeur transformative anthropique. Leur étude permet ainsi de caractériser les rapports entre les établissements humains et leur milieu : valeur méliorative ou dégradative. Finalement, elles sont en mesure de fédérer une réaction de la part des communautés anthropiques au regard de ces indicateurs : restauration, conservation, protection comme ignorance.


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intermède


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INTERMÈDE « L’HYPOTHÈSE GAÏA »

Figure 40 Cérémonie aymara en hommage à la Pachamama, Terre-Mère Chili, 2016 « Car les métaphores sont plus que jamais nécessaires pour faire comprendre au plus grand nombre la véritable nature de la Terre et les périls mortels qui se profilent à l’horizon » James Lovelock, 2008

En 1970, tandis que le satellite d’observation Uhuru se retrouve propulsé en orbite autour de la Terre, un climatologue anglais en collaboration avec une microbiologiste américaine bouleversent les convictions de la communauté scientifique. Répondant respectivement aux noms de James Lovelock et Lynn Margulis, ils avancent avec conviction une série de théories toutes formulées en vue d’une démonstration : l’Hypothèse Gaïa. Cette hypothèse entend éclairer les communautés humaines à propos de la condition terrestre. En effet, elle suggère que l’ensemble des êtres vivants sur la planète forment un organisme global qui conditionne la viabilité de la Terre elle-même. Cette sorte de « super-système vivant » ainsi nommé Gaïa réinterprète avec un argumentaire scientifique le mythe la déesse grecque du même nom, personnification la Terre par ses habitants. À l’aide une petite équipe de chercheurs sur l’atmosphère terrestre, Lovelock construit un modèle scientifique qui prouve que les différents systèmes planétaires tels que l’atmosphère, la lithosphère ou l’hydrosphère fonctionnent de manière interconnectée ; à la manière d’un organisme vivant. Ce modèle systémique global, appelé Earth system science, se base sur un argument majeur : l’autorégulation de la température, de l’atmosphère et de l’hydrosphère. En d’autres termes, cette hypothèse biogéochimique propose la compréhension de la Terre comme un être vivant lui-même régulé par ses composantes biotiques, dont l’absence de comportement régulateur conduirait de toute évidence à la mort du système global. Avec cette métaphore, Lovelock illustre le rôle des êtres humains - en tant que composants biotiques du système Gaïa - dans le maintient de leurs propres conditions de vie sur Terre, et ce au même titre que tous les autres systèmes vivants.


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2 | PARTIE 4 LE TÉMOIGNAGE DE LA DOMBES Figure 41 Le Bassin aux nymphéas, reflets de nuages, Claude Monet, 1914–1926 « Si l’homme est bien le principal responsable des dégradations multiples dont l’écosystème dombiste est victime depuis quelques décennies, il a pourtant été l’instigateur, puis le gestionnaire, de cette richesse faunistique et floristique en associant l’élevage et les productions agricoles et piscicoles. » Samuel Lavieille, 2015 « L’action de l’Homme sur son environnement, quelle qu’en soit la mesure, l’échelle, se traduit par de nouveaux équilibres, ou déséquilibres selon les points de vue. Elle est de fait, rarement totalement étrangère à la soudaine expansion ou au contraire à la régression d’une espèce. »

Les trois dernières sections de ce chapitre attestent que les zones humides sont très réactives à l’activité des établissements humains : si l’on applique cette hypothèse à la Dombes, elle n’en est qu’un exemple supplémentaire. Toutefois, la Dombes présente également une singularité quant à la plupart des zones humides du monde. Initialement, ce milieu de marécages présente certaines caractéristiques évidentes propres aux zones humides, telles que la présence d’eau et d’une végétation hygrophile. Néanmoins, c’est sa transformation par les communautés paysannes qui est à l’origine de la véritable richesse écosystémique de ce milieu. En effet, les fonctions associées à la Dombes en tant que zone humide sont nées du travail des hommes : sans les pratiques culturales développées au cours des processus d’anthropisation, la Dombes ne connaîtrait certainement pas la diversité biologique qui fait sa renommée. Ainsi, la particularité de ce milieu vient de son statut artificiel : sa formation résulte de l’amélioration d’une zone humide naturelle, non de sa dégradation. Les dombistes, à l’inverse de nombreuses communautés humaines, ont su enrichir leur milieu plutôt que le dégrader.

Toutefois, si la Dombes en tant qu’écosystème riche et stable est le produit des hommes, elle n’échappe aujourd’hui plus à cette dégradation commune à l’ensemble des zones humides. Nous l’avons tout juste établi, les fonctionnalités assumées par ce type de milieu peuvent être sollicitées comme indicateurs pour juger de l’état d’un écosystème de type humide. Au sujet de sa mésologie, la Dombes correspond à une typologie précise : c’est une Maurice Benmergui, 2010 zone humide intérieure de type artificielle, palustre et effective. Lorsque nous nous sommes plus tôt appliqués à la description de ses caractéristiques, il est apparu de manière évidente une prépondérance de la diversité biologique qu’elle fédère autant qu’elle accueille. Or, parce


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que l’exemple de la Mer d’Aral rappelle que la biocénose est l’un des premiers témoins de la dégradation écosystémique, c’est ce critère que nous solliciterons particulièrement ici. En effet, en tant qu’organismes vivants, la biodiversité est un indicateur aussi précieux qu’il est sensible aux transformations, que celles-ci soient hydrologiques, physiques, biogéochimiques ou biologiques.

« La disparition d’un maillon essentiel de la chaîne alimentaire, comme par exemple d’un prédateur spécialisé, peut donner le départ d’une nouvelle dynamique démographique d’une population proie. A contrario, l’insertion d’un nouvel élément joue le même rôle. »

Plus tôt, nous avons fait état de l’extraordinaire diversité biologique générée essentiellement par les pratiques culturales dombistes. Or, si le XXème siècle représente l’apogée de cette biodiversité impulsée par celle Maurice Benmergui, 2010 du système agro-piscicole, il atteste également de son important affaiblissement. Dans son article de 2015 pour la revue « Quel avenir pour la Dombes ? », Samuel Lavieille énonce une importante régression de cette biodiversité dès la seconde moitié du XXème siècle. Bien qu’elle touche l’ensemble de la biocénose, elle concerne principalement l’avifaune, et surtout les oiseaux d’eau qui sont également les plus représentés : « En moyenne, la Dombes a connu une réduction des populations de canards nicheurs de 85% entre les années 1960 et 2000. » (Lavieille, 2015) La population nicheuse de colverts, quant à elle, s’est vue divisée par dix en quarante ans. De même, d’autres espèces qui représentaient une importante part de l’avifaune dans les années 70 sont aujourd’hui extrêmement rares : « Les sarcelles d’été et d’hiver, le Canard souchet, autrefois très présents ne réussissent plus que très accessoirement à sauver quelques nichées » (Maurice Benmergui, 2010, a). Si une grande partie de la population aviaire disparaît de la Dombes, d’autres espèces ont en revanche vu leur proportion croître très fortement. À ce sujet, l’expansion continentale du Grand cormoran en Dombes est autant significative qu’elle est commune à d’autres territoires de l’Europe. En bénéficiant de ressources céréalières


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abondantes et en n’étant menacé par aucun prédateur, la croissance de cette espèce est très importante : « De moins de 15 000 en 1983, l’effectif hivernal national est passé à 80 000 individus à la fin des années 1990 » (Benmergui, 2010, b). C’est aussi le cas du cygne tuberculé qui se nourrit de poissons, proliférant ainsi en Dombes grâce aux étangs qui produisent son alimentation. L’expansion de ces populations aviaires sont alors néfastes pour les productions agricoles autant que piscicoles, et leur expansion conduit dans le même temps à la réduction démographique Charles Avocat, 1975 d’autres espèces dépendant du même habitat.

« Une pression de chasse inconsidéré, des pratiques culturales nouvelles, des routes plus nombreuses et surtout plus fréquentées, une amorce d’urbanisation anarchique et voilà tout l’équilibre de la Dombes menacé à plus ou moins long terme. »

Le constat de ces dérégulations de biodiversité, dont l’avifaune témoigne largement, incitent à questionner leurs causes. En effet, la reconnaissance partagée de la Dombes comme bassin de diversité biologique interdit la négation d’une telle dégradation. Aussi, parce que ce milieu est avant tout le produit des établissements humains, il semble pertinent d’interroger les récentes transformations appliquées par les dombistes sur leur milieu. Afin de comprendre les raisons de cette instabilité, les piliers fondateurs de l’anthropisation développés précédemment, à savoir cultiver et habiter, constituent une clé intéressante quant à cette conjecture. Aussi, c’est surtout l’évolution les méthodes agricoles et des modes d’habiter qui sera inspectée ; à présent caractérisés comme moteurs de changement « directs » et « anthropiques » par les Perspectives mondiales des zones humides (Ramsar, 2018). À l’origine de sa richesse écosystémique, les pratiques culturales dombistes sont tout aussi responsables de sa profonde altération. Suffisamment décrit, c’est le cycle assec-évolage permettant la pisciculture et la culture céréalière qui génère la biodiversité de la Dombes. De plus, l’usage des terres en assec par les élevages bovins induisent de nombreuses prairies qui complètent la


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Figure 42 Monoculture en Dombes, Maurice Benmergui « La mécanisation des différentes opérations agricoles a libéré le paysan de l’aliénation des travaux harassants mais a largement participé à la rupture de l’équilibre ancien. » Charles Avocat, 1975

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diversité des habitats et de fait, celle des formes de vie de ce milieu. Or, après la seconde guerre mondiale, les milieux ruraux font l’objet d’une révolution agricole qui transforme profondément les pratiques agro-piscicoles. Celle-ci se traduit avant tout par de grands changements concernant les semences et les méthodes employées par les agriculteurs. Si jusqu’ici la Dombes cultive le blé, l’avoine ou le seigle, c’est le maïs qui les remplace rapidement : « À partir de la fin des années 1990, le maïs prend de plus en plus de place dans la culture de l’assec. » (Benmergui, 2010, a). De même, les champs de colza succèdent aux variétés originales de ces terres, et l’incidence première de cette uniformisation des semences se trouve dans la dégradation de la diversité mésologique. En effet, en supprimant l’habitat d’un grand nombre d’espèces, de nombreuses formes de vie ont été impactées en conséquence : « Certaines espèces, comme la perdrix, herbivore et insectivore, n’ont pas la possibilité de s’adapter à la simplification du milieu et ont, de ce fait, pratiquement disparu. » (Avocat, 1975) Conjointement, ce territoire rural subit une évolution de ses méthodes culturales à travers la mécanisation et l’emploi d’intrants chimiques. En effet, les paysans dombistes bénéficient des progrès mécaniques et chimiques issus des guerres mondiales à travers la démocratisation du tracteur, de la faucheuse ou de la moissonneuse batteuse autant que celle des pesticides. Si leur productivité croît de manière considérable, ils sont néanmoins tenus de produire en plus grande quantité pour compenser les dépenses liées à cette révolution mécanique : « ils sont tenus, pour l’amortir, de conserver de grandes emblavures alors que la culture du maïs leur procurait maintenant des revenus supérieurs » (Jean-Paul Fléchet, 1967). Une importante part des étangs sont alors conservés en assec pour une durée bien plus longue de d’ordinaire, ce qui induit de


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Figure 43 Traitement d’une parcelle de colza dans les années 1990, Maurice Benmergui « C’est ainsi que l’apparition du colza a sonné le glas de l’agriculture dombiste par l’intermédiaire d’un traitement printanier sur la fleur qui suffit à anéantir toutes les ruches de la région. » Charles Avocat, 1975

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série d’autres pratiques. D’abord, le cycle d’évolage à l’origine de la fertilité des sols n’est plus que rarement mis en œuvre : « Devenu très exigeant avec la terre qu’il ne laisse plus reposer, le paysan doit sans cesse renouveler et augmenter sa fertilité » (Fléchet, 1967). Par conséquent, les fertilisants naturels ne sont pas suffisamment efficaces, ce sont donc de très grandes quantités d’engrais chimiques qui sont employées comme substituts de la jachère piscicole. Le plus souvent, ce sont des résidus de l’industrie sidérurgique tels que les scories de Lorraine qui sont employés pour compenser l’acidité et la carence en calcaire du sol. Ensuite, la culture du maïs s’accompagne de l’arrivé d’une faune spécialisée : la pyrale, papillon dont les feuilles de maïs assurent la reproduction, ravage les récoltes. Or, parce que les semences employées et donc les habitats générés sont très peu variés, il n’existe plus de prédateurs pour cette faune. Les agriculteurs mettent à nouveau l’industrie chimique à contribution pour l’éradication de ces « ravageurs ». Comme ce problème touche l’ensemble des cultures, différents propriétaires se groupent généralement pour faire appel à une entreprise spécialisée, déployant alors un petit avion pour répandre de l’insecticide sur les parcelles désignées. Enfin, la combinaison de la motorisation et de la monoculture pousse à l’élargissement des parcelles cultivées. Traditionnellement, les parcelles sont séparées par une haie bocagère ou par un fossé d’écoulement aménagé pour les étangs. Mais ces petites superficies ne favorisent pas la rentabilité des machines dédiées à des échelles de culture bien plus importantes : aussi, les haies sont abattues et les fossés sont comblés. Les paysans assurent ainsi une productivité encore plus importante qui se traduit par un agrandissement des exploitations agricoles et, de fait, une réduction de la population paysanne.


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L’uniformisation des cultures et la mécanisation, à travers la permanence de l’assec et l’élargissement des exploitations, sont à l’origine d’une libération du travail rural : les agriculteurs sont plus productifs et surtout, ils sont libérés d’un travail manuel tant fastidieux qu’épuisant. Néanmoins, si cette amélioration des conditions de travail est notable, elle s’accompagne d’une très grande détérioration du milieu dombiste. C’est toute la biocénose et le biotope qui sont impactés, et les causes de cette affaiblissement écosystémique apparaissent désormais de manière limpide. « Alors que le faucheur ou même la barre de coupe attelée au cheval laissait à l’animal le temps de s’enfuir, la motorisation et la mécanisation totales sont d’autant plus impitoyables qu’elles sont aveugles » (Avocat, 1975) : d’abord, de nombreuses espèces faunistiques et floristique sont directement exterminées par ces nouvelles méthodes. Désherbants, insecticides autant que faucheuses et autres engins motorisés, les populations d’animaux sont décimées par ces pratiques culturales contemporaines. Les animaux comme les végétaux sont broyés par les machines, empoisonnés par les intrants chimiques, les œufs sont écrasés : dès lors qu’ils ne sont pas le produit d’une production désirée par les agriculteurs, ils ne sont simplement pas considérés. Conséquemment, c’est une destruction des habitats qui suit ces nouvelles pratiques. La dégradation de la diversité biologique est corrélée à celle de la diversité mésologique : en cela, les conséquences sont exponentielles pour la Dombes. Lorsque la biocénose n’est pas directement tuée ou blessée, c’est l’altération de son habitat, de sa ressource alimentaire et de son lieu de reproduction qui cause sa perte. Rappelons que la Dombes compte un très grand nombre d’oiseaux migrateurs : l’uniformisation du milieu dombiste mène fatalement à la disparition d’une grande partie d’entre eux. Par exemple, même

« Le faucardage abusif du fond des étangs et de leurs rives, sous prétexte de la place perdue pour la culture ou le poisson, aboutit finalement à réduire l’espace vital dont disposent les espèces aquatiques et à appauvrir le milieu à la fois riche et si varié de l’étang dombiste ». Charles Avocat, 1975


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si la culture du colza ne réduit pas directement l’étendue du couvert végétal, c’est la pratique d’une fauche trop précoce associée aux intrants chimiques déversés sur les terres qui en font un milieu stérile pour la vie animale. De plus, ces produits sont à l’origine d’une pollution du biotope qui se traduit inévitablement par la dégradation de la biocénose. Par exemple, les pesticides organophosphorés - le DDT est l’un des plus connus - induisent autant la stérilité congénitale de certains oiseaux que la fragilisation des coquilles d’œufs qui de fait, ne parviennent plus à l’éclosion. Quant à la disparition de la plupart des fossés et des haies bocagères associée à l’entretient mécanique de ceux restant, elle a entraîné celle de la biocénose qu’elle abritait : « refuge du gibier lors des tornades hivernales, lieu de nidification au printemps, de fraîcheur pendant la canicule estivale, la haie en automne s’avère un havre de salut efficace pour tous les petits animaux, oiseaux ou mammifères » (Maire, 1967). En même temps que les pratiques agricoles se transforment, ce sont les habitudes de consommation qui évoluent. La carpe est dépréciée au profit d’espèces de poisson nouvellement introduites sur le marché européen tandis que des épidémies comme l’encéphalopathie spongiforme bovine, plus connue sous le nom de « maladie de la vache folle », font chuter la consommation des produits issus de l’élevage bovin. En conséquence, les milieux associés à la production piscicole et bovine sont délaissés : les prairies qui abritent la nidification de nombreux oiseaux en plus d’une faune et d’une flore très variée, sont rapidement remplacées par des cultures. Les canards sont alors privés de leurs milieux de reproduction par la réduction de prairies et de fait, leur population décroit de manière drastique. Quant aux étangs, ils deviennent moins nombreux et leur entretient est souvent secondaire. Or, leurs eaux et leurs sols sont aussi sujets à


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Figure 44 Faisanderie pour l’élevage de gibier en AuvergneRhône-Alpes, Faisanderie Veyret, 2015

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la dégradation par les intrants chimiques et la disparition de certaines espèces. En conséquence, c’est l’ensemble du milieu aquatique qui se détériore. En somme, la modification du milieu à travers celle de la faune, la flore, l’eau et les sols sont extrêmement liées aux changements des pratiques culturales observées en Dombes. Ces changements aboutissent à une simplification extrême des composantes du milieu dombiste, et parce que celles-ci sont étroitement liées et souvent interdépendantes, ils engendrent un appauvrissement spectaculaire de l’ensemble de l’écosystème. Parallèlement à ces transformations culturales, d’autres activités humaines sont en lien avec les dégradations du milieu dombiste. La chasse en est un protagoniste : Richard Sceau fixe le début de la transformation de cette activité à une vingtaine d’années avant son ouvrage, soit une fois de plus aux années 1960. À cette période, les pratiques culturales font disparaître une grande partie du gibier tandis que le nombre de chasseurs ne cesse de croître : « La chasse n’est plus réservée aux seuls grands propriétaires et à leurs invités, elle est devenue une activité envahissante. Ainsi, le jour de l’ouverture, ce sont 9000 à 10 000 chasseurs qui déferlent sur la Dombes. » (Sceau, 1960) Aussi, en même temps que la révolution agricole fait chuter drastiquement les populations faunistiques, les structures cynégétiques déciment les individus survivant. Cette raréfaction du gibier engendre la généralisation des élevages commerciaux : de nouvelles espèces sont introduites. Or, les introductions de nouvelles espèces « sont considérées par les biologistes comme la première source d’appauvrissement de la biodiversité dans le monde, loin devant les impacts du réchauffement global » (Benmergui, 2010). En effet, l’introduction volontaire comme involontaire est généralement succédée par la prolifération de l’espèce, le plus souvent au détriment des espèces endé-


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miques. Dès lors, la destruction du milieu dombiste au « La présence de profit de la production agricole et des loisirs paraît inévi- l’agglomération lyonnaise dont les ramifications table.

s’étirent le long des côtières et montent même à l’assaut du plateau, exerce une pression foncière avérée, tout en représentant un marché potentiel et une ouverture vers les grandes axes de communication nord-sud. »

En plus de ces profondes transformation, c’est toute une série d’autres implications liées aux modes de vie humains qui réduisent encore la complexité du milieu dombiste. La révolution agricole d’après-guerre est à l’origine d’un important exode rural, en Dombes comme dans la majeure partie des territoires ruraux. Aussi, l’explosion démographique à l’oeuvre dans la ville de Lyon crée fatalement une carence en foncier urbain, dont le Samuel Lavieille, 2015 mitage territorial atteint rapidement le plateau dombiste. Les conséquences sont multiples : le sud-est du plateau, initialement voué à l’agriculture, est rapidement englobé par l’agglomération lyonnaise. De même, les fréquentations routières augmentent en même temps que les habitants dombistes passent d’un statut d’agriculteur à un emploi en ville, à Lyon comme dans les régions de Bourgen-Bresse, Mâcon ou Genève. Très brièvement explicitée, cette influence urbaine a de nombreuses conséquences sur l’écosystème dombiste. D’une part, il est directement amputé de nombreuses terres agricoles et ainsi de toutes les fonctionnalités qu’il y assume. D’autre part, l’amplification du trafic routier et des infrastructures qui en découlent sont tout aussi néfastes pour la biocénose et son biotope : elles représentent un nouveau milieu dont les caractéristiques sont très différente de celle de la Dombes originale. Au-delà de son atmosphère chargée d’oxydes de carbone et de son sol minéral imperméable, il devient un obstacle difficilement franchissable pour de nombreuses espèces animales : « En témoignent les nombreux cadavres d’animaux sauvages ou domestiques qui jalonnent les routes nationales et départementales. » (Avocat, 1975) De fait, les échanges se raréfient entre les éléments de l’écosystème dombiste qui s’en trouve appauvri davantage.


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Lorsque l’on s’intéresse à l’évolution contemporaine de la Dombes, les fonctions que ce milieu assume en tant que zone humide sont manifestes. La biodiversité, sollicitée dans ce cas précis comme un indicateur en ce qu’elle caractérise spécifiquement la Dombes, laisse apparaître franchement la dégradation de cet écosystème. Pour causes, la révolution des pratiques culturales représentée par la mécanisation et l’emploi d’intrants chimiques ainsi que l’évolution des modes de vie des communautés humaines peuvent être citées. Les preuves de cette altération sont nombreuses ; la réduction drastique des populations animales comme végétales ainsi que la simplification du milieu et des micro-milieux le composant en attestent. Nous pouvons ainsi confirmer à travers l’étude de la Dombes que les moteurs directs liés à l’anthropisation sont en mesure d’affecter durablement un milieu, et que les fonctions qu’il assume initialement sont de réels indicateurs quant à sa valeur écosystémique.


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Figure 45 Punta Banda, Baja California, NASA Earth Observatory, 2019

Charles Avocat, 1975

L’impact de l’homme sur le milieu dans lequel il vit et travaille apparaît rarement à brève échéance ; il s’agit plutôt d’une série de transformations partielles dont aucune, prise isolément, n’a valeur de dégradation. C’est, à partir d’un certain seuil qu’il faut s’efforcer de définir chaque fois, l’ensemble qui est significatif et peu, à terme, entrainer une rupture d’équilibre et de péjoration.


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Les zones humides sont des milieux extrêmement précieux au regard de leurs rôles écosystémiques. À travers à leurs différentes fonctions de régulation et de production, elles conditionnent la vie sur Terre. Bassins de biodiversité, de ressources alimentaires ou hydriques, ces environnements sont directement ou indirectement en lien avec l’ensemble des milieux constitutifs de la planète. En effet, l’influence des zones humides est tout aussi considérable à l’échelle restreinte de leur étendue qu’à celle de l’ensemble de la planète. Cette capacité vient de leur complexité écosystémique : les diversités associées de leurs biotopes et des biocénoses fédèrent un dynamisme collectif qui est à l’origine d’une grande stabilité. Toutefois, cette stabilité peut être enrayée par la perturbation d’un ou de plusieurs éléments constitutifs du milieu. Or, lorsqu’une déstabilisation de la sorte se produit, les conséquences peuvent être dramatiques pour toutes les aires d’influence de cet écosystème. Pour cause, chaque élément singulier participe à cette dynamique globale : une seule dérégulation peut entraîner la chute de tout le système. Les établissements humains se trouvent souvent à proximité des zones humides. De manière évidente, ces milieux leurs apportent les denrées nécessaires à leur développement. Or, les différents développements anthropiques dont nos sociétés sont l’aboutissement attestent du constat suivant : la co-évolution supposée entre l’homme et son milieu aboutit le plus souvent à une dégradation de l’écosystème. Or, même si ce n’est pas le cas pour l’ensemble des zones humides, la dérégulation d’une part d’entre elles entraîne le plus souvent celle des autres. Néanmoins, deux remarques doivent être ajoutées à ce constat. D’une part, les activités humaines ne sont pas les seules responsables de l’évolution du milieu, d’autres moteurs non-anthropiques peuvent en être l’origine.


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D’autre part, la dégradation n’est pas la destinée de toute opération transformative : la Dombes jusqu’au XXème siècle en est une très bonne illustration. Dans le cas de ce territoire, les causes de cette transformation sont majoritairement attribuables à l’homme : de manière extrêmement bénéfique puis sous une forme de dégradation, les établissements humains en Dombes ont profondément marqué leur milieu. Cette étude de cas menée sur le milieu dombiste nous apprend beaucoup au sujet des rapports entretenus par les communautés humaines avec le milieu dans lequel elles évoluent. En étudiant cette zone humide, nous avons d’abord souligné la capacité transformative de l’homme à travers ses activités, ainsi que la manière dont il est lui-même transformé par ce milieu. Ensuite, la notion de valeur a été introduite quant au processus de co-évolution : il peut être mélioratif comme dégradatif. À ce sujet, une valeur neutre reste plus difficilement envisageable dans le sens où elle est soulignerait plutôt une absence de relation. Enfin, les fondements de l’anthropisation établis dans le premier chapitre, à savoir les actes conjoints de cultiver et construire, ont été sollicités. Ils nous ont permis de comprendre les causes de la transition de cette valeur transformative en Dombes, du statut d’amélioration à celui de dégradation écosystémique. À présent, nous tâcherons de comprendre en quoi la transformation du milieu implique une transformation territoriale, et ainsi les outils mobilisés par les communautés humaines dans ce sens. Deux notions fondamentales seront employées à ces fins : la ressource et le paysage. Toutes deux définies, elles peuvent nous permettre d’analyser les enjeux du processus transformatif de la Dombes en tant que territoire habité.


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chapitre 3

Figure 46 Oil Fields 27, Bakersfield, California, USA, Edward Burtynsky, 2004


CHAPITRE 3 DE L’ÉPAISSEUR À L’ÉROSION, LE RÔLE DE LA RESSOURCE DANS LA FABRICATION DU PAYSAGE

” Sébastien Marot, 2020

Le siècle n’est plus à l’extension des villes mais à l’approfondissement des territoires.

