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Concevoir de hautes cloisons ingénieuses tout en veillant à un compartimentage sûr en cas d’incendie
from FF77fr
Les architectes et concepteurs de constructions n’aiment guère que l’on restreigne leur créativité au moyen de lois et de règles. Ils aiment laisser libre cours à leur inspiration pour réaliser une véritable « œuvre d’art » de la manière la plus libre et inventive possible. D’autant plus que cette créativité est déjà suffisamment bridée par les lois de la physique : il faut une poutre de dimensions précises pour pouvoir franchir certaines distances, et cette poutre doit être soutenue ou suspendue d’une manière ou d’une autre. Elle ne peut pas rester en simple lévitation.
Heureusement, pour certains bâtiments, il n’y a pas plus de lois et de règles que celles-là et le concepteur peut laisser son imagination s’exprimer sous sa forme la plus libre. Malheureusement, ce n’est pas le cas pour d’autres bâtiments, qui doivent satisfaire à de nombreuses obligations et lois notamment pour des raisons de sécurité, ce qui proscrit toute créativité débordante. C’est notamment le cas pour les bureaux, les écoles, les hôpitaux, les centres commerciaux, les maisons de repos, les habitats collectifs et quelques autres types de bâtiments.
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Pour que le bâtiment puisse être construit (l’objectif ultime de tout concepteur), mieux vaut que son concepteur tienne compte de ces exigences dès le début du projet, sous peine que son œuvre d’art n’obtienne pas de permis de bâtir et que le public ne découvre jamais sa créativité architecturale. fil à retordre aux architectes sont celles relatives à la sécurité incendie d’un bâtiment. Le législateur vise en premier lieu la sécurité des utilisateurs ou des occupants, puis l’évacuation en toute sécurité de ces personnes par les secouristes, et seulement ensuite la préservation des biens et des bâtiments. L’architecte doit donc concevoir un bâtiment qui satisfait avant tout aux exigences en matière de sécurité des occupants, des utilisateurs et des services d’intervention, et non donner la
priorité à la protection du bâtiment en sa qualité d’œuvre d’art.
Dans le cadre de la sécurité incendie, le compartimentage d’un bâtiment est l’un des principaux aspects que le concepteur doit prendre en compte. Le compartimentage consiste à répartir le volume d’un bâtiment en zones maîtrisables par les services de secours, et ce aussi bien au moyen de constructions horizontales que verticales, porteuses ou non, présentant une résistance au feu de 30, 60 ou 120 minutes ((R)EI). La taille de ces compartiments est réglementée, mais peut varier en fonction de l’utilisation (bureaux, hôpital, etc.) ou de l’emplacement (Flandre, Wallonie ou Bruxelles) du bâtiment. La manière la plus simple de mettre en place un compartimentage horizontal est de prévoir des plafonds avec une classe EI ou des sols avec une classe REI. Les compartiments horizontaux se limitent bien souvent à un seul étage. Chaque étage constitue donc un compartiment, abstraction faite des cages d’escalier et des atriums notamment. Les compartiments verticaux sont entre autres réalisés par des séparations entre les voies d’évacuation et d’autres espaces, les locaux techniques, les gaines… Nous souhaitons ici approfondir ces compartimentages verticaux aux cloisons légères et plus précisément les systèmes construits sur chantier au moyen de profilés métalliques recouverts des deux côtés de plaques, souvent de plâtre ou de silicate de calcium. Le vide est comblé ou non, généralement avec de la laine minérale à base de roche ou de verre.
La résistance au feu de ce type de constructions doit être prouvée au moyen d’un rapport d’essai européen conformément à la norme NBN EN 1364-1, suivi d’un rapport de classification conformément à la norme NBN EN 13501-2. C’est ce rapport de classification ou un avis technique d’un bureau agréé, qui regroupe un ou plusieurs rapports de classification portant sur des constructions similaires ou équivalentes, qui est utilisé sur le marché pour prouver la résistance au feu de telles constructions.
Tout repose donc sur un essai réalisé dans un laboratoire agréé sur un élément d’essai. La norme NBN EN 1364-1 précise notamment les dimensions minimales de cet élément d’essai, à savoir 3,00 m sur 3,00 m. La majorité des laboratoires le fournissent par défaut, car cela englobe la plupart des constructions sur le marché. La norme prévoit un essai avec extrémité « libre ». En d’autres termes, pour la réalisation de l’essai, un côté de la cloison n’est pas fixé au cadre du four. Cela permet de simuler une cloison infinie. Si l’essai réussit, on peut donc construire sur le chantier une cloison de 3,00 m de haut maximum, mais d’une longueur indéterminée avec une résistance au feu équivalent à celle testée en laboratoire et notée dans le rapport de classification. Lorsque dans le cadre d’un essai réussi, la flèche de la construction soumise à essai n’excède pas 100 mm, conformément au champ d’application direct (DIAP),1 la hauteur de la cloison peut être augmentée de 1 m par rapport à la hauteur dans le cadre de l’essai, ce qui correspond ici à 4,00 m.
