Procès des "3+4 de Briançon" (Réforme, novembre 2018)

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Société

RÉFORME NO 3776 • 8 NOVEMBRE 2018

ÉTATS-UNIS. La mobilisation est grande après l’attaque d’une synagogue.

MIGRANTS. Le procès de sept citoyens accusés d’aide à l’entrée irrégulière d’étrangers, en « bande organisée » s’ouvre, jeudi 8 novembre, à Gap.

Après Pittsburgh

Solidaires et inculpés

L

NOÉMIE TAYLOR-ROSNER CORRESPONDANCE DE LOS ANGELES

Ensuite, il est soit reconnu comme réfugié, soit son dossier est débouté », souligne le président de la Cimade. Le procès à Gap est le premier depuis la décision du Conseil constitutionnel. « Nous allons bien sûr nous appuyer sur ce principe de fraternité réaffirmé », précise Me Maeva Binimelis.

Deux affaires différentes

© ÉLISE BERNIND

e prêtre anglican Jon Zeigler a choisi des mots simples et chaleureux pour s’adresser aux responsables d’une petite synagogue de son quartier de Highland Park, à l’est de Los Angeles : « En cette période troublée, ma congrégation et moimême aimerions vous assurer de notre soutien. Pourrions-nous vous rejoindre ce week-end afin de vous exprimer notre solidarité ? » Ces paroles ne sont pas une exception. Dans les heures et les jours qui ont suivi l’attentat qui a fait 11 morts dans une synagogue de Pittsburgh, des dizaines de milliers de chrétiens se sont mobilisés pour assurer leurs voisins juifs de leur compassion. Beaucoup ont répondu présents à l’appel de l’American Jewish Committee (AJC) qui, quelques jours après l’attaque, lançait la campagne #ShowUpForShabbat (#VenezPourShabbat) sur les réseaux sociaux, invitant croyants et non-croyants à participer aux offices de shabbat dans les synagogues. « J’encourage toutes les personnes dotées d’une conscience morale à travers notre pays à me rejoindre », a notamment fait savoir David Harris, le président de l’AJC, dans un communiqué largement relayé dans les médias américains. Vendredi soir, lors de l’office du shabbat, les bancs de la petite synagogue de Highland Park, d’ordinaire clairsemés, étaient presque tous occupés. Juifs peu pratiquants, voisins chrétiens, police municipale, tous avaient répondu présent à l’appel de l’AJC. « Je suis catholique et je n’étais jamais entré dans une synagogue auparavant », confesse un policier en uniforme, envoyé par son supérieur pour tenter de rassurer la petite communauté. « J’ai été très ému par la beauté des chants ce soir », dit-il devant des fidèles reconnaissants et quelque peu étonnés de recevoir la visite de forces de l’ordre au sein de leur synagogue, jusqu’ici épargnée par les actes antisémites. Tout au long de la semaine, les responsables religieux américains de toutes confessions ont multiplié les appels à la solidarité et à la tolérance. « Nous devons dire clairement à ceux qui se disent chrétiens : si vous détestez les juifs, vous détestez Jésus », notait ainsi le pasteur Russell Moore, président de la commission d’éthique de la Convention baptiste du Sud, sur le site du Washington Post. Quelques jours après le drame de Pittsburgh, des musulmans basés dans différentes villes américaines ont de leur côté lancé plusieurs campagnes de levées de fonds en faveur des familles des victimes et pour aider à la restauration de la synagogue endommagée pendant la fusillade. Parmi eux, Shay Khatiri, un Américain d’origine iranienne, qui, grâce à sa campagne de financement participatif, est parvenu à recueillir plus d’un million de dollars. « Parmi les donateurs, il y a des Stein et des Berg, et des Mohammed. Il y a des noms traditionnels américains et des noms asiatiques, note Shay Khatiri sur sa page de dons. Je ne suis pas étonné que des Américains de tous horizons et confessions – immigrés, nés aux États-Unis, juifs, athées, bouddhistes, hindous, chrétiens, musulmans –, se rassemblent pour combattre un acte haineux. L’Amérique est magnifique ! »•

