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Portrait
RÉFORME NO 3777 • 15 NOVEMBRE 2018
Citoyenne solidaire SOPHIE DUCOS.
ils sont une dizaine, des bénévoles les emmènent au commissariat de Briançon pour qu’ils soient pris en charge par le Département. Un grand nombre d’entre eux seront pourtant “déminorisés”. Quant à ceux qui présentent des papiers, ils sont accusés de fournir des faux. Ils sont donc mis à la rue et se retrouvent à bouffer dans les poubelles de Marseille s’ils ne trouvent pas de famille d’accueil », s’emporte Sophie.
Née dans une famille protestante de HauteLoire, elle secourt les exilés qui ont passé la frontière franco-italienne.
Famille d’accueil
Par amour de la montagne Sophie et sa famille espèrent maintenant souffler un peu jusqu’au jugement, prévu le 13 décembre. « C’était beaucoup de tension depuis deux mois. La préparation du procès avec les avocats occupait Benoît presque à temps plein. Heureusement, il est menuisier à son compte et s’est organisé. Moi, j’ai essayé de faire en sorte que la maison ne parte pas en vrille, d’apporter un peu de sérénité au milieu de tout ça », explique Sophie. Le couple a trois garçons de 23, 19 et 16 ans : « C’est difficile pour le dernier de voir son père un peu médiatisé. À Briançon, la question des migrants est épidermique. Il y a les pour et les contre, y compris dans son lycée », confie sa mère, qui s’est aussi inquiétée pour son deuxième fils, très investi aux côtés des migrants. « Peut-être trop. Je me faisais un peu de souci pour ses études », reconnaît-elle. Sophie et Benoît se sont installés à Briançon il y a une vingtaine d’années
© ELISE BERNIND
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otre première rencontre a lieu devant le palais de justice de Gap, le 8 novembre d e r n i e r. D e h o r s , Sophie Ducos et des centaines de manifestants demandent la relaxe des « 7 de Briançon ». Ces derniers sont accusés d’« aide à l’entrée illégale » d’étrangers « en bande organisée ». Six mois plus tôt, ils ont marché avec une centaine de personnes de Clavière (en Italie) jusqu’à Briançon, en réaction à un rassemblement antimigrants, la veille, du groupe d’extrême droite Génération identitaire (lire sur reforme.net). Dans la petite salle du tribunal correctionnel, Benoît Ducos, le mari de Sophie, est l’un des sept inculpés. « C’est la première fois que nous avons affaire à la justice et je suis tombée de haut. Le procureur a sorti de son contexte une phrase du témoignage que j’avais écrit à la demande des avocats de la défense, et s’en est servi contre mon mari. Il a aussi utilisé des citations de Benoît parues dans la presse », raconte cette institutrice, le lendemain du procès. Après 17 heures d’audience, six mois de prison avec sursis ont été requis, contre Benoît Ducos et quatre autres prévenus. Douze mois dont quatre fermes contre les deux derniers, poursuivis aussi pour rébellion.