Essais sur des cloisons plus hautes
Aujourd’hui, les laboratoires proposent des hauteurs d’essai de 4,00 m, 5,00 m et supérieures (ce que la norme n’interdit pas), afin de pouvoir construire des cloisons de 5,00 m, 6,00 m et plus sur le terrain via le champ d’application direct. Il s’agit déjà de bonnes hauteurs pour un système de cloisons légères, mais celles-ci ne permettent pas encore de répondre à la créativité sans limites de nos concepteurs. Il existe donc une réelle demande de cloisons légères plus hautes ayant une fonction de compartimentage. Comme des constructions de cette hauteur ne peuvent pas toujours être soumises à essai en laboratoire et en vue de garantir la sécurité des utilisateurs d’un bâtiment et des services chargés de leur évacuation, l’Europe a établi plusieurs règles de dimensionnement pour les constructions hautes dans un document : NBN EN 15254-32 , l’Extension du champ d’application (EXAP)3. Ce document fournit des recommandations et, le cas échéant, définit des procédures pour les variations de certains paramètres et facteurs liés à la conception de cloisons légères qui ont été soumises à essai conformément à l’EN 1364-1, et classées conformément à l’EN 13501-2. Ce document s’applique uniquement aux cloisons légères avec une ossature en acier unique et munies d’un parement des deux côtés de l’ossature en acier. L’intérieur de la cavité de la cloison légère peut être isolé ou non avec de la laine minérale. Le document ne s’applique pas aux autres types de cloisons légères traités dans l’EN 1364-1. En d’autres termes, ce document permet de dimensionner des cloisons plus hautes tout en conservant une résistance au feu sur la base d’un essai
1 En anglais : direct field of application (DIAP). 2 NBN EN 15254-3 : 2019 - Extension du champ d’application des résultats des essais de résistance au feu - Éléments non porteurs - Partie 3 : Cloisons légères 3 En anglais : extended field of application (EXAP).
conformément à la norme NBN EN 1364-1. Les fabricants de ces systèmes peuvent donc demander un avis technique à un bureau agréé pour commercialiser des cloisons plus hautes sans devoir effectuer d’essais supplémentaires, et ce sur la base de leurs essais dans des laboratoires agréés et pour autant que les paramètres demandés aient été mesurés dans le cadre de ces essais. Fin 2013, la collaboration de la Passive Fire Protection Association, PFPA a été sollicitée à ce niveau. La PFPA est une plateforme belge qui rassemble les fabricants de produits et systèmes visant à garantir la protection incendie passive d’éléments de structure et de construction. // Vide comblé ou non
// Si le vide est comblé : avec de la laine de verre
ou de la laine de roche
// Les minutes réellement atteintes avant l’échec
ou l’arrêt de l’essai :
Coupe A-A
Sous quelles conditions est-il possible d’attester des cloisons plus hautes (que la hauteur soumise à essai) ? Nous parcourons ici les principales règles à respecter pour l’extrapolation et l’application du document NBN EN 15254-3. La base est donc un rapport d’essai d’un laboratoire agréé. Les critères importants sont les suivants :
// La hauteur soumise à essai
1.2.1 Composition de l’élément utilisé pour l’essai L’élément d’essai est une cloison non porteuse composée d’une ossature métallique munie, des deux côtés, d’une double couche de placoplâtre. La composition de l’élément d’essai est symétrique.
Dimensions extérieures de l’élément d’essai : - hauteur : 4000 mm ; - largeur : 4000 mm ; - épaisseur : 125 mm.
// Mesure de la flèche de la construction durant l’essai:
Coupe B-B
2.2 Résultats de l’essai
Paramètres Résultats
Isolation thermique – I
∆T m = 140 °C
∆T m = 180 °C 74 minutes, pas d’échec(1)
74 minutes
Étanchéité aux flammes – E
Flammes spontanées et continues 74 minutes, pas d’échec(1) Échec avec calibre Ø 6 mm 74 minutes, pas d’échec(1) Échec avec calibre Ø 25 mm 74 minutes, pas d’échec(1) Inflammation mèche de coton 74 minutes, pas d’échec(1)
Rayonnement – W
Intensité de rayonnement = 15 kW/m2 74 minutes, pas d’échec(1) (1) L’essai a été arrêté après 74 minutes en concertation avec le donneur d’ordre.