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3 | PARTIE 1 UNE DÉFINITION DE LA RESSOURCE Figure 47 Carrière à Lacostei, Michel Moskovtchenko, 1985

La « ressource » peut être abordée comme un concept formé à la fois par et pour les communautés humaines. Cette terminologie fait débat et ce pour plusieurs raisons. D’une part, parce que la définition apportée par nos sociétés contemporaines est extrêmement imprécise. En français, celle établie par le dictionnaire Larousse illustre bien cet état d’incertitude : « Ce qui tire d’embarras, améliore une situation difficile » (Larousse en ligne, 2020). Étymologiquement issue du latin resurgere, la ressource exprime directement l’idée de se relever, voire celle de reprendre vie. D’autre part, parce que son emploi par la communauté scientifique autant que par l’ensemble des membres d’une communauté humaine participe à sa vulgarisation. Employée finalement comme un outil de description voire de définition pour d’autres concepts, la notion de ressource tend à perdre sa valeur implicite. Or, si cette définition contemporaine est si imprécise, c’est surtout parce que le concept de ressource est largement dépendant du champ d’étude dans lequel il est employé. En effet, il est mobilisé dans des domaines d’étude aussi différents que le sont la biologie de l’informatique ou l’aéronautique des sciences de l’information. En ce sens, la notion de ressource invoque une multitude de concepts dépendants du contexte scientifique dans lequel elle est mobilisée. Enfin, cette signification est plus encore dépendante de la situation spatiale autant que temporelle au sein de laquelle elle est employée. Dès lors, le sens associé à la ressource est aussi évolutif qu’il est conditionné. Dans le cadre de notre étude, nous nous intéresserons à la ressource en tant que facteur d’influence dans le processus de co-transformation impliquant l’homme et son milieu. Parmi les domaines d’études sollicités, celui de la géographie est prééminent : elle nous permet ici d’approcher les conditions de la ressource, à travers des focalisations physiques autant que géopolitiques


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ainsi que par la multiscalarité qu’elle suppose. En tant que science portée sur l’étude de la Terre et de ses phénomènes physiques, biologiques ou humains, la géographie favorise une approche transdisciplinaire. Or, c’est justement ce mode opératoire qui est sollicité par notre étude. À ce sujet, nous nous appuierons sur le développement du géographe Claude Raffestin dans son ouvrage « Pour une géographie du pouvoir » publié 1980 et réédité en 2019. Pour introduire son propos quant à la définition de la ressource, voici ce qu’il en dit : « Une ressource est le produit d’une relation. Dès lors, il n’y a pas de ressources naturelles, il n’y a que des matières naturelles » (Claude Raffestin, 2019).

« Car l’homme ne s’intéresse pas à la matière en tant que masse inerte indifférenciée mais en tant qu’elle possède des propriétés correspondant à des utilités. » Claude Raffestin, 1980 « Sans intervention extérieure une matière demeure ce qu’elle est. Une ressource, en revanche, en tant que ‘’produit’’ peut évoluer constamment puisque le nombre des propriétés corrélé à des classes d’utilités peut croître. »

D’abord, une distinction est nécessaire pour approcher le concept de ressource : celle de la matière. La fusion en un seul et même concept des notions « ressource » et « matière » est fréquemment réalisée lorsque l’on s’intéresse à un domaine d’étude qui les implique toutes deux. Or, elles sont deux notions bien différentes. Les caractères Claude Raffestin, 1980 qui fondent la matière sont son étendue et sa masse : c’est leur association qui mène à la réalité tangible permettant ainsi de la définir. Pour évoquer la matière, Raffestin emploie le terme de « donné » : il renvoie ici à ce qui existe indépendamment de toute activité humaine. En ce sens, elle est la résultante des seuls processus formatifs s’étant déroulé sur la Terre et elle rejette de fait toute implication anthropique dans sa constitution primaire. Néanmoins, l’absence d’intervention de la part de l’homme dans la formation de la matière n’implique aucunement l’absence d’interaction qu’il peut avoir avec elle, nos sociétés en sont témoins. Aussi, si l’être humain interagit avec la matière, c’est à travers la mise en valeur d’une ou de plusieurs de ses propriétés.


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Les propriétés de la matière sont mises en valeur par les hommes à travers un travail. Par l’expérimentation, l’être humain est en mesure de révéler certaines propriétés de la matière qui à leur tour peuvent être mobilisées à des fins utilitaires. À ce sujet, Raffestin met en place une fonction qui résume précisément cette relation : « Il faut un acteur (A), une pratique ou si l’on préfère une technique médiatisée par le travail (r) et une matière (M). La matière ne devient ressource qu’à l’issue d’un processus de production complexe que l’on peut formuler d’une manière rudimentaire : A r M → P (ensemble de propriétés ou ressource). » (Raffestin, 2019) En ce sens, la matière ne peut de toute évidence pas être confondue avec le concept de ressource. La matière n’est qu’un facteur qui, une fois combiné avec le travail humain, devient une ressource par produit. Par conséquent, cela implique que toute matière n’est considérée comme une ressource que lorsqu’au moins une de ses propriétés intrinsèques sont à la fois connues et mises en valeur par les hommes. De fait, le concept vulgarisé de « ressource naturelle » devient insoutenable. En effet, si l’on considère comme naturel tout phénomène qui se produit en dehors de l’intervention humaine, alors cet énoncé relève de l’oxymore. En cela, il est intéressant de soulever que la ressource et son concept constituent un produit exclusivement anthropique. En conséquence, les communautés humaines entretiennent une relation avec la matière à partir du moment où celles-ci en produisent une ressource. Le géographe invoque ici la notion de « technicité » : elle correspond à l’ensemble des rapports que l’homme entretient avec la matière, dès lors que celle-ci est rendue accessible. De la même manière que nous l’avons fait pour les rapports établis entre l’homme et son milieu, il est envisageable de caractériser ces rapport en ce qui concerne la ressource. Au regard de la technicité, Raffestin mobilise


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Figure 48 Oil Fields 2, Belridge, California, USA, Edward Burtynsky, 2003 « Toute ressource consommée aujourd’hui est perdue pour toujours. » Claude Raffestin, 1980

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la notion de symétrie à ces fins : si une technicité symétrique implique « des rapports non destructeurs de l’environnement matériel », toute destruction est de fait portée par la notion de dissymétrie. Cela rappelle notre propre analyse des relations homme - milieu établie plus tôt avec les notions d’amélioration et de dégradation. Toutefois, si celles-ci impliquent un jugement de valeur, ce n’est pas le cas de la symétrie. En vue de juger du type de rapport entretenu avec la matière, c’est la notion d’exploitation qu’il faut maintenant intégrer. En effet, ce sont les modes d’exploitation développés par les communautés humaines pour parvenir à l’utilisation de la matière qui établissent cette symétrie ou dissymétrie. Les enjeux de nos sociétés contemporaines quant à l’exploitation des ressources matérielles illustre bien cette dualité : la technicité que nous mettons en œuvre est de toute évidence dissymétrique, et la réduction drastique des quantités de matière disponibles sur la planète - dont nous connaissons certaines propriétés - en est la preuve. Cela renvoie ainsi à une nouvelle distinction au sujet de la ressource matérielle, à savoir le renouvelable du non renouvelable. Elle peut paraître évidente, toutefois il est intéressant de la rappeler : si le renouvelable dépend essentiellement des mécanismes de la photosynthèse pour sa régénération - et ce de manière directe ou indirecte - cette régénération naturelle n’est pas, du moins à l’échelle de la vie humaine, envisageable pour ce qui est caractérisé comme non renouvelable. Aussi, notre rapport à la ressource matérielle en ce qu’elle revêt ou non un caractère renouvelable implique sa potentielle disparition. Celle-ci, réalisée par la consommation totale de la matière, est la destinée de l’ensemble des ressources dites non renouvelables : c’est seulement lorsque les propriétés d’une matière sont niées que celle-ci ne fait plus ressource. Aussi, toute ressource est vouée à la consommation, et


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seul le paramètre de temps conditionne ce processus de consommation. Si l’on se remémore les propos d’Antoine-Laurent de Lavoisier « car rien ne se crée, ni dans les opérations de l’art, ni dans celles de la nature, et l’on peut poser en principe que, dans toute opération, il y a une égale quantité de matière avant et après l’opération ; que la qualité et la quantité des principes est la même, et qu’il n’y a que des changements, des modifications » ayant donné naissance à la citation apocryphe « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme », il est alors possible de considérer que la consommation d’une ressource non renouvelable est directement liée non pas à la vitesse de son extraction mais à celle de sa transformation (Lavoisier, 1789). Dans son ouvrage, Claude Raffestin établit trois types de relations dont nous pouvons nous inspirer au sujet de la mobilisation de la ressource matérielle. D’abord, un comportement qu’il dit « exploitationniste » revient mobiliser le degré maximal de technicité pour produire la plus grande quantité de ressources. Ce mode opératoire implique une information purement fonctionnelle quant à l’intention d’exploitation, et il résulte en un gain immédiat maximal au regard d’une perte sur le long terme. À l’inverse, avec comportement « préservationniste », les communautés humaines se positionnent dans une perspective de stagnation plutôt que de progrès. À la place d’une information fonctionnelle, c’est la régulation qui est mobilisée. Aussi, la résultante est inverse de la première, c’est-à-dire une absence de gain immédiat mais un gain futur potentiellement maximal. Relativement à ce mode opératoire, Raffestin rapporte : « Ce serait une erreur de penser que cette stratégie est écologique ». En effet, le moteur du préservationnisme est la conscience du temps, et donc de la potentialité d’un futur. En cela, il n’est pas absurde de remplacer l’idée de l’absence de consomma-


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tion par celle du report de consommation, qui implique de fait la même consommation mais retardée dans le temps. Par exemple, si la Norvège applique une politique que l’on peut juger de préservationniste vis-à-vis de ses ressources pétrolières, il est impossible de certifier qu’elle ne les exploitera pas dans un futur plus ou moins proche. Dans ce cas, il est même imaginable que l’exploitation débute lorsque toutes les autres ressources de la planète seront épuisées, et qu’en résulte ainsi un bénéfice économique accru par le facteur temps. « Le pouvoir originel de l’homme se révèle à travers l’émergence des propriétés de la matière. » Enfin, le troisième comportement développé par Raffestin est appelé « conservationniste ». À l’inverse des deux autres, c’est une mesure basée sur l’optimisation qui est employée. Il ne s’agit là ni de tout exploiter ni de ne rien exploiter, mais plutôt d’adopter une posture à la fois de régulation et de fonctionnalité vis-à-vis de cette exploitation. Si l’exploitationnisme se focalise sur le présent tandis que le préservationnisme s’intéresse au futur, ce mode tente d’adopter une posture d’équilibre entre les différentes temporalités. Au-delà de l’introduction à la ressource, ce développement nous permet de fixer la différence qui existe entre les notions de ressource et de matière, tout en aboutissant à la formation de la terminologie « ressource matérielle ». Or, celle-ci existe parce que les êtres humains ont la particularité de se doter d’instruments exosomatiques, c’est-à-dire à l’extérieur de leur corps. En effet, si la vie de l’ensemble de la biocénose est caractérisée sur l’endosomatisme, celle des hommes est particularisée par leur tendance à s’entourer d’objets dont l’existence même résulte de leur fabrication par l’homme. Par conséquent, l’évolution de nos sociétés vers un l’accroissement de cet exosomatisme illustré par la plus que courante expression « société de consommation » implique l’augmentation de


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notre rapidité transformative de la matière. De surcroît, la matière est en mesure d’impliquer plusieurs formes de ressource en fonction de l’usage fait par les communautés humaines : le charbon en est un exemple éloquent. Dès lors que les hommes ont révélé certaines propriétés de cette matière autrefois jugée comme sans intérêt car sans propriétés apparentes, ils l’ont combiné à leurs savoirs pour en produire une ressource. Si le charbon est au Moyen-Âge employé comme combustible en vue de produire de l’énergie, la mise en valeur de nouvelles propriétés a par exemple permis à nos sociétés contemporaines de l’employer dans l’industrie chimique. En cela, il est impossible d’affirmer que l’ensemble des propriétés de cette matière sont connues, elle pourrait donc faire l’objet de nouvelles pratiques dans le futur. Toutefois, si la matière produit la plus évidente des ressources, il serait imprudent de considérer qu’elle est la seule. En effet, la description des processus liés à la ressource établie jusqu’ici permet une bien plus large application de son concept : en développant ses connaissances en même temps que ses compétences, l’homme est en mesure de produire une ressource à partir d’une infinité de systèmes autres que la seule matière. En cela, nous introduisons ici une nouvelle distinction, celle du matériel de l’immatériel. Nous nous sommes basés jusqu’ici sur une définition de la matière en tant que substance corporelle perceptible par les sens. Toutefois, il est envisageable de conjecturer l’application de la notion « matière » employée dans la définition de la ressource comme un ensemble infiniment plus vaste incluant des processus, des phénomènes ou des mécanismes transdisciplinaires et multiscalaires. Aussi, cet ensemble est caractérisé comme immatériel parce qu’il ne possède pas de caractéristiques physiques mais peut, dans ce cadre théorique, être employé comme ce qui « fait matière ». À ce sujet,


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l’exemple du vent est pertinent : c’est un phénomène caractérisé par le mouvement de masses de gaz. Aussi, si la matière mobilisée est représentée par l’ensemble d’atomes et de molécules formant le gaz, le vent représente sa mise en mouvement. Initialement dépourvu d’une reconnaissance de propriétés par les hommes, le vent est devenu une ressource lorsque que les communautés humaines l’ont associé à un dispositif technique : le moulin à vent. Dès lors, cette mise en valeur du phénomène éolien à travers une connaissance de la cinétique de la part des techniciens produit de l’énergie. En conséquence, nous définirons ainsi la ressource immatérielle comme la mise en produit de la technicité humaine non pas directement avec la matière mais avec un processus mobilisant à un moment donné une certaine quantité de matière. En cela, c’est un très vaste champ d’exploration qui s’offre à nous en ce qui concerne les ressources immatérielles. L’ensemble des phénomènes et mécanismes intégrés par les hommes peuvent constituer une ressource. En conséquence, ce ne sont pas exclusivement les processus naturels - tels que le rayonnement solaire, les marées ou la géothermie - qui peuvent en faire l’objet, mais également l’ensemble des évènements d’origine anthropique. En cela, c’est une filiation directe qui se crée entre notre étude originale et le concept de ressource explicité jusqu’ici. D’une part, il apparaît que les relations de co-évolution entre l’homme et son milieu mobilisent des ressources matérielles et immatérielles à travers le processus de transformation. D’autre part et de manière bien moins évidente, il s’avère qu’au-delà de cette simple mobilisation, les relations entre l’homme et son milieu produisent de nouvelles ressources. Bien entendu, la ressource en tant que concept établi par les êtres humains est évolutif et au même titre que les propriétés de la matière, l’établissement des ressources ne peut être


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exhaustif. Notre étude s’intéresse à la fois à la spatialisation et à l’évolution temporelle du processus transformatif développé depuis le début de ce travail. En ce sens, le développement de certaines ressources immatérielles sont prééminente pour comprendre ce processus. En conséquence, nous nous intéresserons à certaines ressources mobilisées dans ce processus telles que la pratique, le savoir-faire, la législation ou le territoire. Plus encore, c’est sur la notion de paysage que nous nous attarderons afin de révéler la dualité mobilisation - production établie quelques lignes plus tôt.


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3 | PARTIE 2 LE PAYSAGE, PRÉSENTATION ET REPRÉSENTATION DU MILIEU Figure 49 People in the Sun, Edward Hopper, 1960 « Lorsqu’une discipline, un métier, un savoir ou une technique particulière sont tout à coup sollicités et interrogés, ce n’est pas toujours parce qu’ils permettent de répondre aux problèmes de l’époque, mais plutôt parce qu’ils se montrent plus aptes, en vertu de leurs traditions propres, à formuler ces problèmes et à poser les questions dont dont l’époque a besoin. » Sébastien Marot, 1995

La notion de paysage est particulièrement sollicitée depuis la fin du XXème siècle, et ce en partie à travers la mouvance réactionnaire initiée par la pression urbaine directement liée à l’extension de nos grandes métropoles. Dès lors, elle est avant tout mobilisée au sein des débats d’aménagement du territoire et en particulier à travers le concept récent du « droit au paysage » (Hélène Hatzfeld, 2009). Or, si le paysage est de plus en plus présent au cœur des réflexions socio-politiques, l’exercice de sa définition n’a jamais été plus délicat. Nous mobiliserons ici la chronologie établie par Steve Déry pour rétablir l’histoire sémantique de la terminologie « paysage ». La première fois que ce terme est employé, c’est en 1549 pour exprimer une « étendue de pays ». À partir de là, sa signification est développée et trois étapes successives marquent cette évolution : d’abord, elle correspond à la « partie d’un pays que la nature présente à un observateur », une définition qui se base avant tout sur un critère subjectif focalisé sur ce qui est vu. Ensuite en 1680, c’est un sens empreint du romantisme contemporain qui est développé : « tableau représentant la nature et où les figures (d’hommes et d’animaux) et les constructions (« fabriques ») ne sont que des accessoires ». Dans cette seconde définition, la principale nouveauté réside en l’apparition de l’idée de « représentation ». En celle-ci, les éléments font l’objet d’une hiérarchisation : d’abord la nature, ensuite les ponctuations que sont la biocénose et leurs constructions. Enfin, en se basant sur le dictionnaire, notre définition contemporaine française est la suivante : « Étendue spatiale, naturelle ou transformée par l’homme, qui présente une certaine identité visuelle ou fonctionnelle » (Larousse en ligne, 2020, Steve Déry, 2012). En cela, nous noterons qu’une première approche du paysage invoque les notions d’étendue spatiale, de marqueur physique et de spectateur.


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La complexité qui réside en la définition du paysage est double : d’une part, l’imprécision de son concept est accrue par la multiplication des tentatives de définitions à son sujet ; d’autre part, la profonde subjectivité qui résulte de l’appropriation de son concept s’applique à une infinité de domaines d’études. En cela, le paysage possède autant d’interprétations que d’interprètes, et sa transdisciplinarité autant induise que subie rend sa définition difficilement envisageable. Toutefois, ceci ne doit pas être perçu comme un drame relatif à la sémantique : en ce sens, le paysage pourrait alors être introduit comme un sujet de réflexion voué à la subjectivité et dont l’absence de définition universellement reconnue initie le libre usage conceptuel. En d’autres termes, le paysage devient un outil libre d’interprétation dont le sens est avant tout attribué par celui qui le mobilise. Si Alain Roger dénonce en 1997 toute autre interprétation du paysage que celle du culturalisme, notre point de vue reconnaît celui de Roger tout en considérant que son traité apporte une définition qui n’est ni vraie, ni fausse, mais seulement subjective et ancrée dans son contexte spatio-temporel. Dès lors, il devient ainsi tout autant possible que souhaitable d’intégrer ce corpus hétéroclite des manifestes du paysage en vue d’en fonder une interprétation personnelle. Par conséquent, nous établirons ici notre définition personnelle du paysage, en l’inscrivant dans le cadre de notre étude au sujet des relations entre l’homme et son milieu. Comme souhaité, celle-ci ne manquera pas de rappeler ses inspirations et tentera de fonder un point de vue novateur quant au concept si vaste qu’est le paysage. À partir de cette définition, nous l’appliquerons à notre cas d’étude, la Dombes, et tenterons par là de révéler un paysage dombiste. Pour introduire cette définition, nous nous focaliserons sur la notion du spectateur. En effet, le paysage est une construction intellectuelle façonnée par

« Contre les écologues, je dirai qu’un paysage n’est jamais réductible à un écosystème. Contre les géographes, qu’il ne l’est pas davantage à un géosystème. Si décevante, en apparence, que soit cette proposition, il faut pourtant la soutenir sans faiblesse : le paysage n’est pas un concept scientifique. En d’autres termes, il n’y a pas, il ne saurait y avoir une science du paysage, ce qui ne signifie pas, bien au contraire, qu’un discours cohérent ne peut être tenu à son sujet. » Alain Roger, 1997


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l’être humain et c’est certainement là le point de départ de notre exercice. Au sujet du paysage, l’homme est capable de deux actions majeures : le percevoir et le représenter. D’une part, la perception relève des sens : le paysage en tant que concept doit être perceptible par un ou plusieurs des sens dont l’être humain est doté. En cela, s’il est le Antonio Pina cité par plus souvent révélé par la vue, il peut tout autant être Paulo David, 2018 touché, senti, goûté ou entendu. D’autre part, le paysage peut faire l’objet d’une représentation : en ce sens, il peut être extrait du contexte spatial et temporel dont il est issu et ainsi mobiliser la cognition de son spectateur en dehors de ce contexte. Toutefois, il est important de préciser que cette représentation se focalise sur une portion de paysage plutôt que sur le paysage dans sa globalité.

« Qui s’étonnera ensuite que l’interprétation soit prise pour la matière première (mémoire, silence, temps, paysage, corps) de l’interprète ? »

Le contexte spatio-temporel tout juste évoqué est primordial quant à la définition que nous souhaitons faire du paysage. Au sujet de l’espace, les définitions s’accordent le plus souvent autour de la notion de portion de pays qui toutefois reste extrêmement vague. Celle du dictionnaire de Paul Robert en est un exemple dont la définition se précise : « partie d’un pays que la nature présente à l’œil qui le regarde » (Le Robert, 2020). Ici, le paysage est sensible à travers la vue de son spectateur sans qui il ne peut exister. Nous rapporterons ici le concept de « paysage visible » introduit par Thierry Brossard et Jean-Claude Wieber en 1984 : « De tout point de l’espace, il est possible de voir et d’être vu ; le paysage visible est constitué de l’infinité d’images que crée la disposition objets reconnus (ou composants) au sein de la trame géométrique continue des rapports vu-voyant ». L’intérêt de la définition du paysage développée par Brossard et Wieber vient de la décomposition qu’ils établissent : « L’ensemble du système paysager procède de trois sous-systèmes qui se subdivisent à leur tour selon une structure emboîtée » (Brossard, Wieber, 1984). Si le paysage visible en est un, les sous-systèmes


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producteurs et les sous-systèmes utilisateurs en sont les deux autres. D’une part, les systèmes producteurs produisent les éléments abiotiques, biotiques et anthropiques du paysage : « le paysage est considéré comme le signe de forces bio-physiques en interaction » (Ibid.). D’autre part, les systèmes utilisateurs représentent tout ceux pour qui le paysage est un produit de la perception, en d’autre termes tout sujet en mesure d’établir une représentation mentale du paysage : « Entre les systèmes utilisateurs, s’exercent des relations de natures variées : échanges d’informations mais aussi rapports conflictuels économiques, politiques, etc. » (Ibid.) Ce que nous retenons, au-delà de la notion isolée de paysage visible, c’est que le paysage selon Brossard et Wieber est un système au sein duquel certaines formes de vie sont en mesure de percevoir le résultat de l’interaction de forces bio-physiques dans le temps et dans l’espace. Cette étude est mobilisée ici parce qu’elle approche le paysage à travers sa composition, ce vers quoi nous tendrons ici. Spatialement, il est possible de concevoir le paysage comme une combinaison de formes physiques réparties de manière unique dans un espace donné. Ces éléments, pour reprendre les termes employés depuis le début de cette étude, associent un biotope et sa biocénose en incluant la vie anthropique. C’est ici que nous nous intéressons au critère temporel : en intégrant le paramètre du temps, cet écosystème que composent les éléments du paysage devient dynamique. En cela, le paysage présente un potentiel de mutation qui dépend de l’interaction de ses composantes et de leurs mutations propres. Dès lors, il apparaît de plus en plus clairement une filiation entre le paysage et l’un des éléments majeurs de notre étude : le milieu. En effet, ces deux formes conceptuelles sont dépendantes des mêmes facteurs et toutes deux sont constituées d’une séries d’éléments qui relèvent finalement d’un

« L’intérêt de la notion de paysage est qu’elle unifie les facteurs à l’oeuvre dans notre rapport avec le milieu environnant. » Nora Mitchell, Rössler Mechtild, Pierre-Marie Tricaud, 2011


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« Il apparaît ainsi comme un catalyseur de questions significatives de notre post modernité, dans un monde de migrations et de mutations rapides, où s‘effacent les ancrages territoriaux et les repères porteurs des identités collectives traditionnelles. Il devient à la fois le mode d’expression d’une quête d’identité, de repères partagés, d’un savoir habiter la Terre renouvelé, et l’enjeu de finalités contradictoires car simultanément environnementales, sociales et économiques. »

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même système : un écosystème dynamique. En revanche, loin de nous l’idée de confondre le paysage avec le milieu : en effet, il faut rappeler ici que le paysage, au-delà de ses composantes, peut être perçu et représenté par tout être capable de cognition. En cela, c’est une définition issue de notre étude qui s’impose : le paysage, en tant que produit de la perception, est une présentation mentale du milieu.

Dans son 26ème cahier du patrimoine mondial, l’UNESCO s’intéresse à la notion de paysage en lui associant la valeur de « culturel ». Ils le définissent comme un paysage marqué par l’interaction de l’homme avec son environnement à travers la présence de « valeurs matérielles et immatérielles dans le paysage » (Mitchell, Mechtild, Tricaud, 2011). En ce sens, ils décomposent le paysage en deux présentations potentielles, l’une culturelle et l’autre naturelle. Cette dernière serait, si l’on se base sur leur définition du paysage culturel, un paysage Hélène Hatzfeld, 2009 en aucun cas marqué par l’action des communautés humaines. Nous considérons ici que cette approche est intéressante puisqu’elle intègre et considère les transformations anthropiques dans l’une des définitions du paysage. Toutefois, elle semble être en contradiction avec notre approche. En effet, nous considérons le milieu comme intégrant les relations de co-évolution entre l’homme et son environnement, et le paysage est la présentation mentale de ce milieu. Or, notre analyse des zones humides nous rappelle que malgré l’absence de transformation directe de l’homme sur cet environnement, toute transformation en un point donné du globe peut en impacter un autre : ceci confirme l’hypothèse de transformation indirecte. En ce sens, l’idée de paysage naturel - c’est-à-dire la présentation d’un milieu dont aucune des composantes n’aurait été d’une manière ou d’une autre impactée par l’activité humaine - est difficilement défendable. Dès lors, nous ne considérerons pas plusieurs valeurs de paysages qui


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Figure 50 Deux paysans bêchant, Vincent Van Gogh, 1889

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seraient relatives au degré d’impact de l’activité humaine sur son milieu mais bien un seul et même paysage, qui n’est alors ni naturel, ni culturel.