Sophie Ducos a souhaité poser devant un message de soutien, envoyé du Népal par son fils aîné
« par amour de la montagne ». Benoît vient d’une « famille catholique, cultivée et humaniste ». La famille paternelle de Sophie est protestante, implantée en Haute-Loire, près du Chambon-surLignon et en Ardèche. « Ado, j’ai eu un parcours protestant classique, même si ma famille n’était pas vraiment pratiquante. L’école biblique avec le pasteur Jérôme Cottin et sa femme Bettina m’a beaucoup marquée. Ils animaient un groupe de réflexion philosophique. J’en ai gardé une grande ouverture d’esprit », raconte Sophie, qui ne lie pas nécessairement son engagement auprès des migrants à son éducation protestante. « Ce que je fais aujourd’hui, je le fais par conviction tout court, pas par conviction religieuse. À chaque fois qu’on fait acte d’humanité, il y a de toute manière un lien avec les valeurs prônées par les religions, quelles qu’elles soient » dit-elle. Lorsqu’en 2017 la frontière francoitalienne dans les Alpes-Maritimes est devenue compliquée à franchir, les migrants ont commencé à emprunter un itinéraire plus au nord par le col de l’Échelle (1 762 m), puis par le col de Montgenèvre (1 854 m). Les Briançonnais ont vu alors arriver de plus en plus de migrants dans leur vallée. L’hiver dernier, les professionnels de la montagne, inquiets pour leur vie, ont commencé à alerter. Les habitants se sont organisés petit à petit. Le Refuge solidaire, vieux bâtiment mis à disposition par la commune et géré par des bénévoles, a ouvert pour les mettre
à l’abri. « On a commencé à donner un coup de main. Il était intolérable pour nous que la montagne devienne un lieu de perdition, de danger et de mort », témoigne Sophie. Puis, le couple et leur fils de 19 ans participent à des maraudes pour porter secours aux migrants. « C’est extrêmement fatiguant et stressant. Vous partez à 19 h après la journée de travail et vous ne revenez pas avant 1 ou 2 heures du matin. Les premières fois, on trouvait
Depuis presque un an, elle et son mari ont été désignés « tiers digne de confiance » par un juge pour héberger Alpha jusqu’à sa majorité. Ce Guinéen de 16 ans a fait partie de ces mineurs « déminorisés ». « Benoît, comme plusieurs familles d’accueil, a passé beaucoup de temps et d’énergie à réussir à le scolariser. C’est la politique du découragement », dénonce Sophie. Mais le vrai tournant remonte au 10 mars, lorsque Benoît trouve, lors d’une maraude, une Nigériane sur le point d’accoucher et la transporte à l’hôpital de Briançon. Son arrestation par la police est très médiatisée. « Depuis, on se sent comme dans un tourbillon. On n’a pas touché terre », constate Sophie qui a vu plusieurs proches s’éloigner depuis qu’elle aide les exilés. « Nous avions de très bons amis, dans le sens le plus noble du terme. Un jour, on leur a écrit car on s’impatientait de ne pas les voir. Ils nous ont répondu un message très clair : “Vous avez des convictions qui ne sont pas les nôtres. On va mettre fin à notre amitié.” On en a pleuré avec Benoît. Pour moi, l’amitié va au-delà de ça », confie Sophie qui cite d’autres histoires similaires avec une amie, des cousins, des collègues de travail. « Un tri terrible s’opère. Heureusement, d’autres amitiés naissent. C’est comme si on commençait une deuxième vie. Ceux qui sont violemment contre les migrants le sont souvent par peur ou par ignorance. Je suis sûre que s’ils venaient une seule fois au Refuge ou en maraude, ils s’apercevraient que ce sont des gens formidables et pas une horde de terroristes. Mais ce premier pas est dur à faire », regrette Sophie. Avec l’hiver qui approche, les maraudes vont bientôt reprendre : « On a peur des morts car comme les policiers sont de mieux en mieux organisés, les migrants vont prendre toujours plus de risques », détaille Sophie. Le procès du 8 novembre n’a pas fragilisé les convictions du couple : « Pour Benoît, sa vie n’a jamais eu autant de sens que depuis qu’il aide les migrants. Pour lui, il n’a rien à se reprocher et recommencerait s’il le fallait. Mais différemment, maintenant qu’on connaît mieux les rouages de la justice », conclut Sophie.•
« Il était intolérable pour nous que la montagne devienne un lieu de perdition, de dangers et de mort » des personnes épuisées, en basket, jean et polo dans la neige, explique cette mère de famille. Ensuite, on se débrouille pour les mettre à l’abri au Refuge, avec le stress de se faire arrêter par la police aux frontières. Lorsqu’on atteint enfin le Refuge, les migrants sont contents et applaudissent. Nous, on a juste envie de pleurer en pensant à ce qui les attend. Un jour, j’ai vu une vidéo de deux jeunes totalement perdus dans la montagne. Ils disaient adieu à leurs parents », raconte Sophie, bouleversée, qui ne fait plus de maraude. « Trop stressant », confie-t-elle. « La colère nous motive quand on voit comment l’État ne respecte pas ses propres lois », explique Sophie qui cite l’exemple des mineurs isolés. « Quand
ÉLISE BERNIND