Une affiche à Forcalquier appelle à un rassemblement, en soutien aux 7 inculpés

C

’est la première fois que la circonstance aggravante de « bande organisée » est retenue contre des citoyens venant en aide aux migrants. Sept personnes – quatre Briançonnais, une Italienne, un Suisse et un Belgo-Suisse, âgés de 22 à 51 ans – comparaissent, aujourd’hui, jeudi 8 novembre, devant le tribunal correctionnel de Gap pour « aide à l’entrée irrégulière » d’étrangers, « en bande organisée ». Ils risquent jusqu’à dix ans de prison et 750 000 euros d’amende. « Une vraie mobilisation est née autour de ce procès car il y a un ras-le-bol contre cet acharnement à poursuivre des actions de solidarité », s’insurge Christophe Deltombe, président de la Cimade et présent à Gap. Les associations engagées (Tous Migrants, Délinquants solidaires, Cimade, etc.) annoncent un grand rassemblement devant le tribunal pour soutenir les prévenus. Et une pétition1 pour demander la relaxe avait recueilli 45 000 signatures mardi, au moment du bouclage de ce numéro de Réforme. Les faits remontent au 22 avril. Ce jour-là, dans les montagnes des HautesAlpes, environ 150 militants marchent entre Clavière en Italie et Briançon. Ils dénoncent l’action, la veille, de Génération identitaire. Une centaine de membres de ce mouvement d’extrême droite s’étaient postés à la frontière, au niveau du col de Montgenèvre, pour marquer leur hostilité à l’entrée en France de migrants. Une enquête a été ouverte par le parquet de Gap. Aucune poursuite n’a pour l’instant été engagée. Le parquet accuse en revanche les sept

prévenus d’avoir fait entrer en France une vingtaine de migrants, à l’occasion de la marche du 22 avril. « On ne pensait pas qu’on serait poursuivis pour “bande organisée”. C’était une manifestation contre l’action de Génération identitaire. Chacun était libre d’y participer ou pas », se défend Benoît Ducos, l’un des quatre Briançonnais poursuivis.

Le principe de fraternité « Il y a deux poids, deux mesures, renchérit Maeva Binimelis, l’une des sept avocats qui défendront collectivement les prévenus. L’État est assez silencieux lorsque des exilés, par définition vulnérables, sont victimes de menaces de la part d’identitaires. En revanche, on tape extrêmement dur quand il s’agit d’aider ces mêmes exilés. Pour moi, ce procès est un message clair pour dissuader les actes humanitaires. » Face aux arrestations et aux procès, le président de la Cimade constate, au contraire, un renforcement de la solidarité. « Le délit de solidarité n’est pas accepté. L’accueil des migrants chez les particuliers se développe partout en France », témoigne Christophe Deltombe. En juillet, saisie par une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a rappelé « le principe de fraternité ». Ainsi une aide au séjour et à la circulation d’étrangers ne peut être poursuivie en justice. En revanche, l’aide à l’entrée sur le territoire reste illégale. « Le Conseil constitutionnel n’est pas allé au bout de sa logique. On ne crée pas une situation illégale lorsqu’on fait entrer un demandeur d’asile sur le territoire pour qu’il dépose sa demande.

En revanche, l’avocate ne voit pas comme un signe positif l’abandon récent des poursuites contre Benoît Ducos, dans une autre affaire. En mars 2017, le Briançonnais avait en effet été arrêté pour avoir transporté à la maternité une Nigériane sur le point d’accoucher. Les poursuites pour « aide à l’entrée et à la circulation d’un étranger en situation irrégulière » ont été classées sans suite le 27 octobre par le parquet, faute de preuve et pour « immunité humanitaire ». « Je reste extrêmement méfiante, affirme Me Binimelis qui va défendre plus particulièrement Benoît Ducos. Ce sont deux affaires différentes. Ce classement sans suite ne permet pas de présumer d’une réquisition vers une relaxe. En spéculant, on pourrait même imaginer que le parquet veut faire passer le message qu’il n’y a pas d’acharnement, pour mieux sanctionner aujourd’hui. » « Il ne faut pas que les citoyens aient peur d’aller en justice. C’est au contraire une richesse. Le procès est l’occasion d’expliquer la réalité d’une situation », affirmait Cédric Herrou, le 13 octobre à Forcalquier, après la projection d’un documentaire retraçant son action en faveur des migrants2. En 2017, cet agriculteur de la vallée de la Roya près de Nice avait été condamné en appel à quatre mois de prison avec sursis. Il s’est pourvu en cassation et attend la décision de la Cour prévue le 12 décembre. Les militants attendent aussi beaucoup des débats à Gap. Ce procès est l’occasion d’interpeller l’État sur la situation dans le Briançonnais. Les associations dénoncent notamment « des coursespoursuites » par les forces de l’ordre dans la montagne et des « entraves à l’enregistrement des demandes d’asile ». « Qu’est-ce qu’une politique migratoire qui condamne uniquement les gestes humanitaires ? Toute politique répressive n’aboutit pas à réduire les migrations, mais simplement à modifier les routes migratoires avec deux conséquences : les migrants se mettent toujours plus en danger, et les passeurs s’enrichissent », affirme Christophe Deltombe. • ÉLISE BERNIND ENVOYÉE SPÉCIALE À GAP 1. Accessible sur lacimade.org 2. Libre, de Michel Toesca.


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