Pour une grande partie des paysages, les milieux accueillent la transformation directe des communautés humaines. Le cas de la Dombes nous le rappelle : en cultivant et en construisant leur milieu, les dombistes participent à sa mutation paysagère. Or, c’est par l’activité que les établissements humains parviennent à cette transformation. Mobilisée depuis le début de cette étude, la notion d’activité humaine doit être développée et nous intégrerons plusieurs termes à ces fins : la pratique, Michel Troper, 1986 l’usage et la coutume. Dans leur article Quand l’usage fait patrimoine : vers une patrimonialisation des usages et des paysages culturels ? de 2015, Stéphanie De Carrara et Yves-François Le Lay introduisent leur propos de la sorte : « La manière dont un individu agit sur son environnement ou sur le paysage est liée à ses expériences et à ses éléments de connaissance ». L’on peut d’ailleurs d’appuyer que ce sont les expériences qui fondent les connaissances. En cela, il est possible d’établir un rapport chronologique entre les trois terminologies annoncées. De manière empirique, un ou plusieurs membres d’une communauté humaine peuvent accomplir une tâche précise en espérant obtenir un résultat envisagé. Cette action peut être appelée « pratique » en initiant l’acte transformatif du milieu par la communauté. L’expérience ainsi établie aboutit à un jugement de valeur quant à ses résultats : si cette pratique est bénéfique et reconnue par une grande partie de la communauté, alors il est fréquent qu’elle soit répétée par d’autres membres. Dès lors, la pratique isolée se transforme en un « usage » issu des caractéristiques du milieu : cet usage est alors répétée par la quasi totalité des membres de la communauté, en particulier ceux qui sont actif dans le domaine duquel est issu la pratique, l’agri-

« L’existence d’une coutume […] est le produit d’une double nécessité : celle qui pèse sur les auteurs de cette pratique, celle qui agit sur eux qui lui accordent la signification de norme et la font exister comme règle. »


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culture par exemple. Or, parce que ses conséquences sont jugées comme favorables au développement de la communauté à travers son acte d’habiter, l’usage partagé n’est plus seulement reconnu comme bénéfique mais devient nécessaire au regard de l’ensemble de la communauté. En effet, même si les membres actifs qui réalisent cet usage ne représentent pas tout le groupe, les bénéfices qui en sont tirés touchent quant à eux l’ensemble de la communauté : c’est ici que l’usage devient coutume.

« Les usages locaux se présentent comme l’emprunte du savoir vernaculaire et la matrice des paysages que les gestionnaires cherchent à conserver pour leur valeur écologique, mais aussi économique et culturelle. » Stéphanie De Carrara,

Lorsqu’une pratique est répétée et devient un Yves-François Le Lay, 2015 usage, il arrive que cet usage ne soit plus seulement bénéfique et nécessaire, mais qu’il devienne obligatoire : la notion de coutume apparait. Elle est à l’origine d’un droit qui rassemble les usages locaux issus des pratiques d’une communauté et que l’on nomme droit coutumier. La coutume locale est une source majeure pour le droit dès lors que celle-ci ne s’oppose pas à la législation globale en vigueur. En ce sens, les usages locaux peuvent définir un cadre législatif qui s’applique uniquement à la communauté de laquelle ils sont issus. À ce propos, De Carrara et Le Lay rappellent : « Pour qu’une loi soit efficace, il faut que l’intérêt à lui obéir soit plus important que l’intérêt à ne pas lui obéir, et donc que les conditions sociales, économiques et culturelles soient favorables ». En ce sens, le droit coutumier devient l’outil législatif le plus efficace puisqu’il émane directement des pratiques initiées par les établissements humains. À partir du XIXème siècle s’organise la collecte des usages dont la question de l’échelle se pose, étant donné qu’ils sont issus d’une aire géographique précise. Le droit coutumier ne peut donc être effectif en dehors de cette zone : « Au détriment du canton ou de la commune, celle du département finit par s’imposer comme étant la plus pertinente » (De Carrara, Le Lay, 2015). Le cas des pratiques agricoles en est un bon exemple : si depuis la Révolution déjà les usages locaux sont recueillis,


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« En organisant le paysage de l’étang autour de “marqueurs” tels que le thou ou les berges arborées, les usages lui confèrent une dimension esthétique qui participe au désir d’entretien, de préservation et de valorisation du paysage dombiste. »

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c’est en 1924 qu’une loi crée les Chambre d’Agriculture. Leur mission constitue en la collecte et la codification des usages locaux à caractère agricole, qui constituent souvent une précision de la législation nationale.

Le cas de la Dombes exprime clairement la manière dont les usages locaux, à travers le droit coutumier, ont façonné le paysage. Le département de l’Ain présente quatre versions du recueil entre 1879 et 1987. En 1904, le géomètre André Truchelut publie le troisième recueil Stéphanie De Carrara, en étayant le précédant travail réalisé par Charles Rivoire Yves-François Le Lay, 2015 tandis que la Chambre d’Agriculture de l’Ain compose le dernier recueil. Celle-ci apporte de nouvelles données mais renvoie toutefois très largement au travail de Truchelut en ce qui concerne les étangs : « Les usages des étangs de la Dombes, dont l’ouvrage de Truchelut est le symbole, se sont ainsi transmis de génération en génération » (De Carrara, Le Lay, 2015). C’est en grande partie grâce aux recueils que les usages dombistes ont été perpétués durant des siècles et également améliorés. En effet, les usages ne sont pas immuables et leur modification à des fins bénéfiques est largement envisageable. Ce sont les pratiques telles que la construction des digues autour de l’étang, la rotation triennale en assec-évolage ou le creusement de fossés qui, à travers l’usage et la coutume, ont façonné le paysage dombiste de la fin du XXème siècle. En somme, il s’avère que les opérations transformatives réalisées par les communautés humaines sont à l’origine d’un paysage unique. En effet, en puisant leurs pratiques dans les expériences et les connaissances qui émergent de leur milieu, les établissements humains sont en mesure de produire et perpétuer un mode de transformation adapté à celui-ci. Nous aboutissons ici à la construction d’une idée majeure pour notre étude. Il n’est pas insensé d’appuyer que le cas des pratiques culturales de la


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Dombes rappelle largement le concept de ressource : une pratique qui devient un usage est une forme de mobilisation des connaissances et de la matière issues d’un milieu. En ce sens, les usages locaux constituent sans aucun doute une ressource pour les communautés humaines de ce milieu en vue de procéder à de nouvelles transformations. Ainsi, leurs résultantes deviennent à leur tour « matière » pour inspirer de futures transformations. Or, si la perception de ces composantes est nécessaire pour leur interprétation, en d’autres termes si les hommes doivent par exemple voir un étang réalisé avant de le comprendre et d’en produire un autre, alors le paysage constitue inévitablement une ressource. Nous touchons ici le cœur de notre propos : en tant que présentation mentale du milieu, le paysage est en mesure de révéler les transformations opérées à travers la co-évolution des hommes et de leur environnement. Ainsi, son caractère dynamique intègre les étapes successives de l’évolution d’un milieu anthropisé : en Dombes, chaque étang ou chaque ferme en est un manifeste physique. De même, la sensation d’humidité à un moment donné dans l’histoire est une présentation mentale de la Dombes tandis que sa transcription à travers un poème en est une forme de représentation : cette perception sensorielle constitue tout autant une ressource que le mode constructif du thou d’un l’étang. Pour conclure cette dense démonstration, nous finirons par énoncer que le paysage constitue une ressource dynamique pour la transformation du milieu par l’homme dont chaque étape transformative peut être mobilisée comme une matière grâce aux facultés de perception et de représentation des êtres humains.

« Les paysages et les milieux […] ne sont le plus souvent, dans nos régions, que le résultat des interventions anthropiques. » Laurent Simon, 1997


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3 | PARTIE 3 LA DOMBES, ÉPAISSISSEMENT D’UN LIEU Figure 51 Ferme traditionnelle en pisé dans la Dombes, Philip Heckhausen, 2017 « Si le concept paradoxal d’ars memoriae fascine tellement les contemporains, rangés à l’idée que la mémoire serait quelque chose que l’on a ou dont l’on manque, une capacité que l’on pourrait même acheter en barrettes, c’est sans doute parce qu’il nous montre qu’elle n’est pas tant dans un capital ou une donnée que l’effet d’un projet, d’une construction, et d’un art susceptible d’être cultivé. » Sébastien Marot, 2010

Le paysage en tant que présentation mentale d’un milieu nous permet d’appréhender la qualité de son système. En effet, si le milieu est le résultat du processus de co-évolution entre l’homme et son environnement physique et biotique à un moment donné, c’est le paysage seulement qui est en mesure de révéler à l’homme ce milieu. Ainsi le paysage en tant que construction anthropique devient un médium d’interprétation : en cela, il ne peut exister qu’à travers sa mise en valeur par l’être humain. En ce sens, nous confirmons ici l’hypothèse de la subjectivité paysagère développée au sujet de sa première définition : au-delà de l’usage de son concept, le paysage devient un outil majeur pour comprendre le territoire. S’il n’existe que par la combinaison d’un milieu avec un être capable de perception, le paysage ne peut alors plus être dissocié du jugement de valeur issu de ce même être qui perçoit. Par conséquent, nous avançons ici que pour juger de la valeur transformative du milieu - celle-ci pouvant être méliorative comme dégradative - c’est le paysage qui est mobilisé par l’homme, être doté de cognition. En d’autres termes, le milieu n’est perceptible par l’homme qu’à travers le paysage et cette perception s’accompagne nécessairement d’une présentation de valeur. Nous l’avons évoqué plus tôt, le paysage intègre la notion de représentation. Celle-ci peut sembler superficielle de prime abord, pourtant c’est précisément elle qui permet au paysage d’intégrer le paramètre du temps. En effet, parce qu’il est possible de figer l’état d’un milieu à travers la représentation de son paysage à un moment donné - la peinture ou le récit en sont d’évidents exemples - il est possible d’une part d’interpréter cette représentation ultérieurement et d’autre part d’appréhender les étapes transformatives d’un milieu. En cela, la représentation du paysage est un véritable outil de mise en valeur du milieu : c’est elle qui permet au percepteur de mettre


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en lien cette trace d’un paysage antérieur avec sa propre perception du paysage, et ainsi attester de l’évolution du milieu en question. Sans représentation, le paysage reste muet quant aux processus transformatif à l’oeuvre dans la co-évolution entre l’homme et son milieu. En somme, la perception du paysage par l’homme est indissociable du contexte spatial et temporel dans lequel il le perçoit ; c’est la mise en lien de toutes les perceptions suivies de représentations qui permet aux communautés humaines d’un contexte donné de rendre compte des processus transformatifs qui ont fondé leur territoire. Le 27 janvier 2020, le docteur en histoire et philosophe Sébastien Marot donnait une conférence à l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Lyon intitulée (Re)prendre la clé des champs : agriculture et architecture. Cette conférence présente son dense travail de recherche à travers sa thèse Palimpsestuous Ithaca : un manifeste du sub-urbanisme et l’exposition Agriculture and Architecture: Taking the Country’s Side. Le point de vue de Marot est pertinent ici en ce qu’il questionne la capacité des territoires à intégrer la notion de mémoire. En effet, la mémoire est le plus souvent associée aux êtres humains : si l’on questionne aujourd’hui la faculté des autres animaux à se souvenir ou que l’on parvient à amplifier celle des machines, son application à d’autres domaines reste rare. Or, c’est justement ce que propose Marot : il approche cette notion en sollicitant non pas exclusivement les communautés humaines, mais bien plus largement les lieux dans lesquels celles-ci évoluent. À travers la notion de sub-urbanisme qu’il définit comme « une subversion de l’urbanisme », il interroge cette mémoire par l’exploration des « multiples strates spatio-temporelles du territoire » (Sébastien Marot, 2010). Pour ce faire, il implique notamment un concept personnel nommé « l’épaisseur narrative des lieux » : développé par l’auteur dans son


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ouvrage L’art de la mémoire, le territoire et l’architecture de 2010, ce concept dévoile l’histoire des territoires en impliquant les hommes et leurs attitudes transformatives. Si nous ne détaillons pas plus largement les travaux de Sébastien Marot ici, nous renvoyons toutefois à ses divers écrits ainsi qu’à ses interventions orales qui participent à étayer notre recherche. En cela, il reste pertinent d’interroger les enjeux communs au travail de Marot et à notre étude en partant du concept d’épaisseur du lieu. En effet, ce concept est formulé en vue de questionner les rapports qu’entretiennent les hommes avec leur territoire, or c’est justement ce autour de quoi gravite notre problématique générale. En examinant les relations entre l’homme et son milieu, deux conséquences transformatives sont proposées : la dégradation et l’amélioration. Si cette dernière est corrélée à une complexification de l’écosystème associé au milieu, c’est au contraire sa simplification qui définit la dégradation. Cependant, si cette dichotomie peut sembler évidente au regard de toute subjectivité, elle manque pour l’instant d’appui. En cela, ce n’est pas sans raison que la ressource et le paysage ont été préalablement définis dans ce troisième chapitre : ces deux notions participent à l’élaboration de ce jugement de valeur lié aux processus transformatifs. Dans ce chapitre, nous souhaitons comprendre comment la ressource, mobilisée dans la fabrication du paysage, est en mesure d’induire la valeur transformative de l’action humaine dans son milieu. Pour clarifier le propos à venir qui, nous l’accordons, réfère à de nombreux concepts et leur définition, le cas de la Dombes est à nouveau mobilisé. L’étude de la Dombes en tant que zone humide révèle deux phases majeures dans le développement des communautés humaines au sein de ce milieu. Depuis son anthropisation, l’écosystème dombiste est largement com-


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plexifié par les modes culturaux et constructifs exercés par les hommes. Au regard des fonctions écosystémiques étudiées dans le second chapitre, cette complexification est incontestablement associée à une valeur méliorative du processus transformatif : la communauté dombiste a apporté une grande qualité à la Dombes originellement pauvre. Or à la fin du XXème siècle, cette co-évolution bénéfique est soudainement remplacée par une altération du milieu : sa simplification, induite par une profonde modification des pratiques constructives et culturales des hommes, engendre la dégradation de l’écosystème dombiste. En cela, la Dombes est une fois de plus un exemple éloquent pour notre étude : en présentant de manière évidente une phase méliorative et une phase dégradative, elle nous permet d’interroger les causes de cette évolution. Nous avons décrit de manière précise les faits qui sont associés à cette perturbation, comme le passage d’une culture d’assolement à une monoculture mécanisée par exemple. Néanmoins, ces usages ne sont pas suffisant pour comprendre l’évolution de l’attitude des communautés humaines : en ce sens, ils ne sont que les conséquences factuelles d’une mouvance bien plus étendue à la fin du siècle dernier. Dès lors, ce sont les notions de paysage et de ressource que nous sollicitons pour interroger l’épaisseur de la Dombes en tant que milieu anthropisé, autrement nommé lieu. Dans le premier chapitre, l’histoire de l’anthropisation de la Dombes est détaillée en analysant les modes de construction et de culture du milieu par les communautés humaines. C’est grâce à une diversité d’acteurs qu’il est possible d’effectuer cette analyse : poètes, géographes, biologistes comme historiens, ce sont leurs représentations de la Dombes qui permettent d’appréhender l’évolution paysagère de ce milieu à travers celle de ses composantes. En comparant les différentes représentations

« Il faut citer aussi l’industrie des carrons ou grandes briques savoyardes qui dans nos pays remplaçaient couramment la pierre de taille qu’on devait aller chercher fort loin et à très grands frais. » Octave Morel, 1925


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produites par ces acteurs tous ancrés dans un contexte spatial et temporel particulier, nous sommes capables de révéler les transformations successives qui ont lieu en Dombes. Intéressons-nous au paysage dombiste de la phase méliorative énoncée, c’est-à-dire pendant la complexification du milieu. L’une des figures coutumières de ce paysage est la ferme en pisé. Nous l’avons vu, le pisé est un mode de construction basé sur l’extraction d’une terre argileuse : s’il est très développé en Dombes, c’est avant tout parce que cette terre abonde alors que les pierres sont absentes. Ne pouvant se permettre d’importer des pierres du Revermont ou du Bugey pour une raison financière, les dombistes ont misé sur leur technicité afin de développer de nouveaux modes constructifs issus de leur propre territoire et inconnus dans les régions voisines. Cette description associée à la ponctuation paysagère « ferme en pisé » est possible parce que notre étude s’accompagne d’une vaste documentation qui concerne autant la formation géologique et les modes de vie humains liés à la Dombes que la construction en terre crue et l’architecture paysanne. Pourtant, si l’on s’exempt de ces connaissances en se positionnant dans un contexte de perception paysagère, la vision de la ferme ne reste pas muette. Au contraire, elle expose très rapidement la présence d’une terre argileuse et l’absence de pierre ; elle suppose un statut paysan comme l’existence d’un savoir-faire particulier ; elle suggère même le sens des vents. Ce dont cet exemple atteste, c’est de l’existence d’un lien extrêmement fort entre la ferme en pisé et le milieu dans lequel elle existe. En effet, la simple perception de cet élément paysager - au-delà de toute connaissance préalable - nous renseigne largement son milieu en exposant les ressources mobilisées pour sa construction. En ce sens, la ferme en pisé acquiert le statut de manifeste par sa capacité à exposer les ressources matérielles comme immatérielles présentes dans son milieu,


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la Dombes. Si l’on se focalise de la même manière sur un marqueur agricole du paysage, il semble que le processus de renseignement soit équivalent : par exemple, la vision d’un étang et de ses aménagements tels que le fossé, la pêcherie ou le thou est tout aussi parlante. En comparant deux parcelles voisines comprenant toutes deux ces aménagements, l’une en assec et l’autre en évolage, l’on comprend rapidement le système d’assolement lié à l’agriculture dombiste. L’on peut ainsi en déduire les types de culture et intégrer une part des pratiques culturales associées au milieu dombiste. En ce sens le paysage, à travers ses composantes physiques, renseigne le percepteur sur le milieu dans lequel il se trouve en lui présentant l’usage fait de certaines ressources disponibles dans ce territoire. Or, nous pourrions conjecturer à ce stade de notre étude que cette expressivité paysagère est possible parce que les marqueurs tels l’étang ou la ferme mobilisent des ressources essentiellement issues du milieu. En cette remarque réside le point central de ce chapitre : l’origine de la ressource employée dans la construction du paysage influence directement la capacité des marqueurs paysagers à en être manifestes. Nous formulons ainsi l’hypothèse suivante : le marqueur paysager d’un milieu donné en est un manifeste si et seulement si il mobilise majoritairement des ressources issues de ce même milieu. En ce sens, la capacité d’une composante paysagère à révéler son milieu est fortement remise en question dans le cas où les ressources utilisées par les hommes pour sa construction ne proviennent pas de son milieu. C’est ici qu’est approchée la notion d’épaisseur extraite du travail de Marot. Nous interprétons l’épaisseur du lieu comme une stratification de contextes spatio-temporels au sein desquels se trouvent des manifestes paysagers. L’épaississement, produit par la série de transformations qui accompagne la co-évolution entre

« Chaque lieu est le résultat d’une histoire de longue durée et de la même manière dont à un moment donné sur la terre, chaque civilisation a réinterprété les signes et les structures précédentes, les détruisant parfois mais très souvent en les recyclant et les réutilisant avec de nouvelles significations. » Alberto Magnaghi, 2014


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l’homme et son milieu, est relatif à la valeur manifeste des marqueurs paysagers du lieu. En cela, nous avançons qu’un lieu est épaissis lorsqu’il existe un lien direct entre la localisation de la composante paysagère et celle de sa ressource : c’est seulement grâce à cela que le percepteur du paysage est en mesure de comprendre son milieu. Cette valeur de manifeste peut être exprimée grâce à la notion d’identité : lorsque le visiteur - ou percepteur - interprète une présentation (directe) ou une représentation (indirecte) de la Dombes, les figures de la ferme ou de l’étang expriment une identité mésologique que le milieu non anthropisé peine à révéler. Par conséquent, l’épaisseur du lieu renforce l’identité du milieu, c’est-à-dire sa singularité au regard des autres milieux : sans la ressource de terre argileuse, les dombistes n’auraient été en mesure ni de construire leurs fermes ni de créer leurs étangs ; or ces deux marqueurs fondent le territoire par la construction et la culture du milieu. Au regard d’une certaine cohérence territoriale, l’épaisseur joue un rôle fondamental dans la naissance des usages locaux. En effet, elle conditionne les pratiques constructives et culturales en assurant un contexte paysager dans lequel la ressource se veut évidente. En cela, toute opération transformative intègre en amont une connaissance des ressources matérielles - les galets par exemple - et immatérielles - leur disposition en arête de poisson - qui permet la diffusion des connaissances et des compétences issues du milieu en question. Par conséquent, l’épaisseur du lieu participe largement à la mise en valeur des matières et des technicités locales et ainsi à leur usage par les hommes. De fait, les manifestes paysagers représentent un véritable outil de mémoire : dès lors qu’ils sont reconnus et appropriés par les communautés locales en tant que produit identitaire, la transmission des coutumes associées ainsi que leur évolution


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est assurée. C’est bien ce que nous pouvons observer dans la Dombes des derniers siècles : les pratiques bénéfiques transformées en usages se perpétuent à travers leur manifestations physiques qui à leur tour orientent les percepteurs vers de plus amples connaissances à leur sujet. À titre d’illustration, une première approche de la Dombes existe de manière bien plus fréquente à travers la contemplation d’un étang que part la compréhension de la coupe de la digue, qui arrive quant à elle dans un second temps.

« Émanation directe du milieu, ces étangs parfaitement adaptés au paysage sont certainement l’une des plus belles réussites empiriques de la transformation et de l’aménagement des ressources naturelles et c’est évidement à eux que la Dombes doit l’essentiel de sa personnalité ornithologique et botanique. »

Ce développement nous expose l’épaisseur de la Dombes d’avant la fin du XXème siècle. Il apparait clairement qu’un milieu non anthropisé constitue une ressource pour son anthropisation, et si le cas de la Dombes est sollicité, Philippe Lebreton, 1964 c’est parce qu’il illustre ces constats de manière particulièrement évidente. En effet, ce territoire étant extrêmement pauvre à l’origine, son anthropisation reflète à la fois la nécessité d’une transformation pour le rendre habitable et également des moyens très réduits pour arriver à ces fins. Les dombistes des premiers siècles ont permis la création d’une partie des ressources de la Dombes, la transmission de ce savoir ainsi que l’amélioration des technicités au cours des siècles : ils ont produit un territoire complexe à partir d’un espace simple. En cela, les phases successives de transformation d’un milieu impulsées par l’action des hommes participent à l’élaboration de nouvelles ressources pour le territoire. En conséquence, cet usage de ressources issues du milieu est à l’origine de l’épaisseur du lieu qui génère des connaissances et des compétences exclusivement locales. Celles-ci fondent une identité du lieu qui se traduit à travers le mode de vie de ses habitants. Ainsi sont générés des productions matérielles et d’informations empreintes du milieu dont la comparaison aux autres identités crée ce que l’on nomme communément une culture locale.


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Cette culture locale expose la manière dont les communautés humaines ont été en mesure de comprendre leur milieu environnant et d’user de ses composantes comme d’une ressource pour le transformer. En ce sens l’ensoleillement, les matières, l’hydrographie, la pédologie comme les liens entre la biocénose constituent les ressources premières pour cette transformation tandis que les usages qui en sont issus en constituent des ressources secondaires. Toutefois, dès lors qu’un milieu est habité par l’homme, ces deux types de ressources forment conjointement un seul et même paysage dont la transformation ne peut se permettre l’omission de l’un ou de l’autre. En somme, toute transformation paysagère ne crée pas une construction isolée dans ce « paysage originel » - ce qui impliquerait une distinction entre le milieu et ce qui a été produit en son sein, comme une infrastructure ou un champ - mais elle crée un nouveau paysage auquel le produit de transformation est intégré. En tant que territoire rural, la Dombes possède une forte culture locale dont le paysage témoigne de ressources principalement mobilisées au profit de l’agriculture. C’est surtout la situation précaire de ses habitants au début de leur établissement qui a induit l’usage de ressources issues exclusivement du plateau dombiste, et en cela la complexification de l’écosystème dont le rôle de zone humide témoigne. Pourtant, la simplification du milieu à l’oeuvre depuis la fin du XXème siècle dont cette zone humide expose l’importance interroge. Si l’épaississement de la Dombes apparait désormais indissociable de sa complexification écosystémique, il semble cohérent d’inspecter cette notion d’épaisseur au regard de son actuelle simplification : le milieu dombiste est-il en proie à l’érosion territoriale ?


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intermède


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INTERMÈDE « ZONE PAVILLONNAIRE »

« Depuis les années 70, la population s’est éloignée des grands ensembles pour insalubrité et par manque de transports en commun. Après la banlieue mais avant la campagne, ce qu’on appelle les zones grises, des maisons individuelles avec jardin fleurissent, une utopie pour la classe moyenne rêvant d’être propriétaire et d’un statut Nicolas Duclos, 2019-2020 social. Figure 52 Zone pavillonnaire à Villeron (95675), Nicolas Duclos, 2019-2020

Des lotissements sortent du sol à un rythme effréné (170 000 maisons par an) avec des terrains bon marché en lointaine périphérie des grandes métropoles en fabriquant des maisons en kits avec des prix peu élevés pour attirer les classes moyennes. Cette même classe qui habitait dans des appartements en ville a choisi de s’éloigner pour se projeter et réaliser un « rêve ». Un rêve de jardin et d’une chambre pour les enfants en sacrifiant leurs commerces de proximité et leurs loisirs. Ils se retrouvent dans une zone d’habitat sans commerces juxtaposée à des zones commerciales sans habitations que l’on relie et sépare par des rocades, ce qui oblige à prendre la voiture pour tous les déplacements du quotidien. Cela provoque un isolement avec des quartiers sans âme, plus de lien social car aucune activité pour se rencontrer. Ainsi les magasins en centre-ville ferment car un quart de la population habite dans ces zones péri-urbaines. [...] On apporte la ville à la campagne, des terres naturelles et agricoles font place à du béton. La distance entre les maisons et les zones d’épandage de pesticides est nulle. Provoquant des tensions entre riverains et agriculteurs. »


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3 | PARTIE 4 DE L’ÉPAISSEUR À L’ÉROSION, LE RÔLE DE LA RESSOURCE Figure 53 Zone pavillonnaire à Puiseux-en-France (95380), Nicolas Duclos, 2019-2020

La seconde moitié du XXème siècle marque le territoire dombiste de manière exceptionnelle par la mutation drastique des usages qui façonnent son paysage. Si les usages locaux ont toujours évolué au gré de leur transmission entre les générations, et ce par la découverte de nouvelles ressources et technicités par les hommes, le rapport entre la profondeur du changement et sa rapidité est extraordinaire à cette période. Dans cette partie concluant notre troisième chapitre, nous nous intéresserons à l’épaisseur du milieu dombiste dans sa phase de simplification mésologique en proposant la construction d’un phénomène que l’on nommera l’érosion. Pour ce faire, nous poursuivrons notre focalisation sur la fabrication du paysage en vue de mettre en lumière un potentiel lien entre la valeur transformative du milieu et l’origine de la ressource mobilisée à ces fins. Nous avons suffisamment rapporté la manière dont la communauté dombiste complexifie son milieu jusqu’au XXème siècle et plus récemment en quoi cette complexification écosystémique s’accompagne de l’épaississement de ce lieu. Usant des ressources principalement issues de son milieu depuis des siècles, la communauté dombiste connaît à la fin du siècle dernier une épaisseur extraordinaire : celle-ci se traduit par une grande adaptation des usages transformatifs à leur territoire, au regard des pratiques agricoles autant que constructives. Or, cette adaptation est brusquement remise en cause tandis que l’identité culturelle issue de ces usages locaux tend à s’effacer. La transformation des usages dans la Dombes est similaire à celui des autres campagnes françaises à cette époque : nous l’avons évoqué plus tôt, les progrès techniques impulsés par les grandes guerres de ce siècle ont rapidement impacté l’agriculture. La mécanisation agricole en France n’est pas notre sujet d’étude, toutefois il semble nécessaire d’en rappeler les tenants et aboutis-


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sants.