// Placement de thermocouples dans la cloison à
mi-hauteur et au milieu (ceux-ci ne sont pas imposés par la norme, mais bien par le document EXAP) :
position des thermocouples endroit où l’intensité de rayonnement a été mesurée (RAD1) endroit où les déformations ont été mesurées (A – E)
Le document EXAP impose les exigences suivantes par rapport à la hauteur des cloisons dans le tableau 3 sous le point 6.4.1 :
« Une augmentation de la hauteur n’est autorisée que si la hauteur de la cloison légère s’élève à minimum 3 m. La hauteur de la cloison légère soumise à essai peut être augmentée de maximum 3 m, moyennant respect des exigences suivantes :
Tableau 3 – Exigences pour l’augmentation de la hauteur de la cloison légère
Augmentation de la hauteur soumise à essai de Exigences
≤ 1 m
≤ 2 m
≤ 3 m Flèche maximale ≤ h/30 (durant le temps de la classe) ET possibilité de dilatation augmentée au prorata Overrun time ET Flèche maximale ≤ h/30 (durant le temps de la classe et l’« overrun time ») ET possibilité de dilatation augmentée au prorata Overrun time ET Flèche maximale ≤ h/30 (durant le temps de la classe et l’« overrun time ») ET augmentation de l’épaisseur du parement de chaque côté avec un minimum de 50 % en ajoutant une ou plusieurs couches supplémentaires des plaques soumises à essai ou en augmentant l’épaisseur des plaques soumises à essai ET possibilité de dilatation augmentée au prorata
Une extrapolation conformément au document EXAP autorise donc les constructions plus hautes jusqu’à + 3 m au-dessus de la hauteur soumise à essai de ces cloisons si différentes exigences sont remplies. Comme précisé cidessus, les critères pris en compte sont les suivants :
// Une flèche maximale ≤ h/30 et une possibilité de dilatation au prorata ; // Un « overrun time » ;
Tableau 2 – « Overrun time » requis
Temps de la classe
min
« Overrun time » requis
≤ 30 > 30 et ≤ 60 > 60
≥ 3 min ≥ 6 min ≥ 10 % du temps de la classe // Une augmentation de 50 % de l’épaisseur des plaques de chaque côté.
Placement de thermocouples
Pour pouvoir réaliser des constructions encore plus hautes (jusqu’à maximum 12,00 m), outre les critères déjà stipulés plus haut, le fabricant doit pouvoir prouver que la température au milieu et à mi-hauteur de la cloison soumise à essai (sur les profilés métalliques) n’excède pas 180 °C. L’emplacement de ces thermocouples est précisé dans le document EXAP. L’augmentation de température est mesurée par deux thermocouples placés selon la description ci-dessous : // Les thermocouples sont placés sur les deux profilés métalliques les plus proches du milieu géométrique de la cloison légère ; // Chaque thermocouple est placé à mi-hauteur sur le profilé ; // Chaque thermocouple est fixé à l’intérieur du profilé ; // Chaque thermocouple est fixé au milieu de la bride du côté exposé du profilé.
Cette dernière exigence ne relève pas d’une mesure standard prévue dans la procédure d’essai de la norme NBN EN 1364-1. En d’autres termes, si les fabricants souhaitent faire attester leurs cloisons pour de telles hauteurs, ils doivent réaliser plusieurs essais. De même, l’« overrun time » est une donnée relativement neuve dans la détermination de la résistance au feu d’un système.
Le lecteur attentif remarquera qu’il n’est pas simple pour le concepteur de trouver la solution adéquate parmi cet ensemble de combinaisons possibles. Les fabricants tentent actuellement de couvrir un maximum d’applications avec le moins de configurations d’essai possible, ce qui est bien compréhensible lorsque l’on sait qu’un unique essai coûte quelque 25 000,00 €.
Par ailleurs, cette norme EXAP distingue clairement l’utilisation de laine de verre et de laine de roche. Cellesci ne sont pas interchangeables (à l’exception du fait que l’on peut remplacer la laine de verre soumise à essai par de la laine de roche, voir point 6.3.4.). Pour les cloisons jusqu’à 3,00 à 4,00 m de hauteur, les solutions des différents fabricants sont pratiquement identiques. Si en tant que concepteur, vous prévoyez des cloisons plus hautes dans votre projet, vous devrez, dès le début, tenir compte du fait que les solutions peuvent fortement varier d’un fabricant à l’autre. En effet, les critères pris en compte pour les cloisons plus hautes ont peu d’importance pour les cloisons moins hautes et peuvent être très différents en fonction du fabricant. Le principal message à retenir est de bien vous informer et de ne pas mélanger différentes marques, car cela poserait des problèmes.
Les choses ne sont pas simples non plus pour les entreprises d’installation, car pour elles aussi, le nombre de solutions augmente de manière exponentielle. Qui plus est, ces règles impactent les tarifs. Elles doivent donc s’informer auprès des fabricants et éventuellement suivre des formations en la matière, afin de pouvoir délivrer les attestations nécessaires une fois les travaux réalisés.
Hugo Van Keymeulen Project Advisor Gypsum and Insulation Building Activities Belux pour Saint-Gobain Construction Products Belgium NV/SA, Gyproc®, membre de la PFPA. Membre du conseil d’administration de la PFPA, président du groupe de travail Compartimentage