« En passant au stade de la production de masse et de l’industrialisation, l’agriculture a massivement abandonné et effacé l’arsenal des techniques locales, complexes et diverses, qui constituaient les “provinces” et qui donnaient aux campagnes un visage auquel nous avions appris à les reconnaître. »

En effet, la Dombes se positionne dans son contexte territorial élargi comme une campagne de la métropole lyonnaise. Celle-ci assure à la Dombes son statut d’aire productrice, surtout en ce qui concerne les denrées alimentaires. Le taux de production agricole est largement supérieur à la demande restreinte de la communauté dombiste : c’est avant tout la métropole lyonnaise qui en bénéficie. En cela, la campagne dombiste et la métropole de Lyon entretiennent depuis très longtemps le rapport ville-campagne commun à la majorité des métropoles françaises, rapport que la fin du XXème siècle tend à effacer. Sébastien Marot, 1995 Nous l’avons suggéré plus tôt, la mécanisation agricole engendre une conséquences majeure pour les campagnes : l’augmentation de la productivité par agriculteur et des surfaces cultivée. De fait, les exploitations deviennent plus grandes et moins nombreuses, tandis que le nombre d’ouvriers agricoles diminue de manière drastique. Il en résulte un profond changement générationnel : l’abandon du secteur agro-piscicole primaire pour les secteurs secondaires et tertiaires par les travailleurs dombistes. La Dombes de la fin du siècle dernier assiste à une mutation systémique double : le départ d’une portion de sa population vers les grandes villes (Lyon et Bourg-en-Bresse notamment) et la reconversion d’une partie de ses habitants vers une autre activité. En conséquence, si une part des travailleurs migre définitivement vers les villes, une autre participe au développement des réseaux de communication entre la campagne dombiste et les aires urbaines voisines. Or, tandis que la Dombes subit le poids de cette révolution agricole, les villes alentour n’en restent pas privées : les populations urbaines augmentent très rapidement par le biais d’une forte urbanisation périphérique. En


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conséquence, un important mitage territorial se produit des centres ville vers les aires rurales avec comme résultante majeure la transformation des parcelles agricoles en zones urbanisées. L’exemple de Rillieux-la-Pape illustre clairement ce propos : en 1958, un décret instaure une Zone à Urbaniser en Priorité (ZUP) sur un site de 120 hectares localisé à cheval sur les communes de Rillieux et de Crépieux-la-Pape. En 1960, les travaux sont lancés et en quelques années, ce sont plus de 25 000 nouveaux habitants qui sont installés. Située à l’entrée de la Dombes, cette aire périphérique anciennement rurale voit sa population passer de moins de 3 000 habitants avant 1960 à plus Charles Avocat, 1975 de 30 000 en 1975, soit une croissance de 900% sur quinze ans (Cassini, EHESS, 2020). La ZUP de Rillieux illustre la manière dont les mutations agricoles impactent profondément la structure initialement symétrique du système ville-campagne. Le cas de Rillieux n’est pas isolé : les changements d’activités et les transferts de populations qui en sont issus produisent une pression foncière extrême sur les aires périphériques. Autour de Lyon comme de Bourgen-Bresse, les terres agricoles sont rapidement converties en aires urbanisées, dont la transition extrêmement rapide marque lourdement le territoire.

« La proximité de la métropole lyonnaise se traduit de la même façon par la multiplication des promeneurs du dimanche lesquels, pour la cueillette du muguet ou des champignons, provoquent un dérangement indéniable des oiseaux-gibiers, principalement lors de la couvaison printanière. »

En conséquence de cette périurbanisation située à la fois aux portes des grandes villes et autour des villages, la Dombes assiste depuis la seconde moitié du XXème siècle à une urbanisation anarchique qui s’accompagne d’une importante diminution de son potentiel agricole. En effet, les populations croissantes colonisent les parcelles cultivables, alors vendues par leurs exploitants pour la construction d’ensembles de logements individuels ou collectifs. Un phénomène bien connu de lotissement se produit, à l’image de la majeure partie des campagnes française à cette époque et encore à l’oeuvre aujourd’hui. À ce propos, Charles Avocat énonce en 1975 : « Sans qu’il


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Figure 54 Construction de la Ville Nouvelle de Rillieux la Pape, Paul C. Maurice Figure 55 Croissance démographique dans la ville de Rillieux-la-Pape entre 1800 et 2020, (d’après l’INSEE)

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soit question de l’endiguer - sans doute est-ce impossible le processus mériterait au moins d’être organisé de façon que les espaces communaux conservent une certaine cohérence avec partition entre les centres traditionnels et les implantations nouvelles » (Avocat, 1975). Nous soulevons ici le rapport dichotomique apporté par Avocat pour analyser le nouveau paysage de la Dombes, à l’aune de la dégradation écosystémique soulevée plus tôt. Ce rapport est introduit par l’opposition entre deux composantes paysagères : d’un côté les « centres traditionnels », de l’autre les « implantations nouvelles ». La cohérence d’un nouvel élément paysager avec son contexte a été discutée plus tôt au sujet de la ressource. Nous pourrions ainsi la rapprocher de la notion d’épaisseur du lieu en décrivant la cohérence paysagère comme une expression de cet épaississement. En ce sens, l’absence de cohérence énoncée par Avocat nous pousse à interroger les rapports entretenus entre ces nouvelles composantes paysagères et leur milieu à travers les ressources qu’elles mobilisent. Ces nouvelles composantes paysagères se retrouvent à travers des formes récurrentes. De manière non exhaustive, nous pourrions citer les petits immeubles de logements collectifs et les pavillons individuels lotis ; les zones commerciales ou de loisirs et leurs parkings ; les infrastructures routières. Or, ces construction récentes du territoire en Dombes ne présentent que peu voire pas du tout de filiation évidente avec les constructions antérieures : les matériaux employés, le degré d’artificialisation des sols ou les échelles de constructions en témoignent. Le village de Saint-André-de-Corcy illustre bien ce propos. Situé au sud-ouest du plateau dombiste, ce village est traversé par la route départementale D1083 reliant Lyon à Bourg-en-Bresse. De manière évidente, il est fait partie des aires ciblées par les nouvelles populations issues de la ville en quête d’un foncier à prix moindre mais accessible


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Figure 56 Saint-André-de-Corcy en 1954 Figure 57 Saint-André-de-Corcy en 1992 « En plein coeur de la Dombes mais limité pour l’instant aux environs des villages, les résidences principales ou secondaires se multiplient, dont le mauvais goût architectural n’a d’égal que la prétention, ce qui porte atteinte à l’équilibre des paysages humanisés. »

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directement depuis la métropole. À l’image de Rillieux, Saint-André-de-Corcy connaît une forte croissance démographique à partir des années 1960 : la population passe de 650 habitants en 1954 à plus de 2 500 en 1990 (Cassini, EHESS, 2020). En conséquence, les terres agricoles situées en périphérie du village sont progressivement remplacées par des ensembles de logements et des zones commerciales dont l’échelle d’emprise est tout à fait différente de la morphologie initiale du village. Le bourg, dont la superficie avoisine les 10 hectares avant 1960, compte aujourd’hui plus de 170 hectares construits (Géoportail, 2020). Parmi ces nouvelles emprises foncières, une zone commerciale d’une quarantaine d’hectares accompagne les nouveaux lotissements qui représentent quant à eux près de 120 hectares d’anciennes terres agricoles, soit près de douze fois le bourg de 1960.

Au-delà des seuls écarts d’échelle de construction déjà frappants, les techniques et les matériaux de constructions employés dans les transformations récentes Charles Avocat, 1975 témoignent d’une mutation dans l’attitude transformative du milieu. Les maisons individuelles sont maçonnées, employant généralement des parpaings ou des briques de terre cuite à joint mince, tandis que le béton armé supporte les constructions des bâtiments plus grands destinés aux logements. Quant aux ensembles commerciaux, les structures métalliques font leurs preuves pour la réalisation de grands volumes à moindre coût. D’une manière générale, l’usage du pisé disparaît en même temps que la construction de fermes à cour, et les nouvelles constructions en Dombes sont semblables à la plupart des autres campagnes françaises. En effet, la raréfaction du statut paysans chez les habitants des aires rurales s’accompagne de l’apparition d’un nouveau mode de vie empreint de l’urbanité des métropoles. Toutefois, sa transcription spatiale diffère par l’espace disponible : les grandes aires agricoles offrent


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Figure 58 Zone pavillonnaire à Dammartin-en-Goële (77153), Nicolas Duclos, 2019-2020 « On peut craindre pour les années à venir, des conflits entre les nécessités de l’urbanisation et les besoins en espaces de loisirs d’une part, les exigences du milieu dombiste d’autre part. » Charles Avocat, 1975

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l’opportunité d’un étalement inconcevable en ville, c’est pourquoi les campagnes accueillent peu à peu une série d’aménagements destinés surtout aux habitants des villes et des extensions de villages. Pôles sportifs, centres commerciaux, parcs de loisirs : la Dombes n’échappe pas à l’emprise foncière impulsée par ses villes voisines. Si à l’origine les étangs dispersé sur le plateau impliquent une répartition maillée des villages, cette structure rurale est peu à peu délaissée au profit de l’étalement urbain de certains pôles. Cela se produit par l’action conjointe de la mutation agricole et constructive : les étangs environnants voient d’abord leur période d’évolage diminuer au profit de l’assec prolongé, ils fusionnent ensuite avec d’autres parcelles pour former de vastes monocultures et enfin ces aires agricoles sont transformées en zones pavillonnaires ou commerciales. De manière évidente, les mutations culturales et constructives marchent d’un pas commun vers un résultat dont l’empêchement semble très difficile. Ce développement présente une situation similaire entre la Dombes et de nombreuses autres aires rurales. En effet, il s’agit ici d’une série de processus bien communs aux périphéries métropolitaines dont la restructuration du système agricole implique une urbanisation effrénée. Or, cette généralisation de la situation soulève un problème plus profond : la banalisation du territoire. L’accroissement des relations entre la campagne et la ville produit une intensification de leurs communication : les individus, les biens et les informations circulent de manière bien plus aisée grâce aux progrès techniques et technologiques de la fin du XXème siècle. En conséquence, c’est une globalisation du territoire qui est à l’oeuvre, et ce à travers la globalisation de la ressource. En effet, les constructions et les modes culturaux évoluent vers une uniformisation de plus en plus large. Les usages agricoles comme


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Figure 59 Mitry-Mory, Nicolas Duclos, 2020

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constructifs de la Dombes ne sont progressivement plus issus de leur milieu mais bénéficient d’une gestion globalisée, à une échelle qui s’étend bien plus loin que le plateau dombiste seul. La diversité culturale laisse place aux monocultures de maïs et de colza, le système triennal prolonge de plus en plus la durée d’assec voire élimine totalement la période d’évolage, les fermes en pisé laissent place aux lotissements en parpaings et à leurs piscines tandis que les prairies deviennent des parkings dédiés aux pôles commerciaux. Nous avons détaillé la simplification du milieu dombiste en faisant état des dégradations de la biocénose et de son biotope : il semble désormais évident qu’elle résulte au moins en partie d’une globalisation de la ressource. Si le cas de la Dombes rappelle de nombreuses autres situations, c’est parce que la majeure partie des territoires subissent le poids des politiques nationales et supra-nationales. Nous ne nous étendrons pas ici sur les politiques globales qui une fois de plus constituent un sujet d’étude à part entière, mais nous en citerons quelques unes en vue d’illustrer notre propos. Au sujet de la mutation agricole, nous pouvons questionner le rôle des politiques globales à travers la Politique Agricole Commune. Née après l’institution de la Communauté Économique Européenne par le Traité de Rome en 1957, la PAC est mise en place entre 1960 et 1962 avant tout pour contrôler les prix et les subventions agricole, et plus largement pour moderniser l’agriculture au sein de l’Union européenne. Dans un contexte d’après-guerre, cette politique européenne vise à accroître la productivité agricole afin de libérer de la main d’œuvre pour le secteur industriel et également pour palier à l’augmentation de la consommation alimentaire. Avec l’assurance d’un prix fixe pour certains produits tels que le lait ou les céréales, les agriculteurs n’hésitent pas à produire en grande quantité et à accroître la taille


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Figure 60 Sicco Mansholt, Karel van Milleghem, 1962

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de leurs exploitations. En conséquence, l’Union européenne atteint rapidement une production excédentaire pour ce type de produits. En décembre 1968, le commissaire européen à l’agriculture Sicco Manhsolt propose une réforme de l’agriculture en prédiction des déséquilibres de certains marchés intitulée « Programme Agriculture 1980 » (CVCE, 2016). Dans l’ensemble, cette politique encourage une part des agriculteurs à se reconvertir pour favoriser la création de très grandes exploitations agricoles, les seules alors considérées comme viables en garantissant à leur propriétaires un revenu équivalent aux autres travailleurs. Ce plan n’est pas adopté en l’état à cause de virulentes oppositions de la part des agricultures : « Le plan Mansholt se réduit finalement à trois directives européennes qui, en 1972, concernent la modernisation des exploitations agricoles, la cessation d’activité agricole et la formation des agriculteurs. » (CVCE, 2016) Suite à l’explosion de la productivité, certains quotas sont mis en place pour stabiliser la production : en 1984, les quotas laitiers engendrent la réduction drastique de la productions de lait en France. La PAC des années 1960 rappelle de manière frappante les conditions de mutation agricole à l’oeuvre dans la Dombes. La fusion des parcelles agricoles en très grandes exploitations, la domination céréalière, la conversion des prairies bovines en monocultures, l’abandon du statut d’agriculteur pour le secteur secondaire : tous les remaniements du système agricole dombiste de la fin du XXème siècle sont largement dictés par cette politique commune à toute l’Union Européenne. En ce sens, la transition d’une gestion coutumière locale à une politique supra-nationale implique nécessairement une modification des ressources employées pour la transformation territoriale. Si les conditions de travail se sont potentiellement améliorées pour une part des agriculteurs dombistes, les conséquences issues de la simplification du milieu sont


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loin d’être positives pour le milieu en question. Nous l’avons détaillée, elle s’accompagne d’une forte dégradation de l’écosystème à travers ses composantes biotiques comme abiotiques. Par cela, nous pouvons introduire la notion d’érosion : après un processus d’épaississement « Aujourd’hui, la du lieu induit par l’usage de ressources issues du milieu transformation des transformé, la globalisation de cette ressource induit inépratiques culturales vitablement l’érosion de ce milieu.

Figure 61 Construction de l’hôpital de Saint-Lô (Manche), Années 50

remet en question les fondements de cette adaptation réussie et altère les qualités du biotope dombiste. »

Sans détailler le processus de globalisation comme nous venons de le faire pour la politique agricole, nous pouvons établir un constat similaire en ce qui concerne le domaine de la construction. La période d’après-guerre Charles Avocat, 1975 est connue pour sa phase de reconstruction : cette période impulse le développement de techniques constructives communes à de nombreux pays. Le premier Plan de modernisation et d’équipement, aussi appelé Plan Monnet, est lancé en 1946 à l’initiative du Général de Gaulle et de Jean Monnet. Ses directives illustrent l’orientation du domaine de la construction et des travaux publics en cette seconde moitié du XXème siècle : modernisation de l’industrie, attribution d’un maximum de moyens à la construction, équipement des activités de base telles que la sidérurgie, le ciment, les houillères ou le machinisme agricole (Commissariat général du Plan, 1946-1947). Dès lors, les directives nationales misent sur une globalisation des procédés de construction en vue de compenser le retard économique et les pénuries qui marquent cette époque. Industrialisation, rationalisation et standardisation deviennent les mots d’ordre de cette nouvelle orientation constructive. La même année, un outil de normalisation intitulé « Répertoire des éléments et des ensembles fabriqués du bâtiment (REEF) » fonde les modes opératoires de cette nouvelle méthode : « L’industrialisation de la Construction ne peut se concevoir sans la normalisation qui définit du point de vue dimensions et qualités,


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les éléments et ensembles à normaliser » (Ministère de la « La déterritorialisation est aussi marquée par reconstruction et de l’urbanisme, 1946).

l’amnésie des savoirs et des compétences liés au processus de construction de la ville et du territoire. »

Dans ces circonstances, la politique globale menée à l’échelle nationale - voire commune en certains points à une échelle encore plus étendue - vise à la globalisation des matériaux comme des technicités employés pour Alberto Magnaghi, 2014 la construction. De manière évidente, cette politique ne peut envisager la prise en compte des ressources issus d’un milieu particulier : la mise en place de certains acteurs, à l’image des organismes de contrôles ou des compagnies concessionnaires de distribution, nécessite une normalisation de la ressource. Dès les années 1950, les bureaux d’études techniques se développent sous l’impulsion du Plan Marshall en vue d’améliorer la productivité du domaine de la construction. Mis en place de manière officielle à partir de l’opération du Secteur industrialisé de 1951 sous la direction de la Construction, les BET participent à l’uniformisation des modes opératoires suivis dans ce domaine. En effet, l’incompatibilité entre la diversité de techniques et de matériaux avec le contrôle rapide et efficace nécessaire en cette période de reconstruction pousse à la normalisation (Christel Palant-Frapier, 2013). En Dombes, le pisé en tant que technique constructive associée à un milieu précis ne peut bénéficier d’un contrôle spécifique : la prise en compte de toute les spécificités locales devient incompatible avec la normalisation, elles tendent donc à disparaître. Dès lors, la Dombes comme tous les autres lieux voit muter très rapidement son paysage à travers l’emploi de nouvelles ressources. En effet, si les matériaux ou les technicités sont d’évidents sujets pour la transformation des paysages, d’autres ressources pour la construction telles que les formes urbaines, les modes de consommation ou les transports sont tout aussi impactées par cette globalisation. En ce sens, le phénomène d’érosion du lieu est une consé-


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quence de la disparition des spécificités locales au profit de la globalisation des ressources.


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chapitres 3 - 4


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Figure 62 Bad Utoquai, Zürich

” Sébastien Marot, 2020

Car on ne développe jamais aussi bien la faculté de créer, d’entretenir et de conserver une chose lorsque celle-ci, fragilisée à l’extrême, frappée de rareté ou d’extinction, menace à tout instant de s’évaporer.


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chapitres 3 - 4

Lorsque nous mettons en lien les indicateurs de qualité écosystémique de la Dombes avec son paysage, le rôle de la ressource apparaît de manière évidente. Dans la phase méliorative que nous associons à une complexification écosystémique, le paysage en tant que présentation du milieu présente une ressource dont l’origine est extrêmement localisée. Cette ressource, issue à la fois du milieu non anthropisé et des transformations impulsées par les hommes, est à l’origine d’une série de constructions manifestes qui concrétisent le lieu. À une époque où les moyens financiers comme techniques sons rares pour une communauté paysanne enclavée, les dombistes focalisent leurs savoirs et leurs savoir-faire sur leur environnement proche. Ils développent des usages spécifiques à leur milieu, dans les domaines de l’agriculture comme de la construction qui, rappelons-le, fondent l’acte d’habiter la Terre. Ces ressources matérielles comme immatérielles, en tant que produits exclusifs du lieu, présentent une valeur maximale pour le milieu duquel elles sont issues parce qu’elles lui sont adaptées. En ce sens, elles ne possèdent aucune valeur dans un contexte mésologique différent : à titre d’exemple, la technicité du pisé est inféconde dans un milieu dont la pédologie ne révèle aucune trace de terre argileuse. Pour cette raison, les ressources mésologiques fondent l’identité du lieu à travers son épaississement : elles marquent le paysage de manifestes dont la perception et la représentation participent à la fondation d’une culture locale. Or, celle-ci tend à s’effacer dans la phase dite dégradative, autrement appelée la simplification du milieu : c’est l’érosion du lieu. Impulsées des nécessités sociales et économiques, les politiques nationales et supra-nationales prennent le pas sur les coutumes locales au XXème siècle. En Dombes comme ailleurs, les spécificités du lieu n’existent plus en tant que ressources pour la transfor-


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mation du milieu : ces dernières deviennent globalisées. L’échelle de normalisation varie en fonction du type d’opération transformative, mais il est possible de s’accorder sur la disparition des échelles infra-nationale. Énoncée d’une manière extrêmement simplifiée, la centralisation des pouvoirs décisionnels à l’échelle du pays, de l’Union Européenne voire même des organisation internationales marque la fin des spécificités mésologiques. Celle-ci se produit au profit d’une ressource dont l’origine géographique reste imprécise, et dont la mobilisation concerne une majeure partie des territoires dont l’histoire marque une phase de dépression économique, productive et sociale d’après-guerre. Si le besoin d’efficacité se met en place de cette manière au cours des décennies qui suivent cette dépression, c’est en partie grâce à l’avènement de l’ère télématique. En effet, la disparition des frontières géographiques et l’accroissement des réseaux de communication tant matériels qu’immatériels favorisent le partage des connaissances et des compétences, et cela à une échelle qui n’avait jamais été atteinte auparavant. Si nous proposons la notion d’érosion pour l’opposer à celle d’épaississement, ce n’est pas seulement pour l’analogie à la transformation des biotopes, mais également et surtout pour la valeur péjorative qu’elle intègre. L’érosion, au-delà du phénomène emprunt à la géologie, peut plus largement caractériser la lente détérioration de son sujet d’application. Ainsi dans le troisième chapitre, le concept d’érosion territoriale est associé à la dégradation des écosystèmes en ciblant la globalisation de la ressource comme moteur de changement. Or, malgré les conséquences négatives soulevées, cette opération de globalisation est loin d’être involontaire. En effet, si son fondement d’après la Seconde Guerre mondiale peut sembler hâtif, cette globalisation est encouragée et renforcée dans les décennies qui suivent. Dès lors, si les


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chapitres 3 - 4

conséquences d’une ressource spécifique pour le paysage peuvent être décriées de quelque manière qu’il soit, elles ne peuvent être détachées de leur contexte spatial et temporel. Parce qu’elle naît d’un contexte de dépression sociale et économique, il devient difficile de blâmer cette globalisation au regard des circonstances de son établissement. En conséquence, il n’est pas question ici d’une quelconque réprobation de la globalisation de la ressource : il est important de la situer comme un mécanisme mis en place dans un contexte différent du nôtre. Il s’agit plutôt d’émettre une critique au sujet de l’origine de la ressource afin de s’approprier les dynamiques qui en émanent. Ainsi seulement il peut être envisageable d’établir une réflexion ancrée dans le contexte actuel, en traitant exclusivement les enjeux qui nous sont contemporains. Nous concluons ici notre troisième chapitre afin d’introduire le quatrième et dernier de cette étude. Les trois premières sections de ce travail permettent la mise en lumière d’une série de paramètres qui paraissent influents dans la résolution de notre problématique. Ainsi la ressource, le paysage, l’épaisseur et l’érosion deviennent les outils premiers de la description des processus transformatifs, dont l’étude de la Dombes en tant que zone humide s’avère être un instrument de tangibilité. Dans ce dernier chapitre, nous tâcherons de révéler la valeur de ces outils pour une transformation territoriale en cohérence avec les enjeux auxquels nous faisons face, enjeux dont la crise environnementale qui touche nos milieux en est un paramètre évident.


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chapitre 4

Figure 63 Foire internationale de 1964 : l’Unisphère, New York World’s Fair Corp, 1964


CHAPITRE 4 DU SUPRANATIONAL À L’UNITÉ MÉSOLOGIQUE, LES ÉCHELLES DE L’HOMÉOSTASIE TERRITORIALE

” Alberto Magnaghi, 2014

Les rôles du territoire, du milieu ambiant et du paysage sont appelés à changer au regard d’un modèle de développement où la diversité était un obstacle pour le déploiement de l’industrialisation de masse et la globalisation.

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chapitre 4


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4 | PARTIE 1 CRITIQUE D’UNE ATTITUDE TRANSFORMATIVE RÉMANENTE Figure 64 Feng Jie 5 Yangtze River, China, Edward Burtynsky, 2002

La globalisation des ressources employées dans la transformation de nos territoires est originaire d’un contexte précis : celui d’une crise sociale et économique qui survient en majeure partie à la suite des conflits multinationaux du XXème siècle. En cela, nous souhaitons rappeler que cette mutation du mode transformatif est issue d’une perturbation profonde des sociétés à travers celle des modes de vie individuels et collectifs, et qu’une série de nécessités telles que la production alimentaire ou le relogement en sont motrices. En ce sens, la globalisation des savoirs et des compétences à l’oeuvre au XXème siècle émerge afin de résoudre une crise systémique pour laquelle les modes contemporains ne paraissent pas efficients. Elle s’inscrit également dans une période historique d’avancée technologique qui affecte autant les réseaux de communication matériels qu’immatériels ; une période au cours de laquelle les notions de croissance et de progrès orientent de surcroît toutes les décisions. Aujourd’hui encore, il semble que notre comportement au regard de la transformation territoriale reste résolument globalisé. Pourtant, l’apparition simultanée d’un pic d’approvisionnement en pétrole et des signes de changements climatiques atteste de la présence d’enjeux nouveaux (David Holmgren, 2009). S’ils ne sont pas récents dans leur existence, c’est surtout la conscience collective des enjeux environnementaux à travers l’expression de leurs conséquences qui marque notre génération. Pour cette situation, la globalisation revêt un caractère fortement contradictoire en ce qu’elle est à la fois le moteur de la crise et son médium de diffusion, devenant ainsi l’une des origines de sa potentielle déconstruction. Il n’est pas question ici de faire un état général des attributs de la crise environnementale : ignorer ses conditions, dans notre contexte actuel d’évolution, ne peut être que le fruit d’un désintérêt individuel. Il s’agit plutôt d’étayer


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chapitre 4

la connaissance des phénomènes, réactions et processus qui existent en lien avec notre attitude transformative afin d’en émettre une critique contemporaine. En d’autres termes, il s’agit de questionner la rémanence* d’une attitude globalisante au regard de l’évolution son contexte d’existence. Si l’on fonde notre propos sur la mutation des enjeux liés à la transformation des territoires, le milieu dombiste du XXIème siècle se présente comme le protagoniste du contexte contemporain évoqué. Toutefois, en tant que territoire globalisé comme présenté dans le troisième chapitre, il apparaît nécessaire de le considérer dans son contexte élargi, que ce soit au niveau du temps comme de l’espace. Ainsi, il devient indispensable d’accompagner la focalisation sur la Dombes d’un regard sur le contexte spatial dans lequel elle s’inscrit, de la même manière que l’on considère les contextes temporels passé et futurs comme des supports de réflexion. Dans cette situation, l’enjeu prépotent de notre génération s’exprime clairement et de manière souvent unanime à travers l’expression de crise : « En treize ans, le contexte de crise dans lequel a été propulsée l’humanité dans son ensemble […] n’a cessé de se préciser comme une crise à la fois environnementale, économique et anthropologique. » (Christian Arnsperger, 2013) Néanmoins, l’explosion de la sollicitation de cette terminologie dans tous les domaines et par toutes les communautés anthropiques s’accompagne indéniablement d’une imprécision de sa signification. En ce sens, elle oscille perpétuellement entre l’intégration et le rejet de certaines sciences comme l’écologie, la sociologie ou encore la climatologie. De cette confusion apparaît alors une crise d’un genre nouveau, un ensemble de perturbations dont les répercutions d’un domaine sur un autre empêche la restric-

*Rémanence « Persistance d’un état après la disparition de sa cause. » Larousse, 2020


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tion à seulement certains champs d’étude. En s’appuyant sur le développement des trois chapitres précédents, cette crise globale peut se traduire de la manière suivante : une crise du milieu. En effet, cette dépression systémique dont l’écologie se veut la science première n’est autre qu’une perturbation brutale des composants biotiques et abiotiques de la Terre dans sa globalité, à travers celle de ses régions biogéographiques. Or, lors de la définition préalable du milieu, il est apparu nécessaire de considérer l’être humain comme une partie intégrante de ce milieu en lui accordant le statut bicéphale de sujet transformateur et de sujet transformé. Dès lors, les sciences de l’environnement ne peuvent plus être dissociées de l’anthropologie, de l’histoire, de l’économie ou de la géographie, dont les composants s’entremêlent tous sans exception à travers l’étude des milieux. Ainsi, la perturbation du milieu concerne de toute évidence autant les communautés humaines et leurs sociétés que les autres éléments de la biocénose et les biotopes, et peut dès lors être définie comme une crise écosystémique multiscalaire. Cette interrelation du temps et de l’espace se renforce lorsque cette crise, développée à partir de l’étude de la Dombes actuelle, est étayée dans un contexte spatial et temporel différent. En janvier 2020, les éditions françaises Wildproject achèvent d’imprimer la réédition d’un ouvrage intitulé L’art d’habiter la Terre : la vision biorégionaliste. Écrit en 1985 par l’essayiste américain Kirkpatrick Sale, de son titre original Dwellers in the Land: the Bioregional Vision est un manifeste dont l’une des fondations est précisément cette crise environnementale. Dans cette réédition traduite, le chapitre intitulé « La crise » est appuyé par les propos suivants : « Il faudrait être fou pour nier la somme de preuves qu’une crise écologique de grande ampleur est à notre porte. […] il n’y a tout simplement pas d’échappatoire, la vérité est indiscutable : pris


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chapitre 4

dans leur ensemble, les indicateurs montrent bien dans quelle catastrophe environnementale l’humanité s’est engouffrée. » (Kirkpatrick Sale, traduit par Mathias Rollot et Alice Weil, 2020) Pour introduire son argumentaire, Kirkpatrick Sale met en avant cinq conditions par lesquelles un environnement peut être mis en péril : la « surexploitation » (drawdown), le « dépassement » (overshoot), le « l’effondrement » (crash), le « déclin » (die-off), et « l’extinction » (die-out). Première étape de dépression, la « surexploitation » développée par Sale est directement liée à l’usage de la ressource par les communautés humaines. Au regard de notre définition de cette notion, il semble que son discours concerne avant tout les ressources que l’on nomme matérielles : « L’idée de surexploitation cherche à décrire un écosystème au sein duquel les espèces dominantes utilisent les ressources plus vite que celles-ci ne se régénèrent et finissent donc invariablement par en emprunter, d’une manière ou d’une autre, à d’autres lieux ou d’autres temporalités. » (Ibid.) En cela, un lien direct semble s’établir entre la globalisation des savoirs et des compétences et l’usage de la ressource matérielle. Le cas de la Dombes expose un milieu dont les technicités mobilisées pour sa construction n’en sont plus issues : inévitablement, les matières employées comme ressource pour la construction subissent le même sort. En considérant l’être humain comme l’espèce dominante de la plupart des milieux terrestres à une ère que l’on nomme communément l’Anthropocène, la normalisation de son attitude transformative promet un avenir résolument sombre. En effet, à travers la disparition des caractéristiques territoriales au profit de l’unification des usages, les civilisations participent à une hégémonie culturelle incompatible avec la diversité mésologique. Or, l’hétérogénéité des écosystèmes qui caractérise incontestablement nos environne-


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ments est de toute évidence incompatible avec l’uniformisation des ressources. En somme, la standardisation, la normalisation et l’uniformité conduisent à une forme systémique que l’on pourrait caractériser comme une oliLarousse, 2020 garchie de ressources : c’est cette simplification, dans un contexte de transformation territoriale, qui conduit à cette crise du milieu.

*Oligarchie « Accaparement d’un pouvoir ou d’une autorité par une minorité. »

En d’autres termes, c’est la focalisation de civilisations issues de milieux distincts sur un même ensemble de ressources qui conduit à leur perte. À première vue, il semble que la primauté des ressources dites « non renouvelables » sur celles « renouvelables » (Raffestin, 2019) soit à l’origine de la crise mésologique contemporaine. En effet, notre politique d’extraction conduit à porter hors du sol des éléments carbonés qui ont, sous l’action des êtres vivants, mis des centaines de millions d’années à être enfouis. Hors, nous semblons omettre que c’est justement l’enfouissement de cette quantité de carbone qui rend notre atmosphère viable : « Nous déstabilisons un système dont l’équilibre est à l’origine de la plupart des formes de vie évoluées actuelles, y compris la nôtre » (Isabelle Delannoy, 2017). Mobilisées pour la production énergétique, la construction ou l’agriculture, ces ressources constituent à la fois les fondements de notre société et l’origine de sa destruction par les impacts néfastes et extrêmement rapides sur nos écosystèmes. Toutefois, elles ne sont pas l’exclusif levier de transformation : les ressources dites « renouvelables » ne constituent pas une alternative viable par le simple fait de leur usage. Nous introduirons ici le postulat de Friedrich Hirsch, repris par Alberto Magnaghi dans son ouvrage de 2014 : « Quand tous auront satisfait leur désir d’avoir une maison dans les bois, le bien relationnel qu’ils avaient cherché à obtenir (le bois) n’existera plus. » (Magnaghi, 2014) Par la


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limpidité de son illustration, Hirsch ébranle les croyances collectives au sujet de l’usage de la ressource : le point de départ de la crise mésologique ne se trouve pas réellement dans le type de ressource mobilisée, mais plutôt dans la monotonie de son ensemble. En d’autre termes, c’est l’usage exclusif d’un ensemble de ressources - associé aux dommages collatéraux causés par l’énergie employée pour son transport, sa transformation et son stockage - qui constitue l’origine de cette crise. Or, si la délocalisation de la ressource se concentre sur certains milieux, que ce soit pour l’extraction du sable, du pétrole ou du bois par exemple, ces milieux originellement riches sont appauvris à l’extrême. Le processus initialement appelé transformatif, celui qui accompagne la co-évolution, devient alors un acte d’ablation : les ressources mésologiques ne sont plus employées et modifiées pour construire le milieu, mais elles sont extraites d’un milieu pour en construire un autre. Par conséquent, les deux milieux subissent le phénomène d’érosion décrit plus tôt ; le premier par la disparition pure et simple de ses composants écosystémiques, le second par annulation du mécanisme d’épaississement du lieu. Ce phénomène d’érosion simultanée nous mène aux propos d’Alberto Magnaghi dans son ouvrage La biorégion urbaine : petit traité sur le territoire bien commun de 2014. Tel que nous l’avons décrit plus tôt, l’érosion d’un milieu peut se produire lorsque les ressources mobilisées pour la création d’une composante paysagère ne sont pas issues du milieu dans lequel elle est construite. Ce phénomène, en empêchant l’épaississement du lieu, produit ce que Magnaghi appelle la « déterritorialisation ». D’après ses propos, le territoire est le « résultat contemporain des traces stratifiées de nombreux processus de territorialisation » (Magnaghi, 2014), une définition rappelant incontestablement le concept de l’épaisseur des lieux. En ce sens, la déterritorialisation est exprimée comme une

« L’agora et la politique […] agissent dans un hyperespace de plus en plus inaccessible globalisé, fortifié, déguisé en illusion de démocratie télématique. » Alberto Magnaghi, 2014


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rupture de la relation de co-évolution entre l’homme et son milieu, comme la destruction de la relation ancrée par le temps entre les communautés humaines et leur territoire d’évolution. Le lieu passe ainsi d’un statut de sujet, actif dans l’acte de transformer, à un objet réduit au support des activités humaines : « Cette vision objectivée de la Terre constitue un problème important car une grande partie de la crise de la pensée occidentale, fondée sur le développement (assimilé à la croissance économique), tient au fait que la construction d’une seconde nature artificielle, fonctionnelle au service de la machine productive et de la circulation des marchandises à une échelle infinie, réduit le territoire à un simple support inerte et isotrope d’activités économiques. » (Magnaghi, 2014) L’une des conséquences principales de ce comportement d’objectivation se trouve dans l’effacement des spécificités. En effet, l’uniformisation des milieux à travers la globalisation de la ressource employée pour leur transformation - mène indéniablement à l’effacement des caractéristiques identitaires. Or, si l’homogénéisation des écosystèmes entraîne la banalisation de leurs composantes biotiques et abiotiques, elle produit avec elles celle des communautés humaines. Il s’agit ici d’une mise en lumière des relations entre les crises d’ordre environnemental et celles que l’on caractérise comme sociales ou anthropiques. Souvent distinguées, il s’agit finalement d’un seul et même processus guidé par la déterritorialisation. En conséquence, cette crise se traduit au sein des établissements humains par la rupture des habitants avec leur territoire, impliquant avec elle la disparition des particularités individuelles et collectives. La normalisation des usages transformatifs, en participant à l’érosion et à la banalisation des milieux, entraîne la disparition des modes de vie spécifiques au profit d’une mouvance globalisée. Finalement, l’altération des habitats engendre celle de ses


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habitants dont le particularisme, sans un ancrage communautaire produit par les spécificités territoriales, tend fatalement à disparaître. À ce propos, nous saluons la pensée de Simone Weil pour la prégnance de son discours : « L’enracinement est peut-être le besoin le plus important et le plus méconnu de l’âme humaine » (Simone Weil, 1949). En somme, il apparaît de manière limpide que la rémanence d’une attitude globalisante n’est plus soutenable. Conduite dans un contexte d’après-guerre, elle est à l’origine d’une pensée généralisée qui donne à la croissance illimitée et au progrès technologique un statut de norme. Ainsi, la politique extractive guidée par la production de masse déplace l’usage de la ressource à une échelle infiniment plus large que le milieu pour lequel elle est mobilisée. Il en résulte une rupture de la relation entre les territoires et les usages qui les transforment, et avec elle la destruction de la relation de co-évolution entre les hommes et leurs milieux : « L’homme et la terre sont divisés, les liens qui les unissaient sont brisés. » (Van der Ploeg, 2013) Force est de constater que la globalisation des modes transformatifs ne produit plus des lieux, mais des espaces dénués d’identité : « Un espace uniforme et vide est un espace qui reste muet, c’est une terre qui ne parle plus à ses habitants, mais qui se limite à en supporter le poids. » (Giovanni Ferraro, 2001) Finalement, l’étude de la Dombes illustre parfaitement le rôle prépotent de la ressource dans la construction des territoires, à travers celle des paysages et des lieux, et de surcroît sa capacité à initier leur destruction. La relation profonde entre les hommes et leur milieu ne peut plus être négligée lorsque l’on prend conscience des conséquences dramatiques de sa rupture. Néanmoins, les expériences du passé et leurs résurgences contemporaines ne doivent pas être perçues comme une fatalité, ni être décriées ou même blâmées : au contraire, elles sont une opportunité pour notre gé-

« Le retour n’est pas un retour au passé, mais un retour à la construction des futures conditions de vie sur terre. » Alberto Magnaghi, 2014


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nération d’appréhender les conséquences de nos futures transformations, et d’en adapter les modes opératoires. Au regard de notre contexte d’étude et de ses conditions passées comme contemporaines, ce dernier chapitre interrogera la capacité des milieux à assurer le retour d’une co-évolution impulsée par l’acte même de transformer nos territoires.


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intermède


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INTERMÈDE « WINTU »

« “Les blancs se moquent de la terre, du daim ou de l’ours“ dit une ancienne de la nation Wintu. “Lorsque nous, Indiens, chassons le gibier, nous mangeons toute la viande. Lorsque nous cherchons des racines, nous faisons de petits trous. Lorsque nous brûlons l’herbe à cause des sauterelles, nous ne détruisons pas tout. Nous secouons Des récits et des masques, les glands et les pommes de pin des arbres, nous n’utiliFrance Inter, 2019 sons que le bois mort pour nous chauffer. L’homme blanc, lui, retourne le sol, abat les arbres, détruit tout. L’arbre dit : ‘Arrête ! Je suis blessé, ne me fait pas mal.’ Mais il l’abat et le débite. L’Esprit de la Terre le hait. Il arrache les arbres, et ébranle jusqu’à leurs racines, il scie les arbres. Les Indiens ne font jamais de mal, alors que l’homme blanc démolit tout. Il fait exploser les rochers, et les laisse épars sur le sol. La roche dit : ‘Arrête ! Tu me fais mal.’ Mais l’homme blanc n’y fait pas attention. Quand les Indiens utilisent des pierres, ils les prennent petites et rondes pour y faire leur feu. Comment l’esprit de la Terre pourrait-il aimer l’homme blanc ? Partout où il la touche, il laisse une plaie.“ » Figure 65 Les danseurs de guerre de Winnemem protestant contre l’écloserie de Baird dans les années 1870

Sitting Bull, né vers 1831 dans l’actuel Dakota du Sud et mort le 15 décembre 1890 dans la Réserve indienne de Standing Rock, est un chef de tribu et médecin des Lakotas Hunkpapas (Sioux). Il est l’un des principaux Amérindiens résistants face à l’armée américaine, notable pour son rôle dans les guerres indiennes et très particulièrement la bataille de Little Bighorn du 25 juin 1876 où il affronte le général Custer.


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4 | PARTIE 2 MÉSOLOGIE, BIORÉGIONALISME, TERRITORIALISME Figure 66 Valley Section Patrick Geddes, 1909

La critique de notre attitude globalisante mène à une réflexion sur l’avenir de nos sociétés autant progressistes que productivistes. Au regard d’une multitude d’indicateurs tant relatifs aux communautés humaines et à leurs modes de vie qu’aux autres composants biotiques et abiotiques de nos écosystèmes, nous reconnaissons l’existence d’une crise mésologique. À ce propos, l’implication des êtres humains dans cette crise se veut irréfutable : l’accélération des dégradations des territoires va de pair avec l’intensification des activités humaines. Or, si la dégradation équivalente des milieux non anthropisés pourrait être employée comme un argument pour réfuter l’implication des communautés humaines à ce sujet, elle exprime au contraire l’ampleur des répercussions de leurs activités. Les enjeux des décennies à venir sont aujourd’hui trop reconnus pour s’y attarder : mis à part un évident nihilisme, nul ne saurait nier la rupture d’équilibre systémique dans laquelle nous sommes engagés. Toutefois, la démonstration de l’érosion des territoires semble stérile si l’on s’y restreint ; nous rapporterons ici les propos de l’économiste britannique Ernst Friedrich Schumacher issus de son oeuvre Small Is Beautiful : « Parler du futur est utile, à la seule condition que cela aboutisse à une action concrète dans le présent. » (E. F. Schumacher, 1979) En ce sens, les données apportées par les trois premiers chapitres peuvent être sollicitées afin de suggérer une alternative à la manière dont les communautés humaines transforment leurs milieux d’établissement. Cette réflexion n’envisage pas la construction d’un modèle politique ni celle de ses conditions : nous dépasserions largement le champ de nos compétences, et nous nous éloignerions surtout de notre dessein. Il s’agit plutôt de rapporter un ensemble de théories issues de l’étude systémique des territoires et d’en extraire les caractéristiques. Dès lors, la Dombes en tant que sujet d’étude devient une force catalysatrice dans l’illustration de notre propos : elle permet ainsi la critique


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du réalisme des situations énoncées. Une multitude de postures ont inspiré l’élaboration de cette étude mésologique. S’il arrive que ces théories se rejoignent à travers certains postulats et quelques convictions, c’est une collection avant tout hétéroclite qui fonde ce propos. Or, il semble que c’est précisément le caractère éclectique de ce corpus de références qui autorise la critique de la construction territoriale. En effet, la confrontation des radicalités à travers une forme proche du syncrétisme conduit souvent à l’élaboration d’une posture neuve. En ce sens, nous souhaitons appuyer que si cet exercice de recherche n’a pas pour objectif la construction d’un modèle de pensée et l’établissement de ses modes d’action, il entend plutôt suggérer de nouvelles références et surtout une combinaison originale de celles-ci. De cette manière, la réflexion portée au sujet de l’attitude transformative des communautés humaines pour la construction des lieux est en mesure d’être développée par-delà ces écrits ; ainsi l’inspiration d’une nouvelle forme de production territoriale devient possible. Nous introduisons ici la présentation de quelques marqueurs forts de ce corpus et leur pouvoir de mutation en rapportant les propos du philosophe et essayiste polonais Leszek Kolakowski : « Il se pourrait bien que ce qui est impossible à un moment donné puisse devenir possible par le simple fait d’être évoqué. » (Leszek Kolakowski, 1969). D’abord, la mésologie en tant que science des milieux se place au cœur du propos, tant pour l’intense prolificité du mode de pensée qu’elle induit que pour ses résurgences contemporaines. Ce terme construit en 1848 par le médecin français Charles Robin se trouve popularisé grâce à sa filiation aux études anthropologiques : la mésologie se voit surtout mobilisée dans le cadre des postulats sur la biologie positive. Représentée par Auguste


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Comte, le positivisme en tant philosophie se focalise sur les relations entre les phénomènes plutôt que sur leur nature intrinsèque (Annie Petit, 2016). En d’autres termes, l’approche positive se fonde sur la métaphysique pour explorer la coexistence de différentes entités sans sonder directement les entités seules. En ce sens, la notion de milieu devient au XIXème siècle déjà un instrument de compréhension des interactions entre l’être humain et son environnement élargi. Au-delà de toute critique, cette vision porte un intérêt incontestable par l’approche analytique qu’elle suggère : si l’on considère deux sujets, ils ne sont examinés ni sous le prisme de leurs attributs essentiels ni de manière isolée. Au contraire, ils sont considérés dans une dynamique relationnelle et caractérisés par les liens qu’ils entretiennent avec l’un avec l’autre. Si cette approche est largement critiquée pour la négation des caractères identitaires propres aux sujets, elle est toutefois notable pour la mise en valeur de l’expressivité des caractéristiques relationnelles. L’approche positiviste à laquelle la mésologie peut être intégrée représente ainsi une clé pour l’analyse des milieux comme pour celle de leurs composants : elle rappelle que l’étude des rapports d’un sujet à son environnement est parfois plus expressive que celle du sujet pris isolément. À ce propos, nous pourrions supposer que l’étude de la Dombes privée des rapports à son contexte géographique étendu - à la métropole lyonnaise, par exemple - resterait bien maigre de conclusions. Ainsi la mésologie marque un mode d’analyse nouveau en ce qui concerne l’être humain et ses structures sociétales. Elle propose une focalisation sur l’homme en tant que sujet situé dans un environnement donné, c’està-dire en prenant en compte ses capacités d’interaction et, supposément, de transformation. Dès lors, la mésologie marque une distinction majeure entre deux notions sen-


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siblement proches : le milieu et l’environnement. Si le milieu désigne un ensemble au sein duquel vit et évolue un organisme vivant - dans notre cas d’étude, un être ou une communauté humaine - alors l’environnement désigne ce qui l’entoure (Larousse en ligne, 2020). Ainsi, la mésologie génère une série de réflexions au sujet des échelles et des limites associées au milieu. Si cette science est à l’origine de nombreux questionnements ontologiques, sa postérité en France est très limitée : le terme même de mésologie tend à disparaître des dictionnaires dès le XXème siècle. En revanche, la distinction qu’elle suppose entre les notions de milieu et d’environnement connaît quant à elle de nombreuses reprises. C’est au-delà des frontières françaises que la mésologie se développe, en particulier à travers les travaux du biologiste allemand Jakob von Uexküll (1864-1944) et du philosophe japonais Tetsuro Watsuji (1889-1960). La notion de milieu, qu’ils étudient et interrogent respectivement sous les terminologies Umwelt et fûdogaku, poursuit au sein de leurs écrits ce vaste questionnement au sujet des rapports entretenus entre l’être humain et son environnement (Wolf Feuerhahn, 2009). Si la notion de mésologie produit aujourd’hui un sentiment de désuétude, elle se trouve pourtant au cœur des débats contemporains. Grâce aux travaux postérieurs basés sur cette science, l’étude du milieu humain suscite aujourd’hui l’intérêt de nombreuses disciplines qui réaniment tour à tour les fondements de cette philosophie : « Au moment où le monde s’interroge sur les crises de la mondialisation et de la modernité et où les géographes peinent parfois à trouver leur place dans les explications post-modernes des relations entre l’homme et le milieu, le point de vue de Watsuji est complètement novateur. Il établit un pont entre la géographie et la philosophie, plaçant l’existence humaine dans une perspective de fusion entre le corps social et son environnement,


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dépassant par là-même les débats sur les déterminismes naturels ou leurs négations. » (Nicolas Baumert, 2013) En ce sens, si la mésologie en tant que science n’est pas directement énoncée, c’est une extraordinaire postérité qui s’en inspire à travers un corpus issu de domaines d’étude très variés. L’on retrouve ainsi des inspirations mésologiques au cœur des recherches géographiques, anthropologique, philosophiques tout autant qu’en sciences bioloKirkpatrick Sale, 2020 giques. Bien que la posture relative à cette notion varie considérablement en fonction des champs d’étude voire même en leur sein - comme l’appuie Baumert au sujet des déterminismes naturels - l’effervescence qui existe autour de la mésologie exprime une nécessité d’intérêt.

« Le biorégionalisme n’est rien de plus que ce qui arrivera, forcément, après la catastrophe, pour la simple et bonne raison que c’est la manière qu’ont les écosystèmes naturels eux-mêmes de fonctionner. »

C’est la raison pour laquelle la focalisation sur le milieu est largement résurgente dans le domaine des sciences du territoire. En effet, la situation d’érosion territoriale développée plus tôt n’est plus restreinte à des localités éloignées : elle est tout aussi globalisée que son facteur d’influence ; elle touche désormais les métropoles occidentales semblant jusqu’ici épargnées de la détérioration des lieux. Dès lors, une multitude de théories émergent depuis la seconde moitié du XXème siècle et plus encore aujourd’hui au sujet de ce que nous nommons la crise mésologique. Si leurs expressions ou leurs modes opératoires ne sont pas toujours similaires, elles semblent toutefois fondées sur une conscience commune, celle du milieu. Lieux, territoires, environnements, urbanités : les systèmes nominatifs représentent parfois un frein à la diffusion de la pensée. Ils conditionnent chaque penseur dans le produit d’expression de son manifeste, annulant en cela toute connexité potentielle. Pourtant, il semble qu’au-delà des formes stylistiques, les idées se rejoignent çà et là pour façonner d’une mouvance commune l’avenir de nos sociétés. En conséquence, à celle de la mésologie suit la présentations de deux autres références pour ce


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travail de recherche et pour les enjeux qu’il souligne. Nous nous concentrerons ici sur les travaux de deux acteurs majeurs dans les sciences territoriales, préalablement cités à de nombreuses reprises : Kirkpatrick Sale et Alberto Magnaghi. S’ils ne sont de toute évidence pas les seuls auteurs de la pensée qu’ils développent, ils en restent des figues marquantes.

« Si Magnaghi souligne régulièrement la préexistence des travaux de Kirkpatrick Sale et Peter Berg sur la question, c’est qu’en effet, toutes recherche honnête sur le sujet ramène, immanquablement, à l’un ou l’autre de ces penseurs. »

Au-delà de sa carrière de journaliste, Kirkpatrick Sale est aujourd’hui reconnu en tant qu’essayiste et historien. À travers son œuvre écrite, il se focalise sur l’his- Mathias Rollot, 2020 toire des États-Unis - d’où il est originaire - afin d’émettre une analyse critique de leur système territorial. Il produit ainsi une série d’ouvrages généralement illustrés par l’expérience américaine qui remet en question les échelles de gouvernance contemporaines, parmi lesquels nous pouvons citer Human Scale (1980), Dwellers in the Land: the Bioregional Vision (1985) et The Green Revolution: The American Environmental Movement (1993). Présenté plus tôt, le second ouvrage illustre parfaitement l’actuelle résurgence de la mésologie dans les études territoriales. Resté longtemps inaccessible aux lecteurs francophones, il est co-traduit en janvier 2020 par l’architecte Mathias Rollot et par Alice Weil. Grâce à la contribution d’auteurs tels que Sébastien Marot pour la postface, les théories issues de l’oeuvre de Sale rejoignent aujourd’hui plus que jamais les débats publics, et ce à travers une posture centrale : celle du biorégionalisme. Ce néologisme est un produit de la contre-culture nord-américaine qui marque les années 1960. Le biorégionalisme peut être approché comme un mode de gouvernance fondé sur deux piliers majeurs : la géographie et les communautés humaines. Ce courant alternatif est particulièrement développé dans les années 1970 à travers la figure éco-anarchiste de Peter Berg et la Planet Drum


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Foundation, une association de militants communautaires et écologistes qu’il co-fonde en 1973 avec Judith Goldhaft, à San Francisco (Mathias Rollot, 2020). Avec le biogéographe Raymond Dasmann, ils considèrent une biorégion comme un territoire dont la cohérence repose d’une part sur ses caractéristiques géomorphologiques et d’autre part sur le rôle des communautés humaines dans sa structuration. En ce sens, l’administration sociétale induite par cette vision rejette les tracés, les limites et les frontières d’origine purement politique. Fondé sur les problématiques écologiques de la seconde moitié du XXème siècle, le biorégionalisme incarne ainsi un idéal politique transdisciAlberto Magnaghi, 2000 plinaire auquel une multitude de domaines d’étude s’intéressent d’une façon de plus en plus expressive. Pour cause, cette approche réflective présente une qualité incontestable : une posture affirmée qui se détache de toute radicalité. En ce sens, si le biorégionalisme de Sale présente des fondations similaires à celui de Berg, il autorise et promeut les spécifications personnelles. Par conséquent, si l’approche biorégionaliste se retrouve au sein d’horizons tant géographiques que disciplinaires très variés, elle produit une effervescence particulièrement notoire dans les études urbaines et architecturales contemporaines.

« La soutenabilité du développement dépend de la façon dont un modèle socioéconomique se révèle en mesure d’assurer la conservation et la croissance des lieux grâce à des actions capables de valoriser ou de préserver leur « typologie territoriale » et leur individualité. »

Dans ce contexte, la figure d’Alberto Magnaghi est invoquée comme un protagoniste majeur dans l’adaptation des principes développés par Berg et Sale aux études territoriales. Au regard de la posture que transcrivent ses écrits et son activité militante, nous pourrons caractériser Magnaghi d’interprète biorégionaliste. Pour cause, s’il intègre les valeurs biorégionales dans ses théories, il œuvre à la construction d’un mode de pensée original à laquelle son statut d’architecte et d’urbaniste participe largement. Ainsi, Magnaghi se détache de l’exception biorégionale en incarnant le rôle de précepte d’un mouvement singulier : le territorialisme. Au-delà d’une simple philosophie, c’est


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un véritable projet qui est porté par un groupement de chercheurs regroupés sous le nom de « Société des territorialistes » (Garçon, Navarro, 2012). Le 16 avril 2010, un manifeste est rédigé à Florence par les membres de l’association, marquant ainsi autant l’existence que la distinction de l’école territorialiste vis-à-vis des autres postures politiques. Parmi les vastes sujets traités, l’école territorialiste dénonce la dissolution contemporaine des lieux et les nouvelles pauvretés qui en émanent, notamment à travers l’uniformisation des modes de vie que fédère une globalisation libérale. Face à une civilisation façonnée par la marchandisation des biens et des services publics, ils projettent un auto-développement local fondé sur des nouvelles formes de citoyenneté, à l’image d’une démocratie participative. À travers une expérimentation territoriale menée sur le Parc agricole Sud Milan depuis une trentaine d’années déjà, le mouvement territorialiste entend prouver la viabilité d’une alternative à la construction actuelle des territoires, celle qu’elle considère à l’origine de la déterritorialisation (Magnaghi, 2000). Bien que puisse le sous-entendre le titre français de l’ouvrage Le projet local d’Alberto Magnaghi, ce vaste projet ne se fonde pas sur un localisme stricte : au contraire, il prône une mondialisation qui se baserait sur des « solidarités inter-locales », notamment par le soutient d’une pluralité de modes de développement (Augustin Berque, 2014). Dans la majeure partie de son travail, Alberto Magnaghi n’exprime que très brièvement une potentielle référence au biorégionalisme pour l’élaboration de son propos. Pourtant, ce mouvement s’ancre dans bien au-delà des États-Unis, et en Italie tout particulièrement. Il est notamment représenté par Giuseppe Moretti, travaillant avec Berg et Goldhaft pour sa revue Lato Selvatico initiée en 1992 (Rollot, 2018). À ce sujet, Mathias Rollot énonce : « Magnaghi propose une « acception “territorialiste” de


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biorégion » en affirmant que c’est à Geddes ou Vidal de la Blache qu’il faut revenir pour comprendre les origines du concept ». Aussi, s’il est délicat se statuer sur une filiation directe entre le biorégionaliste américain et le territorialisme italien, les inspirations communes structurées par l’écologie restent certaines. De même, l’aspiration à la décentralisation et à la réinterprétation territoriale se révèle omniprésente dans l’une ou l’autre des postures ; Lewis Mumford, cité par Kirkpatrick Sale, 2020 en cela les théories se rejoignent. Par ici, nous proposons la confrontation d’un corpus idéologique : si le biorégionalisme, le territorialisme ou même la mésologie ne s’identifient pas comme une émanation directe de l’un ou de l’autre des mouvements, ils en restent tous mobilisables dans la distinction d’un projet commun, et ce autant par leurs inspirations que leurs aspirations.

« La réanimation et la reconstruction des régions, en tant qu’oeuvres délibérées d’art collectif, est la grande tâche de la politique de la génération à venir. »

De ce vaste corpus de références théoriques comme celui de leurs applications contextuelles, nous noterons comme toute particulière une focalisation commune : celle des échelles de gouvernance. En cela, les postures présentées jusqu’ici rejoignent de manière significative la critique émise au sujet de la rémanence d’une attitude globalisante. Exprimée par Magnaghi sous la terminologie de local ou par Sale à travers l’expression de biorégion, la recherche d’une échelle de production et de gestion du territoire qui s’extirpe du modèle privilégié par nos sociétés occidentales devient prépotente dans ce contexte contemporain. Si un territoire se présente comme une unité entre autres établie par l’homogénéité de ses modes transformatifs, alors l’on peut considérer qu’il n’existe aujourd’hui plus - ou presque - de limites territoriales, et ce à l’échelle planétaire. Pourtant, il semble désormais évident qu’une échelle globale de gestion pour la transformation des territoires n’est pas soutenable, comme l’exprime l’érosion tout aussi globale des lieux de vie. À ce propos, la position de Sale est claire : « Il y a fort à parier que la taille des


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problèmes réduira en même temps que l’échelle des territoires. » (Sale, 2020) En cela, il paraît pertinent d’orienter cette réflexion menée au sujet des modes de transformations mésologiques vers celle de l’échelle des territoires qui en sont sujets. Dans cette prochaine section, nous inspecterons les territoires sous le prisme de leurs limites, échelles et relations pour suggérer la viabilité d’un retour à la co-évolution entre l’homme et son milieu.


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4 | PARTIE 3 L’UNITÉ MÉSOLOGIQUE : DIVISION, DIVERSITÉ, DISPERSION Figure 67 Office in a small city, Edward Hopper, 1953 *Télématique « Ensemble des techniques et des services qui associent les télécommunications et l’informatique. » Larousse, 2020

Depuis plusieurs décennies maintenant, l’on a fort tendance à blâmer les individualités - et de surcroît, à se blâmer soi-même - au regard des conséquences de la crise écosystémique citée plus tôt. En effet, l’avènement de l’ère télématique* produit tout à la fois la réduction des rapports directs entre nos actions et leurs effets et l’accroissement de notre culpabilité face à leur reconnaissance. En conséquence, les problématiques infra-nationales soulèvent des mobilisations parfois plurinationales tandis que les enjeux dits globalisés ne produisent que peu de réactions individuelles. Et il n’y a rien de surprenant dans cette situation, bien au contraire : si l’être humain en tant que membre d’une société participe à la destruction massive des communautés biotiques autant qu’à celle de son propre lieu de vie, ce n’est certainement pas par volonté propre. Aussi, nous avançons ici que si les collectivités humaines se trouvent aujourd’hui dans une situation plus que paradoxale au regard de leurs intentions et de leurs actions, c’est peut-être parce qu’il n’existe que trop peu de liens de causalité entre celles-ci. À ce sujet, nous relèverons les propos plus qu’explicites de Sale : « Cela ne peut-être fait à l’échelle globale, ni à l’échelle d’un continent, ni même à l’échelle nationale, car l’animal humain étant petit et limité, il n’a la vision que d’une partie du monde, et une compréhension restreinte de comment s’y comporter. » (Sale, 2020) En ce sens, la globalisation de nos modes transformatifs ne conduit nullement à l’élargissement de notre réalité individuelle : au contraire, elle participe à la rupture profonde des liens entre les individus et leur environnement proche ; plus encore, elle inhibe toute réalité contextuelle des êtres humains à leur milieu. Pourtant, le sentiment d’appartenance des individus à leur contexte mésologique n’est pas absente lorsque l’on sonde les champs de l’identité. Au contraire, c’est précisément ce qui fonde une part de ce que l’on


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nomme communément « identité culturelle », bien que le statut de cette notion reste idéologique plutôt que scientifique (Geneviève Vinsonneau, 2002). Si nous énoncions plus tôt la disparition des particularités individuelles face à l’attitude globalisante des sociétés, c’est aussi pour pointer celle des unités communautaires. En effet, l’on peut considérer une communauté comme un groupement d’individus dont les usages transformatifs communs sont une émanation directe du milieu dont ils sont issus. Or la globalisation de ces usages, en conduisant à une banalisation des milieux et donc à une négation des particularités géomorphologiques, conduit à la disparition des communautés mésologiques pour produire une forme de collectivité beaucoup plus vaste. Ce modèle de groupement individuel, étendu au-delà des formes culturelles spontanées, tend aujourd’hui à atteindre une échelle bien supérieure à celle des structures communautaires historiques. C’est d’ailleurs ce que l’on peut comprendre par l’expression de « village planétaire », ou global village en anglais, formulée en 1964 par Marshall McLuhan dans son ouvrage Understanding Media: The Extensions of Man. Pourtant, si la quête d’un sentiment d’appartenance à un groupe national, continental voire planétaire semble vertueuse, elle apparaît désormais inefficiente. En effet, cela revient à nier les attributs de la cohésion communautaire : si celle-ci est perpétuée par les phénomènes de mémoire, de transmission et d’héritage patrimonial portés par les individus (Willy Lahaye, Huguette Desmet, JeanPierre Pourtois, 2007), elle tire son origine d’une certaine cohérence territoriale ; celle du milieu. Or il n’est que redondant de rappeler que malgré la banalisation mésologique à l’oeuvre, la Terre n’est pourtant pas un milieu unique ; malgré la construction d’une agora télématique, les individus restent soumis à un contexte spatial et temporel équivalent. En cela, imaginer une

« S’il doit y avoir une échelle à laquelle la conscience écologique peut être développée, à laquelle les habitants peuvent se considérer comme la cause des effets sur l’environnement, c’est bien au niveau régional ; là, toutes les questions écologiques sont extraites des domaines moraux et philosophiques pour être traitées comme des questions immédiates et personnelles. » Kirkpatrick Sale, 2020


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forme communautaire structurée à une échelle supra-mésologique - ne serait-ce que celle d’une nation comme la France - devient incompatible avec notre discours. En cela, si la communauté peut être perçue comme une conséquence de la cohérence territoriale, alors elle ne peut en dépasser les limites morphologiques. De même, si le sentiment d’appartenance communautaire est nécessaire à la reconnaissance des particularités individuelles, alors la reconstruction des identités culturelles collectives à une échelle restreinte en devient la condition première. En cela seulement, les individualités sont en mesure d’appréhender leur rôle dans la transformation de leurs lieux de vie ; les collectivités sont capables d’en adapter les modes opératoires. Car il n’est nul être conscient de ses particularités individuelles sans attitude de distinction à l’autre ; il n’est nulle concrétisation communautaire sans processus d’identification personnelle à une entité cohérente. En somme, c’est en ébranlant la structure contemporaine des échelles territoriales que s’ouvre le champ de reconstruction des lieux de vie, et ce par la simple subjectivation de leurs habitants. Cette réflexion menée à propos du complexe individualité - communauté participe à l’imagination d’une échelle soutenable pour la transformation territoriale. C’est notamment ce que constate le directeur de recherche au CNRS Claude Jacquier en 2011 dans la revue Vie Sociale : « Le monde occidental qui s’est structuré autour du modèle d’État-nation (le modèle westphalien), d’une certaine manière négateur des anciennes communautés, est peut-être plus que jamais, obligé de les restaurer en déléguant une partie de l’organisation de la cohésion sociale et environnementale (impératifs du développement soutenable) aux instances infra-étatiques que sont les « régions rurbaines » et les villes dans le cadre d’une gouvernance multi-niveau qui reste pour le moins


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ouverte quant aux formes qu’elle pourra prendre. » Si Jacquier comme Sale semblent s’accorder sur la terminologie région - que l’on parle de « biorégion » ou de « région rurbaine » - l’administration française elle-même basée sur cette notion soulève aujourd’hui des interrogations face à cet emprunt ; du moins isolément. Héritières des anciennes provinces françaises, les régions sont créées dès 1956. Si elles sont reconnues dès 1960 en tant que circonscriptions administratives, il faut attendre 1982 pour qu’elles le soient comme collectivités territoriales - c’est à dire en tant que personne morale de droit public bénéficiant d’une autonomie juridique et patrimoniale - et 2003 pour qu’elles soient reconnues par la Constitution (Michel Verpeaux, Christine Rimbault, Franck Waserman, 2018). Dans une dynamique de décentralisation, c’est-à-dire de transfert des compétences administratives de l’État aux collectivités locales, l’on peut supposer que les politiques nationales œuvrent en faveur de cette réduction d’échelle de gouvernance. Pourtant, le passage de 22 régions à seulement 13 dans le cadre de la réforme territoriale menée en 2015 sous la présidence de François Hollande remet en question cette volonté. Pour le professeur de droit public Jean-François Kerléo, la motivation prépotente de ce geste est claire : « Elle concentre le pouvoir au niveau local, et réorganise la décentralisation en lui retirant ou en ignorant les logiques démocratiques qui la sous-tendent pour favoriser une approche principalement économique. » (Jean-François Kerléo, 2015). Par là, il développe le concept de « recentralisation » pour dénoncer une nouvelle forme de décentralisation essentiellement contrôlée par l’action de l’État et motivée presque exclusivement par ses bénéfices économiques. Si les objectifs prônés par le gouvernement au sujet de cette fusion régionale se trouvent essentiellement dans la simplification de gouvernance, en d’autre termes

« Aujourd’hui encore, on nous présente généralement les organisations gigantesques comme inéluctables. Pourtant, si nous y regardons de plus près, nous pouvons remarquer que, sitôt l’élément de grande taille créé, naît souvent un effort acharné pour retrouver le petit à l’intérieur du grand. » Ernst Friedrich Schumacher, 1979


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la clarification du rôle des instances infra-étatiques et l’annulation du chevauchement des pouvoirs décisionnels celui des départements et des régions, par exemple -, la cohérence des territoires qui sont produits reste incertaine. En effet, ces nouveaux tracés régionaux regroupent dans un système territorial encore plus vaste des communautés historiques et des lieux de vie fortement hétéroclites. À titre d’exemple, nous pourrions interroger la cohérence de la nouvelle région Auvergne-Rhône-Alpes en sondant les points communs aux modes de vie d’un citadin lyonnais et d’un habitant du Cantal. Il s’avère ainsi que la simplification régionale menée par le biais d’un élargissement des territoires gouvernés atteste d’une volonté globalisante résurgente. Il en ressort une opération de lissage des spécificités locales au profit d’une gestion à grande échelle des modes transformatifs, renforçant davantage la disparition des systèmes communautaires et de surcroît l’érosion mésologique ; en somme un accroissement du phénomène de déterritorialisation proposé par Alberto Magnaghi. Si la disparition des spécificités mésologiques est promue par la fusion des échelles de gouvernance - et ce à travers une conception globalisée des attitudes transformatives des territoires - alors le soutient d’une échelle réduite de réflexion tout autant que d’action devient nécessaire. Aussi, il paraît judicieux d’interroger les caractéristiques fonctionnelles, relationnelles et morphologiques de cette composante régionale. Il s’agit ici d’imaginer un territoire enclin au développement des réalités individuelles tout autant qu’à la reconstruction communautaire, et ce dans le but d’éveiller une conscience nouvelle : la conscience du milieu. Ainsi seulement, la co-évolution entre l’homme et son milieu d’établissement peut être envisagée dans sa restauration ; les actions transformatives peuvent être conçues dans une dynamique d’épaississement des lieux de vie. En ce sens, cette unité régionale est une forme


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de construction mentale du milieu, lui-même implanté et intégré dans son contexte contemporain et concret par ses habitants. Dès lors, nous appuyons au-delà de celle du territoire seul la conception d’une réalité anthropique du milieu d’évolution des communautés humaines, à travers celle de leurs paysages d’établissement. Cette région, présentée dans le cadre de cette étude sous la néologie d’unité mésologique, devient vectrice de son propre épaississement par la conscience anthropique que produit sa subjectivation. En d’autres termes, la proposition même du concept d’unité mésologique permet au milieu d’apparaître aux hommes comme une réalité tangible, proche et universelle ; un sujet plutôt qu’un support d’utilité ; et ce supposément à travers la reconnaissance du paysage et de ses composantes. L’unité mésologique en tant que région tient la cohérence de son attitude transformative dans la reconnaissance de ses particularités locales sans toutefois nier son contexte élargi. En effet, elle n’est plus un cadre abiotique supportant une activité biotique menée essentiellement par les hommes. Si le territoire, en s’appuyant sur la définition conduite par Claude Raffestin, peut être perçu comme un espace approprié par les êtres humains à travers la projection d’un travail - c’est-à-dire de l’énergie et de l’information - il se distingue ici de l’unité mésologique par son statut (Raffestin, 2019). Ainsi, la reconnaissance du milieu en tant que contexte de vie d’une communauté anthropique à travers celle de ses individualités concrétise son existence en tant que sujet, capable de transformations autonomes et indépendantes, et non plus comme un objet auquel l’on pourrait identifier la notion de territoire. En ce sens, le processus d’identification des êtres humains à leur milieu ne peut être distingué de leur propre définition identitaire : dans ce contexte de réflexion ontologique, si l’environnement peut être défini


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par distinction à soi, le milieu devient un caractère intrinsèque à l’individu. Aussi, il va de soi de considérer le milieu comme un caractère fédérateur d’identité qui, au même titre que l’individualité dans son ensemble, évolue sans cesse au fil du temps et reste pourtant, malgré la mutation des ses caractéristiques identitaires, un seul et même sujet. Nous rapporterons à ce sujet les propos oraux du philosophe Yves-Charles Zarka : « L’identité n’est pas la permanence dans un être qui demeurerait le même. Rien n’est permanent, tout change. […] L’identité se maintient, Ernst Friedrich mais il ne faut pas la penser comme permanence, il faut Schumacher, 1979 la penser comme une identité qui se maintient dans le changement. » (France Inter, 2020) Sans nous y attarder de plus, nous ferons ici référence aux travaux du philosophe anglais John Locke, et tout particulièrement à son Essai sur l’entendement humain de 1689.

« Nous avons toujours besoin à la fois de liberté et d’ordre. Nous avons besoin de la liberté de très nombreuses petites unités autonomes, et en même temps, de la discipline et de la coordination d’unités globales, de grande taille. »

Face à ces précisions relatives au statut subjectif du milieu, il semble important de revenir à une caractérisation plus tangible de l’unité mésologique. Ainsi, elle peut dans un premier temps être définie à travers sa distinction à son environnement, et ce par la notion de limite. La limite peut être imaginée comme une construction mentale qui permet de circonscrire un espace donné (Jean-Pierre Renard, 2002). Lorsque cette espace est soumis à la territorialité par le biais de l’action humaine, les limites deviennent des frontières (Raffestin, 2019). Ainsi seulement, elles autorisent l’existence du pouvoir à travers la gouvernance territoriale et en cela la distinction aux autres territoires. Toutefois, les territoires peuvent être sujets à une imbrication scalaire : c’est l’exemple que donnent les associations politico-économiques contemporaines, avec l’Union Européenne comme exemple phare. C’est dans ce cadre géopolitique que l’unité mésologique entend proposer une alternative à la globalisation des modes transformatifs. En effet, la production de territoires


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gouvernés à une échelle qui s’extrait radicalement des limites géomorphologiques des lieux de vie humains est en opposition directe avec une transformation cohérente et génératrice d’épaisseur dans ces mêmes lieux. Il n’est pas question ici de déconstruire le système territorial contemporain, avec lui l’imbrication scalaire qui le caractérise. Il s’agit plutôt de proposer une nouvelle échelle de réflexion, intégrée à ce même système, dans le but de promouvoir les spécificités mésologiques - à travers leurs composantes biotiques et abiotiques - et ainsi autoriser une transformation méliorative des milieux humains. En ce sens, la reconnaissance des unités mésologiques dans nos conception des transformations s’imprègne de trois théories fortes : la division, la diversité et la dispersion. D’abord, l’unité mésologique s’inspire de la division. Inspirée par le postulat de l’économiste et philosophe autrichien Leopold Kohr, il semble judicieux d’introduire la division selon ses termes : « Si la petitesse (smallness) est un des mystérieux signes naturels de la santé et la grandeur (bigness) un signe de maladie, la division […] doit donc nécessairement représenter un principe de soin. […] La division (ou la multiplication, qui exerce un principe similaire de réduction de la taille des choses) représente non seulement le principe de soin mais aussi de progrès. […] La seule façon de restaurer un équilibre sain face aux conditions désastreuses semble donc […] de passer par la division des unités sociales qui ont grossi dans des échelles ingérables. » (Leopold Kohr, 1978) Il s’agit ici de souligner l’efficience d’une politique de division dans la reconnaissance des spécificités mésologiques. À ce propos, Sale relate en 1985 la vision de Kohr par son analogie : « Pensez à essayer de transporter de l’eau à travers une pièce dans un long plat peu profond, dont les côtés ne dépassent pas deux centimètres de hauteur. Que se passerait-il ? Vous reverserez la plus grande partie avant d’arriver à mi-chemin.

« Comme les livres sont améliorés par la division en chapitres, les maisons en chambres et les navires en cabines, les sociétés humaines sont améliorées par la division en régions - un phénomène naturel que l’on trouve dans toutes les cultures -, les régions sont améliorées par la division en zones, et les villes par celle en communautés. » Kirkpatrick Sale, 2020


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Voilà exactement pourquoi ils ont inventé les bacs à glace, dont le succès repose sur l’idée qu’en divisant les choses, on les rend gérables. » (Sale, 2020) En ces termes, la réduction des échelles de cohérence transformative, à travers la division des territoires jusqu’à l’échelle des milieux mêmes, laisse entrevoir le retour d’une gestion communautaire plutôt que nationale voire plurinationale des lieux de vie. De toute évidence, il semble sensé de croire qu’un habitant du Cantal connaît mieux son milieu d’établissement qu’un citadin lyonnais, pourtant souvent responsable des décisions majeures sur l’ensemble du terKirkpatrick Sale, 2020 ritoire régional.

« La diversité serait presque une nécessité pour vivre, que ce soit au sein d’une communauté, d’une ville constituée de communautés, d’une biorégion ou d’un continent, même si les types de diversité n’étaient bien entendu pas les mêmes selon l’échelle. »

Ensuite, l’unité mésologique prône la diversité. À l’image de la complexité écosystémique, la diversité est vectrice d’une force de résistance. Pour invoquer une fois de plus l’exemple de la Dombes dans notre propos, nous pourrions rappeler les conséquences de l’uniformisation des semences. Lorsque l’extrême variété culturale est remplacée par un corpus homogène de semences - le maïs et le colza - les ravageurs, n’étant plus soumis à la pression des prédateurs alors disparus, ne tardent pas à ruiner les James L. Sundquist, 1975 cultures. L’uniformisation de nos modes de vie n’est pas compatible avec notre vie elle-même : elle participe à notre perte en étayant un système sociétal de plus en plus fragile. Le concept de diversité est ainsi porté par l’unité mésologique en ce qu’elle reconnaît et surtout promeut les spécificités locales : d’une part, elle participe à l’épaississement autonome des milieux ; d’autre part, elle accroît la fertilité des échanges entre les différents milieux. En ce sens, il apparaît nécessaire de préciser que l’unité mésologique n’œuvre pas en faveur de l’autarcie régionale, mais au contraire pour une autogestion qui donne du sens au partage des ressources bénéfiques pour l’une et l’autre des entités territoriales. Finalement, le soutient de la diversité au sein des organisations anthropiques révèle la place ici « Une politique de dispersion de la population et ses applications concrètes pourraient être conçues assez simplement. Elles sont susceptibles d’être populaires. Elles ne sont pas trop coûteuses. Et elles fonctionnent. »


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rendue aux hommes ; celle d’une entité intégrée à un éco- « La ville est nécessaire à l’homme pour que système.

sa vie soit pleinement humaine ; mais l’homme a tout autant besoin des aliments et d’autres matières premières que produit la campagne. Chacun a donc besoin d’accéder facilement à la ville et à la campagne. Il s’ensuit qu’on devrait tendre à un modèle d’urbanisation dans lequel chaque région rurale ait accès à une ville suffisamment voisine pour que les ruraux puissent s’y rendre et en revenir dans la journée. Humainement, tout autre modèle est dépourvu de sens. »

Enfin, l’unité mésologique soutient la dispersion. D’une certaine manière, la dispersion peut être entendue comme une conséquence de la division territoriale. En s’opposant à la centralisation, la dispersion est une forme d’organisation spatiale qui inhibe les formes d’hypertrophie territoriale ; en d’autres termes les formes excessivement grandes d’organisation et de gestion des établissements humains. Il s’agit de scinder les entités qui, par un phénomène progressif de regroupement de communautés, ont formé avec le temps des entités de consommation exponentielle où la production des biens de nécessité et de commodité se trouve aujourd’hui de plus en plus écarté de la réalité individuelle. À ce propos, Alberto Magnaghi annonce : « Ces urbanisations contemporaines démesurées, répétitives et sans limites présentent des morphologiques totalement incongrues au regard de la ville stratifiée (antique et moderne). […] habiter ces urbanisations revient à habiter des territoires post-urbains de grande Ernst Friedrich Schumacher, 1980 échelle » (Magnaghi, 2014). En cela, la dispersion dans son application entend souligner la distinction entre l’urbain et le rural non pas dans leur opposition, mais en révélant la nécessité de leur synchronisme. À travers les expressions de « biorégion urbaine » et de « pacte ville-campagne » exprimées respectivement par Alberto Magnaghi et Kirkpatrick Sale, il faut entendre une volonté de retour aux relations synergiques autrefois entretenues entre urbanité et ruralité, en s’opposant aux entités post-urbaines qui ne portent plus de signes d’urbanité et qui, dans leur croissance effrénée, participent à la rupture des liens entretenus autrefois entre l’homme et son milieu. À travers ce phénomène de croissance excessive des entités urbaines, les limites mésologiques en partie


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données par les composants abiotiques se trouvent dépassées : il en résulte une structure d’habitat dont la référence mésologique sur laquelle s’est construite l’urbanité s’agrandit sur un milieu différent, mais dont le mode d’habiter reste emprunt du milieu d’origine. Par exemple, le mode de vie original du centre historique de Lyon n’est en rien commun à celui de la partie Sud de la Dombes. Pourtant, les habitants de cette zone, identifiés par les collectivités locales comme lyonnais plutôt que dombistes Kirkpatrick Sale, 2020 à travers le processus bien connu de métropolisation, entretiennent un mode de vie idéalement emprunt au centre urbain. Dès lors, le phénomène de rupture mésologique existe d’une part à travers la perte d’appartenance des hommes à leur milieu, d’autre part par un pillage des milieux environnants pour la croissance de l’entité post-urbaine ; ou mégapole. C’est ce que Sale entend par la notion de « capacité de charge », à savoir un inventaire des ressources produites par un territoire : « Si elle devait savoir une seule chose, une biorégion connaîtrait avant tout sa capacité de charge et la limite de la population qu’elle pourrait maintenir sans risque, et toutes les restrictions sociales seraient mises en place pour éviter la folie du dépassement. » (Sale, 2020) Finalement, la dispersion entend redonner aux entités urbaines une structure et une échelle viable pour la reconnaissance de l’urbanité, entendue ici comme une association de la densité et de la diversité sociétale en faveur des formes d’interactions plurielles (Jacques Lévy, 1983). Conjointement, elle redonne à la campagne son statut d’entité fédératrice de ressources tout autant matérielles qu’immatérielles plutôt qu’un simple support d’activité.

« J’ai découvert qu’il n’est pas bien difficile de faire passer ce sentiment d’appartenance spontané à une perception des caractéristiques biotiques d’une région, pour autant que les gens soient assez conscients des spécificités locales. »

En somme, l’unité mésologique proposée ici œuvre en faveur de la reconstruction des habitats humains. À travers une politique en faveur de la diversité, de la dispersion et de la division, les formes hypertrophiques qui


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caractérisent les établissements humains contemporains peuvent être déconstruites ; et avec elles, la négation des identités urbaines et rurales. Dès lors, les lieux de vie apparaissent aux hommes comme une réalité tangible plutôt que comme une forme d’habitat passée ou lointaine ; la conscience du milieu rejoint la reconnaissance aujourd’hui exclusive de l’environnement. Comme résultat de cette conscience nouvelle, l’affirmation des individualités en tant que sujets appartenant à un milieu - bien que muable sous l’effet du temps - participe à la réaffirmation des communautés humaines, elles seules capables d’inhiber la dégradation mésologique ; et par là œuvrer en faveur de l’épaississement des lieux de vie. En intégrant leurs propres particularités mésologiques tout autant que celles de leurs environnements, les communautés humaines sont en mesure de promouvoir une cohérence territoriale qui dépasse les seules limites des établissements humains dispersés entre villes et campagnes. Concrétisés à travers la cohérence des modes transformatifs, les paysages produits par ces nouvelles gestions communautaires attestent des diversités biotiques et abiotiques des milieux terrestres sans toutefois rejeter ni l’influence ni le partage des ressources pour leur construction. Aussi, l’unité mésologique se place comme une fondation pour l’équilibre systémique des établissements humains et de leurs interrelations ; ainsi fédératrice d’une structure territoriale homéostatique.


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intermède


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INTERMÈDE « LA LÉGENDE DE LA PISCINE »

« Moscou, 1923 Un jour, à l’École d’architecture, un étudiant conçut une piscine flottante. Qui exactement ? Personne n’en avait le moindre souvenir. L’idée devait être dans l’air : les uns imaginaient des villes volantes, d’autres des théâtres sphériques, ou encore de véritable planète artificielles. Il fallait que quelqu’un inventât la piscine flottante. La piscine flottante, enclave de pureté au milieu d’un environnement contaminé, semblait un premier pas, modeste, certes, mais radical, vers l’amélioration progressive du monde grâce à l’architecture. Pour prouver la force de cette idée, les étudiants en architecture décidèrent de construire un prototype de la piscine pendant leur temps libre. C’était un long rectangle fait de plaques de tôles boulonnées sur un chassis en acier. Deux rangées de vestiaires apparemment interminables, l’une pour les hommes, l’autre pour les femmes, occupaient les New-York Délire, Rem Koolhaas, 1978 flancs de la piscine. À chaque extrémité, un foyer vitré laissait voir, d’un côté, les activités saines – et parfois excitantes – qui se déroulaient dans les profondeurs de la piscine et, de l’autre, la lente agonie des poissons dans l’eau polluée. Ce foyer était donc un espace authentiquement dialectique réservé aux exercices physiques, aux bains de soleil artificiels et aux échanges sociaux entre nageurs presque nus. Le prototype devint la structure la plus populaire de l’histoire de l’architecture moderne. En raison de la pénurie chronique de main d’œuvre des Soviets, les architectes constructeurs faisaient également office de maîtres nageurs. Un jour, ils découvrirent que s’il se mettaient tous à nager à l’unisson, en parcourant le bassin d’un bout à l’autre de façon régulière et synchronisée, la piscine commençait à se déplacer lentement dans le sens opposé. Cette locomotion imprévue les émerveilla ; en fait, elle s’expliquait par une loi physique élémentaire, action = réaction. »

Figure 68 « Arrivée de la piscine flottante : après quarante ans de traversée de l’Altantique, les architectes/maîtresnageurs atteignent leur destination. Mais ils s’en aperçoivent à peine : en raison de la forme de locomotion propre à la piscine (qui se déplace dans le sens inverse de leur mouvement), ils doivent nager en direction de leur point de départ, en tournant le dos à leur but final. »


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4 | PARTIE 4 CONSTRUCTION D’UN ARCHIPEL HOMÉOSTATIQUE Figure 69 L’Alchimiste découvrant le phosphore, Joseph Wright of Derby, 1771 « Si la stabilité est une propriété importante, la capacité de répondre à une perturbation est encore plus fondamentale. » Jean-Claude Rameau, 1991

C’est avec la notion d’homéostasie que notre étude tend à s’achever. Du latin reconstitué homeostasis, elle est un produit du concept de milieu intérieur proposé par le médecin et physiologiste français Claude Bernard. Dans son Introduction à l’étude de la médecine expérimentale de 1855, il énonce : « Tous les mécanismes vitaux, quelque variés qu’ils soient, n’ont toujours qu’un but, celui de maintenir l’unité des conditions de la vie dans le milieu intérieur. » (Claude Bernard, 1855) De ce concept fondamental pour la biologie moderne, le physiologiste américain Walter B. Cannon construit la notion d’homéostasie à partir du grec ancien omoios, « semblable » et stasis, « pause, arrêt » ; et ce notamment dans son ouvrage The Wisdom of the Body de 1932. Appliqué à la biologie, ce concept caractérise la capacité d’une cellule à stabiliser les constantes de son milieu intérieur par un phénomène d’auto-régulation (Thierry Darnaud, 2006). Or, dans sa Théorie générale des systèmes de 1968, le biologiste autrichien Karl Ludwig von Bertalanffy propose d’étendre l’application du concept d’homéostasie à l’ensemble des formes systémiques. Dans le prolongement de cette posture transdisciplinaire, nous entendons ici appliquer le concept d’homéostasie à l’étude des milieux. En comprenant l’homéostasie comme la capacité d’un corps organisé à maintenir un statut d’équilibre systémique quelles que soient les contraintes internes ou externes appliquées à ce système, le corps énoncé est entendu en tant qu’unité mésologique. Dès lors, l’on peut considérer le caractère homéostatique comme un idéal pour le fonctionnement territorial en ce qu’il induit une réaction positive face à une quelconque perturbation extérieure au système. C’est à propos du caractère positif, autrement entendu comme mélioratif, de la réaction que le concept d’homéostasie apparaît comme pertinent : il intègre la notion de stabilité sans toutefois rejeter le


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potentiel d’évolution du corps en question. En ce sens, l’homéostasie diffère d’un modèle de régulation dit « cybernétique », c’est-à-dire qui œuvre pour le maintient du corps dans un état constant et qui rejette justement l’évolution. À titre d’exemple, le mécanisme de thermostat est un système cybernétique : quelque soit la situation, il fonctionne toujours en vue de rétablir une température donnée. Aussi, si la température est fixée à 25°C, le thermostat actionnera le système de chauffage même si les habitants ressentent ou expriment de l’inconfort ; et ce tant qu’ils ne changent pas eux-même la température souhaitée. Au contraire, un système homéostatique repose sur la capacité des organismes vivants à adapter leur comportement en fonction d’une situation ; que l’on s’intéresse à un système cellulaire ou un système humain. Il peut, en ce sens, assurer un mécanisme d’auto-régulation positive. Ainsi, le dessein d’un comportement homéostatique plutôt que cybernétique pour les territoires apparaît comme souhaitable. En effet, la construction de notre propos autour de l’étude de la Dombes cible l’existence d’une dualité dégradation - amélioration dans l’action des hommes sur leur milieu. En cela, la Dombes est une démonstration de la capacité des communautés humaines à avoir un impact non pas seulement neutre au sein de leur milieu d’établissement, mais également et surtout positif ; autrement dit de complexification écosystémique. Or, si cet état dit complexe résulte d’une évolution du milieu, alors le système territorial doit admettre la capacité d’évolution et non l’exclusive constance. En ce sens, l’homéostasie mésologique suppose la capacité des milieux - à travers l’action de leurs composantes - à être efficient dans le mécanisme d’autorégulation, et ce à travers deux formes d’évolution : la constance ou l’amélioration. Il s’agit ici de comprendre les territoires comme des formes systémiques


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*Climax « Stade dans lequel un écosystème atteint sa maturité et dans lequel il a atteint un état de stabilité maximum dans les conditions géographiques, climatiques et édaphiques (sols) locales. » Vincent de Schuyteneer, 2013 *Climacique Qui fait référence au climax

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orientées vers un optimum. À ce sujet, nous rapporterons les propos du docteur en géographie Laurent Simon : « À la notion de stabilité se substitue la notion d’homéostasie, c’est à dire d’équilibre dynamique permettant d’assurer la régénération du système. » (Laurent Simon, 1997) Un tel fonctionnement laisse entrevoir l’aboutissement de ce type de structure écosystémique à une forme de climax* ; en d’autre termes à son état le plus stable. Si l’étude de cet état dit climacique* a longtemps été restreint à celle des sylves régionales, elle est aujourd’hui largement associée à la compréhension des dynamiques territoriales. À ce propos, Simon ajoute : « Considérer de la sorte le climax dans sa dimension temporelle et spatiale permet de redonner au concept toute sa dimension géographique et d’en faire un outil de travail particulièrement fécond. » (Simon, 1997) Dès lors, il semble intéressant de projeter l’atteinte d’un climax dans la structuration des nouvelles formes de co-évolution. Ainsi, cet état climacique est porté par la reconstruction d’une part des unités mésologiques dans leurs individualités ; d’autre part dans leurs interrelations et leurs échanges. En cela, nous avançons que l’utopie climacique proposée par le projet d’homéostasie mésologique repose entre autres sur les échanges entre les différents milieux et leurs communautés, et rejette en cela les systèmes autarciques. Cette posture s’inspire des théories du philosophe et physicien autrichien Ludwig E. Boltzmann et tout particulièrement du deuxième principe de la thermodynamique. Ancré dans le domaine de la systémique, il s’agit de supposer tout système fermé comme non viable et voué à l’auto-dégradation. En ces termes, un milieu fonctionnant sur un principe de structure isolée rejetant les rapports à son environnement ne pourrait tendre qu’à l’accroissement de son entropie ; c’est-à-dire de sa désorganisation et de son imprédictibilité comme


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Figure 70 The notation of life, Patrick Geddes, 1927 « En ce sens le climax, en tant que stade terminal de la série, n’est jamais que le résultat de l’intervention ou de la non-intervention des acteurs sociaux. » Laurent Simon, 1997

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introduite par Rudolf Clausius en 1865. Plus simplement, le fonctionnement homéostatique induit, au-delà du mécanisme de régénération, la nécessité de relations entre les milieux et leur environnement. Finalement, puisque cet environnement est composé d’une multitude d’autres unités mésologiques, l’homéostasie territoriale repose sur les interrelations des milieux - à travers les mécanismes d’échange et de partage - sans toutefois tolérer ni la servitude ni l’objectivation d’un milieu sur un autre. Toutefois, il n’est pas question ici de prôner la maximisation des échanges intra-mésologique et ce à toutes les échelles. Il s’agit plutôt de proposer une forme d’autosuffisance des milieux tout en accueillant les bénéfices produits par leurs échanges, et ce à travers un regard critique sur l’échelle de ces échanges lorsqu’il s’agit des ressources ; plus encore lorsqu’il s’agit de matière plus que d’information. Si l’on conduit le projet d’unité mésologique en faveur de l’homéostasie territoriale, alors celle-ci doit être intégrée dans l’ensemble de ces caractéristiques. Or, il est un caractère majeur dans le fonctionnement homéostatique qui n’a pas encore été invoqué, et qui conditionne pourtant le mode d’action de ce modèle systémique : le principe de boucle rétroactive. À première lecture complexe, il s’agit très simplement de l’effet inverse au lien de cause à effet. Ainsi, si la causalité implique qu’une cause agit sur un effet, alors le principe de rétroaction implique que l’effet agit à son tour sur la cause. La rétroaction, que l’on retrouve dans les systèmes physiques, biologiques ou même sociaux, est le principe qui distingue l’homéostasie de la cybernétique citée plus tôt. En effet, l’homéostasie fonctionne sur le principe de la réaction des composantes systémiques face à une perturbation. Ce principe est notamment soutenu par le sociologue et philosophe français Edgar Morin, dont la théorie est partiellement


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résumée en ces termes : « la vie d’un système implique un double mouvement (un mouvement de corruption et de désorganisation et un mouvement de fabrication et de réorganisation) » (Michel Bonami, Jean-Michel Boque, Bernard de Hennin et Jean-Jacques Legrand, 1993). Pour reprendre l’analogie du thermostat, si le système espace - thermostat est cybernétique, alors l’intervention d’un habitant dans l’optimisation de la température du même espace par intervention sur le thermostat repose sur le principe d’homéostasie. Dès lors, l’homéostasie territoriale à travers celle de ses milieux ne peut être entendue qu’en révélant la capacité de rétroaction de ses composantes mésologiques. Dans cette phase finale, s’agit alors d’entamer la reconnaissance de ces composantes à travers leur valeur de rétroaction. Pour cela, nous faut nous remémorer le cas de la Dombes. Lorsque ce milieu est en phase d’anthropisation, il se trouve dans un état écosystémique faible. En effet, sa situation pédologique induit successivement des phases d’assèchement et des phases d’hydromorphie. Il en résulte une très faible complexité de ses composantes biotiques, faunistique comme floristique. Les ravages du paludisme induits par cette structure écosystémique produisent chez les habitants une réaction : les travaux d’assèchement des marécages. Or, au-delà de cette seule opération que l’on pourrait caractériser de stabilisation, les dombistes tirent parti de cette situation pour organiser un système cultural original : le réseau d’étangs. En cela, ils complexifient leur écosystème par un mécanisme de régénération positive. Aussi, face à cette perturbation systémique, les habitants ont su d’une part réagir en vue de la stabilisation ; d’autre part et surtout œuvrer en faveur de l’amélioration du système auquel ils sont intégrés. Or ce système n’est autre que le milieu - ou l’unité mésologique - dans lequel ils évoluent. En ce sens, la Dombes est une illustration


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de la capacité rétroactive des êtres humains, plus encore des communautés humaines, dans la complexification de leur milieu. Dans l’utopie des territoires homéostatiques, nous pourrions ainsi considérer que le facteur de boucle rétroactive est opéré par les communautés humaines, et ce grâce à la faculté individuelle d’interprétation. En effet, plus que tout autre composant biotique, l’homme est en mesure d’adapter sa réaction vers la recherche d’un Laurent Simon, 1997 optimum systémique ; et ce à travers la notion d’expérience.

« Considérer enfin le climax comme un équilibre dynamique lié à une capacité d’adaptation aux perturbations, revient à prendre en compte la dimension historique du milieu. »

Auteur de l’article La notion d’expérience humaine, Claude Collin introduit cette notion de la sorte : « L’expérience peut être considérée comme un comportement puisqu’elle est une activité d’un sujet en rapport avec un champ d’objets et déclenchée par une motivation. Elle réfère alors à l’aspect vécu : mais en plus, elle renvoie à la conscience, puisqu’elle se situe au niveau mental conscient ou préconscient. En tant que comportement elle est essentiellement du vécu, et en tant qu’activité mentale, elle est réflexion. Il n’y a pas d’expérience sensible sans conscience, comme il n’y a pas d’expérience spontanée ou systématique sans raison, c’est-à-dire sans fonction d’adaptation (conceptualisation, analyse, synthèse, etc.) » (Claude Collin, 1998). En cela, l’expérience humaine est une concrétisation de la conscience à travers une volonté d’adaptation. Nous retrouvons ici la posture de Simon : « La première caractéristique d’un écosystème « stable » n’est pas sa capacité de résistance aux changements mais bien plutôt sa capacité d’adaptation aux changements. » (Simon, 1997) Aussi, l’expérience en tant que comportement humain induit par une perturbation - ici nommée « motivation » par Collin ou « changements » par Simon - renvoie finalement à la dimension mémorielle des lieux de vie. En effet, la dimension historique de ces lieux, à travers les strates successives et visibles d’opérations trans-


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formatives des milieux - et ce dans une dynamique de dégradation autant que d’amélioration - renvoie à la capacité de ces mêmes lieux à attester des expériences passées. En d’autres termes, les paysages sont aux hommes les garants de la mémoire de leurs expériences passées ; ils conditionnent en cela de leurs expériences à venir. À ce propos, la chercheuse au CNRS Michèle Leclerc-Olive considère la mémoire individuelle comme une forme de particularisation d’expérience commune. Nous retrouvons ici la prépotence de l’action communautaire sur celle des individualités, à travers la reconnaissance de ce que Leclerc-Olive nomme une « agrégation de mémoires individuelles » dans son article Entre mémoire et expérience, le passé qui insiste (Michèle Leclerc-Olive, 2003). Dès lors, il nous faut considérer la construction des paysages comme un acte mnémonique* de concrétisation d’expériences. En ce sens la transformation des milieux, pour s’inscrire dans une dynamique homéostatique, exige la reconnaissance de l’expérience passée à travers celle du paysage. Pour introduire cette posture, nous rapporterons les propos du même article de Leclerc-Olive : « Prendre en compte cette tension entre passé et avenir, qui permet de rendre compte des processus de transformation des sociétés, impose un investissement conceptuel. » Il semble ainsi que les êtres humains, à travers leur faculté d’adaptation induite par la valeur d’expérience, sont en mesure de produire une réaction positive à une perturbation et ce à travers un processus singulier et majeur : la conceptualisation. En ce sens, la construction des lieux dans une dynamique d’épaississement se trouve dans la capacité des communautés à interpréter les paysages pour en traduire les expériences du passé. En effet, c’est à travers l’analyse des manifestes paysagers que les communau-

« Les systèmes mnémoniques de lieux les plus courants sont des systèmes de lieux architecturaux, c’està-dire des ensembles d’espaces construits ou aménagés par l’homme. » Sébastien Marot, 2010 *Mnémonique Qui est relatif à la mémoire


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tés humaines sont en mesure de conceptualiser les expériences des générations antérieures. À partir de là, elle sont capables non seulement de réaction, mais aussi de rétroaction positive puisqu’elles tirent de ces actes transformatifs une expérience pour le présent. En cela, l’histoire transformative des milieux apparaît à l’homme comme un panel d’expériences dont il est en mesure d’interpréter les conséquences contemporaines, et ainsi d’en produire un concept influent dans les nouveaux modes transformatifs. Finalement, si le mécanisme de rétroaction positive est conditionné par la conceptualisation, il l’est plus encore par une capacité spécifique à l’être humain : la projection. En effet, la capacité des hommes à être des acteurs de rétroaction se trouve dans leur faculté à concevoir cette réaction, et ce avant tout à travers la transformation de leur milieu. En somme, c’est à travers la notion de projet que se trouve l’exception humaine ; c’est le projet paysager qui conditionne la valeur méliorative de la transformation des milieux. Or, si le paysage n’est autre que la présentation à l’homme de son milieu à travers la perception de sa construction et de sa culture, alors les projets d’architecture et d’agriculture deviennent la condition du retour d’une co-évolution entre l’homme et son milieu. Aussi, le projet de paysage est entendu ici comme un projet de complexification écosystémique à travers l’interprétation des manifestes paysagers, c’est-à-dire les constructions architecturales et agricoles du milieu. Il est mené dans le cadre d’une rétroaction positive de la part des individus face à la dégradation des lieux de vie. Ce mécanisme, aussi entendu comme un phénomène d’érosion territoriale, est compris en tant que perturbation dans un système en quête d’homéostasie. Finalement, le projet paysager ne peut plus être compris comme un simple projet de transformation spatiale : il s’agit, pour reprendre les termes de l’architecte


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Figure 71 Greniers à grains à Soajo, Portugal Josep Renalias, 2008 « L’architecture est l’aboutissement d’un processus de pensée qui se traduit par l’acte concret de la construction d’un lieu de vie pour l’homme. » Andrea Bassi, 2017

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Frédéric Bonnet, d’un véritable « projet politique pour le territoire » (Frédéric Bonnet, 2015). Toutefois, la notion de paysage n’entend pas confondre le projet d’architecture et le projet d’agriculture : au contraire, il s’agit de les relier dans un même projet en vue de révéler leurs nécessités individuelles. En effet, le projet d’ « architecture rurale » est souvent présenté comme une réponse à la crise systémique actuelle (Arlette Auduc, 2006). Il s’inscrit d’ailleurs dans une sorte de renouveau du mouvement Back to the land, pouvant être traduit en français par « retour à la terre », alors émergent dans les années 1970 aussi marquées par la Contre-Culture américaine (Sébastien Marot, 2020). Pourtant, il semble au terme de cet exposé que l’agriculture ne puisse aujourd’hui être restreinte à une particularité du projet architectural : autant que l’architecture, le projet d’agriculture doit être considéré dans son individualité et en reconnaissance de son identité propre. C’est d’ailleurs ce qu’appuie l’ouvrage Taking the country’s side: agriculture and architecture de Sébastien Marot publié en 2019. Dans le chapitre « Coïncidence », Marot relate la publication du traité De Architectura de Marcus Vitruvius Pollio (90 - 15 av. J.-C.) - davantage connu sous le nom de Vitruve - établi autour de l’an -20, un traité en dix livres qui instaure entre autres le principe de la superposition des trois ordres classiques, à savoir les trois qualités essentielles à l’architecture : firmitas (la pérennité), utilitas (l’utilité) et venustas (la beauté) (Marot, 2020). Or, Marot rapporte qu’à la même époque, Marcus Terentius Varro (116 - 27 av. J.-C.) - quant à lui connu sous le nom de Varron - rédige Rerum rusticarum libri III, un traité d’agriculture dans lequel il détaille l’art de cultiver et d’élever ainsi que l’économie rurale. En cela, ces disciplines et surtout leurs relations étaient par le passé considérées comme fondatrices de toute société civilisée. Or, les processus d’érosion territoriale exposés dans les chapitres antérieurs de cet


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exercice de recherche prouvent, à travers la notion de paysage, une inconsidération grandissante de la part des individus et de leurs formes de regroupement des rôles conjoints de l’agriculture et de l’architecture. Finalement, nous rejoignons plus que jamais la pensée de Toussaint : « L’architecture est après l’agriculture le premier et le plus utile des arts. » (Jean-Philippe Garric, 2013) Dès lors, la reconstruction d’une conscience oubliée ; la conscience du milieu, laisse paraître comme possible le retour d’une co-évolution entre les hommes et leur milieu, et ce tout en s’inscrivant dans le contexte de cette résurgence, qui n’est autre que le présent.


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conclusion


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CONCLUSION

Figure 72 Jardin du familistère de Guise, BASE, 2007

C’est ici que s’achève notre étude des rapports entre les communautés humaines et les milieux. Au commencement de cet exercice, une critique est émise au sujet d’une croyance du moins fataliste : celle de l’incapacité des sociétés humaines d’impacter leur milieu de vie autrement qu’avec un caractère de dégradation. Face à ce postulat, nous aspirons à la démonstration d’une réalité toute autre : la capacité des groupements d’individus humains à impacter leur milieu et leurs environnements non seulement de manière neutre, mais aussi et surtout de manière méliorative ; c’est-à-dire avec une valeur positive. Pour cela, il s’agit de comprendre et d’analyser les différents modes transformatifs des communautés humaines et leurs conséquences. Finalement, l’objet de cette étude se trouve dans la quête d’une réponse à la problématique précédemment énoncée : comment la reconnaissance des particularités mésologiques peut-elle soutenir la construction d’un territoire homéostatique ? Conscients que cette interrogation est de prime abord complexe à développer, la Dombes incarne un sujet d’étude intéressant en ce que son statut d’écosystème influent est largement reconnu, et ce à travers l’une des formes les plus abouties : la zone humide. De même, sa situation dans un contexte environnant l’école d’architecture de Lyon - à un trentaine de kilomètres seulement pour son centre - rend ce cas d’étude davantage intelligible, autant pour l’auteur que pour les lecteurs de ce travail. Dès lors, la construction ou la déconstruction des hypothèses précédemment établies trouve avec la Dombes un cadre concret d’exploration. Préalablement définie à travers ses composants biotiques et abiotiques, le milieu dombiste exalte le rôle des communautés anthropiques dans sa transformation. En effet, la situation géomorphologique, pédologique et géographique de la Dombes, par ses conditions exceptionnelles dans la région lyonnaise, révèle avec clarté les


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relations qu’entretiennent les dombistes avec leur milieu. Ainsi, la Dombes permet de répondre aux hypothèses formulées plus tôt. D’abord, l’investissement d’un milieu par les hommes passe par la culture et la construction du milieu. D’une part, l’action culturale est révélée dans la Dombes par le développement du système agro-piscicole. Incarnée par l’étang, la culture du milieu fédère la communauté dombiste à travers la mise en place de coutumes locales, et initie les relations à son environnement à travers le commerce du poisson, la chasse ou le tourisme ; entre autres. D’autre part, la construction du milieu est rapidement affirmée comme une nécessité à l’acte d’habiter. Mise en lumière par le maillage des constructions agricoles et les centres urbains, elle apparaît comme le second acte transformatif de la communauté dombiste dans son établissement. Ensuite, l’évolution de l’écosystème dombiste sous l’action des hommes atteste de la capacité des communautés à modifier leur contexte biotique et abiotique à travers leurs activités culturales comme constructives. En effet, l’étude menée à propos des zones humides dans le second chapitre fait de la Dombes un témoin particulièrement expressif quant au rôle des hommes dans son évolution. Sélectionnés comme indicateurs majeurs parmi ceux développés, la diversité biologique et la qualité du biotope dans la Dombes attestent largement du lien entre l’évolution des activités humaines et leur propre évolution. Enfin, les dombistes révèlent l’influence du milieu sur leur propre comportement transformatif. De toute évidence, les travaux d’assèchement des étangs en réaction aux ravages du paludisme au XIXème siècle attestent du caractère sensible des communautés humaines aux perturbations, et surtout de leur capacité de réaction. Toutefois, une étude isolée sur la Dombes ne peut pas apporter toutes les clés de réponse à notre probléma-


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tique. Ainsi, il est nécessaire d’intégrer à notre recherche une série d’autres notions, inspirées d’une méthode de travail transdisciplinaire, pour préciser notre propos. En cela, un regard croisé sur d’autres contextes géographiques - comme le cas de la mer d’Aral - et temporels - tels le XXème siècle pour l’évolution des usages agricoles - est prolifique. De même, l’apport de terminologies renseignées est particulièrement fécond : le paysage et la ressource, entres autres, deviennent ici des outils majeurs pour comprendre les relations entre l’homme et son milieu, et surtout les conditions de leur co-évolution. À l’aide d’un regard croisé sur la Dombes, son environnement, la décennie actuelle et les siècles passés, nous pouvons désormais concevoir la viabilité d’un comportement transformatif positif. En ce sens, il semble pertinent de faire un point sur les clés de lecture de cette posture. Aussi, le XXème siècle marque l’avènement d’une ère télématique tout en souffrant de crises issues des conflits mondiaux. En conséquence, les usages locaux sont rapidement dissolus dans la standardisation et l’unification des ressources immatérielles, et de surcroît matérielles. Dès lors, les territoires font l’objet d’une dynamique d’érosion à travers la simplification des écosystèmes qui les caractérisent. Ce mécanisme s’opère à travers la disparition des manifestes paysagers, une notion développée pour exprimer les constructions et les cultures mésologiques produites à partir des ressources issues du milieu traité. En ce sens, il n’existe plus de lien entre les caractéristiques identitaires des milieux et leur transformations ; dans leur conception comme leur construction. Fatalement, les paysages - considérés ici comme la présentation du milieu à l’homme - sont muets. Ils n’expriment plus le caractère unique du milieu qu’il représente à travers les ressources qu’il produit, mais seulement le mécanisme de banalisation des territoires. Produit de ce silence, les composantes


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conclusion

biotiques et abiotiques des milieux sont elles aussi dépossédées de leur caractères identitaires : les hommes, irréfutablement considérés comme une composante biotique, en sont de même. En cela, les comportements humains de transformation territoriale, orientés vers la création d’une communauté planétaire, conduisent à la déshumanisation ; car, énoncé plus tôt, l’appartenance est un sentiment tout aussi fondamental qu’inéluctable à l’existence humaine. Face à ce processus d’érosion, la reconstruction des lieux de vie à travers la reconnaissance des particularités mésologique semble la bienvenue. En ce sens, elle suppose la reconsidération des échelles de territoire, en considérant la cohérence transformative comme un outil de réflexion. Il s’agit ainsi de proposer un retour à l’usage des ressources mésologiques pour la construction de manifestes paysagers qui, à leur tour, pourront être considérés comme des références pour les transformations futures. Toutefois, il n’est pas question de suggérer un regard excessivement focalisé sur les milieux et leurs limites géomorphologiques et culturelles. Alternative aux comportements autarciques, il s’agit plutôt de concevoir la globalisation des ressources d’une manière raisonnée, à travers un échange focalisé sur les ressources immatérielles et la mise en valeur de leur interprétation locale. Dès lors, la construction d’un réseau de milieux uniques, auto-suffisants, fertiles et bavards semble inspirante ; celle d’un archipel homéostatique. En cela, si les communautés humaines se détachent de l’ensemble des composantes mésologiques, ce n’est plus par leur comportement dégradatif. Au contraire, leur capacité d’intégrer une dynamique de rétroaction les place au rang de facteurs influents dans cette homéostasie territoriale ainsi exprimée. Grâce à la faculté humaine de conceptualisation autant que de conception, le projet s’annonce comme une réponse aux questionnements de cette étude. En ce sens, nous


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considérons ici le projet de paysage - interprété comme un projet de complexification écosystémique à travers l’interprétation des manifestes paysagers, c’est-à-dire les constructions architecturales et agricoles du milieu comme un outil pour la reconnaissance des particularités mésologiques. Au regard de cet exercice de recherche, le soutient du projet de paysage ne paraît plus insensé dans la construction d’un territoire homéostatique, et avec lui celle des lieux et de leurs sentiments d’appartenance. Ainsi suggéré, il s’offre à l’interprétation individuelle en promettant une conscience nouvelle ; la conscience du milieu.


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épilogue


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ÉPILOGUE

Figure 73 Tipperne Bird Sanctuary, Johansen Skovsted Arkitekter, 2017

Au terme de ce mémoire, il semble bienvenu de le situer dans son contexte d’écriture et surtout d’en énoncer la postérité. Réalisé dans le cadre d’un master en école d’architecture, nombre de lecteurs peuvent s’interroger sur la portée d’un exercice de la sorte. Ainsi, s’il existe une infinité de choix possibles pour le sujet de mémoire de master, celui des relations à notre milieu m’est apparu comme évident. En effet, je comprends aujourd’hui l’architecture comme une discipline qui ne peut nier le contexte d’intervention de son projet, et plus encore les répercussions sur ces lieux d’intervention. En cela, il apparaît fondamental de penser le projet non pas comme un objet programmé et situé, mais plutôt comme l’opportunité de repenser la manière dont nous - communautés humaines - concevons le futur. En ce sens, les marqueurs architecturaux comme agricoles apparaissent soudainement comme des influences pour le futur de nos lieux de vie, et ce à travers le ménagement du territoire qu’ils peuvent orienter. Aussi, il semble nécessaire de comprendre l’architecture non plus comme une intervention distincte du contexte dans lequel elle est conçue, mais plutôt comme l’opportunité de transcender l’opposition nature-culture ancestrale en entendant le projet comme une expression même du milieu. Sans plus s’attarder sur ce point de vue personnel, il s’agit maintenant de replacer ce mémoire dans la lignée du projet de fin d’études. En effet, l’exercice à venir concerne l’élaboration d’un projet pour conclure le cycle de master débuté à l’école d’architecture de Lyon : ainsi, la Dombes s’offre comme un territoire extrêmement inspirant pour tenter de concrétiser les valeurs apprises au cours de cette recherche à travers un acte architectural. Aussi, une mention recherche intégrée dans la filiation de ce mémoire semble également se dessiner. Elle est envisagée, au même titre que l’exercice de projet de fin


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épilogue

d’études, comme une tentative de réponse aux questions posées par le terme de ce mémoire. Dans ce contexte, nous pourrions nous demander de quelles manières le paysage peut-il être représenté pour permettre la mise en valeur des caractéristiques mésologiques. De même, nous pourrions interroger le rôle de la contemplation dans la présentation du paysage aux individus, et avec elle dans le renforcement de la conscience du milieu. Finalement, par quels moyens le projet peut-il favoriser la contemplation et ainsi révéler le milieu au visiteur ? À ce propos, l’exercice d’atlas paysager apparaît comme une porte d’entrée vers la représentation du paysage et se dessine comme un potentiel sujet pour la mention recherche. Enfin, la contemplation en tant que sujet architectural pourrait être celui du projet de fin d’études, et peut-être un sujet personnel développé à l’avenir.


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RÉFÉRENCES ICONOGRAPHIQUES

Figure 75 Les Frères Lumière représentés sur la Fresque des Lyonnais, 2 rue de la Martinière, 69001 Lyon

Figure 1 : Élisa Lefevre (2020) Ligne de train Paris-Lyon [photographie argentique] - 6 Figure 2 : James Reynolds & John Emslie (1852) Geological map of the world [document cartographique] 29 x 23 cm, James Reynolds, Londres. Source : David Rumsey Historical Map Collection - 10 Figure 3 : E. Girard (1929) Département de l’Ain [document cartographique]. 1:320 000, E. Girard, Géographe-Éditeur, Paris. Source : Bibliothèque nationale de France, département Cartes et plans, GE C-5605 - 16 Figure 4 : IGN (1866) Carte de l’État-Major : Bourg [document cartographique]. 1:40000. Source : https://remonterletemps.ign.fr/ - 22 Figure 5 : Claude Royer (1979) Carte 2. Régions naturelles [document cartographique]. Source : ROYER, Claude. Lyonnais, Paris, Berger-Lavault éditeur, “L’architecture rurale française“, 1979, 231 p. - 24 Figure 6 : Richard Sceau (1980) Limites géomorphologiques du plateau de la Dombes [document cartographique]. Source : SCEAU, Richard. Les étangs de la Dombes, fondements socio-économiques d’un système hydraulique. In: Revue de géographie de Lyon, vol. 55, n°2. 1980. pp. 129-159. - 26 Figure 7 : Lucien Gallois (1892) Extension de l’ancien glacier du Rhône dans la région de Lyon [document cartographique]. Source : GALLOIS, Lucien. “La Dombes”, In: Annales de Géographie, tome 1, n°2, 1892, pp. 121-131. - 28 Figure 8 : Louis-Étienne Dussieux (1852) Carte du partage de l’Empire de Charlemagne au traité de Verdun en 843 [document cartographique]. Jacques Lecoffre et Comp. Libraires, Paris. Source : http://www.tradhistoire.com/pages/histoirede-france-pour-les-enfants/petite-histoire-de-france-de-jacques-bainville-robertle-fort.html - 34 Figure 9 : Joannes Janssonius (1632) La Principauté de Dombes [document cartographique]. 35 x 46 cm, Paris. Source : Bibliothèque nationale de France, département Cartes et plans, GE DD-2987 (513) - 36 Figure 10 : Apud Guiljelmum et Ioannem Blaeu (1663) La Souveraineté de Dombes [document cartographique]. 38 x 49,5 cm. Source : Bibliothèque nationale de France, GE BB-565 (11,185) - 38 Figure 11 : Franz Schrader (1894) Plan d’assèchement de la Dombes entre 1834 & 1892 [document cartographique]. Source : GALLOUEDEC, Louis, SCHRADER, Franz. Géographie élémentaire de la France et de ses colonies rédigée conformément aux programmes des classes de 5e classique et 6e moderne, Paris, Librairie Hachette, 2e édition, 1894. - 42 Figure 12 : David-Eugène Girin (après 1887) Ciel sur la Dombes [huile sur carton]. 33,2 x 40 cm, Collection du Musée des Beaux Arts de Lyon. Source :


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références iconographiques

Alain Basset ; Musée des Beaux-Arts de Lyon - 48 Figure 13 : Pierre-Joseph Sève, Fête du poisson en Dombes : scène de labour (assec) [photographie]. Source : Conservation départementale des Musées de l’Ain - 50 Figure 14 : Régine Levrat (1965) Thou de l’étang Jayère [coupe transversale]. Source : LEVRAT, Régine. ”La pisciculture en Dombes (suite)”, In: Bulletin Français de Pisciculture, 1965, n°216, pp. 78-100. - 52 Figure 15 : Régine Levrat (1965) Coupe d’une chaussée d’étang [coupe transversale]. Source : LEVRAT, Régine. ”La pisciculture en Dombes (suite)”, In: Bulletin Français de Pisciculture, 1965, n°216, pp. 78-100. - 52 Figure 16 : Régine Levrat (1965) Un Thou [photographie noir et blanc]. Source : LEVRAT, Régine. ”La pisciculture en Dombes (suite)”, In: Bulletin Français de Pisciculture, 1965, n°216, pp. 78-100. - 54 Figure 17 : Jean-François Dalle-Rive, La pêche des étangs en Dombes [photographie positive : tirage noir et blanc]. 18 x 24 cm, Bouvesse-Quirieu. Source : Bibliothèque municipale de Lyon / P0731 002 00009. - 58 Figure 18 : Jean-Claude Martin (1977) Figure 5 : Répartis en deux groupes, les pêcheurs tirent le filet, comme un chalut. Remarquer le travail du guerre [dessin]. Source : MARTIN, Jean-Claude. “La Dombes et ses étangs”, In: Le Globe. Revue genevoise de géographie, t.117, 1977, pp. 35-55. - 62 Figure 19 : Jean-Claude Martin (1977) Figure 7 : Ramassage du poisson au moyen de l’arvo [dessin]. Source : MARTIN, Jean-Claude. “La Dombes et ses étangs”, In: Le Globe. Revue genevoise de géographie, t.117, 1977, pp. 35-55. - 64 Figure 20 : Edward Hopper (1930) Corn Hill [huile sur toile]. 72.4 x 108 cm, Mary and Sylvan Lang Collection. Source : https://collection.mcnayart.org/ objects/2475 - 66 Figure 21 : Élisa Lefevre (2020) Ferme à cour, Etang Grand-Romans, Marlieux [impression d’écran]. Source : Apple Plans. - 68 Figure 22 : Philip Heckhausen (2017) Ferme traditionnelle en pisé dans la Dombes 2/7 [photographie]. Source : http://www.philipheckhausen.com/ photos/pise-stampflehmbauten-in-frankreich/ - 70 Figure 23 : Philip Heckhausen (2017) Ferme traditionnelle en pisé dans la Dombes 1/7 [photographie]. Source : http://www.philipheckhausen.com/ photos/pise-stampflehmbauten-in-frankreich/ - 72 Figure 24 : Bureau de Recherches Géologiques et Minières (1974) Coupe de terrain à Villars-les-Dombes [relevé de sondage]. Source : http://infoterre.brgm. fr/rapports/75-SGN-391-JAL.pdf - 74


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Figure 25 : Adolphe Appian (1868) Paysage à l’étang [huile sur toile]. 35,5 x 65,3 cm, Lyon. Source : Musée des Beaux-Arts de Lyon - 78 Figure 26 : NASA Earth Observatory (2020) Ice Eddies in the Gulf of St. Lawrence [photographie aérienne]. Source : visiblearth.nasa.gov - 82 Figure 27 : James Reynolds & John Emslie (1851) Panoramic plan of the principal rivers and lakes [plan panoramique] 29 x 23 cm, James Reynolds, Londres. Source : David Rumsey Historical Map Collection - 84 Figure 28 : Eugenio Rodriguez (1857) Entrata della baia di Rio Janeiro [gravure] 19 x 28 cm, Richter e C., Naples. Source : David Rumsey Historical Map Collection - 90 Figure 29 : Photographe inconnu (1901) Saltair Pavilion, Great Salt Lake, Utah [photographie] Detroit Publishing Co., Detroit. Source : Detroit Publishing Co. no. «53809». Library of Congress, Prints & Photographs Division, LC-DIG-ppmsca-18164 - 92 Figure 30 : Peter Jackson (2002) Le marais des morts [plan de film] Issu du film « Le Seigneur des anneaux : Les Deux Tours ». Source : https://tolkienfacts. wordpress.com/2015/05/02/tolkien-fact-61-the-dead-marshes/ - 94 Figure 31 : Hubert Munier (2006) Le chêne de l’étang de Serre [peinture]. Source : https://artpraye.com/hubert-munier - 96 Figure 32 : Charles Avocat (1975) Figure 3 : Diagramme pollinique de la tourbe du marais des Echets [diagramme]. Source : AVOCAT, Charles. La Dombes, milieu naturel ou milieu en équilibre ? Introduction à une éco-géographie de l’espace dombiste, In: Revue de géographie de Lyon, vol. 50, n°1, 1975, pp. 35-38. - 98 Figure 33 : Charles Avocat (1975) Figure 4 : Les oiseaux de la Dombes et leur milieu végétal [diagramme]. Source : AVOCAT, Charles. La Dombes, milieu naturel ou milieu en équilibre ? Introduction à une éco-géographie de l’espace dombiste, In: Revue de géographie de Lyon, vol. 50, n°1, 1975, pp. 35-38. - 100 Figure 34 : Alexander Francis Lydon (1879) Cyprinus Carpio. W. Mackenzie, Londres. Source : https://www.biodiversitylibrary.org/page/6177586#page/52/ mode/1up - 102 Figure 35 : John Nugent Fitch (1919) Flowers of the lakes and wet places. Gresham Pub. Co., Londres. Source : https://www.biodiversitylibrary.org/ page/11329973#page/203/mode/1up - 104 Figure 36 : NASA Earth Observatory (2017) Lake Balkhash [photographie aérienne]. Source : landsat.visibleearth.nasa.gov - 110 Figure 37 : Jesse Allen (2000) Aral Sea, August 25, 2000. NASA Earth Observatory. Source : https://eoimages.gsfc.nasa.gov/images/imagerecords/84000/84437/


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références iconographiques

aralsea_tmo_2000238_lrg.jpg - 114 Figure 38 : Jesse Allen (2014) Aral Sea, August 19, 2014. NASA Earth Observatory. Source : https://eoimages.gsfc.nasa.gov/images/imagerecords/84000/84437/ aralsea_tmo_2014231_lrg.jpg - 116 Figure 39 : URSS (1967) Baïkal and Transbaïkal Regions [document cartographique]. 1: 300 000, URSS, Moscou. Source : David Rumsey Historical Map Collection - 118 Figure 40 : Photographe inconnu (2016) Cérémonie aymara en hommage à la Pachamama [photographie]. Source : https://voyagersansfin.com/2016/12/31/ chili-darica-a-san-pedro-de-atacama/ - 126 Figure 41 : Claude Monet (1914–1926) Le Bassin aux nymphéas, reflets de nuages [peinture à l’huile]. Partie gauche d’un triptyque de 200 x 425 cm, Museum of Modern Art, New York. Source : https://www.meisterdrucke.fr/fine-art-prints/ Claude-Monet/350116/Reflets-de-nuages-sur-l’%C3%A9tang-de-n%C3%A9nuphars.html - 128 Figure 42 : Maurice Benmergui, Monoculture en Dombes [photographie]. Source : http://dombes.h2o.free.fr/wordpress/?page_id=73 - 132 Figure 43 : Maurice Benmergui, Traitement d’une parcelle de colza dans les années 1990 [photographie]. Source : http://dombes.h2o.free.fr/wordpress/?tag=predateurs - 134 Figure 44 : Faisanderie Veyret (2015) Faisanderie pour l’élevage de gibier en Auvergne-Rhône-Alpes [photographie]. Source : https://www.faisanderie-veyret. fr/ - 138 Figure 45 : NASA Earth Observatory (2019) Punta Banda, Baja California [photographie aérienne]. Source : https://visibleearth.nasa.gov/images/145571/punta-banda-baja-california/145573l - 142 Figure 46 : Edward Burtynsky (2004) Oil Fields 27, Bakersfield, California, USA [photographie]. Source : https://www.edwardburtynsky.com/projects/photographs/oil - 146 Figure 47 : Michel Moskovtchenko (1985) Carrière à Lacostei [huile sur toile]. 38 x 55 cm, Roussillon. Source : https://www.artmajeur.com/fr/mosko/ artworks/3130569/carriere-a-lacostei - 148 Figure 48 : Edward Burtynsky (2003) Oil Fields 2, Belridge, California, USA [photographie]. Source : https://www.edwardburtynsky.com/projects/photographs/ oil - 152 Figure 49 : Edward Hopper (1960) People in the Sun [huile sur toile]. 102.6 x 153.4 cm, Smithsonian American Art Museum, Gift of S.C. Johnson &


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Son, Inc., 1969. Source : https://americanart.si.edu/artwork/people-sun-10762 - 160 Figure 50 : Vincent van Gogh (1889) Deux paysans bêchant (d’après Jean-François Millet) [peinture à l’huile]. 72 x 93 cm. Source : Collectie Stedelijk Museum Amsterdam - 166 Figure 51 : Philip Heckhausen (2017) Ferme traditionnelle en pisé dans la Dombes [photographie]. Source : BOLTSHAUSER, Roger. Pisé : tradition et potentiel, Zurich, Triest Verlag, 2019, 288 p. - 172 Figure 52 : Nicolas Duclos (2019-2020) Zone pavillonnaire à Villeron (95675) [photographie]. Source : https://nicolasduclosphoto.com/Zone-pavillonnaire 182 Figure 53 : Nicolas Duclos (2019-2020) Zone pavillonnaire à Puiseux-en-France (95380) [photographie]. Source : https://nicolasduclosphoto.com/Zone-pavillonnaire - 184 Figure 54 : Paul C. Maurice, Construction de la Ville Nouvelle de Rillieux la Pape [photographie noir et blanc]. Source : http://apollo0300.free.fr/pages/villnouv/ villn014.htm - 188 Figure 55 : Élisa Lefevre (2020) Croissance démographique dans la ville de Rillieux-la-Pape entre 1800 et 2020 [graphique]. Source : INSEE - 188 Figure 56 : IGN (1954) Saint-André-de-Corcy en 1954 [photographie aérienne en noir et blanc]. Source : https://remonterletemps.ign.fr/ - 190 Figure 57 : IGN (1992) Saint-André-de-Corcy en 1992 [photographie aérienne en noir et blanc]. Source : https://remonterletemps.ign.fr/ - 190 Figure 58 : Nicolas Duclos (2019-2020) Zone pavillonnaire à Dammartin-en-Goële (77153) [photographie]. Source : https://nicolasduclosphoto.com/Zone-pavillonnaire - 192 Figure 59 : Nicolas Duclos (2020) Mirty-Mory [photographie]. Source : https:// nicolasduclosphoto.com/Autour-de-l-aeroport - 194 Figure 60 : Karel van Milleghem (1962) Sicco Mansholt [photographie noir et blanc]. Médiathèque Commission européenne, Bruxelles. Source : https://www. cvce.eu/obj/sicco_mansholt-fr-5ee116aa-ef64-404e-bfff-0f2658eaccd6.html - 196 Figure 61 : Photographe inconnu (1950) Construction de l’hôpital de Saint-Lô (Manche), années 50 [photographie en noir et blanc]. Source : https://actu.fr/ normandie/saint-lo_50502/manche-une-grande-collecte-darchives-sur-reconstruction-est-organisee_15423742.html - 198 Figure 62 : Photographe inconnu, Bad Utoquai, Zürich [photographie]. Source


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références iconographiques

: https://www.reddit.com/r/AccidentalWesAnderson/comments/85vvoj/bad_ utoquai_z%C3%BCrich/ - 202 Figure 63 : New York World’s Fair Corp (1964) Foire internationale de 1964 : l’Unisphère [carte postale] New York World’s Fair Corp., Dexter Press, West Nyack, N.Y. Source : https://www.pinterest.fr/pin/37576978113558783/ - 208 Figure 64 : Edward Burtynsky (2002) Feng Jie 5, Yangtze River, China [photographie]. Source : https://www.edwardburtynsky.com/projects/photographs/ china - 210 Figure 65 : Photographe inconnu, Winnemem War Dancers protesting the Baird Hatchery in the 1870s [photographie noir et blanc]. Source : http://www.winnememwintu.us/mccloud-salmon-restoration/ - 220 Figure 66 : Patrick Geddes (1909) Valley Section. Source : https://www.dwell. com/collection/6133532597566550016/6133532583880646656 - 222 Figure 67 : Edward Hopper (1953) Office in a small city [huile sur toile]. 71.1 × 101.6 cm, George A. Hearn Fund, 1953. Source : https://www.metmuseum.org/ art/collection/search/488730 - 234 Figure 68 : Rem Koolhaas (1978) La légende de la piscine [illustration]. Source : KOOLHAAS, Rem. New York Délire, Saint-Etienne, Editions Parenthèses, 2015, 318 p. - 248 Figure 69 : Joseph Wright of Derby (1771) L’Alchimiste découvrant le phosphore [huile sur toile]. 127 x 101,6 cm, Derby Museum and Art Gallery, Derby. Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/L%27Alchimiste_d%C3%A9couvrant_le_ phosphore - 250 Figure 70 : Patrick Geddes (1927) The notation of life. Source : https://oxfordre.com/ oxford/fullsizeimage?imageUri=/10.1093/acrefore/9780199389414.001.0001/ acrefore-9780199389414-e-144-graphic-006-full.gif&uriChapter=/10.1093/ acrefore/9780199389414.001.0001/acrefore-9780199389414-e-144 - 254 Figure 71 : Josep Renalias (2008) Soajo - Espigueiros [photographie]. Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Soajo_-_Espigueiros.JPG - 260 Figure 72 : BASE (2007) Jardin du familistère de Guise [photographie]. Source : https://www.baseland.fr/projets/familistere-de-guise-jardin/ - 264 Figure 73 : Johansen Skovsted Arkitekter (2017) Tipperne Bird Sanctuary [photographie]. Source : https://johansenskovsted.dk/projects/TIPPERNETowerLocation-Tipperne-Ringkobing-FjordYear-of-construction - 270 Figure 74 : Edward Hopper (1938) Compartment C, Car 293 [huile sur toile]. 50,8 x 45,7 cm, Collection IBM, Armonk, New York. Source : https://www.cineclubdecaen.com/peinture/peintres/hopper/38compartimentcvoiture293.htm - 274


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Figure 75 : MaxPPP (2015) Les Frères Lumière représentés sur la Fresque des Lyonnais [photograpgie]. CitéCréation (1994-1995) Fresque des Lyonnais, 2 Rue de la Martinière, 69001 Lyon. Source : https://france3-regions.francetvinfo.fr/ auvergne-rhone-alpes/rhone/lyon/films-freres-lumiere-premiere-sortie-dvdblu-ray-790919.html - 284


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Jeremie Diabira, Benjamin Lovindabass Paul, Marc Mifune, Ken Samaras, 2019

Les paysages sont désolés pourtant les hommes n’ont pas d’excuse.



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